Laennec 2004/1 Tome 52

Couverture de LAE_041

Article de revue

Projet humanitaire au Pérou : espoirs et difficultés

Pages 46 à 52

Notes

  • [1]
    Élise Antone, Édouard Lefèvre, Perrine de Gromard, Rosalie Vilain, Marie Vincent.

1Notre groupe d’étudiants en médecine est parti au Pérou plein de ferveur et d’ambitions pour accomplir une mission humanitaire. Nous avons été accueillis par un prêtre français d’Amiens, en mission sur place : Humberto Boulangé. Rencontré par l’intermédiaire d’Internet, il nous a été d’une grande aide matérielle et spirituelle dans la conduite de notre projet, pour approcher la pauvreté et la vie dans les quartiers périphériques de Lima. Cette première expérience d’action humanitaire nous a beaucoup apporté ; elle a fait évoluer nos idées, parfois surfaites ou préconçues. À travers une mission de sensibilisation des enfants à l’hygiène personnelle et, plus largement, grâce aux échanges que nous avons eus avec cette population démunie, nous avons été conduits à nuancer notre sentiment de générosité.

Le projet : naissance et maturité

2Rendez-vous était pris à l’aéroport de Roissy, le 24 juin 2003, pour un départ en fin d’après-midi. Nous nous sommes rencontrés tous les cinq dans notre faculté de médecine, en deuxième année à Broussais Hôtel-Dieu [1]. Ce projet nous a demandé six mois de recherches, réflexions et démarches. Pourquoi le Pérou ? Ce que nous allions faire importait plus que le lieu de la mission : c’est grâce au contact établi avec le père Humberto que nous avons atterri à Lima. Mais qu’y faire ? Nos compétences, très limitées au terme d’une deuxième année de médecine, ne nous permettaient pas d’envisager véritablement un « projet de santé ». Grâce aux nombreux mails échangés, nous avions déjà beaucoup appris sur la situation du quartier dans lequel travaille Humberto : assez pauvre, les enfants y sont livrés à eux-mêmes car l’école ne dure que la moitié de la journée. Nous avons choisi d’aborder le problème en amont, à travers une action de prévention concernant l’hygiène des enfants. Nous pensions, d’une part, que la prévention est la meilleure façon d’éviter les maladies, d’autre part que l’hygiène et le respect de soi sont les premières attitudes à mettre en valeur ; et les enfants sont les cibles idéales d’une mission d’éducation à l’hygiène. Mais nous n’étions pas complètement satisfaits d’entreprendre une action d’enseignement ; l’efficacité d’une telle démarche est en effet difficilement évaluable. Nous avons donc donné une seconde orientation à notre projet. Le manque d’eau nous semblant être la cause principale d’une mauvaise hygiène, nous allions évaluer la possibilité d’apporter de l’eau potable à un quartier spécialement défavorisé : Santa Rosa.

3Une collecte nous a permis de rassembler des fonds ; nous voulons ici remercier l’association des Amis de Laennec et le Crous, qui nous ont octroyé des bourses, et aussi les anonymes qui ont répondu à la quête effectuée dans les supermarchés ou à notre offre de paquets-cadeaux, à Noël.

Réalisation du projet de prévention

4Nous avons tout de suite travaillé en étroite collaboration avec la pastorale sociale ; ce groupe de personnes effectue au sein de la paroisse des missions de prévention Sida, des campagnes de vaccination et d’évaluation des problèmes de dénutrition chez les enfants, etc.

5Après une dizaine de jours passés à Lima, nous avons démarré notre campagne d’éducation à l’hygiène. Elle s’articulait autour d’un jeu destiné aux enfants de 8 à 13 ans, qui comportait deux parties. Tout d’abord, chacun de nous prenait contact avec un petit groupe d’enfants, sondant leur niveau d’éducation et leur connaissance des règles d’hygiène de base ; puis, en partant d’images simples, par exemple celle des bactéries qui, ingérées lorsqu’on ne se lave pas les mains avant le repas, donnent des diarrhées, nous entamions une réflexion sur le respect par chacun de son propre corps, pour aboutir finalement à la question de la santé. Nous avons fabriqué un puzzle qui représentait les différentes étapes de l’hygiène personnelle avant et après dîner. C’était un support de réflexion et un bon moyen de leur faire enregistrer visuellement la chronologie reprise ensuite dans le relais. Après un quart d’heure d’échanges, celui-ci commençait : chaque enfant se lavait successivement les mains, la figure, puis les dents, en parcourant les stands que nous tenions aux coins de la cour de récréation. À la fin du jeu, tous gagnaient une brosse à dents, un dentifrice et un savon.

6En deux semaines, nous avons organisé ce jeu pour 500 enfants environ. L’aspect ludique s’est révélé un bon mode d’enseignement et le message semblait être relativement bien reçu. Nous avons procédé à une évaluation dans une école ; aux questions « Pourquoi faut-il se laver les dents, les mains ? Quand le faites-vous ? », les enfants donnaient souvent des réponses justes.

7Malgré tout, un certain pessimisme nous inclinait à penser que nous n’atteignions pas le concret de leur vie par cette démarche ponctuelle, presque anecdotique. Le père Humberto, très occupé, a pourtant su être présent dans ces moments de doute. Il nous a proposé de considérer la situation en changeant totalement de perspective : quitter le monde occidental de l’efficience, du rapport qualité de réception du message / énergie investie, pour adopter une dynamique plus adaptée à un travail avec les Péruviens. Il ne s’agissait plus d’apprécier chaque action à l’aulne de son rendement ; nous nous attaquions à un problème lourd, qui exigeait beaucoup de modestie dans l’attente de résultats. Modifier les habitudes d’une population est une entreprise de longue haleine, qui pouvait sembler presque désespérante tant notre influence était pauvre en retombées concrètes.

8Dépassant le seul cadre de notre action, nous nous sommes alors attachés à la dynamique générale dans laquelle nous nous inscrivions : une campagne d’éducation à l’hygiène était en cours dans de nombreuses écoles. Nous apportions ainsi notre petite pierre à la construction d’une société plus viable et moins défavorisée dans le tiers-monde. Grâce à cette modestie, nous avons suscité moins de défiance et avons pu finalement être mieux acceptés.

Le vrai problème : l’accès à l’eau

9Nous avons ensuite réfléchi aux problèmes de santé liés à l’eau. Le père Humberto nous avait emmenés à Santa Rosa où nous avions effectué quelques après-midis de prévention avec les enfants du quartier. Celui-ci a été « envahi » ces dernières années par quelque 500 familles venues des campagnes péruviennes chercher un emploi à Lima. Leur situation étant illégale, seule une piste escarpée conduit à Santa Rosa et l’on y accède difficilement. Un grand portail empêche l’arrivée de nouvelles populations qui accroîtraient encore la densité déjà excessive. Franchi celui-ci, la misère est flagrante.

10Le problème de l’eau doit être vu sous un double aspect : celui de la qualité et celui de la facilité d’accès. À Santa Rosa, comme dans de nombreux bidonvilles, la qualité est médiocre et l’accès restreint. Des entreprises privées vendent l’eau aux familles ; elle est acheminée par camions citernes (en général, un fût par maison et par jour) après avoir été puisée dans un lieu plus ou moins insalubre, la plupart du temps sans qu’elle soit chlorée. Nous avons été reçus par un employé de l’entreprise de distribution d’eau la plus sérieuse (Sedapal) qui garantit à ses abonnés une qualité d’eau constante. Il nous a exposé les différents systèmes de distribution d’eau dans les quartiers pauvres de Lima desservis par ses camions. Un projet pour l’année prochaine serait de rallier Santa Rosa à ce réseau d’eau potable. Mais cela soulève des problèmes juridiques, car le quartier n’a pas encore d’existence légale. Affaire à suivre…

11Nous avons ensuite rencontré une organisation non gouvernementale péruvienne spécialisée dans les questions de l’eau. Ces personnes nous ont expliqué leur travail sur un quartier du cône Sud de Lima. Des réservoirs de 30 m3 distribuent de l’eau de Sedapal dans chaque ruelle. Parallèlement, l’organisation a instauré un système de purification de l’eau de table par le chlore. Nous avons commencé à collaborer au développement de leur campagne de chloration de l’eau par les pastilles « Clarito » ! Cette opération devrait se concrétiser en Juillet 2004.

12C’est en nous inspirant de ces exemples et de ces conseils que nous avons développé notre projet pour le quartier de Santa Rosa. Nous avons réuni les habitants afin de leur soumettre notre proposition, qui a été diversement accueillie. Par souci de neutralité, nous nous sommes adressés au président de l’association de Santa Rosa et à sa concurrente directe aux élections municipales. Très intéressés, ils nous ont l’un et l’autre suggéré la construction d’un réservoir public qui distribuerait l’eau à trois lavabos et douches communes, sur la place principale. Cette situation, entre le futur marché et l’école, serait en effet idéale. Nous avons ensuite exposé ce projet au maire de la commune qui l’a également accueilli avec enthousiasme. Elle nous a proposé d’y contribuer en subventionnant la main d’œuvre pour la construction du réservoir. Mais l’accueil des villageois s’est révélé très différent, car leur préoccupation majeure pendant notre séjour était le raccordement au réseau électrique. En effet, depuis quelque temps, deux propriétaires de groupes électrogènes faisaient payer cher les deux ou trois heures d’électricité, le soir. Cependant, nous avons fait dessiner le réservoir par un ingénieur et nous disposons aujourd’hui du plan. Nous avons confié notre projet à Pocho, un membre de la Pastorale Sociale qui fut très proche de nous dans toutes nos actions et qui reste notre lien principal avec Santa Rosa. Celui-ci nous a conseillé d’attendre la fin des élections municipales pour éviter que notre collaboration avec l’un ou l’autre des partis du quartier ne serve d’argument électoral. À cette date, les élections n’ont toujours pas eu lieu. Et nous attendons donc impatiemment que commence la construction du réservoir…

13D’autres problèmes sont tout aussi incontournables : les rues du quartier ne sont encore que des traits à la chaux sur la terre, entre les maisons, et le local communal qui nous est théoriquement réservé sur la place publique n’est pas encore réellement délimité. Nos conversations récentes avec Pocho montrent que les choses avancent lentement… mais les élections sont repoussées.

14Nous nous sommes heurtés à beaucoup plus de problèmes que nous ne l’imaginions en nous lançant dans ce projet pour le quartier de Santa Rosa. Comme les personnes avec qui nous avons travaillé, nous avions la conviction qu’il était souhaitable que le réservoir soit construit par les gens du quartier qui en seraient directement bénéficiaires. Cette démarche devait permettre aux habitants de s’approprier le bien, qu’ils traiteraient par la suite avec respect et soin, qu’ils entretiendraient… Mais jusqu’où est-il bon de « materner » une population à laquelle nous voulons apporter une aide ? Jusqu’où vont nos convictions humanistes pour nous permettre, sans mépriser l’autre, de mettre en œuvre une dynamique qui le motivera à utiliser les biens que nous lui apportons ?

15Par ailleurs, en apportant l’eau fournie par la société Sedapal, nous créons un besoin, car cette eau est plus chère que celle actuellement consommée à Santa Rosa (1,5 soles/m3, contre 1 sole – soit 0.3 € – actuellement). Il nous faudra donc envisager toute une campagne de sensibilisation à la qualité de l’eau, et nous nous heurterons vraisemblablement à bien des réticences…

16Un projet qui vise à améliorer les conditions de vie et d’hygiène d’une population défavorisée, de culture et de traditions très différentes de la nôtre, est difficile à mettre en œuvre. Avant tout, il importe de s’intéresser à l’histoire de l’autre, de savoir l’écouter et le comprendre.

17Ce voyage aura été riche d’enseignements pour chacun de nous : tenter ainsi de partager quelques règles de base de notre mode de vie nous a permis aussi de prendre de la distance par rapport à notre propre éducation.


Date de mise en ligne : 01/01/2012

https://doi.org/10.3917/lae.041.0046

Notes

  • [1]
    Élise Antone, Édouard Lefèvre, Perrine de Gromard, Rosalie Vilain, Marie Vincent.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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