Notes
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[1]
Coordination internationale de psychothérapeutes psychanalystes et membres associés s’occupant de personnes autistes.
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Fondé et coordonné par Chantal Lheureux-Davidse, ce groupe réunit Nathalie Barabé, Armelle Barral, Anne Bauer, Radhia Ben Youssef, Pascale Celton, Alexandra Colinet, Annie Dilanian, Dominique Ferrari, Catherine Gallais, Laurence Guibert, Simon Jaunin, Nagib Khouri, Michèle Knuth, Chantal Lheureux-Davidse, Dominique Mazéas, Caroline Piant-François, Juliana Pollastri, Otilija Sautel, Christiane Varro.
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Sylvia a été suivie par Chantal Lheureux-Davidse.
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Icare a été suivi par Dominique Mazéas.
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Cet enfant a été suivi par Jeanne Champeaux-Ortiz qui a fait partie du groupe « Émergences du langage ».
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Philippe a été suivi par Annie Dilanian.
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Jules a été suivi en groupe musique par Geneviève Schneider qui a présenté ses travaux dans le cadre du groupe « Émergences du langage ».
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[8]
Jules a été suivi en psychothérapie individuelle par Dominique Mazéas.
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[9]
Philippe a été suivi par Annie Dilanian.
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Adama a été suivi par Juliana Pollastri.
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Mathilde a été suivie par Alexandra Colinet.
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Jules a été suivi par Dominique Mazéas.
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Delphine a été suivie par Chantal Lheureux-Davidse.
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Kilian a été suivi par Dominique Ferrari.
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[15]
Mohamed a été suivi par Armelle Barral.
1 Le langage verbal peut se développer plus tardivement chez les personnes autistes que chez d’autres personnes et amène le psychothérapeute à déployer une attention particulière à ses modalités d’émergence. Comment son apparition peut-elle être favorisée et soutenue par la relation transférentielle ? Les cheminements vers la parole sont-ils spécifiques dans les organisations autistiques ? Comment se tissent les liens entre la vie du corps, les éprouvés émotionnels et l’expression verbale adressée à autrui ?
2 Ces questions font partie de celles travaillées par les membres du groupe de recherche sur les « Émergences du langage » de la CIPPA [1] qui réunit chaque mois depuis 2005, 10 à 15 psychothérapeutes et orthophonistes de formation psychanalytique. Le travail de recherche s’appuie sur les présentations, par les membres du groupe, de suivis de personnes âgées de 2 à 20 ans, diagnostiquées autistes, mutiques au début de la prise en charge et qui ont émergé dans le langage verbal. Certaines ont des troubles neurologiques identifiés ou des anomalies génétiques associées. La majorité de ces personnes bénéficie d’une prise en charge pluridisciplinaire (psychothérapie, orthophonie, psychomotricité et prise en charge éducative), individuelle ou groupale, ainsi que d’une scolarisation dans leur établissement, ou en intégration à l’école. Dans toutes ces situations, la famille est associée dès que possible.
3 Le matériel clinique travaillé par les thérapeutes du groupe [2] a notamment permis de mettre en valeur le besoin d’ancrages sensoriel et corporel des personnes autistes pour déployer leurs processus de pensée et leurs capacités de communication. Il a par ailleurs aidé à mieux saisir combien le sentiment d’exister dans son corps, de manière différenciée, nourrit en retour les émergences du langage verbal chez le patient. Il a également donné l’occasion de cerner certaines voies d’assouplissement et de transformation du besoin d’ancrages corporels pour offrir ensuite au patient une plus grande liberté d’expression. Ces thèmes en particulier seront développés au fil de cet article, en appui sur les élaborations issues des présentations cliniques travaillées en commun par les membres du groupe. Plusieurs aspects des ancrages corporels du langage et de leur transformation dans le transfert seront abordés. L’évocation de ces aspects, et des vignettes cliniques qui ont aidé à les dégager, n’est ni exhaustive ni prédictive du mouvement de la cure qui relève d’une rencontre et d’un cheminement toujours originaux. Elle vise cependant à soutenir la rêverie contre-transférentielle du thérapeute, souvent mise à mal par les modalités de défense archaïques à l’œuvre dans l’organisation psychique du patient.
4 En premier lieu sera interrogée la possibilité de restaurer une expressivité corporelle et émotionnelle partageable dans le transfert. C’est un point crucial de la rencontre avec des patients restés souvent isolés depuis leur vie de bébé faute d’avoir pu accéder à une « synchronie polysensorielle » dans leurs échanges précoces (Golse, 2016, p. 1001). Les réflexes toniques et l’utilisation inconsciente des substances corporelles peuvent correspondre à une forme d’expression du patient que le thérapeute tente de qualifier émotionnellement. Ce dernier est aussi souvent amené, par des mots ou des gestes, à soutenir la permanence des ressentis corporels du patient, tout en l’aidant à se représenter les contours d’un espace externe vers lequel se tourner et d’un espace interne à partir duquel adresser quelque chose de soi à l’autre.
5 Le sentiment d’être compris peut entraîner chez le patient un investissement et une mise en réseau des différentes parties de son corps. La coordination des mouvements corporels dans la rencontre s’éprouve ainsi plus facilement et soutient l’accès à l’intersubjectivité. Une meilleure intégration psychique de cette coordination dans le corps, notamment au niveau de la bouche, libère souvent le plaisir de vocaliser. Elle ouvre aussi la voie à un mode d’expression verbal plus indépendant de la vie du corps.
6 Le détachement du langage de ses ancrages corporels reste cependant source de questionnements dans cette clinique. Quelques pistes de réflexion concernant les médiations ou les propositions narratives du thérapeute favorisant ce détachement seront ensuite évoquées. Elles mettront l’accent sur l’importance de pouvoir révéler l’existence d’expériences impalpables mais pourtant figurables et partageables dans la rencontre intersubjective.
Le partage émotionnel des réflexes toniques
7 Dans la psychothérapie des personnes autistes, comme dans toute psychothérapie, le clinicien se révèle attentif aux détails des mouvements du patient et à ce qu’ils semblent exprimer. Sa capacité de rêverie peut néanmoins s’appauvrir lorsqu’il se trouve au contact d’indices corporels, sensoriels, toniques ou moteurs, d’une personne autiste qui s’est peu construite à partir de l’échange direct avec l’autre. La faillite du sentiment d’un partage possible se rejoue alors dans la rencontre transférentielle. Dans ce contexte, et plus particulièrement auprès de patients dont les mouvements stéréotypés donnent l’impression d’envahir la séance, le repérage d’un réflexe d’orientation du patient associé à une modulation de sa vitalité (Stern, 1985, p. 78) apparaît comme particulièrement fécond pour relancer la rêverie du thérapeute et rendre partageables les mouvements expressifs.
8 Lorsque Sylvia [3], une grande adolescente toujours silencieuse et repliée sur elle-même, ressentait les vibrations d’un engin à moteur, sa thérapeute la voyait devenir intéressée et son corps récupérait de la tonicité. Sa colonne vertébrale se redressait et le port de sa tête également. Elle cherchait la provenance des vibrations en ajustant son visage dans la bonne direction et son regard devenait plus vivant. Elle pouvait alors échanger spontanément des regards sur les côtés, dans une jubilation partagée. La thérapeute s’extasiait spontanément au passage d’un camion ou d’une tondeuse, en mimait et en imitait les vibrations avec sa bouche, ce qui transformait l’orientation réflexe vers le bruit vibrant en un rire partagé.
9 Le ressenti d’une animation devenant commune est une première étape dans la prise de conscience qu’une rencontre est possible sans être pour autant effractante. La reconnaissance et le partage des messages subtiles qui circulent entre les corps, par exemple par des imitations du thérapeute ou par ses commentaires qui restaurent une narrativité, invitent le patient à participer à un dialogue tonico-émotionnel primitif. Guidé par l’observation fine des réflexes d’orientation et des modulations de la vitalité, la rêverie du thérapeute révèle plus facilement la qualité émotionnelle des mouvements corporels réflexes du patient. Il arrive ainsi que le thérapeute attribue au corps lui-même l’état émotionnel dans lequel il imagine que se trouve le patient. La grande adolescente avait selon sa thérapeute « le corps moins triste » lorsqu’elle récupérait un réflexe d’orientation devenant l’occasion d’un partage. La révélation de la tonalité émotionnelle à partir des indices de vitalité qui traversent le patient, renforce chez ce dernier le sentiment de pouvoir être compris à partir d’une expressivité discrète qui ne l’engage pas trop directement dans la rencontre. Chez les personnes qui se sont peu construites dans l’intersubjectivité, ce partage de ressentis délicats où l’émotion n’est encore que préfigurée mais néanmoins partageable, prépare la possibilité d’une adresse à l’autre, cette fois plus directe et différenciée.
L’accompagnement des angoisses d’écoulement et des défenses par figement du corps
10 Communiquer quelque chose à un autre entraîne un mouvement d’adresse ou de lancer qui implique déjà la possibilité d’un déploiement dans l’espace, avant de prendre la forme d’une boucle relationnelle où l’autre est inclus (Haag, 1994, p. 41). Le thérapeute tente souvent de soutenir le patient dans la découverte de l’espace qui l’entoure et dans la transformation des différentes angoisses archaïques qui le traversent tant que la permanence du sentiment d’exister dans un corps bien à lui n’est pas acquise. Une personne adulte présentant un syndrome d’Asperger expliquait par exemple que lorsqu’elle ne se sentait pas comprise cela la mettait dans une détresse telle qu’elle allait ensuite dans sa voiture où elle émettait des grognements pour s’apaiser. La voix rauque qui gratte le palais diffusait dans son corps des sensations qui restauraient son sentiment d’existence.
11 Les angoisses sont parfois révélées par des réflexes toniques pouvant devenir par la suite un mode de régulation émotionnelle ou sensorielle stéréotypé. Elles peuvent aussi se traduire par l’utilisation inconsciente que fait le patient de ses substances corporelles. Certaines personnes semblent avoir des angoisses d’anéantissement d’elles-mêmes dans un vécu de liquéfaction, d’évaporation, d’arrachement ou encore de dépossession de parties de leur corps, qui les poussent à chercher des sensations de figement ou de pesanteur de leurs productions corporelles.
12 Sylvia avait par exemple le visage baigné de sécrétions nasales sans pouvoir supporter d’être mouchée, comme si le geste du mouchage risquait de lui arracher au passage une partie du nez. La thérapeute avait alors conservé les mouchoirs qui servaient à essuyer son visage et les avait scotchés sur le bureau jusqu’à créer une sculpture de mouchoirs. Celle-ci matérialisait la non-disparition des substances et renforçait en miroir la permanence de son image du corps. Par la suite Sylvia avait pu accepter d’être mouchée en y participant en soufflant pour la première fois. Les sécrétions nasales étaient aussi devenues moins fréquentes.
13 Certains enfants pleurent sans larmes tant qu’ils restent identifiés en adhésivité à leurs substances et que la sensation d’écoulement les confronte au risque de se sentir devenir liquides eux-mêmes. Ils passent d’abord par l’émission de plaintes ou de chouinements qui évoquent un vécu de douleur physique ou d’angoisse peu partageable.
14 Icare [4] geignait continuellement au début de sa thérapie tout en maintenant un regard évitant. Quand il geignait avec quelques larmes, il restait complètement figé sur son siège. Le figement de son corps semblait tenter de compenser l’écoulement des pleurs. Lors d’une séance au cours de laquelle sa mère avait rapporté avec émotion les difficultés traversées pendant la toute petite enfance de son fils, il avait manifesté sa détresse plus directement en se projetant en arrière sur son siège qui menaçait de tomber. La thérapeute s’était alors placée derrière le siège pour le retenir et transformer la chute en bercement arrière, lent et rythmique. Les vocalises d’Icare s’étaient progressivement transformées en une émission continue de sons « i » et « a » qui composaient son prénom. La continuité de ses émissions sonores semblait le protéger contre l’angoisse d’être dépossédé d’une partie de lui-même au moment de s’exprimer et leur résonance avec les sonorités de son prénom paraissait lui permettre d’éprouver une amorce de continuité identitaire. En jouant dans le transfert avec ces sonorités, la thérapeute s’était appuyée sur la différence de tonalité entre l’aigu du « i » et le grave du « a » pour proposer une comptine chantée permettant de relier les sons aigus qui font résonner le haut du corps, avec les sons graves qui font résonner le bas. Icare s’était alors positionné de plus en plus souvent debout avec une meilleure articulation du haut et du bas de son corps. Il vocalisait avec plaisir en utilisant cette fois tous les sons vocaliques de l’alphabet qui lui permettaient une expression plus variée. D’autres enfants se préservent aussi de l’impression de rupture provoquée par les sons consonantiques en se mettant à parler exclusivement avec des voyelles qui se prononcent au fond de la gorge (Lheureux-Davidse, 2016, p. 97).
La mise en mouvements des substances corporelles et la quête d’un sentiment de contenance
15 Certains enfants cherchent à tester la réversibilité de leurs sensations de disparition en maîtrisant la circulation des substances de leur corps. Un enfant autiste [5] se mouchait ou vomissait et tentait de ravaler ses substances comme une forme de mérycisme servant à lutter contre un risque de vidage et de dépossession de lui-même. Quand sa thérapeute avait récupéré les substances dans un contenant plastique, le patient avait arrêté de vomir. Les ouvertures architecturales comme les fenêtres ou les portes, évoquent parfois par résonance les orifices corporels ou un contenant environnemental béant. Elles peuvent alors réveiller des angoisses d’écoulement. Certains enfants tentent ainsi de colmater avec leurs doigts, leurs matières fécales ou leur corps entier, les fissures, les rainures ou les petits espaces. Il arrive que ces tentatives de colmatage s’accompagnent chez l’enfant d’un rictus qui donne aux soignants l’impression d’une provocation ou d’une jouissance entretenue dans ces manifestations difficiles à accueillir. Le rictus pourrait aussi être compris comme un soulagement de se sentir exister à nouveau, en provoquant une expression de jubilation plutôt que de jouissance.
16 Les craintes de dépossession de soi-même au moment de s’exprimer sont souvent liées à la peur qu’un mouvement d’adresse reste sans réponse. Certains enfants lancent des objets ou des sons dans l’espace de la pièce pour en tester la profondeur, les contours, la possibilité d’un rebond ou d’un écho à même d’atténuer leurs craintes (Lheureux-Davidse, 2007, p. 188). Le thérapeute est amené à rendre perceptible la possibilité d’un retour de ce qui est envoyé par des gestes ou par l’utilisation d’objets métaphorisant sa réceptivité.
17 Dans les séances avec Philippe [6] qui lançait du matériel de jeu dans toutes les directions, sa thérapeute avait fini par saisir un panier pour récupérer et rassembler les différents objets au fur et à mesure de leurs projections. Progressivement Philippe avait remplacé le lancement d’objet par des interjections ou des mots lancés au cours de la séance. La mise à disposition d’objets creux comme des boîtes ou des pots dans le matériel des séances peut figurer l’existence de contenants pour les mots. Le patient les utilise parfois en semblant souffler ou chuchoter quelque chose à l’intérieur comme pour en éprouver la contenance et pour récupérer en retour le son de sa voix. Des petits tapotements sur le fond du pot tenu entre les lèvres peuvent correspondre à une recherche de réassurance de l’existence d’un fond qui sert d’expérience d’ancrage sensoriel dans une relation de proximité avec l’objet pour construire un fond relationnel. Cette vérification de la circulation du son dans un contenant directement au contact du corps mais aussi détachable, prépare l’adresse d’un son à plus grande distance de l’objet. Parfois le contenant est utilisé dans la direction du thérapeute, figurant ainsi un début d’adresse possible à l’autre.
18 Quand l’enfant commence à investir la différence entre l’animé et l’inanimé et tente d’intégrer la variabilité des émotions qui le traverse ou qui passe sur le visage de l’autre, il arrive qu’il cherche à susciter chez l’autre une réaction émotionnelle authentique et spontanée mais prévisible. Les lancers d’objets et parfois de crachats sont alors plus directement adressés vers le visage ou le corps de l’autre. Garder dans un contenant restant à disposition les mouchoirs qui servent à essuyer le visage ou les surfaces, aide souvent l’enfant à se rassurer sur la continuité d’existence de ce qu’il adresse. Il est alors généralement plus disponible pour s’approprier d’autres modalités de rencontre plus facilement partageables avec les autres.
L’assouplissement des installations en carapace respiratoire
19 Certains enfants qui ont accès au langage verbal gardent le besoin de maîtriser les sensations d’écoulement ou de dispersion dans l’espace. Ils ont parfois recours à une crispation des muscles respiratoires et abdominaux qui les aident à maintenir par serrage une continuité des sensations thoraciques et buccales au moment de s’exprimer. Ces carapaces respiratoires, liées au tonus pneumatique (Bullinger, 2005, p. 41), donnent l’impression que la voix est forcée et entraînent une bizarrerie du rythme de l’élocution. Leur assouplissement dans le transfert implique que le patient puisse se représenter l’espace où se joue une rencontre identifiante avec le thérapeute sans que les corps soient nécessairement en contact.
20 Jules [7] s’était lancé dans le langage à l’âge de 5 ans, au cours d’un groupe musique en hôpital de jour. Ses angoisses de vidage ou de dispersion dans l’espace s’étaient plus particulièrement révélées alors qu’il désirait chanter un air sans parole, en alternance puis à l’unisson avec la musicienne. Son chant était devenu de plus en plus crispé, avec des sonorités nasales, comme s’il tentait de retenir l’air qui s’écoulait de sa gorge. Il avait pu par la suite émerger dans le langage articulé, toujours à partir du chant, mais en conservant son installation en carapace respiratoire.
21 Cinq ans plus tard, en psychothérapie individuelle [8], il tenta d’élaborer ses angoisses de vidage en mimant un éternuement qui lui faisait perdre sa voix. La thérapeute avait joué à aller chercher cette voix dans le bureau avec un panier pour la lui restituer, ce qui dessinait des boucles relationnelles. Peu après, Jules lui avait demandé de mimer le mouvement du décollage de différents moyens de transport, celui, vertical, de la fusée, celui en diagonale de l’avion, ou celui, horizontal, du train. Il fallait aussi mimer le son soufflé des moteurs. Jules semblait s’intéresser à la géométrie des corps dans l’espace et chercher à se représenter les directions menant à une rencontre. Encore un peu plus tard il avait posé les questions suivantes : « le loup lève la tête pour hurler à la lune. Est-ce que la lune l’entend ? », puis « si le loup hurle à la lune mais qu’une fusée passe derrière lui, est-ce qu’on entend toujours le loup ? ». Ses questions indiquaient qu’il tentait de se représenter le mouvement d’adresse à l’autre mais aussi l’existence de différents plans susceptibles d’organiser l’espace de la rencontre comme l’espace corporel. Puis, en regardant les cheveux de sa thérapeute qui tombaient sur ses épaules, il lui avait demandé : « Est-ce que les chiens qui ont les oreilles longues peuvent aussi hurler à la lune ? » Elle avait acquiescé et Jules avait poursuivi, comme étonné de sa propre idée, « en fait… quand un bébé crie, c’est pour dire je suis là ? ». La découverte que le loup (qui le représentait) et le chien aux longues oreilles (auquel il l’identifiait dans le transfert) appellent de la même manière, sembla l’aider à se représenter un point commun entre eux, qui atténua son sentiment d’isolement. L’effet contenant de cette découverte lui permit de se passer du détour par la métaphore animale et d’humaniser le cri en lui attribuant un sens partageable. Sa respiration s’était alors détendue et, par la suite, il put davantage jouer avec la fluidité de sa voix sans se préoccuper de sentir l’air se tarir ou ses sensations disparaître.
Le réveil des extrémités du corps et de la bouche
22 Les émergences du langage issues de la symbolisation des vécus corporels et relationnels du patient accompagnent des transformations et une meilleure intégration de l’image du corps. Une hypersensibilité émotionnelle chez le bébé, parfois accompagnée de troubles somatiques douloureux dans la petite enfance, entraîne la majoration du démantèlement sensoriel et un désinvestissement du corps dans son ensemble. Ainsi une hypotonie de la langue s’observe parfois en association avec une hypotonie des mains ou des pieds. Réciproquement, le réinvestissement de la tonicité de la langue, signant souvent une meilleure capacité d’orientation, peut aller de pair avec une réanimation des extrémités du corps. Dans la vie fœtale, la langue et les membres connaissent un développement simultané. Les observations cliniques de désinvestissement et de réinvestissement conjoints de la langue, des mains et des pieds peuvent être comprises comme des échos de la vie fœtale. Ces échos fournissent des pistes de rêverie et invitent le thérapeute à soutenir, par ses jeux ou ses commentaires, la mise en réseau de ces différentes parties du corps réinvesties au fil de la thérapie. Ils aident aussi à créer des ponts entre le « théâtre de la bouche » et le « théâtre des mains » (Haag, 2002, p. 1783), ainsi qu’une continuité temporelle entre la vie intra-utérine et la vie après la naissance.
23 Philippe [9] s’exprimait avec un langage comme « en bouillie », sans articulation ni différenciation possible entre les mots. Il présentait une hypotonie de l’ensemble du corps. Une capacité nouvelle à jouer avec sa langue est apparue en lien avec un investissement du bout de ses doigts. Lors d’une séance, Il avait rempli de feutres un pot et, comme en résonance, sa langue avait fait des mouvements de droite à gauche dans sa bouche. Puis, avec un feutre, il avait tracé un point de couleur sur chacun de ses doigts. Il avait ensuite fait se toucher ses doigts entre eux en les reliant par les points puis s’était intéressé aux mains de sa thérapeute. La meilleure mobilisation de la langue et des mains, différenciées l’une de l’autre et pouvant « dialoguer » avec les mains de la thérapeute, a accompagné chez Philippe une diminution du jargon et le développement d’un langage articulé.
24 Tant que le bas du corps n’est pas intégré dans l’image du corps, les sensations des différents orifices restent confondues. Des émergences de langage articulé apparaissent souvent au moment d’une meilleure sphinctérisation conjointe des orifices du bas du corps et de l’acquisition de la continence. Certains enfants autistes ne peuvent parfois prononcer que des sons explosifs en écho des ressentis explosifs liés au bas du corps. D’autres ont le sentiment que le dessous de leurs pieds n’est pas fermé comme si les pieds n’étaient pas sphinctérisés. Par effet de résonance, ce manque de sphinctérisation ressenti au niveau des pieds fait écho à celui des orifices corporels. En travaillant de façon ludique sur la stimulation du dessous des pieds, cela entraîne parfois une meilleure sphinctérisation des orifices du haut et du bas du corps et favorise les émergences de langage.
25 Dans un groupe pâtisserie en hôpital de jour, Adama [10] mettait souvent la farine en bouche et la récupérait sur sa langue avec ses doigts, puis il mettait sa main dans son pantalon et reniflait ses doigts. Une meilleure différenciation des orifices de son corps apparut à l’occasion du temps de lecture de contes qui suivait la confection du gâteau. Pendant que la psychologue lisait Les trois petits cochons, la psychomotricienne souffla sur le visage et les pieds d’Adama comme le loup sur la maison du petit cochon. Adama sembla apprécier cette sensation qu’il put redemander en tendant ses pieds. Peu de temps après, il prit plaisir à souffler des bougies. La stimulation de la plante des pieds dans une relation ludique lui permit d’investir les mouvements d’ouverture et de fermeture de sa bouche, ainsi que la projection de l’air de la respiration. En parallèle il commença à différencier le loup des autres personnages en l’associant au souffle. Ses angoisses liées à l’agressivité orale s’atténuèrent avec cette représentation d’un loup qui soufflait plus qu’il ne dévorait. Il put jouer l’histoire en tenant tour à tour les rôles des différents personnages du conte jusqu’à mimer la terreur du petit cochon en hurlant « le ou ! » avec des yeux effrayés. En fin de séance, il commença à dire « oir le ou » avec un signe d’au revoir de la main. Chez Adama, les capacités de symbolisation ont émergé à partir d’un ancrage corporel qui a pu prendre un sens partageable dans une relation ludique et différenciée entre les membres du groupe.
Tétée, respiration et plaisir des vocalises
26 La mise en résonance des sensations issues de différentes parties du corps participe à la mise en place d’un sentiment de contenance. Elle engendre une plus grande intégration du vécu corporel et une meilleure coordination entre les différentes parties du corps. Dès que la bouche est réinvestie, les sensations respiratoires, alimentaires, vocales, peuvent être retrouvées dans une mise au travail de la co-modalité sensorielle qui facilite l’adresse à l’autre. Le recours trop fréquent au démantèlement dans la vie de bébé a pour effet d’empêcher la coordination entre les différentes fonctions corporelles comme la respiration et la digestion (Mazéas, 2015, p. 86). Le rythme de la respiration, celui de la déglutition et celui de l’écoulement du lait lors de la tétée s’harmonisent alors difficilement. Les possibilités de rencontres satisfaisantes avec l’objet s’en trouvent amoindries et le rythme de sécurité (Tustin, 1986, p. 216) s’expérimente moins facilement dans la relation. Tant que la coordination des grandes fonctions vitales n’est pas intégrée psychiquement, des angoisses d’étouffement ou de noyade peuvent perdurer. Certains enfants évitent inconsciemment de prononcer les sons mobilisant la colonne d’air, comme par exemple les fricatives, c’est-à-dire les sons « f ; v ; s ; x ; g ; h ». Inversement, les enfants qui ont eu des reflux gastro œsophagiens (RGO) irritants et douloureux, privilégient parfois des ressentis respiratoires doux et apaisants. Ils ont parfois des agrippements olfactifs ou optent inconsciemment pour un langage chuchoté, peu sonore et limitant les sonorités explosives (Barral et al., 2010, p. 514).
27 La libidinisation de la cavité orale devient perceptible en séance lorsque les sensations corporelles et les émotions nées de la rencontre ont pu être qualifiées et différenciées les unes des autres par le thérapeute. Quand l’enfant découvre l’existence en lui d’un espace, comme celui de la bouche, pouvant se fermer mais aussi devenir un lieu d’appel ou d’expression d’un partage émotionnel, il parvient souvent à investir des nouvelles sensations de plaisir à l’intérieur de cet espace. Il s’intéresse à ses variations d’intonations, aux sensations créées par la formulation de certains sons plutôt ronds dans sa bouche. Il peut chercher à se les approprier parfois dans la solitude puis en présence de l’autre. Ainsi Mathilde [11] s’était mise à répéter les mots désignant les objets ou les qualités d’objets évocateurs des bonnes rencontres avec sa thérapeute. Elle se concentrait visiblement sur le plaisir de leur sonorité ronde comme « avô » pour « bravo », « ôse » pour rose, etc. Pour témoigner d’un ressenti de contenance, ou pour le retrouver quand elle l’avait perdu, elle finit par élire un livre intitulé « Nestor, mon petit trésor », dont elle répétait le titre avec délectation. Elle empruntait alors les intonations de sa thérapeute avec un échange de regards complices.
28 Même chez les enfants ayant accès au langage verbal, les émotions de la rencontre peuvent continuer d’entraîner un vécu de confusion et une désorganisation du sentiment d’exister dans son corps. Aider le patient à différencier les sensations internes dans l’ensemble de son corps pour mieux se les représenter lui permet souvent de retrouver le plaisir d’être dans l’échange tout en maintenant son sentiment d’exister dans son corps. Ce plaisir peut se traduire par un investissement de la musicalité de la voix et des émotions qu’elle traduit.
29 Jules [12] mima ainsi en séance un effondrement au sol puis se mit à roter et faire des pets en même temps. La thérapeute avait commenté ces retrouvailles avec la sensation de l’air traversant et animant son corps, en tentant de différencier d’une part l’air du haut et l’air du bas, en favorisant une verticalisation, mais également l’air de la respiration, l’air de l’estomac et l’air généré par la digestion pour l’aider à se représenter les différents espaces à l’intérieur du corps. Par la suite, Jules reprit ces distinctions en jouant des scènes où un personnage trop ému tombait d’abord dans le coma, perdait sa capacité à respirer seul et devait être aidé par un « respirateur » installé par son entourage. Puis à mesure que les angoisses de tarissement de l’air s’atténuèrent, le personnage ne tombait plus dans le coma mais exprimait ses émotions par des imitations de bruits de flatulences très sonores qui empêchaient les autres personnages de s’entendre. Enfin, quand il parut rassuré sur la continuité de la présence de l’air et sur la survivance de son interlocuteur malgré l’envahissement par le mauvais air des flatulences, il s’intéressa aux animaux qui mordent puis aux ogres et aux sorcières. Il organisa de grands repas partagés par les personnages de ses jeux et quelques interdits alimentaires apparurent. Il précisait par exemple que les ogres et les sorcières n’avaient pas le droit de manger les bébés qui étaient trop petits pour parler et se défendre. À partir de la différenciation de ses sensations corporelles internes, ses angoisses de confusion dans la relation à l’autre diminuèrent, ce qui lui permit de figurer plus sereinement ses mouvements pulsionnels. Ses sensations vocales furent davantage investies pour elles-mêmes et dans une plus grande différenciation des bruits du corps. Jules montra par la suite un intérêt de plus en plus vif pour les airs d’opéra qu’il chantait en prenant sa thérapeute à témoin du plaisir qu’il y trouvait.
Comment le langage se détache-t-il de sa base corporelle ?
30 Les mouvements ou les fonctions corporelles peuvent étayer le développement du langage verbal. Certains enfants commencent à parler en s’appuyant sur les sensations générées par les mouvements corporels lors d’un temps d’échange relationnel comme la tétée. Delphine [13], une adolescente, commença ainsi à parler en écholalie en répétant trois fois le même mot dans un rythme qui évoquait celui de la tétée entre deux respirations. Elle prononçait les mots doucement avec des mouvements de bouche proches de la succion où tout le visage et la tête sont impliqués dans un mouvement rythmique. Ce passage des sons réflexes ou proches de bruitages à des vocalisations ou des verbalisations, apparaît souvent de manière progressive, mais comment le langage se détache-t-il de sa base corporelle ? Jules, à la fin de sa thérapie, demandait par exemple : « Est-ce qu’un Africain qui parle le chinois a les yeux qui deviennent bridés ? » Cette question montre combien les enfants autistes se passent difficilement de l’ancrage sensoriel ou corporel, même s’ils investissent le langage verbal, ce qui rend plus complexe pour eux le travail de représentation. La reconnaissance des formes d’expression de l’enfant et la créativité du thérapeute dans ses propositions gestuelles ou langagières, permettent souvent de construire un espace de partage où les formes d’expression de l’enfant se diversifient plus facilement. Dans cet espace de partage, il arrive que l’utilisation de médiations qui aident à matérialiser l’existence de ce qui est habituellement impalpable, favorise des émergences d’un langage décollé de la vie du corps en direct.
31 Dans ses séances d’orthophonie, Kilian [14] semblait alterner entre des recherches de pesanteur en appuyant lourdement son corps sur celui de l’autre pour stimuler sa sensibilité profonde, et des recherches de légèreté perceptibles dans son utilisation d’une voix de tête très aérienne avec laquelle il parlait en écholalie. L’émergence d’un langage plus directement communicatif dans la relation à l’autre apparut par l’intermédiaire d’une médiation impliquant le souffle. En imitation avec son orthophoniste, il soufflait dans une sarbacane pour faire bouger une petite perle de papier qu’il suivait des yeux sur le bureau. Ce mouvement soufflé mobilisait conjointement la sensibilité profonde liée aux muscles respiratoires et la perception visuelle du déplacement de la perle. La coordination de ces différents types d’impressions sensorielles donne un sentiment de consistance corporelle et soutient le développement de la proprioception (Bullinger, 2006, p. 179). Éprouvée dans le plaisir de la rencontre, cette coordination aida Kilian à mieux habiter son corps dans l’échange avec l’autre. Par ailleurs, le déplacement fluide de la perle sous l’effet du souffle sembla matérialiser l’impact que Kilian pouvait avoir sur les objets du monde extérieur. Il révéla l’existence de choses impalpables, comme le sont les émotions ou les mots du langage, qui circulent entre les êtres animés d’une volonté propre. Sa voix se posa davantage et, parallèlement, il émergea dans un langage verbal de plus en plus souvent directement adressé. Les onomatopées puis les mots qu’il prononçait spontanément étaient dé-corrélés de ses ressentis corporels et évoquaient des instants de rencontre émouvants avec son orthophoniste. La co-création d’expressions langagières dont le sens devient partageable déjà entre deux personnes prépare souvent l’enfant à la possibilité de s’adresser verbalement à d’autres interlocuteurs. Avec l’accord de l’enfant, il est important de pouvoir ensuite évoquer ensemble, avec ses parents et les professionnels qui l’entourent, ces co-créations langagières. En se sentant reconnu dans ses modalités d’expression personnelles et dans son désir de communiquer, l’enfant s’approprie alors souvent plus facilement le sens des mots communément partagé.
Co-existence d’expériences sensorielles ou corporelles et d’évocations par le langage
32 La révélation de l’existence d’éléments impalpables qui relient les êtres entre eux, va de pair avec un travail de transformation des angoisses de disparition éprouvées par le patient. L’attention que porte le thérapeute aux sentiments de disparition de certaines sensations, sans en être sidéré, représente souvent un ressort thérapeutique essentiel. Par exemple, le thérapeute nomme pour le patient la réversibilité possible entre le « là » et le « plus là », ainsi que tous les états intermédiaires entre la sensation du contact et la sensation de la séparation.
33 Mohamed [15], lors de consultations mère-enfant, titubait et semblait se perdre dans l’espace lorsqu’il n’était plus au contact du corps de sa mère. La thérapeute commenta les mouvements d’éloignement et de rapprochement des corps, ainsi que le besoin de se retrouver en contact régulièrement. En appui sur des représentations imagées et chorégraphiques, évocatrices d’un dialogue corporel, elle nomma les différentes parties du corps, comme les doigts, les dents, les pieds, que Mohamed faisait inconsciemment bouger par réflexe tonique lorsqu’il n’était plus en contact avec le corps de sa mère. Lorsque sa mère parla de ses difficultés de sevrage, Mohamed plaça sa bouche ouverte contre son reflet dans le miroir dur et froid dont il s’éloigna immédiatement avec surprise. Reculant en fixant le miroir et en fermant la bouche, il se mit à vocaliser bouche fermée, puis bouche ouverte, « titititi », « tatata », « mamama », « papapa ». Il mit également son index dans sa bouche, le retira avant de toucher sa langue, puis celle de sa thérapeute et celle de sa mère. Après un rire joyeux, il put séparer les sons avec beaucoup de plaisir dans des vocalises variées. La nomination dans le transfert de la chorégraphie des corps qui se trouvent puis se perdent mais continuent d’exister dans l’absence, a certainement permis que la découverte du vide de la bouche contre la surface du miroir ne soit pas sidérante pour Mohamed. L’évocation de la perte de la sensation de complémentarité bouche-mamelon en parlant du sevrage a visiblement créé un espace délimité par les lèvres fermées et à partir duquel de nouvelles sensations ont pu émerger et être partagées.
34 Des changements dans la qualité du regard peuvent parfois témoigner d’un mouvement interne cette fois dé-corrélé d’un mouvement physique direct et qui aboutit, dans certains cas, à des émergences dans le langage verbal. Ainsi, Mohamed observa un jour longuement une balle rouler entre lui, sa mère, une stagiaire et la thérapeute qui commentait à chaque mouvement de la balle ce qu’il avait pu ressentir lors d’un récent examen médical traumatisant. Il s’agissait d’une IRM au cours de laquelle on l’avait emmailloté pour qu’il ne bouge plus. Une tétine avait été scotchée sur sa bouche pour qu’il ne la perde pas alors qu’il hurlait. Après-coup dans la séance, la thérapeute avait nommé cette impossibilité à bouger et à crier tout en maintenant la possibilité d’un mouvement par les échanges de balle. Les mots purent dire alors la détresse du figement qu’il semblait vivre dans la séance en écho à l’immobilisation contrainte lors de l’IRM. Ils pouvaient cependant aussi être associés à la perception du mouvement de la balle. Leur capacité à métaphoriser l’animation du corps et à transformer les vécus de détresse sembla se trouver du même coup révélée. Le regard étonné et plus présent que de coutume, le petit garçon formula à cet instant son premier mot articulé, « bleu », nommant ainsi la couleur de la balle dont les mouvements figuraient la possibilité d’un partage affectif menant à la représentation par les mots d’une terreur jusque-là irreprésentable.
35 * * * *
36 Le matériel clinique rapporté et élaboré au sein du groupe de recherche de la CIPPA sur les émergences du langage montre combien la restauration d’une expressivité partageable entre l’enfant, ses parents, et le thérapeute, représente une étape préalable au déploiement du langage verbal. L’observation fine des réflexes corporels ainsi que la révélation de leur tonalité émotionnelle nourrit chez le patient le sentiment d’être compris sans être encore trop directement engagé dans la rencontre. L’attention prêtée aux substances corporelles, qu’elles soient inconsciemment utilisées par le patient dans des recherches de figement ou à l’inverse de mise en mouvement de ses sensations, représente un support de relation. Leur prise en compte dans le transfert offre des occasions de commenter et de figurer des allers et retours possibles entre le dedans et le dehors, ainsi que des liens entre ces deux espaces. À la faveur de bonnes rencontres avec l’autre, les sensations de différentes parties du corps du patient entrent en résonance. Davantage d’occasions d’intégrer psychiquement la coordination des mouvements corporels, comme ceux de la tétée et ceux de la respiration, apparaissent alors. Cette meilleure intégration laisse la place au plaisir d’utiliser sa voix dans l’échange. Le langage verbal reste souvent ancré dans le sensoriel ou le corporel chez les personnes autistes. Il arrive cependant que sa capacité à métaphoriser les ressentis corporels et relationnels soit révélée pour le patient quand il parvient à sentir, à l’aide des propositions du thérapeute, que du palpable et de l’impalpable peuvent co-exister.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : substances corporelles, coordination des sensations, bouche, réflexes toniques, respiration, mouvement d’adresse
Mise en ligne 18/04/2018
https://doi.org/10.3917/jpe.015.0145Notes
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[1]
Coordination internationale de psychothérapeutes psychanalystes et membres associés s’occupant de personnes autistes.
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[2]
Fondé et coordonné par Chantal Lheureux-Davidse, ce groupe réunit Nathalie Barabé, Armelle Barral, Anne Bauer, Radhia Ben Youssef, Pascale Celton, Alexandra Colinet, Annie Dilanian, Dominique Ferrari, Catherine Gallais, Laurence Guibert, Simon Jaunin, Nagib Khouri, Michèle Knuth, Chantal Lheureux-Davidse, Dominique Mazéas, Caroline Piant-François, Juliana Pollastri, Otilija Sautel, Christiane Varro.
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[3]
Sylvia a été suivie par Chantal Lheureux-Davidse.
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[4]
Icare a été suivi par Dominique Mazéas.
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[5]
Cet enfant a été suivi par Jeanne Champeaux-Ortiz qui a fait partie du groupe « Émergences du langage ».
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[6]
Philippe a été suivi par Annie Dilanian.
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[7]
Jules a été suivi en groupe musique par Geneviève Schneider qui a présenté ses travaux dans le cadre du groupe « Émergences du langage ».
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[8]
Jules a été suivi en psychothérapie individuelle par Dominique Mazéas.
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[9]
Philippe a été suivi par Annie Dilanian.
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[10]
Adama a été suivi par Juliana Pollastri.
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[11]
Mathilde a été suivie par Alexandra Colinet.
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[12]
Jules a été suivi par Dominique Mazéas.
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[13]
Delphine a été suivie par Chantal Lheureux-Davidse.
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[14]
Kilian a été suivi par Dominique Ferrari.
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[15]
Mohamed a été suivi par Armelle Barral.