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La première année est commune aux études médicales (PACES) et aux concours paramédicaux.
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L’ouvrage de la Ratio Studiorum est un exposé de l’organisation des études dans les Collèges de la Compagnie de Jésus depuis le xvie siècle. Il explicite à la fois l’ordonnancement des cours et les principes pédagogiques inspirateurs. Sa première édition de 1599 rassemble l’expérience des différents Collèges de l’époque. Il fut constamment réactualisé et réédité jusqu’à l’époque contemporaine.
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La sous-colle est une équipe de travail constituée habituellement de quatre étudiants. En première année, elle compte deux « primants » – qui préparent le concours pour la première fois – et deux « doublants », ou trois « primants » et un « doublant ». Ces équipes se réunissent chaque semaine. Elles sont constituées par les responsables de l’institution qui veillent à une bonne complémentarité au sein de chaque équipe. À partir de la quatrième année, les étudiants eux-mêmes constituent leur équipe qui les accompagnera durant toute la préparation à l’ECN.
1Revue Laennec : Jean-Claude Deverre, vous avez été directeur de deux centres Laennec successivement : à Paris d’abord, pendant dix-sept ans, puis à Lyon, au cours des dix dernières années. Pouvez-vous présenter brièvement ces centres et leur mission ?
2Jean-Claude Deverre : Lieux de formation, de réflexion et d’écoute, les trois centres Laennec – à Lyon, Marseille et Paris [1] – ont pour mission d’accompagner les étudiants en médecine de la première à la sixième année. Pour mémoire, les deux premières années composent le premier cycle des études médicales – marqué par un concours très sélectif en fin de première année. La troisième année ouvre le second cycle, qui dure quatre ans. Les quatrième, cinquième et sixième années correspondent à l’externat. En fin de sixième année, l’examen classant national (ECN) permet aux étudiants d’accéder à l’internat – ou troisième cycle – et de choisir leur spécialité en fonction de leur classement. Ils quittent alors les centres Laennec.
3En cette rentrée 2016, vous venez de passer la main à un autre jésuite. Que souhaitez-vous partager, aujourd’hui, de l’expérience d’accompagnement de si nombreuses générations d’étudiants en médecine ?
4Tout d’abord, une question m’a constamment habité au long de ces années : qu’est-ce qui peut conduire des jeunes de 18 ans à vouloir être médecin, aujourd’hui ? Si vous les interrogez, ils vous diront spontanément qu’ils envisagent de choisir ce métier pour s’occuper des autres et les soigner. Cet élan généreux n’est pas sans refléter, souvent, une forme de naïveté et d’illusion sur les exigences et les contraintes d’une activité médicale ; ce sera pour une large part l’enjeu de leur formation initiale que de les leur faire découvrir et accepter. La mission des centres Laennec est de les accompagner dans cette découverte.
5Lors des journées d’information qui sont proposées en cours d’année scolaire aux élèves de Terminale et à leurs familles, une attente profonde ressort des questions posées sur la formation des futurs médecins et sur le concours de première année qui décidera de leur orientation [2]. Cette attente peut se résumer ainsi : pour eux, être médecin, c’est faire preuve d’humanité en toute situation, avec compétence et dans une grande capacité d’empathie.
6Le mode de sélection retenu en fin de première année de médecine n’apparaît-il pas bien éloigné de ces préoccupations ?
7Effectivement, le concours qui doit permettre à ces jeunes de s’engager réellement dans les études de médecine ne s’inscrit guère, a priori, dans cette approche. Toutefois, ne permet-il pas de vérifier si certaines conditions indispensables à l’exercice médical sont bien réunies ? Il demande une bonne capacité de travail, avec ce que cela requiert de résistance physique et psychique. Il permet de valider une démarche intellectuelle solide. Enfin, comme tout concours, il exige de l’étudiant une grande rapidité d’adaptation à des exigences nouvelles, une maîtrise de soi, une gestion de son stress et de ses émotions.
8Ces dimensions me semblent essentielles dans l’activité clinique ; probablement même sont-elles le soubassement indispensable pour instaurer une attitude d’écoute et d’empathie à l’égard du malade. C’est pourquoi le fait d’accompagner les étudiants jusque dans les contraintes de la préparation du concours de première année est déjà un engagement éthique : il s’agit de les orienter vers un savoir-faire et un savoir-être.
9Pour autant, affirmer cela ne clôt pas les débats et les interrogations sur la manière de conduire une sélection en médecine. Des expérimentations sont en cours dans plusieurs facultés afin d’éviter le « gâchis » de la première année.
10Comment les notions de « savoir-faire » ou de « savoir-être » peuvent-elles s’inscrire dans un rythme de travail intense ?
11Beaucoup d’étudiants de première année, au sortir de leur Terminale, pensent que travailler jusqu’à s’en « abrutir » sera la clé de la réussite. L’expérience montre qu’il s’agit bien souvent d’une impasse. En s’investissant – certes fortement – dans le travail, l’étudiant doit apprendre à construire ses connaissances. Il s’agit de les hiérarchiser, en repérant les points essentiels, et de les mémoriser intelligemment, en cherchant à comprendre de quoi il est question. Il importe aussi d’être capable d’en rendre compte, en sachant expliquer à des camarades les notions acquises. Ici le rôle d’une équipe de travail est incontournable pour aider chacun à mener un travail méthodique dans les apprentissages. Dans la pédagogie d’accompagnement des étudiants, nous voyons déjà poindre quelques traits indispensables à leur future activité clinique : la mise en place de connaissances solides qui permettront un raisonnement médical clair et précis ; la capacité d’expliquer de manière simple des notions complexes – à leurs camarades d’équipe pendant la préparation du concours et, par la suite, aux patients dont ils auront la charge ; la prise de recul indispensable pour progresser dans la méthode de travail, qui sera également essentielle, plus tard, face à la grande diversité des situations rencontrées. Chaque étudiant découvre ainsi, dès la première année, le chemin à parcourir pour répondre aux exigences des études et du métier qu’il envisage. Certains prennent conscience qu’ils sont trop émotifs ou trop stressés et qu’ils doivent évoluer s’ils veulent honorer leur projet. D’autres s’aperçoivent qu’ils ne sont pas prêts à investir autant d’années dans les études et finissent par s’interroger sur leurs réelles capacités à les mener jusqu’au bout. D’autres encore expérimentent une nouvelle manière de s’investir dans le travail, et découvrent en eux des capacités intellectuelles et une force de caractère qu’ils ne soupçonnaient pas. D’autres enfin, pourtant volontaires et courageux, doivent reconnaître – avec difficulté parfois – que les rythmes et les exigences de ces études ne s’avèrent pas totalement adaptés à ce qu’ils sont.
12Comment définiriez-vous la pédagogie des centres Laennec ?
13Cette pédagogie appartient à une grande tradition : celle de la Compagnie de Jésus. Ses axes majeurs sont exposés dans l’ouvrage de la Ratio Studiorum [3]. À chaque époque et en toute région du monde où elle est implantée, la Compagnie de Jésus s’en inspire toujours, dans son travail auprès des jeunes générations, pour inventer et créer en cherchant à répondre au mieux aux situations les plus spécifiques. Au service des étudiants en médecine, depuis leur première année jusqu’à la préparation de l’examen classant national (ECN), les centres Laennec vivent de cette règle inspiratrice. Ils partagent un esprit commun tout en honorant les particularités de leurs engagements auprès des étudiants en médecine de Paris, Lyon et Marseille, où ces centres sont implantés. Leur mission se décline de manière différente au fur et à mesure du déroulement des études médicales. Néanmoins, deux éléments sont constitutifs de notre pédagogie quelle que soit l’année concernée : l’accompagnement personnel, d’une part ; et, d’autre part, cet esprit d’équipe que j’ai déjà évoqué.
14Commençons par l’accompagnement personnel : en quoi consiste-t-il et quel est son but ?
15Dans les études de médecine, les contraintes sont fortes. Elles viennent parfois de l’étudiant lui-même, parce qu’il s’impose une tension excessive, parfois de sa famille, mais aussi et surtout du contexte au sein duquel il évolue : dans la préparation d’un concours – qu’il s’agisse de la fin de première année ou de l’ECN – le collectif fait inévitablement peser sur chacun une pression importante. Il s’agit d’aider chaque étudiant à trouver son propre chemin. C’est un travail intérieur qu’il est appelé à entreprendre. Peu à peu, dans un discernement personnel, il apprend à reconnaître si sa manière de procéder s’inscrit bien dans son projet d’études. Cet apprentissage requiert une écoute bienveillante et respectueuse. Il porte aussi bien sur l’équilibre de vie personnelle – sommeil, détente… – et sur les méthodes de travail que sur les relations avec les camarades de promotion, en particulier les camarades de « sous-colle » [4]. En réalité, toutes ces dimensions sont imbriquées.
16Enfin, pour soutenir l’étudiant dans son travail et valider sa méthodologie, la pédagogie de l’accompagnement offre régulièrement des temps d’évaluation. Ceux-ci doivent lui permettre de repérer ses acquis comme ses lacunes, et ainsi de mieux cibler son travail sur les parties du programme à revoir ou à consolider. Outre ce travail de relecture sur les connaissances proprement dites, il lui sera également demandé un bilan sur sa manière de vivre ces temps d’évaluation : sa capacité de concentration, la gestion de ses émotions et de son stress, sa résistance physique et mentale… Il s’agit d’entrer dans une démarche exigeante de responsabilité personnelle, à travers l’acquisition d’une meilleure connaissance de soi-même.
17Qu’en est-il alors du travail en équipe ? N’est-ce pas paradoxal de demander à des étudiants qui préparent un même concours de mettre en commun leurs connaissances ?
18Le paradoxe est évident : dans toute préparation de concours, « l’autre » est quasi naturellement considéré comme un concurrent, sinon comme un adversaire à battre. Pourtant c’est bien dans une logique de partage que s’inscrivent les étudiants des centres Laennec, dès la première année. Il s’agit de mettre en commun les connaissances des uns et des autres pour progresser ensemble dans une meilleure compréhension des savoirs à acquérir. Des règles précises leur sont données pour préparer ce travail en équipe hebdomadaire, sachant que – comme dans tout travail d’équipe – la qualité du partage est intimement liée à celle du travail et de l’engagement individuels. Outre les bénéfices que chacun en retire sur le plan universitaire, ce travail en équipe permet de tisser des liens plus personnels favorisant un réel soutien mutuel. Chaque étudiant est ainsi invité à sortir de l’isolement dans lequel le concours – ou l’image qu’il s’en fait – pourrait l’enfermer.
19Cette pédagogie du travail en équipe accompagnera l’étudiant à nouveau et de manière systématique durant les trois années d’externat, qui sont aussi le temps de la préparation à l’examen classant national. Elle constitue bien évidemment aussi un apprentissage de la vie sociale, notamment en encourageant la reconnaissance de l’autre, toujours différent de soi. À ce titre, elle nous paraît essentielle et même fondatrice dans la formation de ces étudiants qui seront médecins. En effet, l’évolution des sciences médicales, avec l’hyperspécialisation qu’elle ne cesse de susciter, exige de plus en plus un partage et une confrontation des savoirs. L’étudiant en fait l’expérience dès qu’il commence à participer à des réunions de concertation pluridisciplinaire.
20Retrouvons notre étudiant de première année. Que se passe-t-il, une fois franchie l’étape du concours ?
21Chez l’étudiant qui a réussi le concours de première année, un changement de perspective s’opère : le voilà désormais promu « futur médecin ». Si beaucoup perçoivent assez clairement ce nouveau statut, il faudra cependant du temps à chacun pour l’intégrer dans sa propre vie. Les années qui s’ouvrent devant lui, à commencer par le stage infirmier dès l’issue du concours, lui permettront de découvrir progressivement ce que peuvent être le monde du soin, un médecin, un hôpital.
22Il reste que la deuxième année peut se révéler difficile, d’une autre manière que la première. Du fait de contraintes universitaires moins fortes, cette année qui suit le concours apparaît souvent aux étudiants comme un vide à combler : ils cherchent à rattraper tout ce qu’ils n’ont pas pu vivre depuis un an, voire parfois deux. L’équilibre à trouver reste un enjeu pour chacun et un bel exercice d’initiation à la liberté personnelle.
23Au centre Laennec de Lyon, notamment, il leur est demandé dans leur contrat de formation de prendre un engagement dans une association – par exemple Médecins du Monde ou Forum des réfugiés, ou encore une association caritative susceptible de les accueillir et de les accompagner. L’objectif est de leur permettre d’aller à la rencontre de personnes ou de jeunes en situation de précarité, et ainsi d’apprendre à mieux les connaître et, demain, à mieux les accueillir quand ils se présenteront à l’hôpital. Au début du deuxième semestre, un bilan par petits groupes est mené où les étudiants confrontent leurs approches. Dans cette même soirée, un témoin – souvent un médecin actif auprès de prisonniers ou de personnes handicapées, parallèlement à un exercice classique – leur offre sa propre expérience pour nourrir et enrichir la leur. En fin d’année, ils sont invités à relater par écrit ce qu’ils ont vécu et les résonances que ces rencontres ont eu dans leur projet de prendre soin des autres.
24Vous avez cité le stage infirmier en fin de première année. Les études de médecine ne sont-elles pas profondément marquées par ce rapport constant entre théorie et pratique, entre les cours universitaires et la découverte de l’hôpital ?
25C’est particulièrement vrai pendant les trois dernières années d’études, qui précèdent l’ECN et qui correspondent à l’externat. Les étudiants comprennent alors rapidement que la médecine, tout en exigeant une grande rigueur intellectuelle et de solides connaissances, n’est pas une science exacte et qu’il y a souvent lieu de considérer d’autres dimensions, notamment sociale et éthique. Ils découvrent aussi qu’il y a bien des manières de travailler et de se rapporter les uns aux autres, selon les spécialités et les responsables de services, de manière plus ou moins heureuse. Certains médecins osent partager leur expérience et leur passion, associant étroitement les externes au travail du service dans lequel ils sont engagés. Ces rencontres sont souvent déterminantes dans le cheminement personnel des étudiants, comme dans le choix de leur future spécialité.
26Pour beaucoup, le stage aux urgences est une étape de maturation, à condition toutefois qu’il ne s’insère pas trop tôt dans leur itinéraire de formation. C’est une véritable école de responsabilité : les externes sont souvent en première ligne pour accueillir, écouter, interroger la personne qui se présente. Ils rencontrent alors l’extrême diversité des situations sociales. Ils sont témoins des marques de violences sur les corps, suite à des rixes et des règlements de compte. Ils approchent la folie humaine en accueillant des patients qui relèvent de la psychiatrie. Ils font l’expérience de travailler toute une nuit, avec cette part d’adrénaline qui les tient, malgré la fatigue.
27Ils sont ainsi appelés, envers et malgré tout, à conserver un regard bienveillant, à dépasser leurs appréhensions et leurs peurs légitimes pour se laisser atteindre par la pauvreté et le désarroi des autres, dans une forme d’empathie.
28Tels que vous les décrivez, ces stages constituent une véritable école de vie.
29Oui, une école où l’apprentissage varie en fonction des services, à tous les points de vue. Ici, les étudiants découvrent l’importance du dialogue avec les familles, et mesurent l’impact de la grande vulnérabilité de la personne âgée sur la vie de celles-ci. Là, ils peuvent faire l’expérience d’une médecine très agressive dans les soins, ou encore recourant à des thérapeutiques très onéreuses ; certains, plus sensibles que d’autres aux questions et aux débats de société, en viennent alors à s’interroger sur cet accès aux soins presque illimité dans un État-providence, et sur la manière de sensibiliser chacun aux coûts des prestations pour éviter les abus et sauvegarder une protection sociale pour tous.
30Il leur faut aussi apprendre à vivre des rythmes différents selon qu’il s’agit, par exemple, d’un service de rééducation fonctionnelle ou d’un service de « déchocage » : dans le premier, il est impossible d’aller plus vite que le corps du patient lui-même dans ses réapprentissages ; dans le second, toute perte de temps est une perte de chance pour des patients en urgence vitale.
31Au fil des stages, les étudiants mesurent mieux la responsabilité qui pèsera sur leurs épaules, l’impérieux devoir de compétence qu’elle requiert. Ils osent reconnaître que ce métier est plus difficile qu’ils ne le pensaient. Ils réalisent combien l’information du malade peut être un exercice délicat, tant ils ont eu eux-mêmes de difficultés à comprendre les mécanismes complexes d’une pathologie. Ils perçoivent l’importance d’une juste distance à l’autre, condition indispensable pour rester à son écoute. Et, comme tous les acteurs de l’hôpital aujourd’hui, ils remarquent aussi que le temps est de plus en plus compté, avec des consultations qui s’enchaînent. Ils redoutent que la recherche d’efficacité ne conduise à un hôpital de plus en plus « protocolisé », alors même qu’ils découvrent combien leur métier consiste à prendre soin d’une personne unique, dans son contexte social et son histoire.
32À cet égard, la pédagogie des centres Laennec inclut-elle une formation à l’éthique médicale ?
33La formation éthique des étudiants fait partie intégrante de notre accompagnement. Mais les objectifs doivent rester modestes. Le questionnement éthique est directement lié à l’exercice de la responsabilité envers autrui. Avec des étudiants, cette formation ne peut donc être que de l’ordre d’une initiation et d’une sensibilisation.
34À Lyon, il existe plusieurs types de propositions, offrant des parcours spécifiques aux étudiants de troisième et quatrième année. S’agissant des premiers, il faut tenir compte du peu d’expérience qu’ils ont de l’hôpital, et donc du soin. La formation est plutôt orientée sur la relation médecin-malade, sur son asymétrie originelle et structurante qui situe l’exigence de compétence comme une exigence fondamentalement éthique. Des camarades plus avancés dans le parcours, ainsi que des internes, sont invités à faire le récit de ce qu’ils ont déjà appris et reçu. Les propositions destinées aux étudiants de quatrième année sont davantage ciblées. Même si les étudiants d’une même promotion ne sont pas encore tous allés dans ces services, il est plus facile d’aborder avec eux les questions spécifiques qui se posent en Réanimation ou en Soins palliatifs, ou encore en Gynécologie-obstétrique.
35Enfin, une fois par semestre, la communauté étudiante – toutes années confondues – est invitée à une conférence-débat sur des problématiques liées aux évolutions de la médecine. Pour marquer symboliquement l’importance que les centres Laennec accordent à ces espaces de réflexion, les salles ne sont plus alors disponibles pour le travail personnel ni pour le travail d’équipe.
36Quelles qu’en soient les modalités, la visée de ces propositions reste toujours la même : d’une part, en médecine, on apprend toujours de ses pairs ; d’autre part, il faut accepter d’aborder les questions éthiques, non de manière théorique, mais dans les contextes pratiques et fortement incarnés où elles se posent. C’est alors que la réflexion éthique prend toute sa dimension.
37Venons-en à la préparation de l’examen classant national – précédemment appelé « internat » – qui conclut les études médicales. L’étudiant de sixième année a parcouru un long chemin depuis le concours initial. Quelle forme revêt alors son accompagnement ?
38Les deux dernières années du second cycle sont plus directement orientées vers la préparation de l’examen classant national. À ce stade, l’environnement dans lequel les étudiants évoluent est celui de l’hôpital universitaire. Ils sont marqués profondément par la rencontre de professionnels très compétents mais aussi par celle des internes et des chefs de clinique, plus proches d’eux. Ils perçoivent désormais qu’ils sont investis de la même mission… et que personne d’autre qu’eux-mêmes ne peut l’assumer à leur place. Pendant ces années d’étude, les perspectives changent donc beaucoup au rythme des prises de conscience de chacun. Il s’agit maintenant d’apprendre et de comprendre ce qu’est une démarche clinique, sur la base indispensable de solides connaissances ; car c’est cette démarche clinique qu’ils auront à mettre en œuvre – dès le premier jour de leur prise de fonction d’interne dans la spécialité de leur choix – auprès des malades dont ils vont avoir la charge.
39L’accompagnement personnel, qui leur est toujours offert, vise à les soutenir dans cette étape. Il s’agit de les encourager à ne jamais perdre de vue cette perspective professionnelle, tout en tenant étroitement compte des exigences de l’examen classant national.
40L’ECN lui-même vient de changer dans ses modalités. Cela implique-t-il une évolution pour la pédagogie des centres Laennec ?
41Effectivement, comme chacun sait, les épreuves se déroulent désormais de manière informatisée avec l’utilisation de tablettes ; le niveau des étudiants s’évalue par des épreuves de type QCM. Les centres Laennec ont déjà beaucoup investi – y compris sur un plan financier – pour répondre à ces nouvelles exigences pédagogiques.
42Si l’on peut distinguer en partie – dans un processus d’acquisition de connaissances – les modalités d’apprentissage des modalités d’évaluation, il n’est cependant pas possible d’ignorer ces dernières, car à chaque type d’évaluation correspond un certain mode de raisonnement. C’est donc un chantier pédagogique passionnant qui est ainsi ouvert, sur lequel les centres Laennec, en partenariat avec la Revue du Praticien, ont déjà engagé une réflexion. En s’immisçant au cœur des apprentissages fondamentaux, l’informatique nous lance un beau défi – qui n’est d’ailleurs pas propre aux centres Laennec : il concerne toutes les institutions éducatives qui ont pour mission de préparer les générations d’aujourd’hui au monde de demain.
43Toutefois, en évaluant ainsi leurs connaissances médicales, ne prépare-t-on pas ces générations nouvelles à une médecine très protocolisée ? Les étudiants eux-mêmes se demandent si cette nouvelle orientation donnée à la préparation de leur mission d’interne correspond vraiment aux responsabilités qui leur sont confiées dans les services…
44Les raisons qui ont conduit à changer les modalités de l’ECN sont multiples et on peut les comprendre. Ces nouvelles modalités, avec tout ce qu’elles impliquent, peuvent-elles être pérennes ? C’est la question que nous nous posons. L’avenir dira si elle est pertinente.
45Quelques mots pour conclure ?
46Dans les diverses institutions de formation où la Compagnie de Jésus est engagée, il est souvent rappelé que la mission première et essentielle est de « former des hommes et des femmes pour les autres ». Il importe donc de toujours vérifier les moyens mis en œuvre dans ces institutions pour que chaque élève, chaque étudiant puisse entrer – en liberté – dans cette dynamique du service. Une telle assertion fait pleinement sens dans ma vie de jésuite. Qu’appelle en effet cet engagement auprès d’étudiants qui suivent des études contraignantes et qui auront des responsabilités importantes dans la société ?
47D’abord une qualité d’attention à l’autre dans une écoute bienveillante : si l’étudiant en médecine a été écouté et s’il a pu parler en liberté, tant dans l’entretien personnel que dans les équipes de travail qui l’ont accompagné, alors il sera capable demain d’écoute et de parole, tant auprès des malades dont il aura la charge que des collègues – et plus largement des professionnels de santé – avec qui il travaillera et collaborera.
48Ensuite une qualité de vie relationnelle à inventer et instaurer à travers les règles d’un collectif. Nous sommes profondément inscrits dans une société de consommation où chacun est plus ou moins habitué à prendre selon ses besoins et ses attentes. Dans mes responsabilités de directeur, j’ai donc toujours veillé à ce que l’étudiant, dans son comportement, ne « dispose » pas du centre Laennec uniquement dans son propre intérêt. Il m’a semblé décisif, tant à Paris qu’à Lyon, de déployer une pédagogie des études qui favorise un engagement personnel dans des solidarités concrètes, invitant au soutien mutuel et même à la sollicitude pour l’autre. Depuis vingt-sept ans, j’ai été régulièrement témoin des marques de ce soutien et de cette sollicitude, au rythme de l’année universitaire et au gré des événements vécus.
49C’est ainsi, me semble-t-il, que cette visée éducative de la Compagnie de Jésus peut prendre réellement corps dans des itinéraires personnels. Mais il revient surtout à chacun de ceux et celles qui ont vécu dans les centres Laennec de discerner comment ce chemin, ouvert pendant le temps des études, vient enrichir et nourrir son engagement de médecin.
Mots-clés éditeurs : formation
Date de mise en ligne : 13/10/2016
https://doi.org/10.3917/lae.164.0042Notes
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La première année est commune aux études médicales (PACES) et aux concours paramédicaux.
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L’ouvrage de la Ratio Studiorum est un exposé de l’organisation des études dans les Collèges de la Compagnie de Jésus depuis le xvie siècle. Il explicite à la fois l’ordonnancement des cours et les principes pédagogiques inspirateurs. Sa première édition de 1599 rassemble l’expérience des différents Collèges de l’époque. Il fut constamment réactualisé et réédité jusqu’à l’époque contemporaine.
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La sous-colle est une équipe de travail constituée habituellement de quatre étudiants. En première année, elle compte deux « primants » – qui préparent le concours pour la première fois – et deux « doublants », ou trois « primants » et un « doublant ». Ces équipes se réunissent chaque semaine. Elles sont constituées par les responsables de l’institution qui veillent à une bonne complémentarité au sein de chaque équipe. À partir de la quatrième année, les étudiants eux-mêmes constituent leur équipe qui les accompagnera durant toute la préparation à l’ECN.