Laennec 2011/4 Tome 59

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Article de revue

Le médecin devant le malade qui refuse le traitement proposé

Pages 31 à 37

1Les soins dispensés à un patient sont théoriquement l’aboutissement d’une proposition rationnelle du médecin à partir d’un diagnostic établi, de recommandations thérapeutiques validées et d’une adhésion éclairée du malade à leur proposition.

2En pratique, cet aboutissement d’une proposition rationnelle et d’une adhésion éclairée peut être remis en cause à tous les niveaux. Le rationnel de la proposition de soins peut être discutable du fait de l’imprécision du diagnostic, ou discuté en l’absence de recommandations validées (comme pour la corticothérapie parentérale en cas de grippe grave) ; l’adhésion du malade peut être non éclairée ou refusée, explicitement (refus formulé) ou implicitement (prescription non suivie). D’abord instinctive, la réaction du médecin va ensuite être plus réfléchie.

La réaction instinctive du médecin

3La première réaction du médecin va être égocentrique. Il vit le refus des soins proposés, surtout s’il est explicité, comme une remise en cause, au mieux de l’efficacité de la « science médicale », au pire de sa propre compétence professionnelle. Sa réaction instinctive va donc être de refuser d’entendre et/ou de comprendre le refus du malade.

4Dans le cas où le diagnostic est précis et où il existe des recommandations validées de prise en charge, c’est la science médicale qui seule est mise en cause. Le médecin se sent sûr de lui. Le malade n’est pas un interlocuteur qualifié pour débattre de la pertinence de la proposition de soins.

5Ouvrir le dialogue avec le malade est vécu comme un compromis indigne, une perte de temps. La seule concession peut être de proposer au « malade qui doute » de prendre un deuxième avis ou de se référer aux recommandations de l’HAS (Haute autorité de santé), de l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) ou des sociétés savantes, accessibles sur Internet.

6Dans le cas où le diagnostic est imprécis et où il n’existe pas de recommandations validées de prise en charge, c’est « la compétence professionnelle » qui est mise en cause. Le médecin, conscient de la fragilité de ses propositions, va être d’autant plus tranchant qu’il est moins sûr de lui. Seul un débat d’experts, dans lequel le malade n’a pas sa place, aurait un sens. Ouvrir le dialogue avec le malade est vécu comme une aventure incontrôlable risquant de déstabiliser les deux interlocuteurs. La seule concession peut être d’activer le registre de la confiance et de mettre en garde le malade « contre le nomadisme médical ou la consultation anarchique d’Internet ».

La réaction réfléchie du médecin

7Si le médecin privilégie « ce qu’il y a de mieux pour le malade qui s’est adressé à lui et qui pourtant refuse les soins proposés », il doit rabattre de son amour-propre pour entendre et comprendre ce refus de soins. Cette écoute et cette compréhension constituent le préalable nécessaire à toute avancée constructive dans une apparente situation de blocage.

8Dans cette perspective, est proposée ci-dessous une conduite pratique, en trois étapes, susceptible de guider les plus jeunes médecins confrontés à un refus de soins.

1re étape : s’interroger sur le bien-fondé de la proposition de soins formulée

9Une perception aussi neutre et aussi claire que possible des bénéfices, des risques et des enjeux théoriques est indispensable pour asseoir la conviction du médecin, étayer la clarté de l’information qu’il donne au malade et renforcer son pouvoir de persuasion. Répondre aux questions suivantes pourra permettre d’affiner cette perception :

  • quel est le niveau de preuves concernant les bénéfices et les risques de mes propositions ?
  • quelle est la nature des bénéfices attendus : survie ? Qualité de vie ? Les deux ?
  • quelles sont les contraintes attendues et les risques encourus : physiquement ? Psychiquement ? Socialement ?
À titre d’illustration, on peut citer la mise sous oxygénothérapie de longue durée (plus de 16 heures par jour) en cas d’insuffisance respiratoire chronique. Le bénéfice est un gain de survie ; les contraintes associent l’arrêt impératif du tabagisme, la pénibilité du bruit du concentrateur d’oxygène, la sécheresse des muqueuses et, surtout, l’obligation de respecter une durée quotidienne d’administration supérieure à 16 heures par jour.

10Une autre illustration peut être fournie par la pneumonectomie chez un malade « bronchopathe » chronique, atteint d’un cancer du poumon jugé opérable sur le plan carcinologique. Le bénéfice est un gain de survie ; les risques potentiels un décès per ou post opératoire observé dans 5 à 10 % des cas, des suites opératoires « difficiles », une insuffisance respiratoire résiduelle avec essoufflement à l’effort – voire au repos.

2e étape : tenter de décrypter les motivations, formulées ou non, du refus de soins

11Les considérations susceptibles de motiver un refus de soins sont de natures très diverses : elles peuvent être directement ou indirectement liées aux soins, provenir de différences culturelles ou renvoyer à de véritables impasses socio-affectives.

Des enjeux directement liés aux soins

12• Parce que le bénéfice en est non ou mal perçu – du fait, par exemple, de l’absence de bénéfice immédiat sur la qualité de vie en cas de mise sous oxygénothérapie de longue durée ou de la futilité ressentie d’une chimiothérapie de 4e ligne.

13• Parce que les risques sont mal ou exagérément perçus – ainsi du refus d’une lobectomie raisonnable parce que la même opération a été source de douleur chez un voisin de chambre ou à l’origine du décès du père du patient 25 ans auparavant ; de même, une injection intraoculaire en cas de DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) humide pourra être refusée parce qu’un risque de cécité est notifié sur la feuille d’information (même s’il est mentionné comme rare).

14• Parce que le malade se juge inapte à maîtriser l’appareillage qu’on lui propose à domicile – d’où son refus, et celui de son entourage, d’assumer une ventilation à domicile comportant, pour lui, le risque d’étouffer et, pour son entourage, celui de culpabiliser en cas de mauvais réglage.

Des enjeux indirectement liés aux soins

15• Parce que le malade a peur des conséquences socio-économiques des propositions. Il en résulte le refus de tout suivi et traitement réguliers susceptibles d’être perçus et interprétés sur un lieu de travail où l’environnement est très concurrentiel ; de même le refus de déclaration d’un asthme professionnel susceptible de conduire à la perte d’un emploi et à un chômage de durée indéterminée ; de même encore le refus d’un travailleur clandestin de rentrer dans une démarche diagnostique et thérapeutique susceptible de conduire à son rapatriement.

16• Parce que le malade a peur des conséquences socio-affectives des propositions – d’où le refus d’une oxygénothérapie de déambulation par peur du regard des autres ; ou bien le refus de rentrer dans une démarche diagnostique et thérapeutique de tuberculose susceptible de conduire à un dépistage systématique dans l’environnement professionnel et domestique ; ou encore le refus d’une hospitalisation par impossibilité d’abandonner, ne serait-ce que quelques jours, un conjoint dépendant, un enfant, un animal.

Des enjeux liés à des différences culturelles

17Parce que le malade perçoit les propositions de soins à l’aune de sa culture – d’où un refus d’hospitalisation si la famille ne peut être présente 24h/24h chez un patient asiatique ; ou l’abandon des traitements anti-asthmatiques inhalés au profit des seuls traitements oraux, perçus à tort comme plus efficaces parce qu’oraux, chez un patient africain ; ou enfin le refus des traitements antirétroviraux réduits à ne soigner que la maladie « conséquence », sans s’attaquer à l’envoûtement « cause », chez un patient africain.

Des enjeux liés à des impasses socio-affectives

18Dans certains cas, les non-suivis de prise en charge peuvent constituer de véritables appels au secours.

19• Parce que le malade se trouve dans une situation matérielle incompatible avec le suivi de son traitement. Il en résulte des ruptures régulières de traitement, par exemple chez cette jeune femme algérienne, divorcée, plus ou moins rejetée par sa communauté, et par ailleurs débordée avec quatre enfants dont l’un est handicapé.

20• Parce que la famille exerce une pression sur le malade pour qu’il perçoive le poids que sa survie représente pour son entourage.

21• Parce que le malade lui-même perçoit sa propre vie comme sans valeur, voire comme un poids pour son entourage – d’où le refus de réanimation formulé par écrit par cette jeune femme, « grande » insuffisante respiratoire chronique, marginale, rejetée par une famille « bien pensante », persuadée que sa disparition permettra à son enfant de réintégrer cette famille et de bénéficier d’une éducation plus conforme.

3e étape : intégrer les motivations du refus de soins pour reformuler les propositions

22Intégrer les motivations du patient telles qu’il les a entendues et comprises doit permettre au médecin de reformuler ses propositions, soit en les accompagnant, soit en les modifiant.

23Ainsi l’information sur les bénéfices/risques peut-elle être éclairée en fonction des réticences et de la culture du malade – en s’appuyant sur des interprètes ou des structures d’éducation thérapeutique si nécessaire.

24De même, l’offre de soins peut être adaptée aux réticences du malade : consultations en dehors de ses horaires de travail ; élargissement des horaires de présence de la famille en cas d’hospitalisation ; prise en charge en réseau intégrant médecin traitant et prestataire, en cas de ventilation à domicile ; collaboration avec un ethnopraticien pour certains malades africains…

25Les conséquences socio-économiques et socio-affectives peuvent, elles aussi, être prises en compte : coopération avec le médecin du travail à la recherche du meilleur compromis sur le poste de travail en cas d’asthme professionnel ; intervention des travailleurs sociaux pour solutionner la prise en charge du conjoint dépendant pendant les périodes d’hospitalisation…

26Enfin, les refus ou interruptions de soins en forme d’« appels au secours » doivent être entendus et susciter, par exemple, une mobilisation de l’entourage et des travailleurs sociaux ou l’intervention d’un psychologue…

Deux situations particulièrement complexes

27Au-delà de ces cas où le médecin doit tout mettre en œuvre pour tenter de franchir les différents obstacles, avec l’aide d’un réseau rassemblant des compétences très diverses, restent deux situations de refus plus délicates à gérer.

28Dans la première situation, le malade refuse par principe la seule thérapeutique valide et raisonnable dans son cas (par exemple une lobectomie curatrice en cas de cancer pulmonaire localisé) tout en se disant prêt à dialoguer sur toute alternative. Le médecin se doit de lui rappeler l’enjeu de son refus, et, si le malade persévère, a le droit et même le devoir de refuser à son tour de l’accompagner «comme complice » dans une attitude jugée suicidaire.

29Dans la seconde situation, le malade refuse de manière réfléchie, raisonnée, pesée, une thérapeutique non validée et/ou à la limite du raisonnable dans son cas. Le médecin se doit de respecter l’autonomie du malade et d’accepter que la demande soit d’accompagnement et de qualité de vie, et non de survie (il peut s’agir par exemple du refus d’une pneumonectomie « limite », d’une chimiothérapie de 4e ligne, d’une mise sous ventilation invasive en réanimation avec de faibles espoirs de sevrage…)

Conclusion

30Le médecin soigne un malade et non une maladie. De ce fait, il doit s’attendre à être confronté à des refus de soins ou, tout au moins, à de grandes réticences quant aux soins. Son attitude doit être alors de décrypter les motivations, exprimées ou non, de ces refus ou de ces réticences, afin de reformuler ses propositions. Cette reformulation est toujours éclairée, accompagnée si nécessaire – ce qui implique de la part du médecin, au-delà de la compassion, un véritable investissement pour lever les obstacles de tous ordres – et parfois modifiée, lorsque la recherche d’un compromis est compatible avec l’éthique.


Mots-clés éditeurs : qualité de vie du patient, autonomie du patient, refus de soins

Date de mise en ligne : 01/01/2012

https://doi.org/10.3917/lae.114.0031

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