Laennec 2008/3 Tome 56

Couverture de LAE_083

Article de revue

Protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales

Pages 6 à 24

Notes

  • [1]
    Hoerni B., Saury R. Le Consentement en médecine, Masson, 1998 ; pp. 71-82.
  • [2]
    Le texte du Code de Nuremberg est reproduit notamment dans Encyclopedia of Bioethics, vol. 4, Appendix : 1764-65. Pour ses origines, on se reportera à l’article de Paul Weindling in : Dictionnaire de la pensée médicale, Lecourt D. (sous la dir. de), Presses Universitaires de France, 2004 ; pp. 263-266.
  • [3]
    Beecher H.K. “Ethics and clinical Research”, The New England Journal of Medecine, 1966; 274: 1354-60.
  • [4]
    Ainsi, une expérience, menée au Jewisch Chronic Disease Hospital de Brooklyn, consistait à injecter des cellules cancéreuses vivantes à des patients âgés afin d’étudier la réponse immunitaire.
  • [5]
    Cf. Doucet H. Au pays de la bioéthique. L’éthique biomédicale aux États-Unis, Labor et Fides, Genève, 1966 ; pp. 19-32.
  • [6]
    Une traduction française du Belmont Report a été publiée sous le titre « Principes d’éthique et lignes directives pour la recherche faisant appel à des sujets humains », in : Médecine et expérimentation, Les Cahiers de bioéthique n°4, Québec, Presses de l’Université Laval, 1982 ; pp. 233-250.
  • [7]
    Amendements adoptés par la 29e Assemblée (Tokyo, 1975), par la 35e (Venise, 1983), par la 41e (Hong Kong, 1989), par la 48e (Somerset West République d’Afrique du Sud, 1996) et par la 52e (Édimbourg, 2000).
  • [8]
    Cf. Poisson D. « Déclaration d’Helsinki, quelles nouveautés?», Laennec, 1/2002 : 38-43.
  • [9]
    CIOMS, International Ethical Guidelines for Biomedical Research Involving Human Subjects, Geneva, 1992, 1993 et 2002.
  • [10]
    Recommandation n°R(90)3 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres concernant la recherche médicale sur l’être humain, adoptée à la réunion du 6 février 1990.
  • [11]
    Directive 2001/20/CE du Parlement européen et du Conseil de l’Europe du 4 avril 2001, publiée au Journal Officiel des Communautés européennes du 1er mai 2001.
  • [12]
    Loi n°88-1138 du 20 décembre 1988 (J.O. 22 déc.) amendée et complétée par les lois n°90-86 du 23 janvier 1990 (J.O. 25 janv.) n°94-630 du 25 juillet 1994 (J.O. 25 juill.) et n° 2004-806 du 9 août 2004 (J.O. 11 août). Décret n°2006-477 du 26 avril 2006 (J.O. 27 avril.). Les dispositions législatives et réglementaires de ces textes ont pris place au code français de la santé publique aux articles L. et R. 1121 à 1125.
  • [13]
    Citons, par exemple, pour la Suisse, les études publiées dans un numéro spécial de la revue Les Cahiers Médico-Sociaux, Genève 1995 : « Recherche clinique en Suisse – nécessités éthiques et considérations juridiques » ; et pour le Canada, le document publié par la Commission de réforme du droit du Canada, « L’expérimentation biomédicale sur l’être humain », 1989.
  • [14]
    Loi n°574 du 11 février 2004, article 11, Journal Officiel libanais n°9, 13 février 2004.
  • [15]
    Association Médicale Mondiale, Manuel d’éthique médicale, 2005 ; p. 96.
  • [16]
    Hottois G., Parizeau M.H. Les mots de la bioéthique, De Boeck, Bruxelles, 1995 ; p. 223.
  • [17]
    Delfosse M.L. L’expérimentation médicale sur l’être humain, De Boeck, Bruxelles, 1993 ; pp. 37-49.
  • [18]
    Nicolle C. L’expérimentation en médecine, Paris, 1934 ; p. 82. Cité par Delfosse M.L., op. cit., p. 48.
  • [19]
    Schwartz D., Flamant R., Lellouch J. L’essai thérapeutique chez l’homme, Flammarion, Paris, 1995 ; p. 68.
  • [20]
    Code français de la santé publique, art. L.1122-1. Ces dispositions sont à peu près identiques à celles exigées par la loi libanaise n°574 du 11 février 2004 sur les droits du malade et le consentement éclairé.
  • [21]
    Code pénal français, art. 223-8.
  • [22]
    Hottois G., Parizeau M.H. op. cit., p. 226.
  • [23]
    Hunsinger V. « Essais cliniques : quel consentement pour les enfants ? », Le Quotidien du Médecin, nov. 2003.
  • [24]
    Notamment en application de la loi n°2004-806 du 9 août 2004 (J.O. 11 août) et du décret n°2006-477 du 26 avril 2006 (J.O. 27 avril).
  • [25]
    La personne physique ou la personne morale qui prend l’initiative d’une recherche biomédicale, qui en assure la gestion et qui vérifie que son financement est prévu, est dénommée le « promoteur ». La ou les personnes physiques qui dirigent et surveillent la réalisation de la recherche sur un lien sont dénommées « investigateurs ».
  • [26]
    Article 90, III et IV de la loi du 9 août 2004 dont les dispositions ont pris place dans les articles 1123-2 et 3 du code français de la santé publique.
  • [27]
    Des membres suppléants en nombre égal au nombre de membres titulaires sont désignés pour chaque catégorie.
  • [28]
    Le premier collège est constitué de professionnels de la santé ; le deuxième de personnes aux compétences et préoccupations sociales plus larges.
  • [29]
    Article 2 du décret du 26 avril 2006 (article R.1123-14 du code français de la santé publique).
  • [30]
    Article 90 V de la loi du 9 août 2004 (articles L.1121-13 et L. 1123-6 et 7 du code français de la santé publique).
  • [31]
    Article 88, II de la loi du 9 août 2004 (article L.1121-4 du code français de la santé publique).
  • [32]
    Article 90 V de la loi du 9 août 2004 (art. 1123-6 du code français de la santé publique).
  • [33]
    Hottois G., Parizeau M.H. op. cit., p. 72.
  • [34]
    Sur l’intérêt et les modalités de cet enregistrement, cf. De Angelis C., Drazen J.M., Frizelle F.A. et al. “Clinical trial registration: a statement from the International Committee of Medical Journal Editors”, Annals of Internal Medicine, 2004; 141: 477-8.
  • [35]
    Dossier « Nord-Sud : le dilemme des essais cliniques », La Recherche, mai 2001 ; 342 : 35.
  • [36]
    Déclaration d’Helsinki, Principes éthiques applicables aux recherches médicales sur les sujets humains (version 2000), Principes n°19 et n°30.
  • [37]
    Un médicament générique a la même composition qualitative et quantitative en principes actifs que le médicament original, même forme pharmaceutique et même équivalence de bio-disponibilité.
  • [38]
    Jusque là, le principe de la collaboration entre organismes gouvernementaux et firmes privées était plus ou moins acquis ; mais la démarche des laboratoires pharmaceutiques restait individuelle et très aléatoire. Notons cependant que 37 firmes pharmaceutiques qui avaient porté plainte en 1997 contre l’Afrique du Sud – qui entendait revoir sa législation pour favoriser l’importation de génériques – retirèrent leur plainte en l’an 2000 ; il en fut de même des États-Unis qui avaient attaqué le Brésil devant l’OMC – parce que la loi brésilienne prévoyait qu’un brevet qui n’était pas suivi dans les trois ans d’une production réelle tombait dans le domaine public – et qui retirèrent leur plainte.
  • [39]
    Rappelons qu’actuellement le chiffre d’affaires de ce marché est estimé à plus de 400 milliards de dollars dont 80 % relèvent des États-Unis, du Canada, de l’Europe et du Japon.
  • [40]
    Si le médecin investigateur ne connaît pas non plus cette appartenance, on parle d’un essai randomisé « en double aveugle ».
  • [41]
    Déclaration d’Helsinki, version 2000, Principe n°29.
  • [42]
    En 1993 déjà, le Comité Consultatif National d’Éthique s’était préoccupé du respect de l’éthique dans les conditions de coopération de recherché biomédicales entre équipes françaises et équipes de pays en voie de développement ; dans son avis n°41 du 18 décembre 1993, il avait suggéré d’établir une étroite collaboration entre comités d’éthiques de ces pays et un comité spécial en France auquel participeraient des experts de l’OMS ; ces comités jugeraient de concert du niveau de soins aux personnes à protéger dont l’exigence devait être maintenue : cf. CCNE, Éthique et recherche biomédicale, rapport 1993-1994, pp. 46-53. Cette proposition, semble-t-il, n’a pas eu de suite.
  • [43]
    Thouvenin D. « La loi du 20 décembre 1988 : loi visant à protéger les individus ou loi organisant les expérimentations sur l’homme ? », Actualité Législative Dalloz, 1989 ; 10e cahier : 89-104.
  • [44]
    Conseil économique et social, séance des 11 et 12 juin 1996, Claude Évin étant rapporteur, « Les droits de la personne malade », J.O. Avis et Rapports du CES, 16 juin 1996 ; n°16.
  • [45]
    Comité Consultatif National d’Éthique, Consentement éclair et information des personnes qui se prêtent à des actes de soin ou de recherche. Rapport et Recommandations n°58, 12 juin 1998. Cf : Les Cahiers du CCNE, octobre 1998 ; n°17.

Une institutionnalisation croissante

1La protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales n’est pas simplement un champ de réflexion important de la bioéthique ; elle a progressivement fait l’objet d’une véritable institutionnalisation, laquelle a commencé en Allemagne.

Une prise de conscience progressive

2En 1898, Albert Neisser, découvreur du gonocoque, publiait les résultats d’essais de sérothérapie de la syphilis chez des patients hospitalisés pour d’autres raisons et ayant été soumis à leur insu à des contaminations. Il fut poursuivi par le procureur royal et condamné à une sanction disciplinaire. Le parlement prussien demanda alors au gouvernement d’agir pour que soit recueilli le consentement des patients pour toute recherche sans objectif thérapeutique les concernant. Des « Instructions » en ce sens furent diffusées en 1900 dans tous les hôpitaux et cliniques du pays. Trente ans plus tard, le 28 février 1931, le gouvernement de Weimar publia à son tour des « Directives concernant les thérapeutiques nouvelles et l’expérimentation scientifique », interdisant toute expérimentation sans le consentement éclairé du sujet [1]. L’impact de ces textes, qui n’avaient d’ailleurs pas force de loi, fut limité.

3La révélation au procès de Nuremberg des expériences conduites par des médecins nazis sur des personnes déportées en camps de concentration fit prendre plus clairement conscience qu’il est inacceptable de mener des expérimentations sur des sujets humains sans leur consentement. Le 19 août 1947, Walter Beals, président du tribunal, énonça les critères définissant les expériences médicales licites. Ces critères prirent ensuite le nom de « Code de Nuremberg » et constituèrent une étape importante pour la protection des personnes se prêtant à des recherches médicales [2].

4Cependant, les qualifications de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité » retenues pour les expériences nazies ne permirent pas aux opinions publiques de percevoir que ces abus condamnables ne se limitaient pas au temps de guerre et que peu de pays étaient sans reproche en ce domaine. Henry Beecher, professeur à la Faculté de médecine de l’Université Harvard en 1966 [3], rapportait vingt-deux expériences médicales menées aux États-Unis dans des conditions absolument inadmissibles [4]. Les réactions de l’opinion publique amenèrent le National Institute of Health, organisme fédéral finançant la recherche aux États-Unis, à créer des comités locaux d’éthique de la recherche. Ceux-ci s’imposèrent d’autant plus facilement que les grandes revues scientifiques américaines ne publièrent plus d’articles rapportant des recherches sur l’homme sans avoir reçu des auteurs concernés l’assurance que leurs travaux avaient obtenu l’avis favorable d’une instance éthique [5]. Dès 1968 était déposé au Congrès un projet de loi instituant une Commission nationale qui discuterait des limites à fixer dans le domaine de l’expérimentation humaine. Mais, du fait de l’opposition des chercheurs, il fallut attendre juillet 1974 pour qu’une première commission de ce type soit effectivement créée (Public Law 93-348). Elle prit le nom de National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research. Son mandat était limité à la recherche médicale. Elle publia notamment, en 1978, le Belmont Report qui précisait les principes dont devait tenir compte toute recherche sur des sujets humains [6].

La multiplicité des Déclarations internationales

5La protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales est l’un des thèmes qui ont suscité le plus de déclarations internationales. Dès la création de l’Association Médicale Mondiale (AMM) en 1947, année où fut élaboré le Code de Nuremberg, ce fut le premier sujet de préoccupation de ses fondateurs, convaincus de la gravité de l’absence d’éthique en matière de recherche. En 1954, au terme de plusieurs années d’études et de concertations, l’AMM adopta un ensemble de « Principes concernant les personnes qui se prêtent à la recherche et à l’expérimentation ». Révisé à Helsinki lors de la 18e Assemblée Médicale Mondiale tenue en 1964, ce document prit le nom de « Déclaration d’Helsinki » ; celle-ci fut amendée à cinq reprises par les Assemblées suivantes [7][8]. Elle constitue un condensé de l’éthique de la recherche. D’autres documents plus détaillés ont été élaborés les années suivantes. Il faut notamment mentionner l’adoption en 1982 par le Conseil des Organisations internationales des sciences médicales (CIOMS) de « Directives internationales proposées pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains ». Ces directives portent principalement sur l’interprétation de la règle du consentement libre et éclairé, lorsque la recherche est menée sur des personnes « vulnérables » ou même incapables d’exprimer elles-mêmes un tel consentement. En 1993 et 2002, le CIOMS révisa ces directives et les accompagna de commentaires [9].

6Au niveau de l’Union Européenne, deux textes importants prennent acte des principes élaborés par la Déclaration d’Helsinki : une Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres, datée du 6 février 1990, visant la recherche médicale sur l’être humain [10], et une Directive du Parlement européen et du Conseil de l’Europe, datée du 4 avril 2001, « concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’application de bonnes pratiques cliniques dans la conduite d’essais cliniques de médicaments à usage humain » [11].

7En France, la loi Huriet du 20 décembre 1988 sur la protection des personnes qui se prêtent à des recherches médicales, loi amendée et complétée en 1990, 1994, 2004 et 2006 [12], a constitué une étape capitale. Elle accorde la priorité à la protection des personnes et exige que soit obtenu d’elles un consentement libre, éclairé et exprimé par écrit ; elle définit les rôles des deux acteurs principaux de cette recherche, le promoteur et l’investigateur, et instaure un contrôle du corps social par un Comité de protection des personnes. Les lois qui amendent ou complètent la loi Huriet concernent surtout les conditions auxquelles doit être soumise la participation à la recherche de personnes mineures ou majeures faisant l’objet d’une mesure de protection légale ou hors d’état d’exprimer leur consentement, ou encore de personnes privées de liberté. Ces textes précisent que la participation de ces personnes vulnérables ne peut se justifier qu’au regard du bénéfice escompté pour d’autres personnes se trouvant dans la même situation qu’elles, et à la condition que des recherches d’une efficacité comparable ne puissent être effectuées sur une autre catégorie de la population. Dans ces cas, les risques prévisibles et les contraintes que comporte la recherche doivent présenter un caractère minimal.

8D’autres États que ceux de l’Union Européenne ont élaboré de nouvelles lois pour la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales [13]. Le Liban, s’il n’est pas encore en mesure de se doter d’un texte législatif de l’ampleur de la loi Huriet, s’en est du moins inspiré pour inclure un article sur la recherche biomédicale dans la loi du 11 février 2004 sur les droits du malade et le consentement éclairé. Ce texte, pour ne pas être exhaustif sur une question qui exigerait une loi spécifique, n’en contient pas moins des dispositions précises [14]. La multiplicité et l’importance de ces déclarations internationales ou nationales et leurs amendements successifs soulignent les difficultés et la complexité des problèmes que soulève l’expérimentation humaine en recherche médicale. Pour mieux les comprendre nous aborderons successivement :

  • la spécificité de la recherche par rapport à la pratique médicale de soins ;
  • l’obligation de concilier le respect de la personne avec une expérimentation médicale sur l’homme ;
  • l’utilité de faire appel à des conseils d’éthique pour s’en assurer ;
  • les difficultés que soulève la coopération entre pays développés promoteurs de recherches biomédicales et pays en voie de développement où ces recherches sont souvent en partie conduites.

Spécificité de la recherche par rapport à la pratique médicale

9La recherche médicale se distingue de la pratique des soins. Le Belmont Report en 1978 analysait les objectifs respectifs de ces deux activités, en soulignant leurs différences. Celui de la pratique médicale est d’ordre individuel : améliorer la santé d’une personne ; celui de la recherche médicale est d’ordre collectif : acquérir un savoir généralisable. Un médecin peut décider de s’éloigner ponctuellement d’une pratique courante au bénéfice d’un patient particulier ; sa décision, quelle qu’en soit la sagesse, ne constitue pas une recherche mais « une pratique innovatrice non validée », selon l’expression retenue par le Belmont Report. La différence d’objectif entre recherche et pratique médicales entraîne une différence de méthodes.

10Cette spécificité ressort moins clairement dans la plupart des textes postérieurs au Belmont Report. La Déclaration d’Helsinki qualifie la recherche médicale de clinique ou thérapeutique lorsqu’elle comporte des soins sur des sujets atteints d’une maladie concernée par l’étude ; elle s’attache ainsi à la matérialité de l’acte sans tenir compte de son objectif et de sa méthodologie. La version d’octobre 2000 de cette Déclaration ne retient plus cette distinction entre clinique et non clinique, thérapeutique et non thérapeutique ; elle énonce les principes applicables à la recherche médicale et les fait suivre de quelques règles particulières renforçant les précautions à prendre quand la recherche est conduite dans le cadre de la prise en charge thérapeutique d’un patient. La Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 6 février 1990 sur la recherche médicale sur l’être humain ne mentionne même pas l’éventuelle interférence de la recherche et d’une pratique de soins. Quelques extraits de cette Recommandation soulignent la spécificité de la recherche médicale.

11

Par recherche médicale sur l’être humain on entend tous essais et expérimentations effectués sur l’être humain dont le but ou l’un des buts est d’élargir les connaissances médicales. Toute recherche médicale doit être effectuée dans le cadre d’un plan scientifique (…)
Toute recherche médicale non planifiée (…) ou non conforme aux méthodes scientifiques (…) doit être interdite ou, si elle a déjà commencé, être arrêtée ou modifiée, même si elle ne présente aucun risque pour la personne se prêtant à la recherche.

12Ce qui fait la spécificité de la recherche médicale est bien relevé dans ce texte, qu’il s’agisse de sa finalité scientifique ou de sa méthodologie. Le texte n’en reconnaît pas moins que cette recherche d’intérêt public exige que des personnes s’y prêtent ; il souligne également qu’il importe de limiter le plus possible les risques encourus et que ceux-ci ne soient pas disproportionnés avec l’objectif de la recherche. Cette spécificité implique de reconnaître que le rôle de l’investigateur à l’égard d’une personne qui se prête à une recherche est différent de celui du médecin à l’égard de son malade, que le rapport risque/bénéfices ne peut être évalué sans tenir compte du degré d’intérêt de la recherche, enfin que le consentement à se prêter à des soins n’est pas le consentement à se prêter à une recherche médicale.

Expérimentation humaine et respect de la personne

13Toutes les versions de la Déclaration d’Helsinki affirment en introduction : « Les progrès de la médecine sont fondés sur des recherches qui, in fine, peuvent imposer de recourir à l’expérimentation humaine. » L’Association Médicale Mondiale justifie le caractère expérimental de la médecine dans son «Manuel d’éthique médicale » : « La médecine n’est pas une science exacte dans le sens où le sont les mathématiques ou la physique. La nature intrinsèque de la médecine est d’être expérimentale. » [15] L’expérimentation humaine est nécessaire car les résultats de l’expérience animale, qui la précède obligatoirement, ne peuvent être directement extrapolés à l’être humain, la pathologie animale n’étant pas superposable à la pathologie humaine [16]. Affirmer la nécessité de l’expérimentation humaine n’implique cependant pas d’ignorer les problèmes que pose cette expérimentation. Trois médecins, François Magendie (1783-1855), Claude Bernard (1813-1878) et Charles Nicolle (1866-1936), jouèrent un rôle de premier plan dans cette évolution de la médecine depuis l’expérimentation empirique jusqu’à l’expérimentation scientifique. Chacun essaya, à sa manière, d’atténuer la tension entre l’activité de soins et l’activité de recherche [17].

14Charles Nicole préfigurait les positions actuelles en soulignant que, même si elles sont admises, les expérimentations sur l’homme constituent une infraction au principe de l’intangibilité de la personne. Tout en se souciant de l’opinion publique, il refusait de situer le problème sur un autre plan que celui d’une déontologie strictement individuelle, estimant, comme François Magendie et Claude Bernard, que le médecin est le seul juge des actes qu’il pose.

15

La société humaine délègue à certains de ses membres un mandat. Les médecins reçoivent mission de veiller à la santé des hommes. Ils exercent cette mission dans la plénitude de leur savoir et de leur conscience. La sagesse est de s’en remettre à eux.[18]

16Cette déclaration, datée de 1934, ne serait plus acceptée aujourd’hui sans nuances. En fait l’expérimentation humaine en recherche médicale est, et sera toujours, un lieu de tension entre trois valeurs à concilier : l’objectivité de la connaissance scientifique, le respect de la personne individuelle, l’utilité collective.

17Méthodologiquement, celui qui se prête à une recherche médicale est traité comme un objet de recherche. La terminologie employée dans ce domaine est d’ailleurs expressive. On parle de « validité d’échantillonnage », d’éviter des « différences parasitaires entre les individus » ; la « randomisation» est un tirage au sort pour affecter les individus à l’un ou l’autre groupe ; la conduite de l’essai est faite « à l’aveugle » ou même « en double aveugle » ; les individus recrutés doivent avoir été jugés « bons pour l’essai ». « Cette expression n’est pas agréable ; mais elle correspond à la réalité. » [19]

18Cette objectivité qu’impose la connaissance scientifique visée par la recherche médicale doit être conciliée avec le respect des personnes qui se prêtent à ces recherches – une conciliation qui passe par l’exigence imposée à quiconque entreprend une expérience biomédicale sur l’être humain de s’assurer préalablement du consentement de cette personne. Tous les textes internationaux et nationaux concernant la recherche mentionnent, sous une forme ou une autre, cette exigence. Le code français de la santé publique est notamment clair sur cette question.

19

Préalablement à la réalisation d’une recherche biomédicale sur une personne, le consentement libre, éclairé de celle-ci doit être recueilli après que l’investigateur, ou un médecin qui le représente, lui a fait connaître :
  • l’objectif, la méthodologie et la durée de la recherche ;
  • les bénéfices attendus, les contraintes et les risques prévisibles, y compris en cas d’arrêt de la recherche avant son terme (…).
    Il informe la personne dont le consentement est sollicité de son droit de refuser de participer à une recherche ou de retirer son consentement à tout moment sans encourir aucune responsabilité ni aucun préjudice de ce fait (…) Le consentement est donné par écrit ou, en cas d’impossibilité, attesté par un tiers. Ce dernier doit être indépendant de l’investigateur et du promoteur (…)[20]

20L’importance accordée à cette exigence est soulignée par la lourdeur des peines (trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros) que fixe le code pénal français lorsqu’une recherche médicale est pratiquée sur une personne sans avoir recueilli son consentement ou après que ce consentement ait été retiré [21].

21Qui plus est, le consentement libre et éclairé demandé à une personne pour qu’elle se prête à une recherche médicale implique qu’elle soit informée de l’objectif, la méthodologie, les bénéfices attendus et les risques de cette recherche. Est ainsi souligné que cette personne doit être traitée en partenaire et non comme un objet. En pratique, combien de protocoles de recherche ne demandent à leurs « collaborateurs » que le minimum de compréhension nécessaire au respect des consignes reçues !

22Il reste que des personnes dites « vulnérables » ne sont pas en pleine capacité d’être informées, de donner leur consentement à une recherche et de l’exprimer et que d’autres, en situation de dépendance, n’ont pas pleine liberté d’accepter ou de refuser un tel consentement. Les textes des déclarations internationales et les législations nationales exigent pour elles une protection adaptée. Les problèmes que pose le consentement de ces personnes vulnérables ou dépendantes n’en sont pas pour autant totalement clarifiés, comme le soulignent deux exemples.

23La loi libanaise du 11 février 2004 rappelle que « la participation à des recherches cliniques d’une personne mineure ou d’une personne majeure sous tutelle suppose le consentement de l’autorité parentale ou du tuteur ». La condition est pertinente ; ce consentement, comme tout « consentement de substitution », laisse néanmoins perplexe. Parents et tuteurs ont autorité pour défendre l’intérêt des personnes qui leur sont confiées mais ont-ils la même autorité pour subordonner cet intérêt à un intérêt collectif ? Plusieurs lois, dont la loi Huriet amendée, répondent indirectement à la question en rendant plus exigeantes les conditions de validation d’un consentement lorsqu’il s’agit d’un « consentement de substitution » [22].

24En France, pour en rester à la loi Huriet, « la participation des personnes vulnérables à une recherche biomédicale ne peut se justifier que si une recherche d’une efficacité comparable ne peut être effectuée sur une autre catégorie de la population ». La condition, ici aussi, est pertinente ; mais les pédiatres n’ont pas manqué d’objecter que son application à la participation des enfants à la recherche privera ceux-ci d’un traitement car les résultats de l’expérimentation sur un adulte ne sont pas extrapolables à l’enfant [23].

25Justifier une expérimentation médicale sur l’homme demande donc de prendre en compte les exigences scientifiques de la recherche, ses bénéfices attendus pour la société, ainsi que les dispositions et l’état de la personne appelée à se prêter à cette recherche avec des conditions spécifiques si cette personne est vulnérable ou dépendante. La diversité des valeurs et des intérêts à concilier pour rendre admissible cette expérimentation a conduit à soumettre tout projet de recherche médicale sur des hommes à l’examen et à l’approbation préalables de comités indépendants.

Comités en charge de la protection des personnes

26La conviction qu’il est nécessaire de constituer des comités indépendants des promoteurs et investigateurs de recherches biomédicales pour s’assurer que les personnes qui se prêtent à ces recherches sont effectivement protégées n’est pas nouvelle. Dès 1803, Thomas Percival écrivait dans son code d’éthique pour les médecins anglais qu’avant de se livrer à des essais sur un malade, on doit d’abord consulter ses pairs. En 1966 aux États-Unis, le National Institute of Health, suite à divers scandales, exigea que les promoteurs de recherches biomédicales sollicitant des subventions élaborent des protocoles et les soumettent à l’approbation de comités d’éthique. À l’origine simples comités professionnels, ceux-ci devinrent des comités de contrôle de la société sur les conditions de la recherche et furent adoptés par de nombreux pays. Qu’en est-il de l’évolution de ces comités quant à leur composition, leurs compétences et leur coordination ?

Composition

27La composition des comités en charge de la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales et le mode de nomination de leurs membres ne sont pas identiques dans tous les pays ; leur évolution est néanmoins le plus souvent marquée par le souci d’accroître l’indépendance de ces comités et la diversité de compétences et de préoccupations de leurs membres.

28Examinons l’exemple significatif de la législation française [24] : les Comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB) créés en France par la loi Huriet, désormais nommés Comités de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CPP), ne sont pas des comités d’éthique d’initiative locale comme ceux dont de nombreuses institutions se sont dotées dans le pays. Ce sont des structures définies par la loi. Dans chaque région, le Ministre chargé de la santé agrée un ou plusieurs de ces comités, selon les besoins. Leurs membres sont nommés par le représentant de l’État dans la région dans laquelle le comité a son siège, à partir de listes de personnes présentées par les autorités ou organismes concernés.

29Des dispositions assurent l’indépendance des comités : « Ne peuvent valablement participer à une délibération les personnes qui ne sont pas indépendantes du promoteur et de l’investigateur [25] de la recherche examinée. » De même, les comités sont composés de manière à garantir « la diversité des compétences dans le domaine biomédical à l’égard des questions éthiques, sociales, psychologiques et juridiques » ; un complément est apporté en 2004 : « Les comités comportent en leur sein des représentants d’associations de malades ou d’usagers du système de santé. » [26]

30Le décret du 26 avril 2006 a fixé à quatorze le nombre de membres titulaires [27] et les a répartis en deux collèges [28]. Le premier collège est composé de :

  • quatre personnes ayant une qualification et une expérience approfondie en matière de recherche biomédicale, dont au moins deuxmédecins et une personne qualifiée en raison de sa compétence en matière de biostatistique ou d’épidémiologie ;
  • un médecin généraliste ;
  • un pharmacien hospitalier ;
  • un infirmier.
Le deuxième collège est composé de :
  • une personne qualifiée en raison de sa compétence à l’égard des questions d’éthique ;
  • un psychologue ;
  • un travailleur social ;
  • deux personnes qualifiées en raison de leur compétence en matière juridique ;
  • deux représentants des associations agréées de malades et d’usagers du système de santé. (…)
Lorsque le projet de recherche porte sur des personnes mineures de moins de seize ans, le comité s’adjoint la compétence d’un pédiatre si le comité ne comprend pas en son sein un tel spécialiste. De même, lorsque le projet de recherche porte sur des personnes majeures hors d’état d’exprimer leur consentement, le comité s’adjoint une personne qualifiée au regard de la spécificité de la maladie et de la population concernées si le comité ne comprend pas en son sein un tel spécialiste [29].

Compétences

31Les comités ont pour mission d’émettre un avis sur les protocoles de recherche qui leur sont soumis et cela selon quatre critères : la pertinence du protocole, l’adéquation des moyens aux objectifs, la compétence des investigateurs et la protection des personnes concernées, les exigences ainsi évoquées étant indissociables. La loi du 9 août 2004 a développé ces dispositions [30].

32L’avis du comité peut prendre quatre formes : favorable, favorable sous réserve de la transmission au cours de la réalisation du protocole d’informations complémentaires par l’investigateur, demande motivée d’information complémentaire ou de modification substantielle, défavorable.

33La loi du 9 août 2004 est sans ambiguïté sur la portée de cet avis : « La recherche biomédicale ne peut être mise en œuvre qu’après avis favorable du Comité de protection des personnes et autorisation de l’autorité compétente. » [31] L’autorité compétente est l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé pour les recherches portant sur ces produits et le Ministre chargé de la santé dans les autres cas. Cette obligation d’obtenir un avis favorable du Comité justifie que la qualification de « consultatif », qui lui avait été primitivement donnée, soit désormais rarement maintenue dans les textes.

Coordination

34La coordination des avis des comités de recherche n’est pas un problème majeur en France en raison du développement de la législation sur la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, en raison surtout de l’importance de l’intervention de l’État en la matière. La liberté d’appréciation de chaque comité sur les protocoles qui lui sont soumis n’est cependant pas inexistante et des divergences d’appréciation entre deux comités ne sont pas totalement exclues. Preuve en est une disposition prévue par la loi du 9 août 2004 : « En cas d’avis défavorable du comité, le promoteur peut demander au Ministre chargé de la santé de soumettre le projet de recherche, pour un second examen, à un autre comité désigné par le Ministre. » [32]

35Il n’en est pas de même dans d’autres pays où l’usage, plus que la coutume, oriente les décisions des comités de la recherche et où des Conseils de médecins (ou majoritairement de médecins) sont en charge de ces comités. C’est notamment le cas au Canada, où le Conseil national de la bioéthique en recherche sur les sujets humains élabora, en 1992, un règlement en matière de recherche sur les enfants ; en Suisse, où l’Académie des Sciences médicales créa, en 1979, un Comité central d’éthique médicale qui publia en 1988 des directives sur les activités de recherche ; en Belgique, où le Conseil national de l’Ordre des médecins, dès 1984, énonça des règles déontologiques en matière d’expérimentation humaine, précisant la composition et les règles de fonctionnement des comités d’éthique [33].

36Soulignons que la coopération entre centres de recherche ne s’est pas limitée à une coordination pour rapprocher ou unifier des dispositions de bonnes pratiques, mais s’est traduite aussi par la constitution de banques de données et, plus récemment, par l’institution d’un enregistrement centralisé des projets de protocoles concernant des recherches médicales sur des sujets humains. Les grandes revues scientifiques, qui ne publiaient déjà plus de comptes-rendus de recherche sur l’homme en l’absence préalable de l’avis favorable du comité d’éthique concerné, exigeront désormais en outre un enregistrement préalable des protocoles de recherche accessible à tous les intéressés [34].

Coopération de recherche entre pays d’inégale protection

37Les problèmes de coopération que posent les recherches biomédicales revêtent une acuité particulière lorsque leurs promoteurs s’adressent à des investigateurs qui mettent en œuvre des expérimentations dans des pays où les personnes sont moins protégées.

38À Londres, en février 2000, un colloque patronné par plusieurs grands laboratoires pharmaceutiques avait pour thème « Le potentiel inexploité de l’Asie du Sud-Est pour les essais cliniques ». Le programme précisait : « Les coûts par patient sont jusqu’à 25 % moindres qu’aux États-Unis et en Europe. Ce moindre coût par patient n’est que l’un des avantages qui vous attendent si vous entreprenez des essais cliniques en Asie du Sud-Est. » [35] Compte malheureusement parmi ces «avantages», même si cela n’est pas dit, le fait que la plupart de ces pays ne bénéficient ni d’une législation ni de comités qui protègent les personnes participant à des recherches biomédicales. Deux exigences sont difficiles à maintenir lorsque des recherches biomédicales sont entreprises dans des pays en voie de développement : la première est que les personnes participant à ces recherches puissent profiter de leurs résultats; la seconde qu’elles bénéficient d’une protection suffisante.

L’exigence d’un juste profit des résultats

39Cette exigence a été stipulée par la Déclaration d’Helsinki au plan individuel, dans un premier temps : « Tous les patients ayant participé à une étude doivent être assurés de bénéficier à son terme des moyens diagnostiques, thérapeutiques et de prévention dont l’étude aura montré la supériorité. » Par la suite, la Déclaration a transposé cette exigence au plan collectif : « Une recherche médicale sur des êtres humains n’est légitime que si les populations au sein desquelles elle est menée ont des chances réelles de bénéficier des résultats obtenus. » [36] En réalité, le coût des médicaments est l’obstacle majeur empêchant l’accès des malades des pays pauvres aux traitements expérimentés chez eux, notamment pour lutter contre les effets du VIH et autres pandémies. Ce coût ne peut être substantiellement réduit que par la production ou l’importation de médicaments génériques [37] ; le juste partage des bénéfices souhaité passe donc par la possibilité de cette production ou de cette importation.

40La Conférence de l’Organisation mondiale du commerce tenue à Doha, au Qatar, en novembre 2001, admit que rien ne pouvait empêcher les États membres de fabriquer des génériques à leur usage national pour protéger leur population contre le Sida, la tuberculose, le paludisme et autres pandémies, en contournant les règles édictées pour la protection des brevets par l’usage de « licences obligatoires » [38]. Mais elle reporta à fin 2002 l’autorisation pour les pays dépourvus d’industrie pharmaceutique d’importer les génériques des libres producteurs ainsi reconnus. Les négociations menées en 2002 à Genève n’aboutirent pas. La Conférence de l’OMC à Cancun au Mexique, en septembre 2003, et la 15e Conférence internationale sur le Sida à Bangkok, en juillet 2004, se heurtèrent à la crainte des firmes pharmaceutiques américaines et européennes de voir les producteurs indiens et brésiliens de génériques envahir le marché international [39] au détriment des médicaments brevetés, réduisant ainsi leurs bénéfices et les budgets disponibles pour la recherche.

L’exigence d’une protection suffisante des personnes

41Cette deuxième exigence à maintenir, lors d’une recherche entre pays d’inégale protection, porte surtout sur un usage restreint du placebo. Pour tester l’efficacité d’un nouveau médicament sur une maladie dans un essai « randomisé », les malades qui participent à cette recherche sont répartis par un tirage au sort en deux groupes : les malades du premier groupe sont traités avec le nouveau médicament, les malades du deuxième groupe avec le médicament jusque là en usage ou avec un placebo (substance inerte sans aucun effet thérapeutique). Pendant toute la durée de l’essai, les malades ignorent à quel groupe ils appartiennent [40]. La question est : peut-on recourir au placebo, comme c’est souvent le cas dans les pays en voie de développement où les malades sont mal protégés, même si un médicament a déjà prouvé une quelconque efficacité ? L’Association Médicale Mondiale, pour sa part, n’accepte pas cette tolérance.

42

Les avantages, les risques, les contraintes et l’efficacité d’une nouvelle méthode doivent être évalués par comparaison avec les meilleures méthodes diagnostiques, thérapeutiques ou de prévention existantes. Cela n’exclut ni le recours au placebo ni l’absence d’intervention, mais dans les études pour lesquelles il n’existe pas encore de méthode diagnostique, thérapeutique ou de prévention éprouvée.[41]

43Lors de la 52e Assemblée de l’Association à Édimbourg, en octobre 2000, un amendement de ce texte fut proposé, notamment par la National Institut of Health américain ; le texte substituait au meilleur traitement « existant », le meilleur traitement « disponible dans le pays où s’effectue la recherche ». L’amendement fut rejeté ; il aurait impliqué la reconnaissance d’un standard différent pour pays riches et développés et pour pays pauvres où les patients bénéficient de peu de protection, remettant ainsi en cause l’universalité de la Déclaration d’Helsinki – qui fait précisément son intérêt et la rend difficilement dissociable de la Déclaration des droits de l’Homme.

44S’en tenir strictement aux principes de la Déclaration d’Helsinki ou admettre une certaine souplesse dans l’application de ces principes ne saurait en tout cas suffire pour résoudre les difficultés suscitées par l’écart grandissant entre les normes, les pratiques et les préoccupations du pays du promoteur d’une expérimentation et celles du pays où cette expérimentation est mise en œuvre. Quelles que soient les solutions envisagées à ces problèmes de disparité [42], elles ne peuvent avoir de portée que si ces problèmes y sont traités non simplement comme des relations interpersonnelles entre promoteurs et investigateurs mais comme des problèmes de société ; c’est sur ce thème que nous pouvons conclure.

Conclusion

45Rendant compte de la législation française sur la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, un juriste y relève ce qu’il considère comme « une contradiction évidente » :

46

Il s’agit d’un texte de droit public puisque les dispositions sont insérées dans le code de santé publique. Il est donc axé sur l’intérêt général, celui de la nécessaire réalisation des recherches conduites sur l’homme. L’intérêt général devant l’emporter sur les intérêts particuliers, on devrait trouver dans ce texte des moyens juridiques de contraintes permettant de le faire valoir sur la volonté des personnes intéressées. Au contraire une grande place est ménagée au consentement, ce qui implique que les expérimentations ne pourront être conduites qu’avec l’assentiment des individus.[43]

47L’auteur note qu’en substituant ainsi l’exigence d’un libre consentement individuel à ce qui pourrait être « une obligation de citoyenneté » qui s’imposerait à tous, la loi « contractualise » la participation à la recherche biomédicale ; ce contrat avec un investigateur ne serait pas sans rappeler, ditil, le colloque singulier d’une médecine de soins fondée sur des rapports interpersonnels.

48Ce n’est pas ici le lieu pour traiter des problèmes que soulèvent les relations entre la personne et la société. Soulignons simplement que ni le contrat de soins dans la pratique médicale ni le contrat de participation à une recherche biomédicale ne relèvent exclusivement de l’ordre des relations interpersonnelles. Dans la relation de soin entre le médecin et le malade, s’interposent déjà un contexte institutionnel et social, un système de santé, un code de déontologie médicale, une structure hospitalière, une sécurité sociale ; ce contexte a un impact beaucoup plus important encore sur des relations qui concernent des recherches biomédicales puisque c’est l’objectif lui-même de ces relations qui n’est pas individuel mais collectif.

49Il est juste par contre de relever que les préoccupations éthiques ont évolué parallèlement en médecine de soins et en médecine de recherche. L’évolution s’est faite en médecine de soins d’une société où la priorité était accordée au principe de bienfaisance – le médecin détenant la connaissance de ce qui est bien pour le malade et prenant plus ou moins unilatéralement ses décisions – à une société où l’on tient compte d’un malade appelé à faire ses propres choix en fonction de ce qu’il considère lui-même comme son bien. En médecine de recherche, l’évolution s’est faite d’une société où la priorité était accordée à la nécessité et aux bienfaits de la recherche – sans se préoccuper beaucoup des personnes impliquées dans cette recherche et souvent même à leur insu – à une société où le respect de l’autonomie de ces personnes prime sur les seuls intérêts de la science médicale et de la collectivité. Le parallélisme de ces deux évolutions ne saurait étonner. Dans les deux cas, l’appel au consentement éclairé du malade concerné est au centre des problèmes soulevés ; dans les deux cas, l’objectif idéal poursuivi est que ce malade soit un réel partenaire du médecin dans les soins, un réel partenaire de l’investigateur dans une recherche.

50Ces évolutions, qui cherchent encore les voies de leur progression y compris dans des pays très développés, ne sauraient être ramenées à la seule dimension des relations interpersonnelles. Elles constituent de véritables évolutions de société, résultant de nombreux facteurs sous-jacents – dont par exemple le développement de l’information médicale ou encore le rôle accru des associations de malades, s’affirmant comme partenaires d’un système de santé. Elles ne sont pas sans analogie ni même sans lien avec l’évolution de la vie politique d’un pays et sa démocratisation : un rapport de Claude Évin au Conseil économique et social, en France, évoquait « le droit de chacun à être traité dans le système de soins en citoyen libre, adulte et responsable [44] » ; et le préambule des réflexions du Comité Consultatif National d’Éthique s’achève sur cette remarque : « Cette évolution dans le domaine de la santé n’est en soi ni bonne ni mauvaise : elle est un choix de société ; elle va avec le choix de vivre dans une société plus démocratique. » [45]

51Qualifier ces évolutions de choix de société ne saurait cependant dispenser d’apprécier les risques qu’elles comportent. En médecine de soins, le respect absolu de l’autonomie du malade risque de se traduire par la déresponsabilisation du médecin devenu un simple prestataire de services. Si l’information du malade est une exigence légitime, sa protection contre une surinformation médiatique n’en est pas moins nécessaire. En médecine de recherche, plus encore qu’en médecine de soins, le consentement éclairé de la personne est requis ; mais l’autonomie libre et responsable ainsi reconnue n’est vraiment celle d’un adulte que si elle s’inscrit dans une solidarité collective. Être autonome, est-ce bénéficier de la recherche faite sur les autres et refuser d’y participer soi-même ?


Date de mise en ligne : 01/01/2012

https://doi.org/10.3917/lae.083.0006

Notes

  • [1]
    Hoerni B., Saury R. Le Consentement en médecine, Masson, 1998 ; pp. 71-82.
  • [2]
    Le texte du Code de Nuremberg est reproduit notamment dans Encyclopedia of Bioethics, vol. 4, Appendix : 1764-65. Pour ses origines, on se reportera à l’article de Paul Weindling in : Dictionnaire de la pensée médicale, Lecourt D. (sous la dir. de), Presses Universitaires de France, 2004 ; pp. 263-266.
  • [3]
    Beecher H.K. “Ethics and clinical Research”, The New England Journal of Medecine, 1966; 274: 1354-60.
  • [4]
    Ainsi, une expérience, menée au Jewisch Chronic Disease Hospital de Brooklyn, consistait à injecter des cellules cancéreuses vivantes à des patients âgés afin d’étudier la réponse immunitaire.
  • [5]
    Cf. Doucet H. Au pays de la bioéthique. L’éthique biomédicale aux États-Unis, Labor et Fides, Genève, 1966 ; pp. 19-32.
  • [6]
    Une traduction française du Belmont Report a été publiée sous le titre « Principes d’éthique et lignes directives pour la recherche faisant appel à des sujets humains », in : Médecine et expérimentation, Les Cahiers de bioéthique n°4, Québec, Presses de l’Université Laval, 1982 ; pp. 233-250.
  • [7]
    Amendements adoptés par la 29e Assemblée (Tokyo, 1975), par la 35e (Venise, 1983), par la 41e (Hong Kong, 1989), par la 48e (Somerset West République d’Afrique du Sud, 1996) et par la 52e (Édimbourg, 2000).
  • [8]
    Cf. Poisson D. « Déclaration d’Helsinki, quelles nouveautés?», Laennec, 1/2002 : 38-43.
  • [9]
    CIOMS, International Ethical Guidelines for Biomedical Research Involving Human Subjects, Geneva, 1992, 1993 et 2002.
  • [10]
    Recommandation n°R(90)3 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres concernant la recherche médicale sur l’être humain, adoptée à la réunion du 6 février 1990.
  • [11]
    Directive 2001/20/CE du Parlement européen et du Conseil de l’Europe du 4 avril 2001, publiée au Journal Officiel des Communautés européennes du 1er mai 2001.
  • [12]
    Loi n°88-1138 du 20 décembre 1988 (J.O. 22 déc.) amendée et complétée par les lois n°90-86 du 23 janvier 1990 (J.O. 25 janv.) n°94-630 du 25 juillet 1994 (J.O. 25 juill.) et n° 2004-806 du 9 août 2004 (J.O. 11 août). Décret n°2006-477 du 26 avril 2006 (J.O. 27 avril.). Les dispositions législatives et réglementaires de ces textes ont pris place au code français de la santé publique aux articles L. et R. 1121 à 1125.
  • [13]
    Citons, par exemple, pour la Suisse, les études publiées dans un numéro spécial de la revue Les Cahiers Médico-Sociaux, Genève 1995 : « Recherche clinique en Suisse – nécessités éthiques et considérations juridiques » ; et pour le Canada, le document publié par la Commission de réforme du droit du Canada, « L’expérimentation biomédicale sur l’être humain », 1989.
  • [14]
    Loi n°574 du 11 février 2004, article 11, Journal Officiel libanais n°9, 13 février 2004.
  • [15]
    Association Médicale Mondiale, Manuel d’éthique médicale, 2005 ; p. 96.
  • [16]
    Hottois G., Parizeau M.H. Les mots de la bioéthique, De Boeck, Bruxelles, 1995 ; p. 223.
  • [17]
    Delfosse M.L. L’expérimentation médicale sur l’être humain, De Boeck, Bruxelles, 1993 ; pp. 37-49.
  • [18]
    Nicolle C. L’expérimentation en médecine, Paris, 1934 ; p. 82. Cité par Delfosse M.L., op. cit., p. 48.
  • [19]
    Schwartz D., Flamant R., Lellouch J. L’essai thérapeutique chez l’homme, Flammarion, Paris, 1995 ; p. 68.
  • [20]
    Code français de la santé publique, art. L.1122-1. Ces dispositions sont à peu près identiques à celles exigées par la loi libanaise n°574 du 11 février 2004 sur les droits du malade et le consentement éclairé.
  • [21]
    Code pénal français, art. 223-8.
  • [22]
    Hottois G., Parizeau M.H. op. cit., p. 226.
  • [23]
    Hunsinger V. « Essais cliniques : quel consentement pour les enfants ? », Le Quotidien du Médecin, nov. 2003.
  • [24]
    Notamment en application de la loi n°2004-806 du 9 août 2004 (J.O. 11 août) et du décret n°2006-477 du 26 avril 2006 (J.O. 27 avril).
  • [25]
    La personne physique ou la personne morale qui prend l’initiative d’une recherche biomédicale, qui en assure la gestion et qui vérifie que son financement est prévu, est dénommée le « promoteur ». La ou les personnes physiques qui dirigent et surveillent la réalisation de la recherche sur un lien sont dénommées « investigateurs ».
  • [26]
    Article 90, III et IV de la loi du 9 août 2004 dont les dispositions ont pris place dans les articles 1123-2 et 3 du code français de la santé publique.
  • [27]
    Des membres suppléants en nombre égal au nombre de membres titulaires sont désignés pour chaque catégorie.
  • [28]
    Le premier collège est constitué de professionnels de la santé ; le deuxième de personnes aux compétences et préoccupations sociales plus larges.
  • [29]
    Article 2 du décret du 26 avril 2006 (article R.1123-14 du code français de la santé publique).
  • [30]
    Article 90 V de la loi du 9 août 2004 (articles L.1121-13 et L. 1123-6 et 7 du code français de la santé publique).
  • [31]
    Article 88, II de la loi du 9 août 2004 (article L.1121-4 du code français de la santé publique).
  • [32]
    Article 90 V de la loi du 9 août 2004 (art. 1123-6 du code français de la santé publique).
  • [33]
    Hottois G., Parizeau M.H. op. cit., p. 72.
  • [34]
    Sur l’intérêt et les modalités de cet enregistrement, cf. De Angelis C., Drazen J.M., Frizelle F.A. et al. “Clinical trial registration: a statement from the International Committee of Medical Journal Editors”, Annals of Internal Medicine, 2004; 141: 477-8.
  • [35]
    Dossier « Nord-Sud : le dilemme des essais cliniques », La Recherche, mai 2001 ; 342 : 35.
  • [36]
    Déclaration d’Helsinki, Principes éthiques applicables aux recherches médicales sur les sujets humains (version 2000), Principes n°19 et n°30.
  • [37]
    Un médicament générique a la même composition qualitative et quantitative en principes actifs que le médicament original, même forme pharmaceutique et même équivalence de bio-disponibilité.
  • [38]
    Jusque là, le principe de la collaboration entre organismes gouvernementaux et firmes privées était plus ou moins acquis ; mais la démarche des laboratoires pharmaceutiques restait individuelle et très aléatoire. Notons cependant que 37 firmes pharmaceutiques qui avaient porté plainte en 1997 contre l’Afrique du Sud – qui entendait revoir sa législation pour favoriser l’importation de génériques – retirèrent leur plainte en l’an 2000 ; il en fut de même des États-Unis qui avaient attaqué le Brésil devant l’OMC – parce que la loi brésilienne prévoyait qu’un brevet qui n’était pas suivi dans les trois ans d’une production réelle tombait dans le domaine public – et qui retirèrent leur plainte.
  • [39]
    Rappelons qu’actuellement le chiffre d’affaires de ce marché est estimé à plus de 400 milliards de dollars dont 80 % relèvent des États-Unis, du Canada, de l’Europe et du Japon.
  • [40]
    Si le médecin investigateur ne connaît pas non plus cette appartenance, on parle d’un essai randomisé « en double aveugle ».
  • [41]
    Déclaration d’Helsinki, version 2000, Principe n°29.
  • [42]
    En 1993 déjà, le Comité Consultatif National d’Éthique s’était préoccupé du respect de l’éthique dans les conditions de coopération de recherché biomédicales entre équipes françaises et équipes de pays en voie de développement ; dans son avis n°41 du 18 décembre 1993, il avait suggéré d’établir une étroite collaboration entre comités d’éthiques de ces pays et un comité spécial en France auquel participeraient des experts de l’OMS ; ces comités jugeraient de concert du niveau de soins aux personnes à protéger dont l’exigence devait être maintenue : cf. CCNE, Éthique et recherche biomédicale, rapport 1993-1994, pp. 46-53. Cette proposition, semble-t-il, n’a pas eu de suite.
  • [43]
    Thouvenin D. « La loi du 20 décembre 1988 : loi visant à protéger les individus ou loi organisant les expérimentations sur l’homme ? », Actualité Législative Dalloz, 1989 ; 10e cahier : 89-104.
  • [44]
    Conseil économique et social, séance des 11 et 12 juin 1996, Claude Évin étant rapporteur, « Les droits de la personne malade », J.O. Avis et Rapports du CES, 16 juin 1996 ; n°16.
  • [45]
    Comité Consultatif National d’Éthique, Consentement éclair et information des personnes qui se prêtent à des actes de soin ou de recherche. Rapport et Recommandations n°58, 12 juin 1998. Cf : Les Cahiers du CCNE, octobre 1998 ; n°17.

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