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Article de revue

In memoriam : Jean-Claude Rivierre (1938-2018)‪

Pages 611 à 620

Notes

  • [1]
    ndlr. – Nicolas Rivierre, à la lecture de ce texte, apporte une précision : « Concernant le retour, ma mère, alors enceinte, et moi sommes rentrés en France début 1967. Mon père un peu plus tard, mais il était présent en mai 1967 pour la naissance de mon frère David. Il venait de débuter son service militaire, assez tardivement, car il avait alors 28 ans. » (mail du 06/10/2018). Nos remerciements aussi à Nicolas pour les photos qu’il a fournies.
  • [2]
    Le lacito a joué un rôle fondamental pour le développement des recherches linguistiques et anthropologiques sur la Nouvelle-Calédonie, grâce à André-Georges Hadricourt puis aux Rivierre.
  • [3]
    « Pour nous, c’est un ami cher, un compagnon de recherche et un co-disciple d’Haudricourt qui disparaît. » (Luc et Jacqueline, 07/01/2018)
  • [4]
    Nous présentons d’abord les écrits où Jean-Claude est en premier auteur, puis par ordre alphabétique du premier auteur, le tout du plus récent au plus ancien.

In memoriam : Jean-Claude Rivierre (1938-2018), par Alain Saussol

1La récente disparition de Jean-Claude Rivierre, une décennie après celle de Françoise, me touche comme la perte d’un ami proche. Nous étions de la même génération et nous avions commencé nos recherches comme stagiaires du cnrs au même moment en Nouvelle-Calédonie.

2J’ai rencontré Jean-Claude et Françoise Rivierre à Nouméa le 1er janvier 1965. Ils avaient débarqué le matin même du paquebot-mixte des Messageries maritimes L’Océanien où Jean Guiart était venu les attendre. Comme j’étais arrivé en Calédonie trois semaines plus tôt et que j’avais commencé à y faire mon trou, J. Guiart m’avait demandé de m’occuper d’eux les premiers jours.

3Jean-Claude, élève d’Haudricourt, était venu étudier les langues mélanésiennes. Il emmenait avec lui sa femme Françoise et son fils, Nicolas, âgé d’un an. Françoise avait été une élève de Jean Guiart qui, peu porté aux dithyrambes, s’en souvenait comme de l’une de ses meilleures étudiantes. C’est ce qu’il m’avait glissé en m’annonçant leur prochaine venue.

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Photo 1. – Jean-Claude et Françoise Rivierre

Figure 0

Photo 1. – Jean-Claude et Françoise Rivierre

lieu et date inconnus, coll. de la famille Rivierre

5Jean-Claude était un grand échalas, sérieux, austère que l’on pressentait d’emblée plus adepte de l’humour froid que de la franche rigolade. C’était un homme d’une rigueur morale et scientifique qui inspirait spontanément confiance. Françoise, dévouée à la double cause linguistique et mélanésienne, était plus chaleureuse, plus communicative. Le contact avec les autres passait par elle. Ils étaient complémentaires. Du moins est-ce ainsi qu’ils me sont apparus.

6Ayant réglé les dernières formalités et achevé leurs ultimes préparatifs, les Rivierre ne se sont guère attardés à Nouméa. Une douzaine de jours après leur débarquement, ils prenaient le bus pour la circonscription de Touho, avec en charge la confection du dictionnaire de la langue cèmuhî.

7Ils ont ainsi disparu pendant plusieurs mois, basculant dans une autre vie.

8Ils pratiquaient l’immersion totale dans leur terrain, vivant continuellement en tribu avec leur enfant, sous le jugement à vrai dire plutôt réprobateur d’une société nouméenne encore imprégnée de préjugés coloniaux. Mais cela leur permettait une découverte intime du monde mélanésien que peu de chercheurs en sciences humaines de cette époque partageaient, si ce n’est de rares ethnologues comme Jean Guiart ou Pierre Métais. De plus, ils avaient sur les gens et les choses le double regard, côté homme et côté femme, du chercheur puisque lui et son épouse l’étaient tous deux et, par ses contacts directs avec les autres femmes, facilitait leur intégration et élargissait leur champ commun d’investigation et de connaissance.

9J’en bénéficiais à leurs rares retours de brousse, retours toujours brefs et espacés.

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Photo 2. – Jean-Claude Rivierre et Françoise Ozanne-Rivierre sur le terrain, chefferie de Poyes : Jean-Claude est attablé avec le vieux chef coutumier Atéa Bulieg

Figure 1

Photo 2. – Jean-Claude Rivierre et Françoise Ozanne-Rivierre sur le terrain, chefferie de Poyes : Jean-Claude est attablé avec le vieux chef coutumier Atéa Bulieg

date inconnue, coll. de la famille Rivierre

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Photo 3. – Jean-Claude Rivierre et Françoise Ozanne-Rivierre sur le terrain, chefferie de Poyes : Françoise, dans la cuisine, est assise par terre avec deux femmes dont l'épouse du chef

Figure 2

Photo 3. – Jean-Claude Rivierre et Françoise Ozanne-Rivierre sur le terrain, chefferie de Poyes : Françoise, dans la cuisine, est assise par terre avec deux femmes dont l'épouse du chef

date inconnue, coll. de la famille Rivierre

12Quand nous nous retrouvions, après plusieurs mois d’absence, il y avait toujours quelque chose à glaner. Me revient le souvenir d’un repas dans un restaurant de Nouméa où, revenant de Wanash, la conversation roulait sur la chefferie Bouarate de Hienghène. Alors qu’incidemment j’évoquais leurs expéditions d’antan contre les Pouébo, je revois Jean-Claude soudain m’interrompre et s’adresser à Françoise pour lui rappeler une comptine que chantait à son enfant une femme de Wanash. Sur quoi, il se met à fredonner quelques mots en cèmuhî qu’il traduit : « nous irons manger des cocos à Pouébo… ». Soudain, c’est une révélation : la guerre, les cocotiers abattus et l’orgie de cocos qui devait s’en suivre donnaient son sens à cette comptine retrouvant l’Histoire à laquelle elle devait probablement son origine. Moment insolite et captivant.

13Nous avions aussi des conversations plus légères. Je ne sais plus qui, avant de partir en brousse, lui avait conseillé d’acheter un vélo. L’intention était louable. Il s’agissait d’accroître son champ d’action en facilitant ses déplacements de proximité.

14Malheureusement, Jean-Claude est parti pour Wanash au pire moment pour un vélo, en janvier, en pleine saison des pluies, terrible sur les pistes de terre de ce littoral nord-est où s’abattent des records de pluviosité. Aussi, à son premier retour à Nouméa, ai-je eu droit à l’entendre pester contre ce vélo et, plus encore, contre le conseilleur si mal inspiré. Par la suite, avec la belle saison, le vélo a dû trouver grâce, à moins que le cycliste ne se soit résigné, voire qu’il l’ait revendu. Le fait est qu’il n’en a plus parlé.

15Soutenu par Françoise, Jean-Claude était un infatigable travailleur, passionné par sa recherche qu’il vivait telle une ascèse au point parfois d’y sacrifier sa santé.

16En même temps qu’il menait à bien son dictionnaire et l’étude des langues, Jean-Claude enregistrait et traduisait des récits, recueillait des contes, accumulant une masse de données orales à exploiter plus tard à son retour en France. Dans cette ample moisson figurent, sauvées de l’oubli, de précieuses traditions orales promises à devenir des documents irremplaçables pour la connaissance de la version mélanésienne de l’histoire coloniale. J’aurai l’occasion de profiter plus tard d’un texte éclairant signé de Jean-Claude et d’Alban Bensa, resté non publié, parlant d’un traquenard tendu en 1862 aux protagonistes d’une révolte à Wagap. Une contribution de la linguistique à l’Histoire, démonstration parmi bien d’autres de l’interdépendance et de la complémentarité des sciences humaines.

17Après Touho viendra un séjour dans l’extrême sud et à l’île des Pins région de grande diversité linguistique et, pour finir, aux Nouvelles-Hébrides, avant de rentrer en France, mission accomplie, dans les premiers mois de 1967 [1]. Un long voyage initiatique, prélude à une vie de recherche qui fera largement progresser la connaissance non seulement des langues mais de toute une culture orale mélanésienne jusque-là peu connue.

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Photo 4. – Alphonse Mapou, informateur de Jean-Claude Rivierre écoutant un enregistrement qu’il a fait dans les années 1965-70 à Unia (Yaté)

Figure 3

Photo 4. – Alphonse Mapou, informateur de Jean-Claude Rivierre écoutant un enregistrement qu’il a fait dans les années 1965-70 à Unia (Yaté)

© Leblic, avril 1985

In memoriam : Jean-Claude Rivierre (1938-2018), par Isabelle Leblic

19J’ai été très touchée par l’annonce du décès si inattendu de Jean-Claude que j’aimais beaucoup. Il plaisantait avec moi encore au labo juste avant Noël… Il y venait pour finir d’archiver tous ses documents en les numérisant pour que cela puisse être utile après lui mais, malheureusement, il n’a pas pu finir ce travail car la mort l’a fauché trop tôt et sans prévenir. C’était un grand homme, un grand linguiste, reconnu internationalement, et un homme sincère. Il a toujours été pour moi un soutien important lorsque je débutais ma carrière et n’avais pas toujours celui de ceux que j’aurai pensé les plus proches.

20Avec sa défunte femme, Françoise, ils ont tous deux fait beaucoup pour les langues kanak et ont été à l’origine de nombreuses recherches. C’est grâce à lui que je suis rentrée au laboratoire de Langues et civilisation à tradition orale (lacito) en 1982, quand j’ai commencé à travailler sur la Nouvelle-Calédonie, et où j’ai fait toute ma carrière depuis que je suis entrée au cnrs en 1991. C’est une grande perte pour nous tous.

21Avec eux deux, j’ai partagé non seulement des moments sur le terrain en Nouvelle-Calédonie mais aussi d’autres moments plus festifs : des vacances à la montagne (près de Courchevel avec leur fils David), ou à Morzine-Montrions avec mon fils Romain quand il était très jeune ; des week-ends ou des réveillons du Nouvel An à Retheuil… tant de bons moments partagés que je n’oublierai pas.

22On a partagé aussi de nombreuses discussions à Villejuif quand je rencontrais des difficultés avec mon fils ado qui était bien difficile, d’autres par rapport à sa petite-fille qui rencontrait des difficultés scolaires… des échanges qui font souvent du bien aux personnes dans la difficulté. On parlait aussi de la maison en Normandie, de la mienne en Bretagne…

23Ces derniers temps, nous avons eu de nombreux échanges quant à la situation en Nouvelle-Calédonie, le référendum à venir, son avenir… Car il a été aussi de ceux qui se sont engagés au côté du peuple kanak et je me souviens d’avoir été à Poindimié en même temps que Jean-Claude et Françoise alors que, pendant les Événements, ils faisaient un stage pour aider les animateurs des écoles populaires kanak (epk).

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Photo 1. – Antoine Oudodopoé Pwèhènèbé, De l’enquête à la publication

Figure 4

Photo 1. – Antoine Oudodopoé Pwèhènèbé, De l’enquête à la publication

25Jean-Claude était un grand linguiste qui a su rester si modeste et effacé. Les honneurs ne l’intéressaient pas plus que cela ; il voulait faire son travail tranquillement et avec honnêteté. Il va nous manquer… comme Françoise avant lui. J’étais en mission en Nouvelle-Calédonie quand elle est partie et je n’ai pas pu l’accompagner, et je le regrette bien.

26Aujourd’hui, les messages reçus en réponse à l’annonce de son décès, montrent comment ils étaient tous deux très appréciés et respectés ici et là-bas. Quelques extraits des mails venus du pays :

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« Voilà une bien douloureuse nouvelle que tu nous annonces là! Encore plus que le linguiste à qui nous devons tant, c’est un ami d’un grand cœur que j’appréciais beaucoup et dont j’estime être chanceuse d’avoir croisé le chemin et partagé bien des moments à vos côtés que nous perdons. Mes plus belles pensées l’accompagnent sur sa route vers le monde des ancêtres où il rejoint Françoise et tous ceux de la grande famille que nous formons partis avant lui. » (Poapy, 09/01/2018)
« Bien triste nouvelle que ce départ de Jean-Claude, très discret dans sa vie, dans son travail dans son engagement et très compétent dans son travail de linguiste, notamment sur les langues kanak de Nouvelle-Calédonie. » (Wass, 08/01/2018)
« Une nouvelle bien triste pour la Calédonie !! Ce qu’ils ont fait, lui et son épouse, pour nos langues sont inestimables et nous leur sommes à jamais redevables pour le travail énorme accompli en Nouvelle-Calédonie ! Un Grand Homme ce Jean-Claude rempli d’humilité, accessible et toujours disponible !…] c’en est une bien grande perte pour nous aussi ici en Kanaky ! » (Fabrice, 09/01/2018)

28Jean-Claude Rivierre, linguistique spécialisé des langues kanak de Nouvelle-Calédonie et de la reconstruction, a fait toute sa carrière au lacito[2] cnrs dont il fut directeur d’ailleurs de 1991 à 1994. Formé par Jacqueline Thomas [3] et André Martinet, puis par André-Georges Haudricourt qui l’initia à la Nouvelle-Calédonie. Il a commencé sa carrière par l’étude des langues tonales du sud de la Nouvelle-Calédonie, puis il continua par l’étude des langues paicî, cèmuhî, pije – toutes tonales – et bwatoo. Il publia des monographies, grammaires et dictionnaires, des articles scientifiques et des recueils de littérature orale sur ces diverses langues kanak, ainsi que sur la tonogénèse, ces phénomènes phonologiques conduisant à l’apparition des tons. Il a en outre déposé de nombreuses archives orales sur le site du lacito (http://lacito.vjf.cnrs.fr/pangloss/corpus/search.php?term=&participant=Rivierre,+Jean-Claude&langue=*&type=*).

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Carte linguistique des langues kanak notant les recherches de Françoise et de Jean-Claude

Figure 5

Carte linguistique des langues kanak notant les recherches de Françoise et de Jean-Claude

© cnrs-lacito

30J’ai rencontré Jean-Claude Rivierre la première fois sur le site d’Ivry du cnrs où le lacito avait alors quelques bureaux, dans la fin des années 1970 alors que j’était étudiante en anthropologie à Paris 5 et collaborais à Paris 8 avec un anthropologue péruvien avec qui je devais partir au Pérou pour faire mon terrain de maîtrise. Je ne suis jamais partie au Pérou et j’ai commencé des recherches sur la Nouvelle-Calédonie en réponse à des appels d’offre pendant que je terminais ma thèse en anthropologie maritime sur la Bretagne. C’est donc tout naturellement que je fus accueillie au lacito dès 1982 en lien avec mes recherches naissantes. Cette rencontre fut facilitée aussi par Alban Bensa qui enseignait à Paris 5 à l’époque.

31En raison de cette implication sur l’extrême-Sud de Nouvelle-Calédonie, j’ai travaillé avec lui, commençant mes recherches sur les clans-pêcheurs de l’île des Pins et de Goro. Il me confia d’ailleurs des lexiques non publiés en drubea, kwényïï, numèè pour l’île des Pins et Goro. Et cela me fut des plus utiles pour démarrer mes recherches sur ces sociétés kanak.

32Il m’est arrivé durant mon terrain à Goro en 1985-1986 de circuler avec lui auprès de plusieurs de ses anciens informateurs et j’ai pu voir comment il avait marqué la mémoire de tous les gens avec qui il avait travaillé. J’ai vu aussi nombre de Kanak étudiants en France et des générations suivantes venir le voir au lacito pour récupérer les enregistrements faits au près de leurs vieux. À l’époque, les choses n’étaient pas numérisées ni disponibles en ligne comme elles le sont maintenant. C’est ainsi aussi qu’il a travaillé avec Clément Vendégou pour reprendre le manuscrit de dictionnaire qui est malheureusement resté non publié suite au décès dans un accident de voiture de Clément.

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Document 1. – Poème en paicî présenté avec l’écriture phonétique, l’écriture proposée et la traduction

Figure 6

Document 1. – Poème en paicî présenté avec l’écriture phonétique, l’écriture proposée et la traduction

https:// lacito.vjf.cnrs.fr/expos/oralecrit/enqueteapublication.htm

34Au cours d’un de mes terrains dans la région de Poindimié, j’ai aussi vu comment lui et sa femme, Françoise Ozanne-Rivierre, s’étaient investis pour former les maîtres à l’enseignement des langues kanak et à leur écriture, à réaliser des abécédaires sur le paicî ou autres langues avec les stagiaires, pour élaborer des matériaux pédagogiques pouvant servir d’appui à leur enseignement dans les classes en l’absence de tout matériaux. Cette formation était, si je me souviens bien, à la demande de la région Nord de l’époque, en rapport avec le mouvement des écoles populaires kanak qui prônaient l’enseignement en langue vernaculaire.

35Jean-Claude comme Françoise ont passé leur vie de chercheurs à la description de ces langues kanak et à transmettre au lacito ou sur place leur savoir pour aider à l’enseignement et à la recherche. Ils ont également transmis de nombreuses données, fruits de leurs recherches, à l’adck. Partout où je suis passée pour mes recherches, la mémoire de Jean-Claude comme de Françoise était vivace et respectueuse tant ils ont marqué les gens avec lesquels ils ont travaillé et habité sur le terrain.

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Photo 2. – Alphonse Mapou, devant chez lui à Unia (Yaté) avec sa petite-fille, Alphonsine Mapou, femme de Clément Vendégou de Goro chez qui j’habitais et avec qui Jean-Claude a travaillé

Figure 7

Photo 2. – Alphonse Mapou, devant chez lui à Unia (Yaté) avec sa petite-fille, Alphonsine Mapou, femme de Clément Vendégou de Goro chez qui j’habitais et avec qui Jean-Claude a travaillé

© I. Leblic, avril 1985

37Leur vie passionnée de chercheurs engagés auprès des Kanak et de leurs langues est digne de respect. Je ne suis pas convaincue que les générations plus récentes de chercheurs, qui n’ont pas connu les Événements qui ont secoué le pays de 1984 à 1988, aient le même niveau d’investissement professionnel comme personnel.

38Jean-Claude est parti rejoindre le monde des ancêtres où il va retrouver Françoise et David, et tous ses parents et amis décédés. Souhaitons qu’il y repose en paix.

Bibliographie des travaux de Jean-Claude Rivierre[4]

Monographies linguistiques et autres ouvrages

39Rivierre Jean-Claude, Sabine Ehrhart avec la coll. de Raymond Diéla, 2006. Le bwatoo et les dialectes de la région de Koné (Nouvelle-Calédonie), Paris-Leuven, Peeters, Langues et cultures du Pacifique 17, 502 p.

40Rivierre Jean-Claude avec la coll. de Clément Vendégou, ms, nd. Dictionnaire numèè–français.

41Rivierre Jean-Claude, 1994. Dictionnaire cèmuhî-français, suivi d’un lexique français-cèmuhî, Paris, Peeters, 543 p.

42Rivierre Jean-Claude, 1983. Dictionnaire paicî-français, suivi d’un lexique français-paicî, Paris, Société d’études linguistiques et anthropologiques de France, 375 p.

43Rivierre Jean-Claude, 1980. La langue de Touho. Phonologie et grammaire du cemuhi (Nouvelle-Calédonie), Paris, Société d’études linguistiques et anthropologiques de France, 363 p.

44Rivierre Jean-Claude, Françoise Ozanne-Rivierre et Claire moyse-faurie, 1980. Mythes et contes de la Grande-Terre et des îles Loyauté (Nouvelle-Calédonie), Paris, Société d’études linguistiques et anthropologiques de France, 225 p., carte.

45Rivierre Jean-Claude, 1973. Phonologie comparée des dialectes de l’extrême-sud de la Nouvelle-Calédonie, Paris, Société d’études linguistiques et anthropologiques de France, 214 p.

46Bensa Alban et Jean-Claude Rivierre, 1995. Les filles du rocher Até : Contes et récits paicî, Nouméa, adck, coll. Patrimoine kanak de la Nouvelle-Calédonie.

47Bensa Alban et Jean-Claude Rivierre (éds), 1983. Histoires canaques, Paris, Conseil international de la langue française-Edicef, 159 p., ill. h.t.

48Bensa Alban et Jean-Claude Rivierre, 1982. Les Chemins de l’alliance : L’organisation sociale et ses représentations en Nouvelle-Calédonie (région de Touho - aire linguistique cèmuhî), Paris, Société d’études linguistiques et anthropologiques de France, 586 p.

49Haudricourt André-Georges, Jean-Claude Rivierre, Françoise Ozanne-Rivierre, Claire Moyse-Faurie et Jacqueline de La Fontinelle, 1979. Les langues mélanésiennes de Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Direction de l’enseignement catholique (dec), bureau psychopédagogique, 105 p.

50Thomas Jacqueline M.C., Simha Arom, Jean-Pierre Caprile, G. Dournon-Taurelle, Aurore Monod, Suzy Platiel, Jean-Claude Rivierre et C. Venot, 1971. Questionnaires thématiques, Enquête et description des langues à tradition orale 5, Paris, selaf, 139 p., tabl., fig., 27 pl. dessins.

Articles dans des revues ou chapitres d’ouvrages

51Rivierre Jean-Claude, 2011. André-Georges Haudricourt et la phonologie : la phonologie panchronique en perspective, Le Portique 27, document 2 (http://journals.openedition.org.inshs.bib.cnrs.fr/leportique/2534).

52Rivierre Jean-Claude, 2003. Langues de Nouvelle-Calédonie : Introduction, aires coutumières hoot ma waap, paicî-camuki, ajië-aro, djubea-kapone, nengone, in B. Cerquiglini (éd.), Les langues de France, Paris, puf, pp. 346-362, 365-404, 413-420, 431-435.

53Rivierre Jean-Claude, 2001. Tonogenesis and evolution of the tonal systems in New Caledonia, the example of cèmuhî, in S. Kaji (ed.), Proceedings of the symposium Cross-linguistic studies of tonal phenomena, Tonogenesis, Japanese Accentology, and other Topics (Tokyo, 12-14 décembre 2000), Tokyo, University of Foreign Studies, pp. 23-42.

54Rivierre Jean-Claude, 2001. 2. André-Georges Haudricourt et la phonologie : La phonologie panchronique en perspective, Modèles linguistiques 43 (http://journals.openedition.org/ml/1456 ; DOI : 10.4000/ml.1456).

55Rivierre Jean-Claude, 2000. La connaissance du malais et des langues de l’Océanie, in S. Auroux, E.F.K. Koerner et al. (éds), Histoire des sciences du langage, vol.1, 1, pp. 998-1001.

56Rivierre Jean-Claude, 1998. Contes de Nouvelle-Calédonie, Expolan­gues (http://lacito.vjf.cnrs.fr/expos/decouverte/ contecaledonie.htm).

57Rivierre Jean-Claude, 1996. In mémoriam André-Georges Haudricourt (1911-1996), Journal de la Société des Océanistes 103, pp. 317-318 (http://www.persee.fr/doc/jso0300-953x1996num10322003).

58Rivierre Jean-Claude, 1996. Modèles panchroniques : L’exemple des consonnes postnasalisées, Revue de phonétique appliquée 120, pp. 247-262.

59Rivierre Jean-Claude, 1993. Tonogenesis in New Caledonia, in Jerold A. Edmondson and Kenneth J. Gregerson (eds), Tonality in Austronesian languages, Honolulu, Oceanic Linguistics Special Publication 24, pp. 155-173.

60Rivierre Jean-Claude, 1985. La colonisation et les langues, Les temps modernes 464, pp. 1688-1717.

61Rivierre Jean-Claude, 1984. Dictionnaires et études lexicales en Océanie, Expolangues (http://lacito.vjf.cnrs.fr/expos/ oralecrit/dictionnaireoceanie.htm).

62Rivierre Jean-Claude, 1978. Accents, tons et inversion tonale en Nouvelle-Calédonie, Bulletin de la Société de Linguistique de Paris 73 (1), pp. 415-43.

63Rivierre Jean-Claude, 1974. Tons et segments du discours en langue paicî (Nouvelle-Calédonie), Bulletin de la Société de Linguistique de Paris 69 (1), pp. 325-340.

64Rivierre Jean-Claude, 1973. La nomenclature des coquillages dans la langue de Touho, Journal de la Société des Océanistes 39, pp. 139-150 (http://www.persee.fr/doc/jso0300-953x1973num29392422).

65Rivierre Jean-Claude, 1972. Les tons de la langue de Touho (Nouvelle-Calédonie) : étude diachronique, Bulletin de la Société de Linguistique de Paris 67 (1), pp. 301-316.

66Bensa Alban et Jean-Claude Rivierre, 1988. De l’Histoire des mythes. Narrations et polémiques autour du rocher Até (Nouvelle-Calédonie), L’Homme 28 (106-107), pp. 263-295 (http://www.persee.fr/doc/hom0439-42161988num28106368983).

67Bensa Alban et Jean-Claude Rivierre, 1984. Jean Guiart et l’ethnologie, L’Homme 24 (1), pp. 101-105, [Note critique en réponse à un CR sur « Les chemins de l’alliance »] (http://www.persee.fr/doc/hom0439-42161984num241368473).

68Bensa Alban et Jean-Claude Rivierre, 1976. De quelques genres littéraires dans la tradition orale paicî (Nouvelle-Calédonie), Journal de la Société des Océanistes 50, pp. 31-66 (https:// www.persee.fr/doc/jso0300-953x1976 num32502732).

69Capo Manon et Jean-Claude Rivierre, 2012. Trois études de manuscrits en langues kanak (paicî, cèmûhî, ajië). Rapport final du programme « Archivage et valorisation d’un corpus de manuscrits kanak, une approche génétique ».

70Cartier Alice, Françoise Ozanne-Rivierre et Jean-Claude Rivierre, 1982. Le troisième Congrès international de linguistique indonésienne (Denpasar, Bali - janvier 1981), Archipel 24, pp. 31-39.

71Jacobson Michel, Boyd Michailovsky, Françoise Ozanne-Rivierre et Jean-Claude Rivierre, 2003. Documentation des langues et tradition orale : le programme Archivage du lacito, in Nouvelles technologies, anthropologie, muséologie et savoirs autochtones (Actes du colloque cnrs-unesco, 17-18 mai 2001, Paris), Paris, unesco.

72Moyse-Faurie Claire, Jacques Vernaudon, Jean-Claude Rivierre, 2012. Les langues kanak, in Atlas de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Institut de Recherche pour le Développement, pl. 26, pp. 119-122.

73Moyse-Faurie Claire et Jean-Claude Rivierre, 1992. Langues, in Nouvelles Calédonies d’avant 1914, Paris, Association Pacifique, pp. 36-43.

74Moyse-Faurie Claire et Jean-Claude Rivierre, 1991. La recherche linguistique française dans le Pacifique (1960-1990), in F. Doumenge et J.-P. Doumenge (éds), Le Pacifique, l’océan, ses rivages et ses îles, Bordeaux-Monaco, cret-Institut océanographique, pp. 396-402.

75Moyse-Faurie Claire, Françoise Ozanne-Rivierre et Jean-Claude Rivierre, 1989. Nasalization/oralization: Nasal vowel development and consonant shifts in New Caledonian languages, in Ray Harlow and Robin Hooper (eds), Papers from the Fifth International Conference on Austronesian Linguistics (vical 1), Auckland, Linguistic Society of New Zealand, pp. 399-412.

76Moyse-Faurie Claire, Françoise Ozanne-Rivierre et Jean-Claude Rivierre, 1988. An ‘École populaire kanak (epk)’: the Canala experiment, in M. Spencer, A. Ward et J. Connell (eds), New Caledonia, Essays in nationalism and dependancy, Brisbane, University of Queensland Press, pp. 198-218.

77Ozanne-Rivierre Françoise et Jean-Claude Rivierre, 2004. Évolution des formes canoniques dans les langues de Nouvelle-Calédonie, in E. Zeitoun (éd.), Faits de Langues 23-24 : Les langues austronésiennes, pp. 141-153.

78Ozanne-Rivierre Françoise et Jean-Claude Rivierre, 2004. Un changement récurrent dans l’aire austronésienne, in E. Motte-Florac et G. Guarisma (éds), Du terrain au cognitif : Linguistique, ethnolinguistique, ethnosciences. À Jacqueline M.C. Thomas, Paris, Peeters, ns 30, pp. 197-209.

79Ozanne-Rivierre Françoise et Jean-Claude Rivierre, 2004. Verbal compounds and lexical prefixes in the languages of New Caledonia, in I. Bril et F. Ozanne-Rivierre (eds), Complex Predicates in Oceanic Language: Studies in the Dynamics of Binding and Boundness, Berlin, Mouton de Gruyter, pp. 347-371.

In memoriam : Jean-Claude Rivierre (1938-2008), par Alban Bensa

80Je me centrerai ici brièvement sur les méthodes d’investigation de Jean-Claude Rivierre, telles qu’il les a mises en œuvre dans ses travaux ou commentées oralement, afin de souligner l’importance de ce qu’il laisse en héritage en linguistique, ethnolinguistique et ethnologie des langues et sociétés kanak de Nouvelle-Calédonie.

81Les recherches sur les pratiques et expressions kanak ont bénéficié d’une amélioration sans précédent entre 1960 et 1970 avec le déploiement les enquêtes de terrain d’André-Georges Haudricourt (1911-1996) et celles de Jean-Claude Rivierre (1938-2018) et de Françoise Ozanne-Rivierre (1942-2007). Ces trois linguistes du cnrs ont, plus d’un siècle après l’arraisonnement, la décimation et le parcage des Kanak de Nouvelle-Calédonie, enfin fondé scientifiquement les conditions de la compréhension de leur spécificité. Aucune des recherches antérieures n’avait jamais atteint le niveau de fiabilité des documents qu’ils ont constitués sur le terrain et des analyses qu’ils en ont données en tant que linguistes et ethnolinguistes. Certes, à première vue, Maurice Leenhardt (1878-1954) avait pu faire figure de pionnier dans ces domaines, en particulier avec ses Documents Néo-Calédoniens (1932) et son Vocabulaire et Grammaire de la Langue Houaïlou (1935) et la quantité d’archives qu’il a laissées. Mais ces entreprises pionnières furent menées sans formation linguistique ni ethnologique préalables. Le pasteur était principalement habité par le souci missionnaire de passer par une langue vernaculaire pour traduire les Évangiles et étayer des considérations de philosophie et de psychologie religieuses fort éloignées des réalités humaines et sociales kanak véritablement observables. Son livre Do Kamo, la personne et le mythe dans le monde mélanésien (1947) constitue à cet égard l’un des ouvrages les plus pittoresques et les plus imginatifs jamais consacré à une collectivité humaine dans un contexte académique. Il était donc temps que soient enfin menées des investigations rigoureusement scientifiques à propos des Kanak de Nouvelle-Calédonie. À ce redressement salutaire, Jean-Claude Rivierre a apporté une contribution décisive avec une tonalité qui lui était propre.

82Jeune linguiste, il arrive en Nouvelle-Calédonie en 1965 à l’âge de 27 ans pour se consacrer à l’étude des langues à tons qu’Haudricourt avait le premier répertoriées. Elles sont au nombre de cinq, à savoir : dans le sud de la Grande Terre (de la région de Païta à l’île des Pins) e, le drubea, le numèè, et le kwényï ; et dans le centre nord, le paicî parlé de Poindimié à Koné et Poya et le cèmuhî à Touho. C’est dans ces deux régions qu’il mènera des enquêtes de longue durée.

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Photo 1. – Antoine Oudodopoé Pwèhènèbé enregistré par Jean-Claude Rivierre en 1977 à Pwöbei

Figure 8

Photo 1. – Antoine Oudodopoé Pwèhènèbé enregistré par Jean-Claude Rivierre en 1977 à Pwöbei

© A. Bensa

84L’enracinement scientifique et humain le plus fort eût lieu dans la tribu de Pwèi (Poyes) où Jean-Claude, Françoise, son épouse, et leur premier fils, Nicolas, furent accueillis en 1965 par le grand chef coutumier d’alors Amaan Bulièg (Aman Bouillant, cousin du grand chef administratif et ancien combattant de la guerre 1914-1918, Kowi Bouillant). Cette rencontre avec Amaan et avec tous les gens de Pwèi fut si intense et chaleureuse, si productive aussi d’emblée, tant sur le plan de l’étude de la langue que de la collecte des narrations orales cèmuhî, que J.-C. Rivierre décida d’y mener plus avant ses recherches. Il revint régulièrement à Pwèi et porta de là ensuite ses investigations dans toutes les tribus de langue cèmuhî au point de maîtriser son écriture et sa compréhension, tant dans son usage quotidien que dans ses expressions plus formalisées (mythes, récits historiques, poésies, chants). Précédé par sa Phonologie comparée des dialectes de l’extrême sud de la Nouvelle-Calédonie (1973), de son immense travail dans la région de Touho, Rivierre tira une grammaire (La langue de Touho. Phonologie et grammaire du cèmuhî (1980), un Dictionnaire cèmuhî-français (1994) qui font aujourd’hui référence, l’une par sa rigueur et sa clarté d’exposition, l’autre par son exhaustivité revendiquée et la consignation de l’usage des mots dans des contextes différents. Il s’agit là, à l’évidence, de sommes qui ont jeté les bases de la description scientifique des langues de Nouvelle-Calédonie et de toute approche ethnolinguistique. Jean-Claude Rivierre a également constitué un corpus de documents oraux retranscrits que j’ai été amené entre 1975 et 1983 à compléter avec lui ou seul et qui sont actuellement en cours d’archivage par les soins du lacito en relation avec la bnf.

85En 1982, nous avons, Jean-Claude Rivierre et moi-même, publié Les chemins de l’Alliance. L’organisation sociale et ses représentations en Nouvelle-Calédonie (région de Touho – aire linguistique cèmuhî). Dans cet ouvrage, la seconde partie (« Les représentations de l’alliance. Textes cèmuhî commentés ») donne à lire et à comprendre neuf récits, chacun porteur, au moyen d’une rhétorique propre, de la mémoire historique des alliances matrimoniales et politiques qui orchestrent et justifient les structures d’une chefferie de Mélanésie du sud, telles qu’elles furent édifiées, semble-t-il, à la fin du xixe siècle. Ces documents recueillis à Pwèi, transcrits en langue cèmuhî avec notation des tons et traduits en français par Jean-Claude servent de tremplin à une anthropologie politique réalisée par des Kanak eux-mêmes à propos d’une institution majeure de la région de Touho. Ce mode de présentation (textes à l’appui) et cette méthode d’investigation (situer l’énoncé dans son contexte historique et sociologique et mettre en lumière les stratégies des narrateurs et narratrices) demeurera ensuite l’axe central de nos publications. Dans ce duo entre linguiste et ethnologue, la mise en partage des savoir-faire, des expériences de terrain et des projets d’écriture aura déterminé durant plusieurs décennies les conditions d’une collaboration scientifique originale initiée par Jean-Claude Rivierre.

86Au sud de l’aire cèmuhî, ses recherches se sont étendues à la langue paicî et aux productions narratives de ses locuteurs. Dès 1967, un lexique, reprenant un premier travail de terrain d’Haudricourt, est établi, base d’un dictionnaire paicî-français qui paraîtra en 1983. Et quantité de documents, issus d’archives de Leenhardt, d’Haudricourt et surtout des Kanak eux-mêmes sous forme écrite et/ou orale et collectées par Jean-Claude, seront retravaillés par ses soins, en collaboration avec quelques érudits kanak de haut vol, parmi lesquels Dui Novis Pöömô de Paama (Poindimié) à qui le dictionnaire paicî-français est dédié. Ce corpus sera augmenté à partir de 1973 lorsqu’il me fut demandé, par J.-C. Rivierre et A.-G. Haudricourt, d’enquêter en pays paicî, d’y enregistrer des narrations et d’en proposer des interprétations. Ce travail fut piloté par Jean-Claude et par un chercheur kanak exceptionnel, Atéa Antoine Goromido de Nétchaot (Koné), associé à un grand nombre de locuteurs, narrateurs et savants de langue paicî.

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Photo 2. – Jean-Claude Rivierre à Néami en 1975

Figure 9

Photo 2. – Jean-Claude Rivierre à Néami en 1975

© A. Bensa

88C’est avec le même soin que Jean-Claude Rivierre mena aussi une longue enquête avec Sabine Ehrhart et Raymond Diéla, parue en 2006, sous le titre Le Bwatoo et les dialectes de la région de Koné (Nouvelle-Calédonie).

89Doté d’une excellente oreille, Jean-Claude Rivierre caractérisait dans le mot les syllabes et leur partie indissociable, à savoir le ton de chacune d’elles, qu’il soit fixe comme en cèmuhî ou variable selon sa position dans la phrase, comme en paicî. Il évitait ainsi toute assimilation erronée d’un même phonème à un autre doté d’un ton différent, par exemple cōō (ton moyen) « être debout » et cóó (ton haut) « jupe ». Il fournissait donc le matériau qui, comme le tesson d’une poterie, permet, associé à d’autres qui viennent s’y ajuster, de reconstituer toute la poterie.

90Rien là de bien original pour un linguiste mais, dans le cas des études dans ce domaine menées en Nouvelle-Calédonie, il fallait rappeler combien ce retour aux sources des langues kanak a su poser des garde-fous à toute étymologie rapide ou considération sur le sens des énoncés et des narrations. Cette vigilance extrême a permis de traquer les approximations, les transcriptions erronées des noms propres ou même les erreurs linguistiques qui favorisent les surinterprétations, voire les fantaisies, dont l’ethnologie du monde kanak a pu et demeure encore parfois truffée. Il faut remercier Jean-Claude Rivierre et, avec lui, Françoise Ozanne-Rivierre, Claire Moyse-Faurie et Isabelle Bril, d’avoir contribué au sein du lacito, dans le sillage décapant d’Haudricourt, à cet assainissement.

91Jean-Claude soignait particulièrement cette exigence lors du passage à la traduction en français. Il recherchait alors l’équivalent le plus serré, selon une démarche minimaliste pouvant rendre compte du souci d’économie des narrateurs kanak, en particulier des poètes. Dire le plus avec le moins de mots, ne pas délayer mais condenser pour faire claquer le sens avec force. Cette rigueur traductrice, sans cesse reprise et améliorée, était révélatrice autant de la valorisation kanak d’une certaine sobriété langagière que de l’adhésion de Jean-Claude à une éthique comparable fondée sur la méfiance à l’égard des fioritures et autres « arlequinades », disait-il. Mais sa valorisation d’un matérialisme positiviste n’annihilait pas chez lui un vif sentiment esthétique à l’égard de la civilisation kanak.

92Jean-Claude Rivierre savait transmettre sa passion aussi contenue qu’intense pour les œuvres kanak. Il donnait à apprécier et à penser par touches multiples son expérience linguistique et plus largement humaine de sa familiarité avec son très large panel d’amis et d’amies kanak. Se développait ainsi, au fil des discussions, une sorte d’initiation au long cours dont les linguistes et les ethnologues, en herbe ou confirmés, qui ont eût la chance d’en bénéficier, ont ressenti le charme et l’emprise.

93Jean-Claude aimait la beauté de l’expression kanak formalisée, son dépouillement et sa densité, comme dans ce poème tragique traduit de sa main du cèmuhî :

94

« Je crie vers le nord
J’appelle vers Mèadi
Je crie vers Caamèiu
J’appelle vers Kowiéjèlè
Je crie pour qu’on vienne vite
Pour qu’on hâte le pas
(réponse)
Pourquoi cries-tu
Tu cries pour dire quelque chose
Tu appelles pour déclarer quelque chose
Des paroles par lettre
Une histoire par le courrier
Apporté par le télégramme
(reprise)
Je crie car je suis malade
J’appelle car je vais mourir
Une maladie m’emporte
Le froid de la maladie et de la souffrance
Perclus de douleur
(réponse)
Me voilà je viens
Je viens les mains vides (sans charge)
Et sans remède
Sans panier de provision
Et sans réconfort
Sans rien pour chasser le lézard à membranes
Pour faire partir le lézard ailé
Sans médicament que l’on crache contre Udodopwé
(reprise)
Je crie car je suis malade
J’appelle car je vais mourir
Une maladie m’emporte
Le froid de la maladie et de la souffrance (rhumatisme qui fait gonfler)
Je suis perclus de douleurs
Toi tresse-moi un cercueil
Tresse les cordes (pour m’attacher)
Tresse mon support
Que je parte pour toujours
J’irai et on ne me verra plus
Laissant des regrets
Et des soupirs après moi »
(Poème d’Anselme Tiahi Ucuut, transmis par Étienne Caun, Vieux-Touho, 1965)

    • Leenhardt Maurice, 1932. Documents Néo-Calédoniens, Paris, Institut d’ethnologie.
    • Leenhardt Maurice, 1935. Vocabulaire et grammaire de la langue Houaïlou, Paris, Institut d’ethnologie, travaux et mémoires ix.
    • Leenhardt Maurice, 1947. Do Kamo, la personne et le mythe dans le monde mélanésien, Paris, Gallimard.

Date de mise en ligne : 08/02/2019

https://doi.org/10.4000/jso.9818

Notes

  • [1]
    ndlr. – Nicolas Rivierre, à la lecture de ce texte, apporte une précision : « Concernant le retour, ma mère, alors enceinte, et moi sommes rentrés en France début 1967. Mon père un peu plus tard, mais il était présent en mai 1967 pour la naissance de mon frère David. Il venait de débuter son service militaire, assez tardivement, car il avait alors 28 ans. » (mail du 06/10/2018). Nos remerciements aussi à Nicolas pour les photos qu’il a fournies.
  • [2]
    Le lacito a joué un rôle fondamental pour le développement des recherches linguistiques et anthropologiques sur la Nouvelle-Calédonie, grâce à André-Georges Hadricourt puis aux Rivierre.
  • [3]
    « Pour nous, c’est un ami cher, un compagnon de recherche et un co-disciple d’Haudricourt qui disparaît. » (Luc et Jacqueline, 07/01/2018)
  • [4]
    Nous présentons d’abord les écrits où Jean-Claude est en premier auteur, puis par ordre alphabétique du premier auteur, le tout du plus récent au plus ancien.

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