Notes
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[1]
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades souligne l’importance des points suivants : l’accès à des soins de qualité, l’information du malade, son consentement aux soins et l’accès à son dossier médical, le respect de sa dignité, de sa vie privée et du secret médical, la protection contre les discriminations, la réparation du risque médical, l’accès aux soins palliatifs, la désignation d’une personne de confiance.
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[2]
Extrait de Boiron C « Une cancérologue atteinte de cancer témoigne », Laennec, 2/2010 : 19.
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[3]
Balint M Un médecin, son malade et la maladie, Paris, Payot, 1966.
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[4]
Ruszniewski M, avec la collaboration de Rabier G Le groupe de parole à l’hôpital, Paris, Dunod, 1999.
1Communiquer un diagnostic de maladie grave, annoncer la récidive d’un cancer, faire part de la décision d’arrêt des chimiothérapies, expliquer le bien-fondé d’un transfert en unité de soins palliatifs : l’annonce d’une mauvaise nouvelle renvoie à des situations cliniques diverses mais toujours très difficiles pour le patient. Ainsi, malgré la mise en place d’un dispositif d’annonce, malgré toute la bonne volonté du médecin et en dépit des précautions dont il peut s’entourer et entourer son patient pour atténuer le choc, cette étape peut toujours mal se passer.
2Madame R. est en colère : « Mon médecin m’a dit : “Le staff a décidé. ”Mais comment un staff peut-il décider pour moi ? Un staff n’est pas une personne. Un staff ne peut pas savoir ce qui est bon pour moi : je ne suis pas un dossier, je suis une personne. Le staff a décidé, mais moi je peux savoir aussi ce qui est bon pour moi… »
3Face à cette réaction, le médecin a le sentiment douloureux de ne pas être parvenu à faire passer son message pourtant soigneusement préparé : « Nous avons longuement discuté de votre cas en staff et nous savons que poursuivre ce traitement serait nuisible pour vous ; ce serait même toxique. » La patiente, quant à elle, a l’impression de ne pas avoir été entendue : « Je prends ce traitement depuis l’arrêt de la chimiothérapie et je sens qu’il me protège. J’ai peur de l’arrêter. »
4Madame R. choisit finalement de changer de médecin.
L’annonce : une épreuve pour la relation médecin-malade
Malgré les efforts accomplis pour la rendre plus humaine…
5Comment transmettre à un patient de mauvaises nouvelles ? Depuis de nombreuses années cette question a fait l’objet de multiples réflexions recoupant le médical et le psychologique. Des recommandations sont disponibles. Ainsi, le dispositif décrit dans la mesure 40 du premier Plan cancer (2003-2007) prévoit des temps de discussion et d’explication pour apporter au patient une information adaptée, progressive et respectueuse sur la maladie et les traitements :
- un temps médical d’annonce du diagnostic et de proposition de traitement ;
- un temps d’accompagnement pour lui et pour ses proches, s’il y a lieu, par un(e) soignant(e) qui va l’informer sur ses droits [1] et sur les associations susceptibles de lui venir en aide ;
- un temps de soutien ouvrant l’accès à des soins dits « de support » : entretiens avec un(e) psychologue, séances de kinésithérapie, prise en charge de la douleur, conseils diététiques, assistance sociale…
- un temps d’articulation avec la médecine de ville pour optimiser la coordination entre l’établissement de soins et le médecin traitant.
… l’annonce porte en elle-même une part d’impossible
6Il n’empêche, l’annonce est intrinsèquement porteuse d’impossible. Et c’est bien dans cette incompatibilité structurelle que réside son caractère dramatique. Le médecin évoque la réalité médicale, sur la base d’éléments d’analyse clinique qu’il interprète selon son savoir scientifique, pour signifier au patient l’existence d’une maladie, son état d’avancement, les modalités du traitement et leurs résultats possibles. Or ce discours est impossible à entendre – surtout quand il s’agit d’une maladie incurable avec un pronostic réservé à court terme, atteignant un patient jeune et jusqu’alors en bonne santé – impossible à intégrer, à faire entrer dans son existence, impossible même à penser. Une réalité à ce point sidérante pour le patient ne peut être énoncée de façon satisfaisante par le médecin.
L’annonce : un dialogue paradoxal ?
- Le patient demande au médecin la vérité concernant ses résultats médicaux – tout en souhaitant ne recevoir que des bonnes nouvelles.
- Le médecin demande au patient d’intégrer un diagnostic traumatisant – sans difficulté intellectuelle ni démonstration émotionnelle.
7C’est donc à un échange paradoxal (cf. encadré p. 26) que l’annonce les confronte tous deux : pour le médecin, dire ce qui ne peut être entendu ; pour le patient, écouter ce qui ne peut être compris. Seul le temps pourra aider ce dernier à intégrer sa situation médicale et reconstruire un équilibre psychique.
Côté patient : comment faire face à une telle annonce ?
Les ravages psychiques de la maladie grave
8Certes, avant la rencontre avec le médecin expert, il y a souvent eu un temps marqué par des alertes et des suspicions : symptômes persistants et inquiétants, attente des examens complémentaires et de leurs résultats, incertitude dans l’interprétation malgré les échanges avec le médecin généraliste ou les radiologues, discussions avec l’entourage et recherches sur Internet… le tout vécu dans une impatience anxieuse. Il n’empêche, quand le diagnostic tombe, le patient vit l’insoutenable. L’annonce constitue toujours une effraction psychique, un véritable traumatisme. Cela ne signifie pas forcément que ce moment se passe mal. Le médecin peut (doit) être clair, précis, gentil, compatissant, attentif. Le patient, de son côté peut (doit) pressentir le diagnostic ou la rechute, exprimer ses craintes. Mais, même lorsqu’il parvient à en parler, il ne peut pas intégrer à la première personne cette mort qui se profile à l’horizon de sa maladie.
9Il y a un « avant l’annonce » et un « après ». Le cours de la vie en est transformé. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Le sujet est paralysé par l’effroi, par l’horreur qui lui tombe dessus, qui l’écrase.
10Au bout de quelques minutes qui m’ont paru interminables, il [le médecin] repose la sonde, s’éclaircit la voix, cherche ses mots et, pour la première fois,me regarde pour dire : « Les nouvelles ne sont pas bonnes ! » Ça y est, ce que je craignais est là. Je suis projetée avec violence dans cet espace-temps où je pressens que le gouffre va s’ouvrir et m’engloutir à tout jamais.
11Je vis ces quelques secondes très fragiles où tout va basculer, où le sol se fissure jusqu’à devenir une faille, m’obligeant à passer de l’autre côté sans espoir de retour sur la berge saine ; la panique s’empare de tout mon être. Ces quelques secondes, je les voudrais éternelles parce ce que je sais déjà qu’après, plus rien ne sera pareil. [2]
12Une rencontre aussi traumatisante avec le réel comporte toujours pour les partenaires de la relation – le médecin et son malade – des questionnements sur ce qu’il y a à dire. Les modalités de l’annonce déterminent les rapports qu’entretiendra le malade par la suite avec toute l’équipe médicale. Le médecin craint de trop en dire ou d’être dans une forme de mensonge, y compris par omission, ou encore d’oublier une précaution. Le malade, quant à lui, peut penser qu’on ne lui dit rien, ou pas tout, ou trop. Quoi qu’il en soit, il élabore, consciemment ou non, des mécanismes de défense.
La mise en place de mécanismes de défense
Une nécessité pour le patient
13Le psychisme est habité de mots, d’images, de désirs, bref de tout ce qui fait l’existence du sujet. Pour préserver ce domaine intérieur, celui-ci se défend, faisant en sorte de mettre de côté la réalité annoncée qui vient tout chambouler. Une réalité inadmissible au sens propre, impensable dans l’immédiat – comme peut l’être tout propos qui vient heurter la subjectivité en la remettant « brutalement » en question.
14Un certain nombre de mécanismes de défense entrent alors en jeu. Quelquefois de façon consciente ; dans d’autres cas à l’insu du sujet, des processus psychiques inconscients se mettant en place pour préserver ce dernier d’une réalité qu’il ne peut entendre.
15Par leur rôle d’amortisseurs et leur fonction d’adaptation, ces processus défensifs sont indispensables au malade. Ils lui permettent de temporiser, de se ménager un temps de latence essentiel pour affronter le réel et parvenir à élaborer une demande. Celle-ci pourra paraître insolite ou même franchement insupportable. Quand le patient retrouve des mots pour symboliser ce réel qui l’atteint si profondément, ce qu’il exprime se situe bien loin de l’échange de propos rationnels souhaité par le médecin.
Des mécanismes qui varient selon les patients
16Le plus souvent, le patient se défendra par le déni : « J’ai l’impression que le médecin parle de quelqu’un d’autre, ce n’est pas possible…» Ces premiers mots enfin prononcés signent le début d’une sortie de l’état de choc, d’un retour du sujet, d’une amorce de symbolisation, même sous la forme d’un déni massif.
17Mais d’autres mécanismes de défense peuvent se manifester :
- le déplacement : « Je ne supporterai pas de me retrouver chauve ! »
- la rationalisation : « Je sais ce qui a déclenché cette maladie, et je saurai la combattre ! »
- `une forme de régression : « Je vais m’en remettre à vous tous… »
- l’agressivité : «Vous êtes tous inhumains, incompétents, menteurs ! On m’avait annoncé que j’étais guéri et je rechute ! »
Côté médecin : des difficultés à prendre en compte
Les pièges de l’annonce
18De fait, pour le médecin aussi, une annonce peut mal se passer et s’avérer traumatisante. Pendant longtemps alors, il se souviendra de ce temps qui s’arrête, de la discussion qui a pris un mauvais tour, de l’argument ou de l’information qu’il a oublié de communiquer, ou au contraire de la vérité qu’il a dite et qui aurait pu attendre.
19Un jeune médecin, emporté par l’espoir de son patient et par sa propre énergie pour guérir celui-ci, oublie d’évoquer la possibilité d’une rechute de la maladie. Il se dit peut-être : « Je fais l’impasse, ça va bien se passer. » Malheureusement, le patient rechute et se révolte : « On ne m’avait pas parlé de possibilité de rechute ! » Et, porté par la colère, il dépose plainte.
20Dix ans plus tard, une vraie souffrance subsiste chez ce médecin qui, depuis lors, ne passe sous silence aucun des effets secondaires nombreux des traitements qu’il prescrit.
21Cet exemple est au fond celui d’une annonce tronquée, parce que le médecin, sans s’en rendre compte sur le moment, en a ôté la part d’impossible à dire. Grâce à cette omission, l’annonce passe bien : rien n’advient, pas d’angoisse, pas de drame. Mais aucune relation ne se tisse ni ne s’amorce entre le médecin et son patient. Il y a mise sous silence d’un réel, encore une fois difficile à élaborer, et qui, comme toujours, fait retour avec violence à la première occasion, dans un mode d’expression propre au sujet.
Des mécanismes de défense souvent méconnus des médecins eux-mêmes
22Le médecin doit annoncer une mauvaise nouvelle à un malade qu’il voit pour la première fois ou, au contraire, qu’il connaît très bien. Dans ce dernier cas, qui est aussi le plus fréquent, la proximité vécue avec le patient, le lien affectif noué avec lui au fil de l’évolution de sa maladie, font que le médecin appréhende ses réactions. L’annonce d’une mauvaise nouvelle est alors un moment délicat, redouté souvent, angoissant parfois.
23Les médecins doivent se faire à l’idée qu’eux aussi sont sujets à des réactions incontrôlées lorsqu’ils ont à annoncer une mauvaise nouvelle. Il peut s’agir par exemple d’une réaction d’identification – « Ce malade pourrait être moi, donc je suis mortel » – éventuellement renforcée par l’effet de surprise : « J’ai ouvert le dossier de la patiente ; je savais qu’elle était médecin mais j’ai surtout été choqué par sa date de naissance qui, à un jour près, est la mienne. »
24Mais surtout, même s’ils ont parfois du mal à le reconnaître, les médecins élaborent leurs propres mécanismes de défense :
- le mensonge par omission, qui permet de différer le moment de dire vrai : « Je n’ai pas encore les résultats définitifs, il nous faut les attendre » ;
- la rationalisation, quand le médecin utilise un jargon médical incompréhensible pour le malade, qui ne peut qu’écouter sans rien comprendre ;
- la fuite en avant, quand le médecin lâche d’un coup toute la réalité médicale – comme pour se libérer d’un fardeau trop lourd à porter – ou encore quand il ne cesse de parler, pour occuper le terrain, sans laisser au malade la place nécessaire pour exprimer une quelconque demande.
25Que répondre ? La révélation de l’incurabilité risque de « tuer psychiquement » une femme explosée de douleur et fragilisée par sa grossesse. Ne pas répondre laisserait le patient seul face à un questionnement angoissant.
26« Il s’agit d’une maladie grave » répond le médecin qui se lance alors dans un discours détaillé sur le traitement par chimiothérapie, en adoptant un style engagé et convaincant dont il espère que le caractère maîtrisé apportera un soulagement à ce jeune couple dont l’avenir vient d’être anéanti.
Pour sortir de la crise : la rencontre médecin-patient
Ouvrir au patient un espace de parole
27Pour celui qui a à dire, le médecin, et pour celui qui est en position d’entendre, le malade, au-delà des mots prononcés ou tus, l’essentiel va reposer sur la rencontre qui va se nouer entre eux. Cette rencontre est avant tout une relation humaine qui se tisse entre deux personnalités, dans un cadre médical. Le besoin qu’éprouve le patient de communiquer avec son médecin repose sur le désir de bénéficier de son savoir médical mais aussi sur « le supposé savoir » qu’il lui attribue. D’après les psychanalystes en effet, le malade attend davantage du médecin que son seul savoir scientifique ; ce « plus » correspond à ce qu’on appelle « le transfert », qui est moteur dans l’aménagement d’une relation soignante. Ainsi, si le malade prête bien au médecin un savoir réel, il a aussi besoin de lui faire entendre sa vérité de sujet ; s’il attend les meilleurs traitements possibles, il espère également un soutien moral personnalisé.
28Lors d’une consultation médicale – surtout s’il s’agit de l’annonce de mauvaises nouvelles – le médecin se doit donc, tout en transmettant une réalité médicale péjorative, de créer un cadre relationnel qui favorise la récupération de la parole par le malade. Pouvoir exprimer ce qu’il ressent auprès d’un médecin qui aura manifesté sa disponibilité et son écoute permettra au patient d’initier la sortie du traumatisme psychique et les mécanismes d’adaptation psychologiques.
29Un médecin expérimenté confie à des collègues comment il vient de se faire piéger par sa patiente : il entre dans la salle de consultation ; elle est là ; ils se connaissent depuis quelques années de lutte commune contre un cancer qui résiste. Le médecin prend le dossier, l’ouvre, retire ses lunettes et les garde à la main. La patiente constate : « Mes analyses ne sont pas bonnes… » Le médecin, tout surpris, répond : « Mais enfin je ne vous ai rien dit ! Pourquoi me dites-vous cela ? » Et la patiente : « Je le sais. Quand vous retirez vos lunettes, ce n’est pas bon signe ! »
30Il s’agit là d’une communication non verbale : une conduite qui devient explication. Sans qu’un mot ait été prononcé, tout est dit et entendu. Le médecin annonce quelque chose mais il n’en est pas conscient. C’est cela, la relation : un médecin qui laisse à sa patiente la possibilité d’ouvrir un autre temps, un autre territoire. Et une patiente qui interprète la signification inconsciente du geste du médecin : « Vous avez une annonce à faire, ça vous embête, vous jouez avec vos lunettes ; ça va être dur pour moi, malade en récidive, mais aussi un peu pour vous, médecin. Et votre gêne de médecin, étrangement, m’aide un peu parce qu’elle me redonne une place de sujet. »
- Le sondage, tel qu’il est décrit par les auteurs anglo-saxons, consiste à interroger le patient pour connaître le degré d’information qu’il a déjà acquis et les questions qu’il se pose encore, et déterminer ainsi son besoin de renseignements médicaux au moment de la consultation. Cette étape est indispensable pour permettre au médecin de délivrer l’information médicale péjorative « pas à pas », à un rythme possible pour le patient.
- Les questions ouvertes permettent au patient d’exprimer son point de vue et de préciser ce qu’il ressent. « Quelles explications médicales vous ont été données par votre médecin traitant ? » « Qu’est ce que vous en pensez ? » Elles s’opposent aux questions fermées qui imposent au patient de répondre par l’affirmative, la négative ou de manière brève.
- Lorsque le patient exprime une émotion de façon non verbale, le médecin peut ouvrir le dialogue en décrivant l’émotion qu’il perçoit : « Je vous sens très inquiet… ? » D’autres médecins opteront, dans la même situation, pour une attitude de silence qui laisse au patient le temps de se ressaisir et de choisir de s’exprimer ou non sur les émotions qui l’envahissent.
- Les gestes de marque de soutien, comme une main posée sur l’épaule, se manifestent plus ou moins facilement selon la personnalité des médecins.
S’engager dans une attitude de soutien et de réassurance
31Après l’annonce de mauvaises nouvelles, le médecin ne tardera pas à informer le patient et ses proches des possibilités de prise en charge médicale ; traitements, soins, approches psychocorporelles, soutien social, aides à domicile, possibilité de recours médical en urgence, etc.
32L’engagement dans le combat contre la maladie ou les symptômes doit être souligné, comme la disponibilité du médecin qui sera signifiée par la mise en place d’un système de liaison fiable. Les proches seront également soutenus.
Me concernant
Les questions suivantes peuvent m’aider en tant que professionnel, lorsque je prépare ma rencontre avec le patient, à comprendre mes.propres difficultés.
- Ai-je des difficultés à annoncer une mauvaise nouvelle à ce patient, et pourquoi ?
- Quelles représentations, quelles expériences personnelles (positives, négatives) ai-je de cette maladie et de ses conséquences ?
- Quel rôle vais-je avoir dans la prise en charge du malade (traitement, accompagnement) et quelles en sont les limites ?
Afin de donner au patient des perspectives réalistes, je dois disposer de suffisamment d’informations sur la maladie et les options thérapeutiques qui peuvent être proposées.
- Que sais-je de la situation clinique du patient ?
- Que sais-je de la maladie et de son évolution naturelle (survenue de handicap, mise en place de traitements de plus en plus contraignants…) ?
- Que sais-je des options thérapeutiques, des prises en charge possibles et de leurs conséquences ?
- Que sais-je du rapport bénéfice-risque de chacune de ces prises e.n charge ?
- Quelle est la part d’incertitude du pronostic, de la variabilité d.e l’expression de la maladie ?
- Que puis-je prévoir de l’évolution de ce patient ?
- Qu’est-ce qui va changer dans la vie du patient ?
- Quelle est la filière de prise en charge à prévoir (structure d’accueil lorsque le handicap ou les difficultés surviennent) ?
Je dois m’efforcer d’obtenir des informations le concernant afin d’adapter l’information que je lui donne à ses besoins au moment où je le rencontre et d’éviter de détruire les constructions intellectuelles et psychiques qu’il a élaborées pour se protéger.
Concernant le patient
- ce que le patient attend de cette consultation ;
- les personnes qu’il a déjà rencontrées, l’information qu’il a déjà reçue, ce qu’il en a compris ;
- ce qu’il souhaite savoir, aujourd’hui ;
- les représentations qu’il a de cette maladie et de ses conséquences ;
- les expériences personnelles (famille, proches) qu’il a de cette maladie et de ses conséquences.
- sa situation familiale personnelle (enfant, personne à charge, isolé ou entouré) ;
- les soutiens possibles dont le patient peut disposer ;
- sa situation matérielle, professionnelle, sociale ;
- la représentation qu’a (ont) son compagnon/ses enfants/son entourage de la maladie.
- l’information qu’il souhaite que l’on donne à ses proches, s’il préfère qu’on l’aide à informer ses proches ;
- les besoins ou les souhaits d’aide ou de soutien (psychologique, social) pour lui ou ses proches.
- Lui ai-je laissé la possibilité de poser toutes ses questions ?
- Suis-je en mesure de savoir ce qu’il a compris ?
- Qu’a-t-il retenu de la consultation ?
- Pour la prochaine consultation : que me reste-t-il à lui dire ?
Rechercher une relation simple et authentique
33Ce qui fait parler ou agir – à travers les mécanismes de l’inconscient – marque la relation médecin-malade mais ne se révèle que dans l’après-coup. C’est seulement dans un autre temps que l’on comprend ce qui a bien pu se jouer.
34C’est pourquoi il est souhaitable, pour être moins envahi par ces processus défensifs, de les reconnaître comme tels, afin de créer une relation « suffisamment bonne » avec le malade. Entendons par là une relation en vérité, dépourvue de faux-semblants, une relation qui laisse davantage place à l’éprouvé, à la singularité et donc au caractère unique de chaque rencontre. Une rencontre où le malade peut se sentir entendu, même au-delà des mots. Où l’expression des émotions est dans le domaine du possible, où le médecin est capable de ménager de la place au silence, sait écouter et laisser se dire ce qui se dit – ou ce qui ne se dit pas. L’enjeu, au fond, est de transformer une annonce effrayante en un temps fort, une rencontre.
Conclusion
35Le médecin qui développe une expérience en matière d’annonce de mauvaises nouvelles médicales n’en retire pas de « recettes », il n’applique aucune procédure pré-établie. Il apprend peu à peu à gérer l’équilibre fragile entre l’attention due à des personnes ébranlées physiquement et psychiquement, et le nécessaire devoir d’information médicale : dire sans dire, expliquer sans faire taire, laisser de l’espoir sans mentir, laisser chacun réagir à son rythme… le tout dans la maîtrise des savoirs, des traitements, du temps et des coûts.
36Il apprend à s’engager dans une relation, certes encadrée par le temps, mais dont la nature reste toujours imprévisible – comme toute relation humaine. Il apprend à rebondir, à rire parfois de certains ratages, à accepter que le malade se rebiffe et le prenne en défaut.
37Il apprend à en parler, dans des groupes de supervision, des groupes Balint [3], des groupes de paroles [4]… Bien des médecins éprouvent souvent un sentiment d’injustice ou de découragement. Pour ne pas être agis par des processus défensifs intellectualisés – comme ces médecins qui ne parviennent plus à annoncer une mauvaise nouvelle sans étaler leur savoir médical – un espace, un temps pour en parler sont indispensables.
Bibliographie
- Les lecteurs désireux de poursuivre la réflexion pourront se reporter aux ouvrages suivants :
- Ruszniewski M Face à la maladie grave, Dunod, 1995.
- Ruszniewski M Le groupe de parole à l’hôpital, Dunod, 1999.
Mots-clés éditeurs : modalité de l’annonce, annonce médicale, dialogue paradoxal, mécanisme de défense, maladie grave, mauvaise nouvelle, information médicale
Mise en ligne 05/06/2012
https://doi.org/10.3917/lae.122.0024Notes
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[1]
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades souligne l’importance des points suivants : l’accès à des soins de qualité, l’information du malade, son consentement aux soins et l’accès à son dossier médical, le respect de sa dignité, de sa vie privée et du secret médical, la protection contre les discriminations, la réparation du risque médical, l’accès aux soins palliatifs, la désignation d’une personne de confiance.
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[2]
Extrait de Boiron C « Une cancérologue atteinte de cancer témoigne », Laennec, 2/2010 : 19.
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[3]
Balint M Un médecin, son malade et la maladie, Paris, Payot, 1966.
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[4]
Ruszniewski M, avec la collaboration de Rabier G Le groupe de parole à l’hôpital, Paris, Dunod, 1999.