Et si l’homme devait mourir... Paroles d’un médecin réanimateur, Jean Marie Fonrouge, Éditions Autrement, 2003, 135 p., 13 €
1Jean Marie Fonrouge est docteur en médecine et docteur en droit public. Longtemps réanimateur au Samu, il est actuellement enseignant dans des universités françaises et étrangères. Dans l’ouvrage qu’il vient de publier, c’est sa vie même qui nous est livrée. Il y exprime avec sincérité la grandeur et les faiblesses d’une profession, en plusieurs cahiers qui sont au centre de ses réflexions : le respect, l’espoir, l’annonce de la mort, la fin. Mais ce cadre ne peut pas être rigoureux face à l’intensité des situations vécues. Le lecteur appréciera les réflexions qu’ a posteriori elles suscitent.
2À travers une succession de témoignages, de véritables tranches de vie nous sont présentées lors de ces combats gagnés ou perdus contre la mort. Cette lutte de chaque instant, toujours auprès d’un malade très gravement atteint, est décrite avec ses résultats éphémères, ses tentatives réitérées et une persévérance plus forte que fatigue et découragement. Le réanimateur met en œuvre des gestes et des techniques invasives qui surprennent. Leurs conséquences, que lui-même ne maîtrise pas toujours, le contraignent à ne répondre que par des incertitudes à l’angoisse des proches, bouleversés par le drame familial.
3« Parler et écouter » sont les maîtres-mots qui conditionnent le respect. Souffrir de la détresse des familles, entendre leurs demandes, « accepter leurs choix », reflets habituellement fidèles des désirs du patient… Ainsi l’auteur, au-delà de ce corps à corps acharné, a perçu la puissance de l’amour et de la foi à l’œuvre chez beaucoup. Il trouve les mots appropriés pour exprimer ses réactions personnelles et celles-ci ne peuvent nous laisser indifférents.
4En cours de réanimation, des doutes s’installent… Faut-il poursuivre la lutte pour ce grand vieillard en long séjour, qui n’espérait plus rien de la vie et se laissait « glisser », alors que survient un autre appel pour un patient beaucoup plus jeune… Et combien de fois… « jusqu’à quand essayer, jusqu’à quand c’est raisonnable ? » Une réponse peut-être : « jusqu’où on se battrait pour les siens. »
5Faiblesses humaines ! Nous découvrons aussi des conduites aberrantes ou des obligations administratives absurdes. Mieux vaut ne pas s’y attarder.
6Deux postfaces concluent cet ouvrage. Dans la première, Didier Truchet, professeur de Droit, souligne combien les paroles de Jean Marie Fonrouge nous font vivre la solitude profonde qui est la sienne dans son action. Responsable, il peut aussi être amené à répondre de ses actes devant un juge. C’est alors, ajoute Didier Truchet, « du dialogue entre le médecin et le malade et ses proches que naît la meilleure prévention du contentieux. »
7L’autre postface est signée par le Docteur Xavier Emmanuelli, Président du Samu social de Paris. Il évoque cette « médecine aux frontières extrêmes de la vie » ; Jean Marie Fonrouge, dit-il, « patrouille sur ces marches symboliques porteuses de toutes les hantises de l’histoire » et il « se tient au seuil de ces portes ».
8Mais, sur ce seuil, l’auteur ne piétine pas ; nous savons qu’il agit. À ses confrères, il confie, comme une exigence, traduite ainsi par Didier Truchet : « Parlez… au patient s’il se peut, aux proches ; accordez-leur cette part d’humanité… que le médecin leur doit, autant qu’il se la doit. »
9Roger Ducarre
Écrits sur la médecine, Georges Canguilhem, Éditions du Seuil, 2002, 125 p., 14 €
10Ce livre réunit cinq écrits de Georges Canguilhem (1904-1995), soit une grande partie de son œuvre sur la médecine. Initialement parus de 1955 à 1988 mais devenus difficiles à se procurer, ces textes ont été rédigés à l’occasion de conférences ou directement destinés à l’écrit. Leur intérêt justifie qu’ils soient réédités. La teneur des titres de ces textes montre l’hétérogénéité des thèmes abordés : « L’idée de nature dans la pensée et la pratique médicale » ; « Les maladies » ; « La santé : concept vulgaire et question philosophique » ; « Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? » ; « Le problème des régulations dans l’organisme et dans la société ». Cependant, l’unité de ce recueil tient en ce qu’il y est question d’histoire et de philosophie de la médecine.
11La profondeur des analyses et l’érudition de Georges Canguilhem, la rigueur et la saveur de son style, limpide mais exigeant pour le lecteur, font recommander la lecture de cet ouvrage pour qui souhaite ouvrir son esprit à la « critique de la raison médicale » à laquelle il nous invite.
12Dominique Poisson
Expiation de Ian Mc Ewan, Roman traduit de l’anglais, Gallimard, 2003, 488 p., 24,50 €
13Ian Mc Ewan est né en Angleterre en 1948. Il est considéré comme l’un des écrivains anglais les plus doués de sa génération et ses œuvres précédentes ont reçu des prix internationaux, Whitbread Novel, Femina étranger en 1993, Booker Prize en 1998. On retrouve dans « Expiation » l’un de ses thèmes favoris : le sentiment de culpabilité ; mais l’atmosphère du livre est moins terrifiante et destructive que celle de ses romans précédents, « L’enfant volé », « Les chiens noirs » ou « Les délires d’amour », pour ne citer qu’eux.
14Nous sommes dans la campagne anglaise en 1935, où règne, en ce mois d’août, une chaleur caniculaire. Cette canicule, ce dérèglement de la nature qui précède les orages de la guerre et le dérèglement de l’histoire est-elle une des causes de l’embrasement des cœurs ?
15L’adolescente Briony surprend les amours de sa sœur aînée, Cécilia, avec Robbie, le fils d’une domestique, ami d’enfance et brillant camarade d’université de Cécilia.
16La trame peut paraître banale : l’amour de la princesse et du berger, l’ambition d’une petite fille qui veut jouer un rôle dans la comédie humaine des adultes. Par un acte dont elle comprend mal la gravité, l’adolescente va décider du destin de trois êtres. Nous les retrouverons pris dans la tragédie de la guerre et le livre s’achève en 1999, quand l’enfant devenue une vieille dame peut lier les fils de toute une vie.
17Le talent de Ian Mc Ewan réside dans son aptitude à dépeindre la psychologie de ses personnages, notamment l’ambiguïté de cet âge transitoire entre l’enfance et la maturité. Si le destin d’un individu peut basculer en un instant, si le bonheur est fragile, si les souvenirs sont douloureux, si les erreurs ne peuvent être effacées, chaque être possède un « noyau dur » que ni la cruauté de l’Histoire, ni les vicissitudes de la vie ne peuvent entamer.
18« Expiation » est un grand roman qui continue à nous habiter et à nous interroger, la dernière page achevée.
19Catherine Audras