Notes
-
[1]
Voir la note 1 du chapitre I de cet ouvrage où je fais référence à l’apport d’Alice Girard-Doumic, avec qui j’ai eu la chance de commencer à m’initier aux psychothérapies mère-bébé, dès 1958, dans le service du Pr. Clément Launay à l’hôpital Hérold à Paris et d’assister aux consultations du Dr Pierre Mâle à l’hôpital Henri Rouselle. En 1975, dans Psychothérapie du premier âge, P. Mâle et A. Doumic (Mâle et al., 1975) théoriseront cette pratique à partir de leur collaboration à l’hôpital Henri-Rouselle. L’indication concernait les troubles précoces du développement. Ils écrivent que leur formule de traitement, dérivée de la psychanalyse, se distingue des thérapeutiques classiques. Plus qu’une analyse du transfert, il s’agit de l’accomplissement par le thérapeute d’une régression provoquée. L’accent est mis sur la réparation des temps manqués et « sur le ressenti de la mère au cours de ces séances auxquelles elle participe ». Plutôt qu’aux interprétations en profondeur, la préférence est donnée à la verbalisation du mouvement du jeu permettant la poursuite libre d’associations d’idées, la perception des affects. P. Mâle intégrera cette compréhension de l’intensité des mouvements pulsionnels du début de la vie à celle de la réactivation des mouvements prégénitaux à l’adolescence. B. Golse (2003) reprend cette convergence entre la psychothérapie du bébé et de l’adolescent dans l’après-coup de la puberté. À l’adolescence, comme lors des thérapies du jeune enfant, la régression permet de revivre les premières expériences de la vie. Le souvenir inscrit dans le corps est proche. Les pulsions partielles ont une possibilité nouvelle pour être mieux intégrées dans la génitalité grâce à la rencontre de nouveaux objets ; Cette expérience s’est poursuivie avec S. Daymas. La consultation à l’hôpital Saint Vincent de Paul de M. Soulé et L. Kreisler dans le service du Pr. Lelong a été aussi un lieu privilégié pour aborder ces psychothérapies précoces incluant la mère. Dans les années 1970, Winnicott a exposé une pratique plus proche des consultations mère-bébé, travaillant dans le préconscient à l’intérieur d’un espace transitionnel dont il faisait partie. Son projet concernait la différenciation progressive des mondes interne et externe. Il est certain que le thérapeute peut constituer un objet transitionnel qui aide l’enfant à se séparer de sa mère, et qui sera laissé ultérieurement à son tour.
-
[2]
J’ai abordé cette question pour des manifestations somatiques dans les traitements analytiques d’enfants (Lechevalier, 2004 et 2016).
-
[3]
Deux prostituées, qui cohabitaient, avaient enfanté. Dans la troisième nuit un des bébés mourut. L’une d’elles accusa l’autre d’avoir écrasé son propre bébé en dormant et de lui avoir substitué l’enfant vivant de sa voisine. Ce qui était démenti par l’autre. Le roi Salomon ordonna de couper l’enfant en deux et de partager les deux moitiés entre les femmes. Celle dont l’enfant était vivant supplia de l’épargner et de le donner à l’autre femme. Alors que celle-là souhaitait le partage. Salomon reconnut alors la première comme la mère.
-
[4]
Il pense aussi qu’il s’agit d’éprouvés sensoriels perçus sans espace tridimensionnel. Il donne toute son importance à l’accrochage à la concrétude.
1 Martine a été traitée en séances psychanalytiques mère-enfant pour autisme entre l’âge de 3 mois et 8 ans (Lechevalier, 2004). À l’âge de 24 ans, elle revient me voir lors d’une crise douloureuse sentimentale compliquée. Sa mère, qui a toujours gardé une alliance thérapeutique avec moi, me téléphone pour reprendre rendez-vous pour sa fille. Elle est catastrophée du comportement de Martine. Celle-ci fait souffrir un jeune homme avec des conduites « inadmissibles dans la tradition familiale ». Martine me retrouve en larmes, en proie à une culpabilité anxieuse. Elle ne dort plus. Elle a des idées suicidaires. Elle est heureuse de revenir en adulte. Deux ans auparavant Martine m’avait envoyé une carte postale représentant un bateau voguant vers le large. Elle m’exprimait une grande reconnaissance pour l’aide que je lui avais apportée. Elle avait réussi son baccalauréat et préparait un master d’assistante- manager. Quand je la revois, elle a terminé avec succès ses études et cherche du travail.
2 Gisèle a été en analyse mère-enfant entre l’âge de 3 ans et 6 ans pour des troubles du sommeil à composante névrotique chez une enfant adoptée, ayant subi des traumatismes précoces. Après la fin de la cure, alors que le développement de Gisèle se poursuit harmonieusement, sa maman revient me voir pour une demande d’analyse personnelle. Elle a compris ce qui se passait en elle concernant sa frigidité, à l’occasion d’une interprétation de ma part à propos de l’agressivité orale de sa fille jouée dans la cure. Madame G. voulait mordre son mari quand il cherchait à la pénétrer.
3 Si nous croyons les augures des médias et de certaines associations, la psychanalyse de l’enfant serait condamnée à la stérilité ou à la poursuite d’une malfaisance au long cours ! Pourtant les résultats (connus dans une trop grande discrétion), dans l’après-coup des psychanalyses mère-enfant, mettent en évidence, dans certains cas de pathologies lourdes, la possibilité d’une vie psychique d’adulte tant dans sa qualité affective que dans son autonomie sociale. Il faut pour permettre cet espoir un traitement extrêmement précoce, intensif, mené par un praticien ayant eu une formation spécifique concernant les angoisses précoces et travaillant en liaison avec une équipe pluridisciplinaire.
Peut-on parler de psychanalyse à un âge si précoce et avec un tel cadre ?
4 La psychanalyse classique telle qu’elle est pratiquée depuis S. Freud implique une relation singulière entre deux adultes. La parole est l’instrument de leur relation. Un cadre précis divan-fauteuil, aménagé de façon rigoureuse pour le lieu et les horaires, est indispensable. Tel ne peut être le cas avec un jeune enfant, voire un bébé qui n’a pas accès à la parole et ne peut être immobilisé sur un divan ! La présence maternelle contrevient aux règles de la discrétion. Comment des interprétations profondes peuvent-elles se formuler en sa présence ? Enfin une fréquence intensive des séances est-elle faisable ?
5 Mais si nous pensons en terme de processus permettant l’advenue à la conscience subjectivante d’éléments inconscients non seulement refoulés mais aussi réprimés, n’ayant pas eu accès à la représentation symbolique, nous nous trouvons au cœur de l’entreprise de la thérapeutique psychanalytique mère-enfant. L’accès à la représentation verbale est permis par le travail associatif commun entre la mère et l’analyste. Des éléments sensoriels isolés préperceptifs peuvent ainsi prendre figure grâce à la communication non verbale. De plus l’objectif de cette cure est de permettre la modification des objets internes, projet essentiel de toute analyse.
6 Si le cadre est modifié sur le plan spatial, il garde toute sa rigueur dans la temporalité par la fixité et le rythme du nombre des séances dans le même lieu.
7 S’agit-il de la psychanalyse de la mère et de l’enfant ? De l’enfant en présence de la mère ? Il me semble que dans le champ analytique ainsi constitué au sens des Baranger (Baranger M. & W., 1969), le processus inconscient et les fantasmes en action concernent le lien mère-enfant qui peut se modifier et passer de la symbiose à la triangulation dans le jeu des transferts projetés dans cet espace. Le rôle paternel est alors crucial tant dans le transfert que dans sa présence concrète dans les séances. De l’adhésivité sur une surface plane nous passons à un espace tridimensionnel où s’origine le sujet. Le souffle de l’existence peut advenir avec la naissance psychique et l’érotisation de zones corporelles non advenues à la perception. Les ruptures du contenant avec leur risque catastrophique peuvent favoriser des mouvements de vie, car entourées par les paroles, en alliance des adultes protagonistes dans cet espace.
8 La question se pose des modalités du transfert du nourrisson dans les analyses mère-enfant : transfert sur sa mère avec réactualisation des premières expériences vécues dans les similitudes rencontrées dans les traces lors du déroulement du processus ? Transfert sur le thérapeute ? Ou transfert dans le champ analytique ? Ou intertransfert amenant des significations nouvelles pour les affects inscrits dans les gestes dans la mouvance du champ analytique ? J. Norman (2003) pose la question de la nécessité exigée par certains auteurs pour parler d’analyse, de la compréhension du langage verbal par le bébé. Avec le développement de la compréhension du langage lexical dès la première année de la vie, elle parle de « compréhension bilingue ». Il faut souligner toutefois comme elle qu’il s’agit d’une compréhension parcellaire associée aux intonations de la voix, à son rythme, aux expressions des yeux, etc. Il ne s’agit pas d’une compréhension dès la naissance du contenu verbal, comme le suggère F. Dolto. Il n’existe d’ailleurs, comme le fait remarquer J. Norman, aucune étude prouvant que le nouveau-né peut comprendre la signification lexicale du langage. Reste la question des transferts dans le champ analytique. Nous l’aborderons un peu plus loin. B. Salomonsson (2013) s’interroge sur le sens transférentiel de certains symptômes (dont l’évitement du regard) dans les cures mère-enfant concernant l’analyste et témoignant le transfert sur lui d’angoisses précoces. Il souligne l’importance de la communication non verbale. Il montre l’évolution de deux enfants grâce à ses commentaires s’adressant directement au bébé et concernant le transfert négatif lié à l’identification projective. Il pose la question de l’après-coup dans le transfert de l’impact d’un traumatisme précoce. Il montre également avec un autre cas l’existence d’une composante indirecte du transfert en relation avec les parents. Il utilise alors son travail analytique avec le père.
Pourquoi parler de psychanalyse et pas de psychothérapie ?
9 Certes la différenciation est difficile. Les psychothérapies mère-enfant ont montré leur efficacité avec les travaux de B. Cramer et F. Palacio Espasa (1993, 1994), de R. Debray (1987), de M. Soulé (2012), de S. Lebovici (1991). Leur cadre est fait de séances espacées, pendant une durée limitée. Leur projet est de permettre la reprise du dynamisme des processus de vie à un âge très précoce. Leur indication concerne des cas où la modification du matériel en séance et la réversibilité des symptômes témoignent de la fluidité des processus psychiques. Les auteurs excluent des indications les cas avec rigidité et répétitivité dans l’organisation psychique des protagonistes. Dans les limites de mon sujet, je ne peux développer tous les enrichissements qu’ils nous ont apportés pour la compréhension des projections parentales des interactions fantasmatiques et de leur inscription dans le corps ou le comportement de l’enfant, notamment avec les recherches de B. Cramer et F. Palacio-Espasa et leurs interrogations sur le transfert des bébés. Mais le projet de clarification des projections et le travail d’introjection pour les protagonistes peuvent-ils entraîner des modifications durables ? Le choix de la psychanalyse plutôt que d’une thérapie brève est lié à certaines modalités de la pathologie. R. Debray (1987) distingue les remaniements rapides bénéficiant de la plasticité de la période périnatale, et les pathologies marquées par le peu de mobilité et la répétitivité nécessitant une approche classique, individualisée. La thérapie conjointe est souvent pour elle une étape préliminaire à une approche psychanalytique de l’enfant seul. La question posée dans les thérapies brèves est celle de l’impact de la suggestion et des interventions agies du thérapeute dans la force d’un transfert où les mécanismes d’identification projective sont en jeu. A. Watillon-Naveau à partir de sa grande pratique clinique avec les bébés pose la question : « magie ou psychanalyse » dans un essai d’élaboration théorique (Watillon-Naveau, 1996). Par ailleurs, reste la question tout en nuances du thérapeute. Son analyse personnelle lui a-t-il permis d’accéder à ses propres angoisses du début de la vie ? A-t-il eu une formation suffisante incluant supervisions et séminaires ? Travaille-t-il en alliance avec une équipe permettant une enveloppe pluridisciplinaire contenante, évitant ainsi les risques de positions narcissiques toutes-puissantes ? C’est la réceptivité contre-transférentielle passive dans la solitude et l’angoisse, et active dans la distance qui favorise une prise de conscience et l’accès à la représentation. Celle-ci permettra l’espoir d’une modification des objets internes. Ce qui est possible pour l’enfant dans la rencontre psychanalytique, l’est aussi quelquefois pour la mère, voire le thérapeute. Enfin l’intériorisation d’une fonction analytique est possible. Elle accompagnera l’enfant devenu adulte.
10 Bion, cité par Ronald Britton (2017) dans une conférence donnée au GERPEN en janvier 2016, a souligné que le modèle théorique potentiel du psychanalyste ne devrait agir que comme contenant pour le modèle personnel du patient et pas l’inverse. Donc un modèle ou une théorie analytique ne doit pas chercher un contenant chez le patient. Mais celui-ci doit être accueilli dans la réceptivité de l’analyste à l’aide d’une théorie. Lors d’un échange avec D. Quinodoz nous évoquions le souvenir de P. Luquet qui avait été notre superviseur. Il nous invitait à prendre conscience, en dégageant de la distance, afin d’élaborer notre propre théorisation implicite en action dans notre pratique. D. Quinodoz exprimait combien cette injonction l’avait aidée par la suite, et l’avait conduite à l’écriture. Pour ma part, ce conseil m’a permis, entre autres, une approche clinico-théorique du traitement du lien dans le champ des psychothérapies analytiques précoces, intensives, mère-enfant. Au congrès de l’IPA de Mexico, en 2011, j’écoutais Madeleine Baranger. Elle nous racontait comment avec son mari, ils avaient élaboré la théorie du « bastion », en groupe, en partageant leurs difficultés cliniques devant des impasses. Ils avaient travaillé dans un petit groupe de recherche à partir de la clinique. Ils cherchaient à comprendre leurs échecs. La théorisation du bastion est issue d’une prise de conscience émergeant du travail de groupe. Il en est de même pour cette élaboration à partir de mon expérience personnelle, de la transmission que j’ai reçue, et du travail en groupe avec des plus jeunes expérimentant des modalités nouvelles du cadre en fonction de l’extension des indications.
La question de l’étiologie : un faux problème
11 Le projet de cette démarche analytique n’est pas de rechercher une cause expliquant la symptomatologie ou le développement pathologique d’un jeune enfant. Il n’est pas de traquer dans les profondeurs de l’inconscient la cause (qui est malheureusement quelquefois perçue comme la faute transformée en culpabilité) dans la relation maternelle voire intergénérationnelle. Il est important quand nous approchons des bébés et jeunes enfants, de leurs familles et des autres praticiens en action dans les démarches thérapeutiques, de ne pas s’impliquer dans des conflits de théorisations étiologiques où la conjoncture actuelle cherche à nous entraîner. J’ai abordé cette question dans deux numéros de la revue Neuro-psy (Lechevalier, 2007a, 2007b). L’approche psychanalytique n’est pas une approche étiologique. Elle est une approche, en recherche de sens, de l’unité corps-psyché du sujet en quête d’existence individualisée, et en développement dans un environnement relationnel. Quels que soient sa constitution physique, les évènements traumatiques, les interrelations familiales, etc., nous avons à travailler dans un champ où nous prenons en compte l’inconnu des forces inconscientes s’inscrivant dans le corps, dans la dynamique relationnelle, avec un fantasme en jeu dans l’espace analytique, constitué en processus. Nous n’avons pas à préjuger d’une étiologie. Cela nous évite des conflits qui ont été mis en épingle sur la place publique. Des cas avec lésions organiques constatées dès le début de la vie et tableau clinique autistique peuvent évoluer vers une transformation tant de l’autisme que des capacités intellectuelles grâce à un traitement psychanalytique intensif. Je pense à un bébé né avec un eczéma géant et souffrant de crises convulsives avec anomalies cérébrales importantes aux examens radiologiques, et traitée par V. Poulet-Young. Grâce au traitement mère-enfant, l’enfant put accéder à un développement surprenant de sa vie intellectuelle permettant sa scolarisation, ainsi qu’à la transformation de ses troubles somatiques. La confiance en l’impact relationnel et la plasticité cérébrale a introduit la dynamique de l’espoir dans le champ analytique et les interrelations familiales.
12 Les conflits avec les familles qui, à juste raison souvent, se sont sentis accusés d’être responsables du désordre autistique, ou des troubles du comportement, ont porté la bagarre en exergue dans les médias et chez les pouvoirs politiques. C’était vrai dans les années 1970, en s’appuyant sur Bettheleim et sur Maud Mannoni (que j’ai entendue exposer sa théorie de l’enfant symptôme, à la Société de neuropsychiatrie de l’enfant en 1965). J’ai le souvenir dans les années 1970 d’hôpitaux de jour parisiens, où un enfant ne pouvait être admis que si l’un ou l’autre des parents ne s’engageait dans un traitement psychothérapique analytique. Certes, c’était une époque révolutionnaire pour la prise en charge institutionnelle psychanalytique des enfants et des adolescents souffrant de psychose ou d’autisme infantile. Nous luttions contre la perte d’espoir des théories psychiatriques à l’époque, qui condamnaient à une évolution dans l’enfermement psychique. Actuellement, la compréhension des interrelations familiales précoces n’est pas une approche étiologique. Il en est de même de l’approche des désordres psychosomatiques, des pathologies du langage, des conséquences des traumatismes précoces. Enfin les progrès de la neuropsychologie et de la génétique ne permettent pas de résoudre la question de ce qui est en jeu de la part lésionnelle incontestable dans certains cas, et de la part fonctionnelle dans la dynamique développementale en tenant compte de la plasticité cérébrale. Ces données en tous les cas sont une injonction pour commencer les traitements le plus tôt possible, bien avant 3 ans !
13 L’approche psychanalytique est une approche dynamique dans une conjonction polyfactorielle. Les théorisations ne concernent pas l’étiologie, mais sont des hypothèses, plusieurs hypothèses (sinon ce serait une idéologie) nous aidant à penser des angoisses indicibles dans notre voyage analytique.
14 Nous sommes au cœur d’un mystère non résolu, au cœur d’une aventure dans ces traitements qui nous font errer dans la solitude partagée de ce qui est en agonie de ne pouvoir advenir à l’existence. L’espoir contre tout espoir dans le contre-transfert, et la conviction de la vie fragile et protégée dans la carapace de l’isolement nous stimule dans la traversée des déserts de cette entreprise. Les théorisations nous accompagnent comme des bouteilles de thermos prêtés par des explorateurs pionniers de ces espaces. Ce sont des nourritures pour la pensée. Ce sont des hypothèses venues grâce à l’expérience d’autres qui partagent notre espoir. Elles nous dégagent d’un collage contre-transférentiel. Elles ne sont pas une vérité. Elles nous aident à continuer non pas à vérifier ces hypothèses, mais à donner des sens possibles à notre expérience comme nous invite Bion.
Les indications
15 Elles semblent se limiter à des pathologies où la fixité, la répétitivité résistent à la mobilisation des consultations thérapeutiques.
16 Dans ces cas, un cadre au minimum bihebdomadaire, de préférence de trois séances par semaine, est institué. Sont inclus les traitements mère-bébé commencés dès le début de la vie. Sont concernées des problématiques à prédominance conflictuelle névrotique, ou infiltrées de mécanismes psychotiques, où le risque d’organisation autistique est en jeu, certaines pathologies psychosomatiques fonctionnelles ou lésionnelles graves du nourrisson (en particulier troubles du sommeil, anorexie, mérycisme, asthme, eczéma). En l’absence de traitement analytique intensif mère-enfant précoce, l’évolution peut se faire, vers des personnalités hétérogènes, avec une enclave autistique ou un noyau dépressif datant du début de la vie. Ailleurs l’autisme infantile est au-devant la scène. Enfin plus récemment je donne toute son importance aux pathologies intitulées « hyperactivité » où les angoisses existentielles jouent un rôle important, avec quelquefois des défenses maniaques. La dépression primaire est latente comme dans certaines affections psychosomatiques graves. Nous sommes au carrefour de la constitution de personnalités hétérogènes. Nous savons qu’en l’absence de traitement précoce le risque de troubles psychopathiques graves est grand à l’adolescence. À l’adolescence le désespoir de trouver un sens peut conduire aussi à la criminalité ou à l’illusion addictive, voire au terrorisme. Plutôt que les solutions répressives concernant des adultes pouvant passer à l’acte, c’est la prévention précoce par des traitements subjectivants du lien qui doit être investie par une société en désarroi devant la destructivité meurtrière et le non-sens idéalisé. Le meurtrier du Rouvray en Normandie avait été traité à un âge précoce par médicaments pour hyperactivité !
17 Les projections parentales sont souvent importantes dans ces pathologies, ne permettant pas à l’enfant de se constituer un espace psychique personnel. Des mécanismes intergénérationnels d’adhésivité à des traces traumatiques inconscientes datant des générations précédentes peuvent favoriser la transmission de la destructivité. La famille du meurtrier du Rouvray avait subi les traumatismes de la Guerre d’Algérie. Le risque en l’absence d’accès à la symbolisation est la somatisation, l’agi, notamment à l’adolescence (Lechevalier, 2016). Je différencie ce mode d’approche du lien mère-enfant, de celui des traitements individuels de l’enfant, accompagnés de consultations pour les parents. Nous connaissons la rapidité et le caractère spectaculaire de la régression de certaines symptomatologies grâce aux thérapies brèves surtout lorsqu’elles sont pratiquées dans les premiers mois de la vie. Il n’est pas toujours facile de savoir dans une première approche, s’il s’ensuit une reprise du développement, où les interrelations pathologiques ne seraient pas grevées par des projections parentales violentes, destructrices, entravant la constitution d’un espace personnel chez l’enfant. Ceci est à craindre en particulier dans un contexte de deuil. En tous les cas la guérison trop rapide des symptômes peut entraîner l’arrêt des consultations, et de la réflexion nécessaire pour peser la décision. Lorsque les troubles de type psychosomatique sont sur le devant de la scène, la non-mobilité, la fixité de l’organisation des interrelations devrait conduire à une prise en charge au long cours. Chez l’enfant plus grand, devant des pathologies phobiques infiltrées d’angoisses diffuses du début de la vie, il faut savoir entreprendre ce type de traitement. De même, lorsque la participation maniaque constitue une défense contre la dépression primaire, l’approche mère-enfant intensive et au long cours, même débutant avant l’âge de trois ans évite la répétitivité figée de certaines psychothérapies hebdomadaires à une séance de l’enfant seul. Se pose la question, dans ces cas, comme aussi dans certains retards du langage, certains mutismes extra-familiaux, de la coexistence d’une enclave autistique avec d’autres aspects de la personnalité évoluant dans la conflictualité œdipienne. Pour des pathologies massives d’ordre familial et traumatique comme les maltraitances, les passages à l’acte incestueux, nous devons quelquefois envisager d’autres modalités d’intervention conjointes, familiales et sociales qui peuvent primer.
La pratique
18 J’ai abordé (Lechevalier, 2004) [1] les jalons historiques qui m’ont accompagnée. Une double expérience clinique m’a amenée à réfléchir sur les
Modalités du cadre
19 Le rythme. En même temps que des psychothérapies mère-bébé ou enfant à une séance par semaine, je pratiquais des analyses d’autismes et de psychoses de l’enfance. Je suis passée d’une pratique de deux, à trois séances hebdomadaires. J. Norman le pratique aussi. C’est ce cadre que mes supervisés utilisent. Se pose alors la question du transfert non analysé de la mère, et de sa dépression lorsqu’à un moment inévitable, souvent non préparé, l’enfant la fait sortir de la salle de jeux. Si l’enfant a évolué dans sa relation fusionnelle avec sa mère et souhaite une relation individualisée, ce n’est pas toujours le cas pour la maman qui reste accrochée à son enfant. Souvent une réaction envieuse se développe. Il s’agit d’envie concernant un sein analytique dont elle ne bénéficie plus, et envie de l’image maternelle idéalisée du thérapeute ; et aussi jalousie fraternelle de son enfant, qui atteint la petite-fille en elle s’épanouissant dans le transfert grand-maternel. Dans de très rares cas elle entreprend une démarche analytique pour elle-même. Exceptionnellement un père s’est engagé dans une psychothérapie personnelle. Ce fut le cas pour le papa de Martine, il souffrait de somatisations diverses. Je pris conscience qu’il avait porté péniblement la charge de sa femme et de sa fille en travaillant d’avantage pour réduire les heures d’activité professionnelle de sa femme et psychiquement seul face à l’angoisse familiale, sans être inclus dans l’espace thérapeutique. Je le lui dis et l’invitais à être présent selon sa demande aux séances. Les progrès de langage verbal de sa fille furent alors manifestes (cas de Martine, in Lechevalier, 2004) Cette expérience me conduisit à introduire davantage les pères dans les séances. Par ailleurs, la fréquence de somatisations graves des mères, lorsqu’elles sortaient trop vite pour elles-mêmes de l’espace analytique, m’interpella (cancer du pancréas pour la maman de Joëlle) (Lechevalierr, 2004). Ce fut le cas aussi d’analyses individuelles d’enfants autistes évoluant favorablement dans un processus de subjectivation, et dont les mères n’avaient pas eu accès à l’espace thérapeutique (cancer du sein dans un cas). Je pensais que parfois l’accrochage s’était fait dans une zone corporelle érotisée dans le processus analytique. La séparation brutale provoquait-elle une excitation n’ayant pas accès à un travail de symbolisation suffisante [2] ? Nous eûmes des échanges sur cette question avec H. Suarez-Labat qui avait fait les mêmes constatations. Aussi, je renonçais à l’idéalisation de l’analyse avec l’enfant seul qui m’avait conduite à ne pas prolonger dans le temps les séances mère-enfant. Je poursuivais ce cadre le plus longtemps possible. Ce fut ainsi le cas de Martine jusqu’à l’age de cinq ans et demi. Sylvain, enfant hyperactif fut en traitement de l’âge de 4 ans jusqu’à 7 ans, etc. Mes collaboratrices du CMPP prolongèrent cette durée dans des cas d’hyperactivité, de maltraitance ou d’anorexie avec importance de la problématique intergénérationnelle. Leur créativité les conduisit à inaugurer des séances alternées : deux mère-enfant et un avec l’enfant seul, et ensuite l’inverse, avant de continuer avec l’enfant seul. Je conseillais cette pratique à de plus jeunes thérapeutes en supervision, travaillant dans des institutions parisiennes. Un travail de réflexion en résulta concernant la complexité des transferts avec la modification du champ analytique. Je reviendrai plus loin sur cette question des transferts.
20 Le temps de 45 minutes des séances a toujours été pratiqué par moi. Certains collègues ont utilisé des séances plus longues. La difficulté actuelle est liée à la pression des institutions pour raccourcir ou diminuer le nombre des séances. En général, l’alliance thérapeutique établie avec les parents permet d’obtenir leur accord pour ce cadre. Les difficultés viennent des institutions, qui paradoxalement ne cherchent pas à réduire le temps de présence thérapeutique de l’enfant, mais à réduire le nombre de séances analytiques. Des rivalités narcissiques dans certaines équipes ont conduit ainsi à remplacer une troisième séance pour un enfant de quatre ans à risque autistique, par une initiation culinaire en groupe. Qui a la meilleure cuisine ?! Il est certain que l’approche de certaines pathologies est poly-factorielle. Mais souvent nous nous heurtons aux rivalités envieuses dans les groupes de femmes, évoquant l’histoire biblique du Jugement de Salomon [3].
21 L’âge du début. Selon mon expérience dans l’après-coup de ces cures, le pronostic à long terme pour les capacités intellectuelles, les possibilités de richesse de la vie amoureuse et de l’autonomie professionnelle dépend de la précocité du traitement surtout lorsque sont en jeu des angoisses existentielles et la dépression primaire. Pour moi, précocité veut dire avant un an, si possible dès les premiers mois de la vie ! Je l’ai pratiqué dès le début des années 1980 avec des bébés de moins de 6 mois (Lechevalier, 2004). Cela bien sûr n’exclue pas les traitements commencés à un âge tardif. Il nous est arrivé d’entreprendre au CMPP de l’Université de Caen des traitements mère-enfant à l’âge de plus de cinq ans. Luisa C. Busch de Ahumada et Jorge L. Ahumada (2015) soulignent la nécessité de ce traitement conjoint intensif, quatre séances par semaine, très précoce, à 19 mois, dont ils pensent avoir été les premiers. Ils omettent les travaux d’E. Garma, pionnière de la Psychanalyse de l’Enfant en Amérique Latine, qui pratiquait ces traitements précoces (certes avec moins de séances hebdomadaires) avant les années cinquante. Elle nous avait exposé lors de son passage à Caen, un traitement conjoint d’un enfant de moins de 2 ans qui éprouvait des angoisses existentielles. M.C. Laznik (2014) nous montre aussi sa pratique analytique extrêmement précoce avec des bébés autistes et leur mère, mais pas dans une séquence intensive et avec des modalités de cadre particulières.
22 La longue durée du traitement mère-enfant est liée à la nature du lien fusionnel entre la mère et l’enfant et son hétérogénéité.
23 Nous sommes en présence d’une unité corps-psyché de la mère et de l’enfant. Si souvent l’évolution de l’enfant se fait dans un mouvement d’individualisation, le thérapeute ne doit pas s’illusionner sur ce qui est en jeu dans l’organisation psychique de la mère. Des projections venant de ses objets internes peuvent la conduire à l’adhésivité à son enfant, quelquefois dans une zone corporelle privilégiée. Une séparation prématurée peut provoquer une décompensation somatique chez elle. Par ailleurs le fantasme de vol d’enfant favorise l’attaque envieuse, d’autant plus si cela rentre en collusion avec un mouvement de rivalité œdipienne mal analysé dans le contre-transfert de l’analyste. Ce double risque de somatisation chez la mère, et d’interruption du traitement du fait d’attaque envieuse (Lechevalier, 2004, chap. III « chronique d’un échec »), m’a conduite à retarder le plus longtemps possible la sortie de la mère de la salle de jeu et à instituer des séances alternées (enfant seul et mère-enfant). Par contre à long terme, l’évolution de ces traitements mère-enfant intensifs s’est toujours faite dans ma pratique, et celle de mes collaborateurs, vers une terminaison avant l’âge de 9 ans. Cela n’a pas été le cas pour l’analyse de personnes autistes traitées en prenant l’enfant seul, même avec une analyse trois fois par semaine. C. Anzieu-Premmereur (2002) en relatant un cas traité au centre Alfred-Binet de Paris souligne le caractère « artisanal » de ce traitement, « plus volontiers orienté sur la monographie telle qu’on la conçoit dans la pensée psychanalytique que sur l’étude des nombres ». Elle considère que ces traitements conjoints de longue durée restent du domaine de la « recherche psychanalytique ». Pour ma part, cette pratique me paraît indispensable dans un but de prévention, compte tenu de la différence des évolutions que j’ai observées à long terme. Mon espoir est de lever les entraves au processus de vie, grâce au rôle co-thérapeutique de la mère, et à la modification des objets internes. Le travail d’explication avec les institutions et les organismes payeurs le permet. Certains analystes d’enfant réussissent à instituer ce cadre en pratique libérale, en s’appuyant sur un réseau psychopédagogique.
La prise en charge des parents en accompagnement est indispensable
24 Nous avons des entretiens à rythme variable du thérapeute avec la maman, en dehors des séances. Cela lui permet de poser des questions et d’élaborer ce qui n’a pas pu être développé au cours des rencontres avec l’enfant. Il est rare que la maman demande par ailleurs un espace thérapeutique personnel. Nous avons ainsi appris lors d’une cure que je supervisais d’un enfant souffrant de retard grave du langage, de famille d’origine d’une île asiatique, des renseignements surprenants sur les baisers sur la bouche en séance. La mère le demandait constamment à son fils. Il s’agissait d’un usage familial qu’elle répétait en séance. Cela avait été fréquent entre son père et elle. Celui-ci était décédé. Une identification vampirique était en jeu avec son fils en danger psychotique.
25 D’autre part des rencontres avec les deux parents sont toujours institués. Cela n’exclue pas le soutien d’un consultant qui intervient dans toutes les décisions concernant la réalité du développement de l’enfant (santé, école, etc.) et son insertion sociale.
Importance de la régression et de la communication non verbale
26 Celle-ci est induite par l’analyste commente A. Doumic-Girard (Mâle, Doumic-Girard, Benhamou, Schot, 1975), avec le cadre de la salle de jeu et les jouets personnels de l’enfant dans une boîte à sa portée, grâce à sa lenteur, sa patience, sa voix, comme la qualité de ses silences, dans un contact visuel maintenu, tâtonnant dans sa recherche en suivant l’enfant sans le contrôler, sans le brusquer. La mélodie de la voix (Touati, Joly, Laznik, 2007) contribue à cette régression, « langage litanique » disait P. Mâle. « Mamanais » adapté au très jeune enfant. La maman revit elle-même tout un monde d’expériences sensuelles qui ainsi lui sont révélées. Des interrogations peuvent suivre pour elle. Les verbalisations concernant l’enfant ne lui suffisent pas, elle attend des réponses. P. Mâle aidait les mères par ce qu’il appelait des « explications ayant valeur d’interprétation ». La formation à l’observation psychanalytique de bébés selon la méthode d’Esther Bick est une excellente approche de la communication non verbale et de l’attention aux émotions dans les échanges corporels. Elle permet l’attitude réceptive, évitant le contrôle, dans la musique des émois contre-transférentiels. Elle apprend dans l’après-coup de la séance, un travail à la recherche d’un ou des sens en évitant un placage théorique. Dès 1979 A. Doumic, dans sa préface au livre de M. Malinsky & Frédéric (Malinsky & Frédéric, 2002), insiste sur le souvenir du corps réactualisé dans la régression pour l’enfant et aussi pour sa mère. Bien plus ajoute-t-elle sont réveillées en celle-ci « des échos d’expériences lointaines. Elle y retrouve ainsi, confondue, l’histoire de sa propre enfance avec ses parents ». J. Norman (2003) pose la question de la nécessité exigée par certains auteurs pour parler d’analyse de la compréhension du langage verbal par le bébé. Avec le développement de la compréhension du langage lexical dès la première année de la vie, elle parle de « compréhension bilingue ». Il faut souligner toutefois comme elle, qu’il s’agit d’une compréhension parcellaire associée aux intonations de la voix, à son rythme, aux expressions des yeux, etc. Il ne s’agit pas d’une compréhension dès la naissance du contenu verbal, comme le suggère F. Dolto. Il n’existe d’ailleurs aucune étude prouvant que le nouveau-né peut comprendre la signification lexicale du langage. Je parle souvent directement au bébé dans le double but de l’établissement d’une relation d’échange avec lui et en même temps de celui de donner une forme d’interprétation indirecte à la maman. Inversement, comme dans les premières séances de Martine âgée de trois mois, les modifications de la voix maternelle après un échange direct entre elle et moi ont été perçues par le nourrisson et ont entraîné des changements de la voix maternelle et de l’investissement par le nourrisson de la sphère orale dans la poly-sensorialité. Des modifications du même ordre sont observées par J. Norman avec Lisa âgée de six mois qui refusait de regarder sa mère. Un cadre de trois à quatre séances par semaine fut établi pour elle. Dans les trois cas qu’elle rapporte le nourrisson a été attentif à la présence et aux paroles de l’analyste en le distinguant de sa mère et en établissant un échange émotionnel.
27 Les transferts. Ils sont multiples et mouvants dans le Champ Analytique. Il faut remarquer que l’espace qui se développe dans ces thérapies, d’autant plus si le père y participe occasionnellement par sa présence concrète aux séances, n’est plus le champ bi-personnel que décrivent les Baranger lors des cures classiques d’adulte. Ce travail a été magistralement repris par A. Ferro. Dans ce champ bi-personnel, le fantasme inconscient du couple cherche à partir du travail du contre-transfert à être mis en représentation. La fonction alpha du travail de rêve de l’analyste est essentielle. Dans les cures mère-enfant, le thérapeute en s’inscrivant en tiers et favorisant la projection, multiplie les identifications projectives croisées. La complexité de ces mouvements identificatoires est liée à l’intrication d’éléments venant de la génération précédente. Nous avons abordé plus haut la question soulevée par le transfert du bébé. Souvent un transfert paternel est projeté sur l’analyste. Ce n’est pas son rôle séparateur qui est seulement en jeu. Un nouveau personnage stimule la curiosité et les investissements du très jeune enfant. Il fait découvrir un monde nouveau. Enfin il substitue la verbalisation à la communication fusionnelle non verbale. L’enfant doit chercher à articuler un début de parole pour désigner un objet au lieu de le montrer de sa main. Certes nous pourrions évoquer la pédagogie ! Mais entre en jeu un nouvel investissement transférentiel qui fait accéder à la symbolisation. Ainsi si le transfert est souvent grand-maternel pour la mère, il peut être paternel pour le bébé. Et nous pouvons parler de « papa analyste » à l’enfant, même s’il s’agit d’une femme. D’ailleurs il est aussi important qu’un analyste homme puisse se reconnaître et se nommer comme une « maman X ». Le clivage, l’identification projective et les objets partiels doivent être travaillés à mon avis en endossant aussi le négatif du transfert. Cette méthode m’avait été transmise par A. Doumic dès la fin des années cinquante. Le but recherché avec les commentaires et interprétations était, en verbalisant le négatif projeté sur l’analyste, de verbaliser aussi un positif concernant la maman. Celle-ci faisait alors l’objet d’un investissement nouveau. Elle-même pouvait aussi par la suite s’identifier à la capacité négative de l’analyste. Cela ne représentait plus alors une blessure narcissique terrifiante. À l’avenir elle pourrait recevoir les projections hostiles de l’enfant sans s’effondrer. B. Salomonsson (2013) souligne l’importance de ses commentaires au bébé, concernant le négatif du transfert. Mais son but concerne l’atténuation des projections surmoïques sur l’Objet projeté. Ce que je cherche à modifier est le lien mère-enfant. Souvent alors des commentaires de la mère introduisent le rôle dans les projections d’une imago grand-maternelle projetée sur l’analyste. Il m’est aussi arrivé de recevoir de la part d’un papa, un surmoi castrateur venant d’un grand-père !
28 Les commentaires et interprétations dans le champ analytique avec le rôle de co-thérapeute de la mère. Les commentaires de l’analyste précisent d’abord, que si une grande tolérance à la régression est permise, c’est exceptionnel dans le cadre des séances, et ne doit pas être pris comme modèle dans la vie courante. Le but est avec l’aide de la mère de chercher à comprendre le bébé qui se manifeste alors, et de l’aider à se développer. La verbalisation des communications non verbales venant d’un bébé est à la base du choix des commentaires qui cherchent à mettre en mots sensations et émotions, permettant ainsi un affect partagé. Comme le décrit A. Alvarez (2010) et le reprennent L.C. Busch de Ahumada et J.L. Ahumeda (2015), mes niveaux d’intervention selon les situations et les enfants et le moment du processus, peuvent être descriptifs, ou d’explication, ou de recherche de sens dans la dynamique du Champ Analytique. Je tends à verbaliser le fantasme en action au plus près des éprouvés corporels. À la différence des Ahumeda, je propose un sens, bien sûr en évitant des interprétations intrusives cherchant à combler un vide. Mon intention est de susciter la curiosité de la mère, de poser des questions, et d’apporter quelquefois le soulagement d’un objet qui reconnaît et nomme ce qui est en jeu. Enfin les souvenirs de la maman venant avec ce qui est agi dans le jeu, peuvent aider à faire des hypothèses sur ce qui est réactualisé d’un passé plus ou moins lointain. Ainsi est évité un clivage idéalisant l’analyste. Comme je l’ai souligné plus haut, les commentaires ou interprétations sur le négatif du transfert aideront le réinvestissement de la composante positive sur la mère, en action dans l’espace analytique. Ainsi je me montre comme une très mauvaise maman qui n’a même pas de mouchoir pour essuyer les larmes de l’enfant, alors que sa maman a apporté tous les kleenex nécessaires pour l’entourer. Je suis aussi celle qui ferme le robinet du lavabo pour éviter les débordements, etc. Cela peut conduire à mettre en mots des angoisses du sevrage, avec des fantasmes inscrits dans le corps au sens de S. Isaacs. Mes commentaires ou interprétations s’adressent à l’enfant. Ils peuvent prendre sens pour la mère, en tant que mère ou en tant qu’enfant identifié au bébé en séance. Le choix de mes paroles concerne ce qui est le plus proche de la pulsion chez l’enfant et de la défense chez la maman, dans le processus du transfert. La mère quelquefois enrichit ces évocations avec des souvenirs récents, entre les séances, ou d’autrefois. Elle joue alors le rôle d’un analysant adulte. Elle donne sens aux agis dans leur après-coup. Cela n’aurait pas été possible avec l’enfant seul en séance. Nous voici proche de l’élaboration d’une analyse d’adulte, revivant le passé infantile réactualisé dans le transfert. De plus les deux parents par leurs souvenirs, enrichissent la compréhension des identifications intergénérationnelles projetées dans le champ analytique. L’analyste peut entrer quelquefois dans le jeu, en endossant le rôle projeté. Ainsi avec Martine, nous avons en présence de sa mère joué à la transformation du « papa moche » en « papa beau ». Nous avons compris ce qui venait des projections identificatoires de la grand-mère paternelle, et ce qui s’était transformé de la virilité du père dans le processus. Par la suite avec l’enfant seule, en fin d’analyse nous nous sommes quittées après avoir dansé avec notre « papa beau ». Je peux aussi endosser un rôle paternel interdicteur, mais aussi protecteur, concernant la destructivité de l’enfant attaquant les murs-corps maternel, ou armoires contenant les tiroirs appartenant aux autres enfants rivaux dans ce ventre-armoire maternel. Ce fut le cas avec un enfant mutique, qui exprimait son agressivité par ses comportements.
29 Les identifications intergénérationnelles peuvent quelquefois être adhésives. Un accrochage a pu se faire à une trace sensorielle qui avait un sens pour la génération précédente, mais qui est dépourvue de sens pour les protagonistes. Ce fut le cas des baisers sur la bouche pour l’enfant asiatique dont j’ai parlé plus haut. Une adhésivité se faisait à un objet interne maternel. Un élément béta est alors en jeu, risquant de désorganiser les échanges et le jeu de l’enfant. Le travail de liaison alpha dans ce contexte n’est pas seulement celui de l’analyste à partir sa propre régression, son insight émotionnel et de son élaboration. Il se produit une barrière de contact au sens de Bion constituée par le travail des associations entrecroisées avec celles de la mère qui constituent une sorte de tapis ou de placenta enrichissant et donnant vie à l’espace analytique. De nouvelles représentations émergent donnant sens à l’histoire de l’enfant dans l’après coup d’une nouvelle histoire en jeu. Les commentaires de l’analyste enrichissent le tissage, donnent couleurs aux émotions en les nommant, ouvrent de nouveaux espaces faits d’hypothèses. Une lente intégration par l’enfant peut le conduire avec son développement et l’enrichissement de ses capacités cognitives, à de nouvelles représentations personnelles. Celles-ci témoignent de la qualité de son insight. Elles montrent quelquefois la transformation de ses objets internes. De nouvelles identifications dans un espace personnel existentiel peuvent intégrer la fonction analytique. L’espoir est alors possible pour l’avenir à l’occasion de crises survenant à l’adolescence ou à l’âge adulte. Dans certains cas une nouvelle consultation est demandée qui montre le travail de transformation au sens de Bion. Ainsi Martine, à l’âge de 8 ans, à la fin de son analyse dessinera un « papa moche » car sa mère lui avait fait une robe noire moche. La robe noire semblait témoigner de l’identification mélancolique du père à sa propre mère. L’enfant en avait fait les liens dans un processus préconscient. Ce processus transformationnel aboutit au dessin du « papa beau » vêtu d’un pantalon marron et ayant des reflets bleus dans les cheveux. Le bleu couleur de la mère, intégré dans les cheveux comme dans les pensées, permet de réfléchir la lumière. Un commentaire de l’analyste associé aux remarques de la maman, avait permis l’accès à une pensée secondarisée consciente pour les trois protagonistes. Qu’en restera-t-il pour la mémoire de chacun ? Martine a été revue à l’adolescence et à l’âge de 23 ans. L’amnésie infantile était complète. Mais les conflits liés à sa quête amoureuse témoignaient de ce qui était en jeu dans ses objets internes, notamment ses hésitations entre ses objets d’amour comme je l’ai relaté au début de ce texte.
L’organisation névrotique est-elle possible dans l’après-coup de ces traitements ?
30 Quand le traitement psychanalytique peut se poursuivre à l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte, une nouvelle dynamique nous met en contact avec des aspects renouvelés de la vie émotionnelle. Des réorganisations de la vie psychique sont encore possibles. Dans certains cas un sujet pensant peut accéder à de nouvelles étapes dans l’élaboration de la position dépressive, dans la problématique œdipienne. J’ai discuté (Lechevalier, 2004, pp. 54-55 et p. 67), la nature des troubles présentés par Joëlle. Pourrait-on parler chez elle de manifestations hystérophobiques dans la conflictualité œdipienne ? Joëlle faisait des cauchemars où des araignées démolissaient sa maison. Lors d’entretiens, elle ne se souvenait plus que des mouches volant dans mon lavabo. Elle pouvait s’interroger alors : « Qui était l’araignée, qui était la mouche ? » Elle ou moi ? Dans le souvenir le processus du transfert avait été intégré dans son préconscient, pouvant conduire à sa propre théorisation. Quant à Martine, le motif de la consultation à l’adolescence, cinq ans après la fin de la psychothérapie analytique mère-enfant est la découverte par ses parents d’un de ses écrits, où il est question de la personne la plus aimée qui est le père et de vœux de mort concernant la mère. Martine, lors de l’entretien avec moi, rétorque à ses parents qu’il s’agit « d’une fiction ». Elle écrit de petits textes. L’un d’entre eux transforme le crash d’un avion dans une île déserte d’une série américaine, en sauvetage venu de l’extérieur, et la constitution d’une idylle amoureuse entre deux naufragés. Martine nous montre l’organisation chez elle d’une problématique névrotique œdipienne : ce qui a pu être considéré comme impossible pour l’avenir d’un enfant autiste. D’autre part sa capacité de symbolisation lui permet l’accès à une narration métaphorique panoramique donnant sens à son histoire, et à notre histoire commune dans le transfert et le contre-transfert. Nous apprenons notre sauvetage et idylle dans une île déserte. Martine contredit ainsi les visions fatalistes de l’avenir de l’autiste. Il s’agit autant de certaines considérations métapsychologiques psychanalytiques concernant les psychoses, que de celles s’appuyant sur des données étiologiques, surtout lorsqu’il existe des anomalies organiques. C’était le cas de Martine chez qui il avait été découvert des anomalies cérébelleuses. Enfin l’amnésie infantile est complète en ce qui concerne son analyse. Le seul souvenir est celui d’un jouet-poussin qui pleurait quand elle appuyait sur lui ; c’était en fin de séance. Martine a du mal à me parler de sa vie intime. « On ne parle pas ainsi à une personne que l’on ne connaît pas. » Elle pourra me dire ses élans amoureux passionnés pour un acteur à qui elle écrit et qui ne lui répond pas. Nous aborderons la douleur de l’absence de réciprocité qui réveille sa dépression du début de la vie. Martine comprendra l’évitement de rencontres avec des jeunes hommes de son âge pour éviter cette déception. Quant à son père : « il est devenu trop vieux » : ajoute-t-elle.
Quelques approches théoriques psychanalytiques concernant les autismes
31 En insistant sur la lutte contre la dépression primaire, et la notion d’espace psychique. Nous pourrions mettre en exergue à partir de la clinique toutes les théorisations qui ont jalonné l’histoire de la psychanalyse. La problématique œdipienne, les angoisses génitales et prégénitales sont à l’œuvre. Clivages et identification projective mettent en mouvement les objets partiels dans le Champ Analytique au sens des Baranger. Enfin pouvons-nous espérer entrevoir pour les protagonistes l’accès à la position dépressive ? Et l’intégration identificatoire d’un surmoi bienveillant qui s’est déployé dans le jeu des fantasmes en action ? Je voudrais souligner ici quelques approches essentielles dans ces traitements conjoints.
L’espace psychique
32 Mireille lutte pour garder dans l’absence entre les séances, la permanence concrète d’un espace qui s’est constitué entre nous. Cet espace est fait de liens tissés pendant la séance. Le travail analytique tentera de permettre d’intérioriser un espace psychique qui deviendra un espace-temps. La permanence d’un objet pensant et tentant de dire en mots les émotions perçues en les liant concrètement dans le corps favorisera son intériorisation musicale dans le temps de l’absence et la lutte contre la dépression autrement que par l’enfermement et les stéréotypies autistiques. C’est ainsi que je pourrai revoir Martine à l’âge adulte pour une crise amoureuse, Martine qui projette ses angoisses de séparation sur ses amants. Tout au long de ma formation analytique et l’ouverture apportée par divers auteurs et leur pensée élargissant la recherche de sens, cette première expérience avec Mireille m’a aidée à en approfondir mon approche avec d’autres et à me permettre un cadre de 3 à 4 séances de plus d’une demi-heure. Bion avec la notion de contenant-contenu (Bion, 1979), Didier Anzieu avec celle de moi-peau, ont élaboré ainsi qu’Esther Bick cette conceptualisation de l’espace psychique. E. Bick (1998, p. 135) a introduit la notion de « peau psychique » :
La thèse est que, sous leur forme la plus primitive, les parties de la personnalité sont ressenties comme n’ayant aucune force liante entre elles et doivent de ce fait être tenues passivement ensemble grâce à la peau faisant office de limite. Mais cette fonction interne de contenir les parties du Self dépend à l’origine de l’introjection d’un objet externe, reconnu comme apte à remplir cette fonction.
34 M. de M’Uzan parle de déchirure dans la séparation, déchirure de l’être plutôt que perte de contenant. Sans cette rencontre dit M. de M’Uzan (2005), l’être humain serait voué à la mort. Il insiste dans sa théorisation récente sur la notion du Vital Identital avec sa froideur et sa concrétude à l’opposé du Sexual Génital (en référence à la terminologie de Laplanche). Les sensations de dévitalisation, de non-être du « Vital-Identital », que de M’Uzan différencie des angoisses psychotiques [4], les questions existentielles et d’identité différenciée sont très proches des éprouvés décrits par F. Tustin (1992a). Le traitement du lien permet au Vital-Identital d’accéder au souffle de l’existence de moduler les sensations d’un corps unifié dans la rencontre. Cette rencontre dans l’espace psychique est poly-sensorielle. Elle est poly-sensorielle dans le transfert et le contre-transfert par la communication non verbale qui accède à une nomination. Cet espace poly-sensoriel est commun aux trois protagonistes. Si le regard a été privilégié, le monde sonore peut constituer une sorte d’après-coup réactualisant des traces de la vie intra-utérine et unifiant les autres sens dont le tact et les odeurs. L’installation de cette mobilité poly-sensorielle va moduler le flux des va-et-vient, des échanges sensori-moteurs dans la tridimensionnalité d’un espace individuel. Elle permettra le processus de l’accès à la symbolisation de la pensée polysémique. Les mouvements d’investissement, de désinvestissement ou de lutte active contre l’investissement des messages sensoriels vont dépendre de la qualité de la réciprocité. La naissance du plaisir de penser en résulte. Il est important de souligner que la mutualité n’est pas seulement liée à l’accueil et aux réponses des adultes, mais aussi aux réactions du nouveau-né, nouveau-né qui émerge dans l’espace analytique. Les tourbillons des élans et reflux émotionnels, les variations de tonicité musculaires et du souffle respiratoire de l’enfant que l’analyste verbalise, conditionnent l’oscillation entre états d’unité alternant avec la séparation. Pour Levinas (1991, p. 167), l’éveil reste « le mouvement premier vers autrui dont la réduction intersubjective révèle le traumatisme frappant secrètement la subjectivité même du sujet ». Le tiers paternel contribue à l’installation de l’espace psychique ; (Gérard, 2016 ; Houzel, 2001) avec la bisexualité de l’enveloppe psychique. Ce tiers ne permet pas seulement la séparation psychique entre mère et nourrisson, il favorise l’installation d’une qualité particulière du lien enrichi de signifiants nouveaux (Lechevalier, 2004). La métaphore paternelle du Nom reçu et donné, constitue le voile qui permettra de tamiser la violence de l’inondation émotionnelle dans la rencontre avec l’objet. Dans les traitements mère-enfant nous jouons ce rôle de tiers paternel pour le transfert de l’enfant, même si pour la mère nous sommes une grand-mère ! Entre le souffle et la peau le sentiment d’exister dans les contours d’un être séparé se fait par les mouvements rythmés par la rencontre avec l’Objet. J’insiste sur le rythme en référence aux travaux de S. Maiello (2010). Le tiers paternel représenté par l’analyste dans le transfert de l’enfant permet cette rencontre subjectivante avec une nouvelle imago restaurée sur la maman. Le travail sur les projections dans le Champ analytique le permet. Ce travail privilégie en particulier le transfert des éléments positifs sur la mère, et la reconnaissance par le père-analyste du négatif sur l’analyste mère.
35 Donald Meltzer (1975) a donné toute son importance clinico-théorique à la notion de Démantèlement. C’est contre ce risque de démantèlement que luttait Mireille.
36 Le cas de Martine, montre avec le traitement, la poly-sensorialité retrouvée luttant contre le démentèlement et permettant l’accès à un espace psychique contenant, et à la polysémie de la symbolisation dans les premiers processus de pensée au sens de Bion. Corps, émotion et premiers liens symbolisants sont devenus possibles au cours du traitement. La pratique confirmait et me rendait sensible dans ma propre expérience partagée, les angoisses d’anéantissement et le démantèlement. Martine à l’âge de 2 mois avait perdu son regard qui devint vide. Elle détournait activement la tête et les yeux quand sa mère voulait la prendre dans les bras. Un strabisme se constitue. Le bébé tête les doigts et les bras raides, sans échange corporel, ni des yeux. Elle ne ronronne plus, elle ne gazouille plus. Elle reste le regard fixé sur ses mains avec des mouvements stéréotypés des doigts. Elle a des crises d’angoisse le soir au moindre bruit où elle hurle sans que rien ne puisse la consoler. Un traitement analytique mère-enfant est entrepris au rythme de deux séances par semaine, dès l’âge de 3 mois. Lors d’une séance, après avoir abordé la dépression de la mère, sa culpabilité, son désir interdit de s’occuper elle-même de sa fille, la voix de la maman change dans son timbre, sa tonalité. M. tourne la tête vers sa mère dans une attitude d’écoute. Elle dirige vers elle son regard et je remarque qu’elle a des mouvements de succion avec ses lèvres et sa langue. Je me dis qu’elle passe d’une fixation mono-sensorielle à une poly-sensorialité et à un réinvestissement de l’érotisme buccal dans cette poly-sensorialité, en même temps qu’elle retrouve peut-être un échange relationnel avec sa mère. Mais les choses ne s’arrangent pas ainsi, avec des périodes de régression autistique, où elle reste immobile, les yeux fixés sur un filament de la moquette par exemple ou sur un objet, sans aucun échange. La marche et la parole seront acquises très tardivement. À l’âge de 7 ans Martine pourra m’expliquer pourquoi elle vient me voir : « Je tombe, je tombe, je meurs, c’est triste la mort. » Elle me montre comment ses angoisses de mort sont perçues concrètement dans le corps. G. Haag (2009) a souligné l’importance de l’interpénétration des regards entre la mère et l’enfant, et la perception d’un fond de soutien d’arrière-plan (en référence à Grotstein, 1986) pour favoriser l’unification des sensations corporelles permettant l’émergence du sujet. L’analyste dans le transfert paternel joue ce rôle d’objet d’arrière-plan, de soutien pour la mère et l’enfant. Ce soutien psychique est souvent en alliance avec le soutien concret du père dans et hors des séances.
La dépression primaire
37 Elle est latente non seulement dans les pathologies autistiques et psychosomatiques, mais aussi dans l’organisation défensive de troubles intitulés hyperactivité, de pathologies praxiques ou de développement du langage, voire de difficultés des apprentissages scolaires avec pauvreté de la pensée. La dépression primaire est différente des autres niveaux d’angoisses et de dépression du fait de l’absence d’un espace psychique tridimensionnel à l’intérieur duquel le sentiment dépressif peut être perçu avec des affects pouvant se représenter. Les liens entre les sensations corporelles, les émotions ne peuvent accéder à une pensée symbolisante au sens de Bion. Il en résulte un accrochage à la concrétude. La dépression primaire est perçue dans le corps avec par exemple, la sensation de tomber, tomber dans un trou sans fond. « Je tombe, je tombe, je tombe », disait Martine (Lechevalier, 2004) Cette dépression peut être remarquée par l’entourage d’un enfant ou d’un bébé, en particulier, du fait d’un accès d’hypotonie, ou de la perte de l’intensité de l’accrochage du regard, d’un désinvestissement de l’activité qui devient désordonnée. Certains actings d’adolescents en témoignent. Elle est souvent ignorée. Des enfants après un long temps de processus de cure psychanalytique parlent de la peur de se répandre dehors, d’être anéantis dans une explosion, de se dissoudre, de tomber, tomber dans des trous noirs sans fond. Auparavant ils mettaient en scène dans l’agi des représentations de chute ou écroulement de meubles, précipices avec vide vertigineux. Ce fut le cas de G. un enfant hyperactif, traité par Ritaline. Sa mère championne de « saut à l’élastique », avait abandonné ses prouesses dès la grossesse de son fils. Elle avait elle-même, grâce à cette activité, vaincu des angoisses précoces. Elle souffrait de troubles psychosomatiques divers. La verbalisation dans un espace réceptif partagé avec l’analyste et l’enfant pouvait aider la mère à entrer en contact avec le monde interne de son enfant. Et celui-ci, dans le dévoilement de sens, pouvait renoncer à se constituer comme substitut du manque de sa mère, et accéder à une activité phallique différenciée, sans angoisses de précipitation C’est l’observation attentive de la communication non verbale au cours des séances qui nous permet d’accéder à la reconnaissance de ces niveaux de dépression et d’angoisses d’anéantissement
38 L’angoisse de la dépression primaire est accrue au moment des séparations et verbalisée en séance. Une prise de conscience peut alors se faire chez la maman. Nous devons verbaliser ces sensations à partir d’hypothèses venant de notre observation attentive. Le partage avec autrui de ses expériences psychiques ne se fait pas dans un mode de collage. Le cas de Joëlle (Lechevalier, 2004, pp. 48-50), « la mouche de la dame » et « les aphtes dans la bouche »), m’a aidé à mieux intégrer cette conceptualisation, à l’utiliser pour mon travail d’analyste dans le processus, et de théoriser les somatisations en cours d’analyse d’enfant et d’adultes. Des mouches volent dans mon lavabo. Après quelques séances où je commente les sensations de Joëlle, deux ans, dans sa bouche, faisant « ham » à la mouche qu’elle cherche à avaler, J. s’absente en raison d’une stomatite aphteuse avec hyperthermie. En montrant les aphtes sur sa langue, elle dit à sa mère : « mouche, dame ». Celle-ci est ensuite atteinte de stomatite. Sa fille commentera : « Maman a pris mouche de dame, maman mourir. » La maman me fait remarquer, que de plus la grand-mère maternelle est hospitalisée pour des pertes de connaissance. Mon mamelon-mouche du lavabo devenu mauvais objet partiel du fait de l’identification projective avait été incorporé ! Je n’avais pu être informée du fantasme en action que grâce à l’insight de la maman et à notre tissage associatif. Meltzer considère l’espace de la bouche comme le premier espace tridimensionnel d’où s’origine la vie psychique et la possibilité de développement des premiers fantasmes inscrits dans le corps à partir du jeu de la langue, des lèvres, des joues et plus tard des dents. Cet espace implique la communication avec les conduits auditifs et la gorge. Il est situé entre le dedans et le dehors. Progressivement se constituera un théâtre intérieur avec le jeu pulsionnel conflictuel des personnages mis en action par ces composantes de la sphère orale. Les mouvements de projection, d’identification projective, d’incorporation, d’identification en dépendent. Plus tard le langage en émergera comme d’un espace de narration.
39 Les traitements mère-enfant précoces ont un rôle de prévention. Ils permettent d’éviter la constitution d’enclaves autistiques dans le développement de personnalités hétérogènes.
40 L’organisation névrotique manifeste, coexiste avec des sensations gelées, datant des interrelations précoces, non advenues dans une intégration du sujet. L’identité ne peut s’unifier du fait des clivages, du déni des affects, de la lutte narcissique contre un effondrement dépressif. La notion de « autistic protective shell » que Tustin (1992b) a introduite permet grâce à la lumière qu’elle apporte, de mieux comprendre certaines pathologies non seulement chez l’adulte, mais aussi chez l’enfant en développement et l’adolescent, Dans Le Trou noir de la psyché (1992a), et Autisme et protection (1992b), elle émet l’hypothèse que certains patients névrosés, phobiques ou obsessionnels ont une part autistique de leur personnalité. Elle ajoutera plus loin la problématique maniaco-dépressive, la claustrophobie, certains troubles psychosomatiques, voire des éléments pervers. Nous pouvons y inclure certains cas de psychopathie, de dysfonctionnement des fonctions praxiques et de langage. Elle traitera longuement d’un cas d’anorexie mentale. Je voudrais citer une représentation qui condense l’exclusion de la scène primitive avec la composante prégénitale orale et une adhésivité qui menace le Vital Identital. Haruki Murakami (2011) après l’évocation, par le héros de l’ouvrage, d’une scène primitive concernant sa mère avec un amant quand il avait 2 ans, écrit :
À la manière d’une huitre collée à une épave, cette image se cramponnait fermement, de manière extravagante, au mur de sa conscience. Il avait beau essayer de la secouer, de tirer dessus, il ne pouvait l’en décoller. Pour quelque chose d’imaginaire, il avait trop de réalité, trop de consistance… Un autre être humain suçait les seins qui lui étaient destinés. Quelqu’un qui était beau, plus grand et bien plus fort que lui. En outre il semblait alors que sa mère l’avait complètement oublié, même si ce n’avait été que quelques instants. C’était une situation qui menaçait la base même de sa fragile existence (Murakami, 2011, pp. 476-477).
42 La pauvreté de l’expressivité verbale chez certains enfants risque de ne pas nous faire donner toute l’attention permettant de reconnaître l’existence de cette capsule enkystée, cette enclave et la dépression qu’elle essaye d’éviter. L’enclave est une protection contre le vertige de la non existence. Chez certains enfants l’ensemble symptomatique de troubles dits de l’attention ou des fonctions cognitives ou praxiques, avec parfois une composante maniaque ou d’apparence phobique, doit nous faire penser à une organisation hétérogène avec défenses contre la dépression primaire, et angoisses existentielles, voire une enclave autistique. C. David a écrit sur la représentation de l’affect, et le contre-transfert :
Il adviendrait que nous nous trouvions ainsi les dépositaires momentanés d’une réalité psychique infigurée sans aucune référence directe à la nature de ce qui est représenté affectivement, puisque coextensive à des réactions physiologiques et néanmoins porteuse d’information, inductrice d’une néo- morphogénèse, si j’ose ainsi m’exprimer (David, 1984, p. 999).
44 Les traitements mère-enfant nous mettent en contact avec cette réalité somato-psychique non figurée. Avec l’aide de la mère un travail de rêverie en commun fait advenir des images mettant en scène corps et émotion dans l’espace de jeu. La reconnaissance devient quelques fois possible de ce qui était enclos de l’oubli du non-sens, source de désespoir sont une nécessité préventive. C’est un travail à la fois dans le désert, et à la fois dans le plaisir de la créativité dans la Rencontre qui tisse les liens. La connaissance qu’a pu nous apporter la formation à l’observation psychanalytique de bébé, nous aide à traduire ce qui se passe concrètement dans la salle de jeu en éprouvés corporels. Ainsi un saut depuis le haut d’un meuble jusqu’à un fauteuil peut être traduit comme un saut depuis les épaules d’un père jusqu’au refuge des bras maternels représentés par ceux du fauteuil. Ainsi l’angoisse du vide est conjurée. Enfin le thérapeute peut reconnaître son propre corps projeté dans cette mise en scène agie par l’enfant. L’important est d’associer la mère à cette recherche de sens.
Élaboration du traitement du Lien dans les psychanalyses mère-enfant
45 Dans le Musée Picasso de Malaga, arrêtons-nous devant une gravure à l’eau forte qui représente « Le Peintre et son modèle en train de tricoter ». Cette œuvre datant de 1927 est une illustration pour une édition du Chef-d’œuvre inconnu d’H. de Balzac préparé pour L. Fort et publié avec d’autres gravures en 1931 par A. Vollard. Le projet de Picasso est de transmettre l’idée du travail de l’œuvre inconnue. Face à la mère tricotant qu’il met en scène, nous observons un tissage de fil entremêlé de nœuds que dessine le peintre, dans un cadre situé dans la gravure entre la mère tricottant, et lui-même représenté en train de dessiner. Une zone sombre s’étend entre les bras de l’artiste. L’obscurité est constituée de la répétition superposée de lignes comme celles qui forment la coiffe sur la tête de la mère et la barbe du peintre, ainsi que son ventre. Du fait de la technique inhérente à la gravure, les ombres ne peuvent être représentées que par la juxtaposition de fins traits.
46 L’analyste tisse dans le cadre contenant du Champ Analytique un tapis de liens entremêlés de nœuds que tricotent les associations des protagonistes : mère, enfant, analyste, à partir des nœuds des communications verbales et non verbales. Des cercles prennent figure à la place de trous. Aux zones sombres sexuelles mises en action dans le contre-transfert de l’analyste (comme dans les ombres du tableau de Picasso), correspond un contenant de pensées venant au jour, entrelacées dans le travail de tissage dans le plaisir par la mère. L’activité de tricotage qui aurait pu être masturbatoire, devient co-penséee chargée d’affects. La distance tierce prise par l’analyste dans son travail de représentation fait émerger le chef-d’œuvre inconnu, de l’enfant en devenir avec ses potentialités. Ceci est a contrario du « chef-d’œuvre inconnu » de Balzac. Celui-ci à force d’un travail répétitif interminable du peintre est devenu lorsque ses amis découvrent le chevalet, un chaos de lignes inextricables. Lors de la psychanalyse mère-enfant, de nouveaux liens constitués à partir de l’obscurité lèveront-ils les entraves à la vie psychique ? Il ne faudrait pas que comme pour Frenhofer, le peintre imaginaire, héros de l’œuvre de Balzac, l’analyste tombe dans un excès obsessionnel de recherche de maîtrise dans la quête de sens. Il lui faut surtout éviter le placage d’interprétations intellectualisantes, issues de la théorie, satisfaisant son narcissisme, mais incompréhensibles pour les auditeurs. C’est alors le constat d’échec de la psychanalyse. Le souffle de son existence individualisée doit donner naissance à la parole de l’enfant dans l’espace analytique, comme pour Martine prenant conscience de sa mortalité et disant : « Je tombe, je tombe, je meurs… Chez toi aussi, il y a des cimetières. » Il en fut de même pour Mme S. prenant conscience de sa frigidité, lorsque je montrais à sa fille de 3 ans aux troubles du sommeil persistants, que les mouvements de ses ciseaux sur le serpent de pâte à modeler étaient comme les mouvements de nos mâchoires affamées. Mme S. mordait son mari, l’empêchant de la pénétrer. Après la fin de l’analyse mère-enfant, Mme S. souhaita entreprendre une analyse personnelle. F. Guignard à qui je l’adressais me la renvoya en raison de la prégnance du transfert sur moi. Une analyse classique sur le divan s’en suivit pendant 3 ans. À la complexité de la problématique génitale infiltrée d’angoisses orales, s’intriquaient des angoisses de séparation marquées de rêves de chutes dans le vide à partir de falaises ou de maisons qui s’écroulaient. La dépression primaire était en action ! Nous pouvions ensemble entrer en contact émotionnellement avec sa fille.
47 J’ai repris dans cet article le travail commencé il y a plus de 10 ans avec mon livre sur les traitements intensifs mère-enfant. Pour ne pas tomber dans une surcharge dans l’exploration de ce travail du lien et de citations théoriques, je préfère laisser cet espace ouvert à la créativité de plus jeunes, en soulignant son efficacité à long terme s’il est entrepris au début de la vie avec rigueur et invention.
Bibliographie
- Ahumada L.C. Bush de & Ahumada J.L., Contacting a 19 month-old mute autistic girl. A clinical narrative, International Journal of Psychoanalysis, 2015, n° 96, pp. 11-38. Trad. fr. in L’Année psychanalytique internationale, Paris, In Press, 2016, pp. 73-109.
- Alvarez A., Levels of analytic work and levels of pathology. The work of calibration, International Journal of Psychoanalysis, 2010, n° 91(3), pp. 859-78.
- Anzieu D., Le moi-peau, Nouvelle revue de psychanalyse, 1974, n° 9, pp. 195-208.
- Anzieu-Premmereur C., Clinique précoce et thérapies conjointes, in Lucas G. (dir.), Psychiatrie de l’enfant : quels patients, quels traitements ?, Paris, Puf, coll. « Le fil rouge », 2002.
- Baranger M. & Baranger W., Problemas del campo psicoanalitico, Buenos Aires, Kargieman, 1969.
- Bick E., L’expérience de la peau dans les relations d’objet précoces, trad. fr. J. & J. Pourrinet, in Écrits de Martha Harris et Esther Bick, Larmor Plage, Éditions du Hublot, 1998 [1968], pp. 135-139.
- Bion W.R., Aux sources de l’expérience, trad fr. F. Robert, Paris, Puf, 1979 [1962].
- Britton R., Modèles de l’esprit, Journal de la psychanalyse de l’enfant (nouvelle série), 2017, vol. VII, n° 2, à paraître.
- Cramer B. & Palacio-Espasa F., La Pratique des psychothérapies mère-bébés, Paris, Puf, 1993.
- Cramer B. & Palacio-Espasa F., Les bébés font-ils un transfert ? Réponse à S. Lebovici, La Psychiatrie de l’enfant, 1994, n° 37, pp. 429-441.
- David C., Pluralisme du rêve, Revue française de psychanalyse, 1984, vol. XXXVIII, nos 5-6, pp. 997-1000.
- Debray R., Bébés/mères en révolte ; traitement psychanalytique conjoints des déséquilibres psychosomatiques précoces, Paris, Le Centurion, 1987.
- Gérard C., Le père dans la bisexualité et le féminin, Le Coq-Héron, 2016, n° 226(4), pp. 152-162.
- Golse B., Psychothérapie du bébé et de l’adolescent, La Psychiatrie de l’enfant, 2003, vol. XLV, n° 2, pp. 393-410.
- Grotstein J. (1986), Splitting and Projective Identification, Northvale (New Jersey), Londres, Jason Aronson.
- Haag G., Place de la structuration de l’image du corps et grille de repérage clinique des étapes évolutives de l’autisme infantile, Enfance, mars 2009, n° 1, pp. 121-132.
- Houzel D., Bisexual qualities of the psychic envelop, in Edwards J. (dir.), Being Alive, Hove (East Sussex), Brunner-Routledge, 2001, pp. 125-138.
- Laznik M.C., Traitement psychanalytique d’un bébé de 2 mois, Actualités de psychanalyse, Paris Érès, 2014.
- Lebovici S., Des psychanalystes pratiquent des psychothérapies bébés-parents, Revue française de psychanalyse, 1991, vol. LV, n° 2.
- Lechevalier B., Traitement psychanalytique mère-enfant, une approche privilégiée des psychoses de l’enfant, Paris, In Press, 2004.
- Lechevalier B., Les autismes chez l’enfant, Neuro-Psy, 2007a, vol. VI, n° 1, pp. 6-7.
- Lechevalier B., Le traitement psychanalytique individuel est-il univoque ?, Neuro-Psy, 2007b, vol. VI, n° 3, pp. 120-123.
- Lechevalier B., L’adolescence et la transmission du non-sens et de la destructivité, Le Souffle de l’existence, Paris, In Press, 2016.
- Levinas E., Entre nous. Essais sur le penser à l’autre, Paris, Grasset, 1991.
- Maiello S., À l’aube de la vie psychique. Réflexion autour de l’objet sonore et de la dimension spatio-temporelle de la vie prénatale, in Ala J. (dir.), Réminiscences, Toulouse, Érès, 2010, pp. 103-116
- Mâle P., Doumic-Girard A., Benhamou F., Schot M. C., Psychothérapie du premier âge, Paris, Puf, 1975.
- Malinsky M. & Frédéric H., Martin, un enfant battait sa mère, Paris, Bayard Presse, 2002 [1979].
- Meltzer D. et al., Exploration dans le monde de l’autisme, trad. fr. G. et M. Haag, L. Iselin, A. Maufras du Chatellier, G. Nagler, Paris, Payot, 1980 [1975].
- Murakami H., 1Q84, Livre I, Paris, Belfond, 2011.
- M’Uzan de M., Aux confins de l’identité, Paris, Gallimard, 2005.
- Norman J., Le psychanalyste et le bébé : nouveau regard sur le travail avec les nourrissons, in Anzieu-Premmeur C. & Pollak-Cornillot M. (dir.), Les Pratiques psychanalytiques auprès des bébés, Paris, Dunod, 2003.
- Salomonsson, B., Transference in parent-infant psychoanalytic treatments, International Jounal of Psychoanalytic, 2013, n° 94, pp. 767-792.
- Soulé M., Ce que le bébé nous apprend. Rencontre avec Michel Soulé, Journal des psychologues, 2012, n° 296(3), pp. 33-39.
- Touati B., Joly F., Laznik M. C., Langage, voix et parole dans l’autisme, Paris, Puf, coll. « Le fil rouge », 2007.
- Tustin F., Autistic Barriers in Neurotic Patients, Londres, Karnac Books, trad. fr. Le Trou noir de la psyché, Paris, Seuil, 1992a [1986].
- Tustin F., The Protective Shell in Children and Adults, Londres, Karnac Books, trad. fr. Autisme et Protection, Paris, Seuil, 1992b [1990].
- Watillon-Naveau A., Essai d’élaboration théorique des thérapies conjointes : magie ou psychanalyse ?, Revue belge de psychanalyse, 1996, n° 28, pp. 51-65.
Mots-clés éditeurs : Mots-clés : angoisses d’anéantissement, champ psychanalytique, autisme, psychosomatique, traitement psychanalytique mère-enfant, lien, dépression primaire
Date de mise en ligne : 15/11/2017
https://doi.org/10.3917/jpe.014.0091Notes
-
[1]
Voir la note 1 du chapitre I de cet ouvrage où je fais référence à l’apport d’Alice Girard-Doumic, avec qui j’ai eu la chance de commencer à m’initier aux psychothérapies mère-bébé, dès 1958, dans le service du Pr. Clément Launay à l’hôpital Hérold à Paris et d’assister aux consultations du Dr Pierre Mâle à l’hôpital Henri Rouselle. En 1975, dans Psychothérapie du premier âge, P. Mâle et A. Doumic (Mâle et al., 1975) théoriseront cette pratique à partir de leur collaboration à l’hôpital Henri-Rouselle. L’indication concernait les troubles précoces du développement. Ils écrivent que leur formule de traitement, dérivée de la psychanalyse, se distingue des thérapeutiques classiques. Plus qu’une analyse du transfert, il s’agit de l’accomplissement par le thérapeute d’une régression provoquée. L’accent est mis sur la réparation des temps manqués et « sur le ressenti de la mère au cours de ces séances auxquelles elle participe ». Plutôt qu’aux interprétations en profondeur, la préférence est donnée à la verbalisation du mouvement du jeu permettant la poursuite libre d’associations d’idées, la perception des affects. P. Mâle intégrera cette compréhension de l’intensité des mouvements pulsionnels du début de la vie à celle de la réactivation des mouvements prégénitaux à l’adolescence. B. Golse (2003) reprend cette convergence entre la psychothérapie du bébé et de l’adolescent dans l’après-coup de la puberté. À l’adolescence, comme lors des thérapies du jeune enfant, la régression permet de revivre les premières expériences de la vie. Le souvenir inscrit dans le corps est proche. Les pulsions partielles ont une possibilité nouvelle pour être mieux intégrées dans la génitalité grâce à la rencontre de nouveaux objets ; Cette expérience s’est poursuivie avec S. Daymas. La consultation à l’hôpital Saint Vincent de Paul de M. Soulé et L. Kreisler dans le service du Pr. Lelong a été aussi un lieu privilégié pour aborder ces psychothérapies précoces incluant la mère. Dans les années 1970, Winnicott a exposé une pratique plus proche des consultations mère-bébé, travaillant dans le préconscient à l’intérieur d’un espace transitionnel dont il faisait partie. Son projet concernait la différenciation progressive des mondes interne et externe. Il est certain que le thérapeute peut constituer un objet transitionnel qui aide l’enfant à se séparer de sa mère, et qui sera laissé ultérieurement à son tour.
-
[2]
J’ai abordé cette question pour des manifestations somatiques dans les traitements analytiques d’enfants (Lechevalier, 2004 et 2016).
-
[3]
Deux prostituées, qui cohabitaient, avaient enfanté. Dans la troisième nuit un des bébés mourut. L’une d’elles accusa l’autre d’avoir écrasé son propre bébé en dormant et de lui avoir substitué l’enfant vivant de sa voisine. Ce qui était démenti par l’autre. Le roi Salomon ordonna de couper l’enfant en deux et de partager les deux moitiés entre les femmes. Celle dont l’enfant était vivant supplia de l’épargner et de le donner à l’autre femme. Alors que celle-là souhaitait le partage. Salomon reconnut alors la première comme la mère.
-
[4]
Il pense aussi qu’il s’agit d’éprouvés sensoriels perçus sans espace tridimensionnel. Il donne toute son importance à l’accrochage à la concrétude.