Couverture de JPE_005

Article de revue

Du rapport au savoir des enseignants

Pages 123 à 154

Notes

  • [1]
    Lorsque J. Beillerot soutient, en 1987, son doctorat d’État, il intitule sa note de soutenance, Savoir et rapport au savoir : disposition intime et grammaire sociale, montrant ainsi la double inscription psychique et sociale de la notion. Très vite après cette date, J. Beillerot me demande ainsi qu’à Nicole Mosconi de nous engager avec lui pour faire avancer cette notion aussi bien sur un plan théorique que sur un plan clinique. C’est ainsi qu’a débuté une collaboration qui s’est traduite par la publication de plusieurs ouvrages collectifs, dont, en 1989, le premier intitulé Savoir et rapport au savoir : élaborations théoriques et cliniques. Par la suite, cette équipe, dénommée Savoirs et rapport au savoir, a réalisé deux autres publications collectives dans lesquelles la notion est présentée et déclinée de différentes manières : Pour une clinique du rapport au savoir en 1996 et en 2000 Formes et formations du rapport au savoir. Jacky Beillerot nous a quittés en septembre 2004.
  • [2]
    Aujourd’hui l’équipe est dénommée Clinique du rapport au savoir et s’intitulera dès 2014, lors de la mise en œuvre du prochain quinquennal de l’université Paris Ouest, Savoirs, rapport au savoir et processus de transmission.
  • [3]
    On peut consulter la note de synthèse citée précédemment dans laquelle figure un panorama de ces travaux.
  • [4]
    J. Beillerot, lui, s’est aussi intéressé à Michel Butor et à Roger Martin du Gard, Nicole Mosconi à Simone de Beauvoir, Claude Poulette à Jean-Paul Sartre. Aujourd’hui je souhaite, pour ma part, proposer une telle analyse en étudiant l’ouvrage « Souvenirs d’apprentissage » du mathématicien André Weill, en lien avec notre recherche sur le fonctionnement groupal du groupe de mathématiciens dénommé groupe Bourbaki.
  • [5]
    Deux parties du soi professionnel de l’enseignant dont j’ai montré qu’au plan psychique leur dialogue pourrait être profitable à l’exercice de la pratique (Blanchard-Laville, 2001/2013).
  • [6]
    Voici quelques intitulés de thèses où la notion apparaît explicitement : Élèves et enseignant(e)s engagé(e)s dans une pratique volontaire des mathématiques : rapport au savoir et processus identitaires, Le rapport à l’informatique des enseignants de l’école primaire, Approche clinique du travail en équipe pédagogique. Vers un rapport au savoir d’équipe ? Le professeur d’éducation musicale au collège. Entre le soi-musicien et le soi-enseignant. Étude clinique du rapport de l’enseignant à l’objet de sa discipline, Des professeurs des écoles aux prises avec des activités technologiques à l’école élémentaire : contribution à une clinique du rapport au savoir technologique à l’école élémentaire.
  • [7]
    Green A. (1993b), « Avatars de la pensée en psychanalyse et ailleurs », Journal de la psychanalyse de l’enfant, Naissance de la pensée. Processus de pensée, Colloque de Monaco, n° 14, Paris, Bayard Éditions.
  • [8]
    On peut lire à ce propos le chapitre de Jacky Beillerot (1989), « Le rapport au savoir : une notion en formation », dans l’ouvrage collectif Savoir et rapport au savoir. Élaborations théoriques et cliniques, Paris, Éditions Universitaires.
  • [9]
    Dans l’ouvrage collectif de Sztulman et Fénelon J. (dir.) (1981), La Curiosité en psychanalyse, Toulouse, Privat.
  • [10]
    Voir article de Jacky Beillerot déjà cité, p.198.
  • [11]
    Nous avons accordé une place importante dans nos recherches à la compréhension du processus décisionnel de l’enseignant, ce processus qui le conduit à poser tel ou tel acte, par exemple envoyer un élève au tableau pour y corriger un exercice à un moment de la séquence de cours. On peut ainsi consulter à ce sujet le chapitre « Analyse de la séance » de l’ouvrage Mélanie tiens passe au tableau (2003).
  • [12]
    À l’exemple de ce que décrit Michael Parsons dans son article « Le contre-transfert de l’analyste sur le processus psychanalytique » dans la Revue française de psychanalyse (2006).
  • [13]
    Cette recherche a donné lieu à l’ouvrage que j’ai dirigé en 1997 : Variations sur une leçon de mathématiques.
  • [14]
    Je me suis penchée sur cette question importante des petites humiliations dans la classe dans un texte co-écrit avec Laure Castelnau en 2008, où nous montrons en transposant des hypothèses de D.W. Winnicott que, lorsque celles-ci restent à peu près bien tempérées, elles permettent à l’enseignant de négocier quelque chose de sa « haine contre-transférentielle » structurale sur les élèves.

Introduction

1Depuis mon entrée en 1991 dans l’équipe de recherche Savoirs et rapport au savoir, créée en sciences de l’éducation à l’Université Paris-Ouest-Nanterre par mon ami et collègue Jacky Beillerot [1], je m’intéresse à la notion de rapport au savoir. Au sein de notre équipe [2], cette notion est apparue comme pouvant fédérer un certain nombre de travaux de recherche concernant les savoirs et leurs modalités de transmission. Elle est progressivement devenue l’un des concepts organisateurs majeurs de nos propres recherches. D’autres équipes en sciences de l’éducation ont aussi porté une grande attention à la notion de rapport au savoir, comme l’Équipe Escol à Paris-VIII avec des auteurs comme Bernard Charlot, Élizabeth Bautier et Jean-Yves Rochex ou, du côté de la didactique des mathématiques, avec les travaux d’Yves Chevallard, mais leurs déclinaisons de cette notion se distinguent de la nôtre par les théories du sujet que leurs approches convoquent, théories qui ne font pas droit en priorité au sujet de l’inconscient. Pour notre part, la notion de rapport au savoir a toujours été entendue, depuis les premiers travaux de J. Beillerot (1987), comme se référant à un sujet dont la psychanalyse contribue à nous faire connaître le développement de la vie psychique.

La notion de rapport au savoir

2Comme nous l’écrivions dans la note de synthèse Recherches cliniques d’orientation psychanalytique dans le champ de l’éducation et de la formation, publiée en 2005 dans la Revue française de pédagogie (Blanchard-Laville, Chaussecourte, Hatchuel, Pechberty), J. Beillerot a repéré que la notion de rapport au savoir avait émergé à peu près en même temps, durant les années soixante, dans trois champs distincts, celui de la psychanalyse, celui de la sociologie critique et celui de la formation d’adultes (Beillerot, 1989). Pour ce qui concerne le champ de la psychanalyse, rappelons les auteurs pionniers, comme Piera Aulagnier à la suite de Jacques Lacan (1971 ; 1974) et François Gantheret (1969), qui proposent des éléments de réflexion autour de cette notion de rapport au savoir. Plus récemment, remarquons que des travaux de psychanalystes appréhendent des questions proches, sans pour autant faire référence explicitement à la notion elle-même de rapport au savoir, comme ceux de Roger Dorey sur le désir de savoir (1988), ceux de Sophie de Mijolla (2002) qui explorent le besoin de savoir ou encore ceux présentés par Didier Lauru et Christian Hoffmann dans le dossier récent de Carnet psy « Ne rien vouloir (en) savoir » (2012). Tous ces travaux, y compris les nôtres, font en général référence aux réflexions premières de S. Freud (1905/1962) sur la pulsion de savoir et sur celles de M. Klein concernant la pulsion épistémophilique (1947/1968).

3Ainsi il nous apparaît que c’est dans le champ des sciences de l’éducation que la notion de rapport au savoir a déployé le plus largement son potentiel heuristique et, finalement, à ce jour, elle se trouve relativement utilisée dans les recherches de ce champ, en particulier dans une perspective clinique d’orientation psychanalytique [3]. Pour nous, dans l’équipe de recherche nanterroise, c’est peut-être dans la compréhension de la façon dont un sujet se confronte au savoir qu’elle s’est avérée la plus féconde ; ainsi nous nous sommes intéressés chez un sujet aux modalités singulières selon lesquelles son rapport au savoir se constituait et évoluait tout au long de son histoire psychique.

Rapport au savoir et parcours professionnel

4L’une des voies de recherche qui nous a passionnés a été d’explorer la construction du rapport au savoir chez des chercheurs, des créateurs ou des écrivains dont nous pouvions recueillir certains éléments de l’histoire personnelle et intellectuelle par le biais de leurs écritures autobiographiques. C’est ainsi que nous avons tenté, par exemple, dans un ouvrage collectif publié en 2004 [4], d’éclairer chez Carl Rogers les spécificités des modalités de construction de son rapport au savoir, à partir de l’autobiographie qu’il a rédigée en 1967, pour ses soixante-sept ans. Pour ma part, dans le chapitre que je consacre à cette analyse, j’ai fait certaines hypothèses sur la manière dont Carl Rogers aurait négocié sa dette générationnelle ainsi que sa place dans la configuration fraternelle à travers ses choix intellectuels et professionnels. J’ai aussi tenté d’identifier les modalités d’aménagements successifs que ce psychologue, chercheur et thérapeute, avait réussi à trouver par rapport à sa curiosité scientifique. Et j’ai montré comment, après un événement qui a fait « choc » pour lui, à l’âge de quarante-neuf ans, il a réussi, après avoir surmonté ce moment douloureux, à faire évoluer son lien aux autres et à lui-même, en gardant sa capacité d’ouverture au monde et sa capacité d’apprentissage toujours vivantes jusqu’à l’extrémité de sa vie (il est mort à 85 ans).

5À défaut de récit déjà écrit sur leur parcours, j’ai aussi pu explorer cette question de l’histoire de leur rapport au savoir chez des professeurs en m’appuyant sur des entretiens portant sur leur passé scolaire et leur trajectoire professionnelle. On peut ainsi lire, par exemple, l’histoire des évolutions au fil des années du rapport de Myriam, professeur de mathématiques, au savoir mathématique (Blanchard-Laville, 2001/2013). Cette histoire singulière nous fait appréhender que le rapport au savoir qu’un enseignant choisit d’enseigner se tisse tout au long de son histoire psychique et se sédimente au cours du processus identificatoire qui le fait passer de son soi-élève à son soi-enseignant [5] ; depuis les premiers énoncés identifiants parentaux, les premiers compromis identificatoires et la succession de leurs réécritures, au sens de Piera Aulagnier.

6Dans le cas d’une telle recherche où l’objectif est d’appréhender la construction et les évolutions du rapport au savoir d’un autre sujet que soi-même, le chercheur est conduit à engager sa propre subjectivité, sinon sa « troisième oreille », pour tenter d’inférer ce que le récit autobiographique ou les entretiens pourraient laisser entendre au-delà ou en deçà des rationalisations mises en avant dans l’écrit ou dans les propos. Je réalise aujourd’hui que nous ne nous sommes pas contentés d’exercer notre intuition clinique sur des récits extérieurs à nous, mais que, nous-mêmes, nous nous sommes engagés dans cette voie de recherche sur nos propres parcours professionnels : ainsi, pour ma part, j’ai pu (Blanchard-Laville, 2006), témoigner d’une reprise élaborative de ma trajectoire, ce qui m’a conduite à constater que des remaniements importants s’étaient opérés dans les modalités de mon rapport au savoir. Ces élaborations ont pu m’être très utiles pour asseoir ma nouvelle position de chercheur faisant suite à ce que j’ai appelé mon voyage transdisciplinaire qui m’avait fait passer des mathématiques à la didactique des mathématiques pour « atterrir » dans la discipline sciences de l’éducation en 1991 et y fédérer un courant de recherches cliniques d’orientation psychanalytique. Très utiles aussi sûrement, pour me soutenir dans mon projet de transmission au travers de l’accompagnement des nombreux travaux de thèse que j’ai dirigés dans le champ de la clinique du rapport au savoir [6].

7Dans l’entretien que j’ai accordé à Philippe Chaussecourte pour le premier numéro de la revue Cliopsy (2009), je tenais ces propos :

8

Le rapport au savoir chez un sujet est un processus dynamique qui, tel que nous le concevons à Nanterre, prend principalement en compte dans son évolution les remaniements psychiques. Ainsi je crois que cette question du rapport au savoir, vue avec cette perspective psychodynamique, est une question cruciale pour tous les professionnels en position de transmission : un enseignant, un formateur, bien plus que des savoirs, transmet son propre rapport au savoir qu’il enseigne et ainsi transmet tout autant sa partie vivante que ses traumatismes, ses impensés, ses enkystements. […] Les traumatismes affectant le rapport au savoir d’un enseignant sont très liés à sa propre histoire personnelle en même temps qu’ils transcendent celle-ci, en portant des traces de traumatismes antérieurs à sa propre histoire de sujet singulier, des traces de traumatismes plus anciens inscrits dans l’Histoire de ce savoir […] Cette notion de rapport au savoir est très certainement un axe central de ma réflexion théorique ; elle est en filigrane dans toute la conceptualisation de la pratique enseignante que je propose même si elle n’apparaît pas toujours explicitement.

9C’est d’ailleurs sur ce chemin de l’élaboration de leur rapport au savoir que nous engageons nos étudiants-professionnels en reprise d’études ainsi que nos doctorants. Nous avons constaté qu’un travail élaboratif sur leur rapport au savoir, pendant la durée de leur formation ou pendant la durée de leur thèse, leur permettait de s’ouvrir véritablement à une démarche de recherche ; en les autorisant, en particulier, à s’approprier des lectures théoriques qui, sans cela, seraient le plus souvent prises au piège des mauvais souvenirs de leur rapport à leur scolarité et aussi, assez souvent, en les réconciliant avec leur capacité à écrire (Castelnau, 2013 ; Blanchard-Laville, 2010 ; 2012).

Du lien C au rapport au savoir

10Auparavant, sur un plan théorique, j’ai trouvé matière à alimenter utilement notre questionnement sur la notion elle-même de rapport au savoir en m’inspirant des travaux de Wilfred R. Bion concernant la construction de l’appareil d’apprentissage chez un sujet. C’est ainsi que j’ai contribué à donner, comme je l’ai écrit alors (1996), une « sorte de sous-sol archéologique à la notion de rapport au savoir », en montrant que nous avions beaucoup à apprendre de ce psychanalyste pour nourrir notre théorisation sur un registre psychique. J’avais intitulé ce texte : « Aux sources de la capacité de penser et d’apprendre. À propos des conceptions théoriques de W. R. Bion ».

11J’y notais que, dans l’immédiat après Freud, en France tout au moins, peu d’analystes s’étaient préoccupés des mécanismes de la pensée, alors qu’au cours de la décennie des années quatre-vingt à quatre-vingt-dix, les numéros de revue et les ouvrages avaient commencé à se multiplier à ce propos. Je citais André Green qui analysait l’évolution de cette question en ces termes :

12

Avant la naissance de la psychanalyse, grande est la place de la pensée dans la pensée de Freud. […] Après la rédaction de l’Esquisse, la pensée s’éclipse, ou plutôt elle s’enfonce dans les plis du psychisme inconscient. […] Cependant jamais la pensée ne sera désignée dans la théorie comme devant occuper un rang conceptuel d’importance fondamentale. […] Toujours est-il, on le sait, qu’il a fallu attendre Bion et Lacan, chacun y arrivant par des voies différentes, pour qu’enfin les choses soient appelées par leur nom. Dès lors, éclatent, comme en une efflorescence proliférante, les mentions à la pensée sous les formes les plus diverses : logique ou linguistique du côté de Lacan, didactique et souvent dogmatique du côté des kleiniens, indépendante et originale chez Piera Aulagnier et Anzieu [7].

13Je remarquais aussi que, des années soixante aux années quatre-vingt, les intérêts des analystes semblaient focalisés, en ce qui concerne les mécanismes de pensée, sur des mécanismes de type névrotique, dans la ligne des travaux de Freud et de ses ouvrages Inhibition, symptôme et angoisse, et Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, alors qu’à partir des années quatre-vingt, l’intérêt commençait à se porter davantage sur des troubles relevant de mécanismes d’ordre psychotique. La livraison de la Nouvelle Revue de Psychanalyse intitulée Le trouble de penser (1982), qui publiait pour la première fois en français l’article de Bion sous l’intitulé Attaques contre les liens, ainsi que l’important article de Green sur La double limite, me semblait témoigner exemplairement de ce changement. Dans cet article, il énonce en effet :

14

Il me semble qu’aujourd’hui les analystes qui ont de plus en plus affaire à des patients dits difficiles, se voient contraints d’aborder le problème de la pensée pour des considérations pratiques. Car, même quand ils ne sont pas psychotiques, les patients qui constituent la population analytique n’en sont pour autant pas plus névrosés. Et quand bien même les troubles de la pensée ne se présenteraient pas au-devant de leurs tableaux cliniques, ils imposent, à coup sûr, un effort de pensée à l’analyste, qui laisse deviner chez eux l’existence plus ou moins latente d’une problématique de ce genre.

15Les patients avaient-ils changé ? Ou la théorie orientait-elle de plus en plus son regard, à la suite des découvertes de Mélanie Klein et de ses successeurs (Bion, Segal, Searles, Khan, Rosenfeld, Resnik) vers l’analyse des psychoses sinon vers la prise en compte de la partie psychotique des patients ?

16Une évolution d’un autre type me semblait aussi importante à repérer à l’époque dans le champ psychanalytique. Un certain nombre d’analystes français acceptaient de transcender les clivages théoriques des différents courants de pensée psychanalytiques dans leurs récits théorico-cliniques. Nombre d’articles de la Revue française de psychanalyse travaillaient dans ce sens. Sans doute, la dissolution de l’École freudienne et la mort de Lacan ont-ils marqué un tournant décisif dans cette évolution ; la richesse des développements des courants psychanalytiques anglo-saxons ne laissait plus aucun analyste français indifférent. En ce qui concerne plus particulièrement les apports des travaux de Bion, il est à noter qu’ils n’ont été que tardivement portés à la connaissance du public français, lequel se « rattrape » en quelque sorte en les évoquant aujourd’hui très abondamment.

17Cette évolution socio-historique a eu des répercussions sur ma propre histoire de chercheur. J’ai constaté, en toute modestie, un retentissement de cette perspective générale dans mes propres recherches qui portaient alors sur la résistance ou les blocages des élèves vis-à-vis des mathématiques enseignées. En 1982 et 1983, je publiais « Des fantasmes féminins à propos des mathématiques enseignées » et « Hélène ou le mystère des postulats ». Dans ces textes, je m’appuyais essentiellement sur le rapport de synthèse de Danielle Flagey « Points de vue sur l’inhibition intellectuelle » dans la Revue française de psychanalyse (1974) et mes analyses renvoyaient en priorité au complexe de castration, à l’infiltration du conflit œdipien dans le rapport aux mathématiques ainsi qu’aux questions de la quête de l’identité sexuée. Lorsque je publiais plus tard l’« Histoire de Marion et des mathématiques » ou encore « Ce que nous a appris Jocelyne », j’étais davantage sous l’influence de D. W. Winnicott et de M. Balint avec des notions comme celles de faux-self, d’espace potentiel et de défaut fondamental. Plus tard et depuis lors, ayant découvert à travers ma longue fréquentation de Salomon Resnik (1994), l’apport fondamental du travail de W. R. Bion, mes travaux ont été profondément irrigués par les théorisations de cet analyste et par ses positions cliniques.

18Si, au cours des années, tous les élèves ne sont pas devenus borderline, il me semble avoir assisté à des changements dans le public scolaire et dans la manière d’envisager ce public. Par ailleurs, il n’est pas surprenant que les évolutions constatées dans le champ psychanalytique soient concomitantes des changements dans nos propres théorisations. D’autre part, la tendance que nous avions vu se dessiner dans le champ psychanalytique, consistant à dépasser les polémiques théoriques pour appréhender les phénomènes dans leur complexité, nous a confortés aussi dans l’idée que, tout en travaillant « à partir de » et « avec » une notion issue des textes d’analystes d’obédience lacanienne telle que la notion de rapport au savoir[8], il n’était pas impossible d’enrichir notre réflexion des apports majeurs de l’école anglaise de psychanalyse.

19Si, pour Freud, la curiosité est située par rapport à la curiosité des origines et ne vient pas spontanément à l’enfant mais se trouve suscitée par l’arrivée d’un autre bébé, pour Mélanie Klein, « les pulsions épistémophilliques existent dès la naissance », comme l’écrit Florence Bégoin-Guignard dans son article « Pulsions sadiques et épistémophilliques [9] ».

20Pour W. R. Bion, à la suite de M. Klein, la curiosité se trouve à l’aube de la vie prégénitale : la source se trouve dans les expériences émotionnelles du bébé. Ces expériences, Bion ne peut les concevoir isolément ; il propose trois liens émotionnels de base, les liens A (amour), H (haine) et C (connaissance). Comme le souligne A. Green, dans son ouvrage Le Travail du négatif :

21

L’amour et la haine ont toujours été reconnus – sous des formulations diverses, il est vrai – comme occupant une place de premier rang dans les différents contextes des théories qui se sont succédé en psychanalyse. Mais jamais avant Bion aucun psychanalyste n’avait pensé à leur adjoindre un troisième terme, la connaissance, la réunion des trois constituant un ensemble cohérent et nécessaire.

22Pour Bion, le lien C a directement trait à l’apprentissage par l’expérience, au fait de tirer profit de l’expérience : « C représente un lien actif et donne à penser que si x C y, alors x fait quelque chose à y. » Il écrit dans son ouvrage Aux sources de l’expérience (1962) :

23

Dans le sens où j’entends l’utiliser, C n’implique pas une finalité ; autrement dit, C ne signifie pas que x est en possession d’une connaissance nommée y, mais plutôt que x est sur le point de connaître y et y sur le point d’être connu par x.

24Ce lien serait fondé sur le fonctionnement correct de ce que Bion appelle la fonction alpha : une des fonctions de la personnalité permettant d’appréhender et d’enregistrer les données des sens, puis de les convertir en éléments alpha, constitués d’images visuelles, de schèmes auditifs et olfactifs, comme il le monte dans cet ouvrage. Les éléments alpha s’assemblent à mesure qu’ils prolifèrent. La fonction alpha opère sur toutes les impressions des sens et sur toutes les émotions, et l’apprentissage par l’expérience suppose que cette fonction puisse opérer. À la limite, on peut pratiquement confondre la fonction d’apprentissage par l’expérience avec cette fonction. La fonction alpha est indispensable aussi « à la relégation de la pensée dans l’inconscient quand il devient nécessaire de décharger la conscience du fardeau de pensée que représente tout apprentissage ». Et pour Bion, « l’expérience n’est source de croissance que si elle est convertie en éléments alpha par la fonction alpha, enregistrée, donc susceptible d’être pensée, élaborée et abstraite ».

25Les éléments alpha sont donc des faits tirés de l’expérience émotionnelle qui ont pu être digérés et sont mis à la disposition de la pensée. Comme l’écrit Hanna Segal en 1978 (dans un article qu’elle reprend dans un chapitre de son ouvrage Psychanalyse clinique publié en 2004 aux Puf), « l’enfant projette sur le sein les sentiments ressentis comme insupportables. La mère les élabore et, si elle donne une réponse appropriée, l’enfant peut introjecter le sein comme un contenant capable de composer avec ses sentiments ». Elle insiste sur le fait qu’« […] une grande quantité de choses peuvent mal se passer dans la projection. La relation contenant-contenu peut être ressentie comme mutuellement destructive ou causant le vide aussi bien que mutuellement créative ».

26On comprend que pour Bion, les attaques contre les liens ont une double origine : dans le sujet, par une disposition à une envie et une haine destructive excessives mais aussi dans la mère, si elle est non réceptive ou ne parvient pas à rester équilibrée sous le feu des projections-projectiles, c’est-à-dire lorsqu’elle ne dispose pas elle-même d’une fonction alpha suffisamment opérante pour supporter les projections du bébé et pour lui permettre de les convertir et, ainsi, de les lui rendre digestibles. Ce que nous décrit Bion, c’est que ces « objets » avec lesquels le sujet entre en lien, sont soit des objets concrets de l’environnement, soit des objets internes, ses sentiments, ses émotions, ses pensées, y compris ses fonctions. D’où des attaques possibles à la fonction de liaison elle-même.

27Dans la mesure où, pour notre part, nous définissons le rapport au savoir comme un processus créateur de savoir pour un sujet-auteur, nécessaire pour agir et pour penser [10], Bion nous fournit un éclairage des conditions mêmes de possibilité d’établissement de ce rapport au savoir pour un sujet et des pistes de compréhension lorsque ces conditions ont été défaillantes ou insatisfaisantes, entravant son développement. Cette conceptualisation a attiré mon attention sur le fait que le lien de connaissance est un lien actif. Cette orientation m’a soutenue jusqu’à aujourd’hui où elle me permet de ne pas m’enliser dans des modèles qui mettent l’accent sur l’acquisition et la possession de savoirs au niveau scolaire ou universitaire ou des modèles où le savoir est en quelque sorte réifié. Pour moi, il est alors devenu essentiel de faire advenir les étudiants en tant que sujets, des sujets qui aient de meilleures chances d’apprendre et de connaître, au sens de Bion, ce qui ne veut pas dire forcément savoir. Ainsi, depuis cette rencontre avec les conceptions bioniennes, j’ai toujours privilégié un type de rapport au savoir qui soit du côté de l’apprendre à connaître et à devenir plutôt que du côté de l’acquisition de savoir ; et pour cela j’ai privilégié l’accompagnement du sujet dans l’élaboration de son rapport au savoir et de ses dysfonctionnements éventuels plutôt que d’utiliser les formes de transmission de savoir traditionnelles.

28Cette conceptualisation m’a aussi été très utile pour comprendre que le rapport au savoir chez un sujet pouvait être l’objet de différentes attaques et que, lorsque ce sujet est élève, enseignant ou formateur, cette approche nous fournissait un éclairage pertinent.

Du rapport au savoir des enseignants

29Ainsi une autre des conséquences de mon appréhension de la vision de Bion a été que si l’on considère que le rapport au savoir d’un sujet s’est construit sur la base de l’établissement du lien C dans le cadre d’interactions dynamiques entre deux psychismes, celui de la mère (ou personne-ressource) et celui du bébé, cela nous fournit une manière de comprendre le cadre dans lequel se déroulera toute médiation ultérieure qui affectera son rapport au savoir. En particulier, cela nous éclaire sur la situation de médiation didactique d’un enseignant ou celle d’un formateur en situation d’enseignement ou de formation. Nous n’aurons pas de peine alors à envisager que, face à la volonté de l’enseignant ou du formateur d’accompagner l’élève ou le formé dans une modification de son rapport au savoir, ce dernier puisse adopter plusieurs types de position, réveillés en lui par la situation présente mais en lien avec sa propre configuration psychique vis-à-vis des premières expériences d’apprentissage. L’élève peut ainsi, par exemple, tenter d’occuper une place de dépendance parasitique, ne pouvant se passer du moi-auxiliaire de l’enseignant pour comprendre, position dont il peut être difficile de le déloger ; ou, lorsque la frustration de ne pas comprendre est ressentie comme trop importante, soit que la distance à l’apprentissage proposé soit trop grande, soit que le seuil de tolérance du sujet soit faible au regard de cet apprentissage, il peut alors rejeter la situation en expulsant et projetant sur l’enseignant des éléments non digérés, des sortes d’éléments bêta, mettant ainsi à l’épreuve la fonction alpha de retraitement de l’enseignant. C’est ainsi que les propositions de Bion concernant la fonction alpha m’ont apporté un éclairage significatif sur certaines « attaques » des élèves envers leurs enseignants, tout en me donnant en même temps des moyens de travailler avec ces enseignants pour qu’ils apprennent à développer leur fonction contenante par rapport à ces attaques.

30Deux axes de recherche interdépendants se sont ouverts à moi. D’une part, j’ai souhaité analyser comment le rapport au savoir de l’enseignant s’actualisait dans l’espace de la classe en situation d’enseignement. Cela m’a conduit à une succession de recherches à partir de l’analyse de séquences filmées de cours où il était possible d’observer des enseignants au cours même de leur acte d’enseignant. Pour un professeur de mathématiques par exemple, enseigner les mathématiques, c’est tenter de transformer, de faire évoluer le rapport au savoir mathématique des élèves ou peut-être, tenter seulement de les mettre en contact, de les faire entrer en rapport avec le savoir mathématique. Pour cela, j’ai montré dans ces recherches qu’à l’intérieur de la situation d’enseignement, l’enseignant de mathématiques est amené à mettre en scène son propre rapport au savoir mathématique, au travers du discours qu’il déroule lorsqu’il s’agit d’un cours traditionnel ou au travers des activités qu’il propose et des paroles qu’il ne peut manquer de prononcer pour initier ces activités, pour en effectuer « la dévolution » aux élèves, pour catalyser leur travail, ou encore animer le groupe et éventuellement pour institutionnaliser les éléments de savoir qui émergeront de la séquence. Il est sommé par l’Institution d’enseignement d’accompagner les élèves à entrer en rapport avec le savoir mathématique. De ce fait, il va devoir se relier aux élèves du groupe – l’impossibilité de se relier étant une modalité du lien –, tout en dévoilant son propre rapport au savoir mathématique. Mais le professeur n’est pas tout seul dans la classe : il est plongé dans une situation groupale ; les élèves sont aussi soumis à leur inconscient et ont eux aussi tout un monde intérieur fantasmatique. De plus, la situation groupale réveille des craintes très anciennes que chaque enseignant tente d’apaiser à sa manière. J’ai alors avancé l’hypothèse que ce que l’enseignant€ va pouvoir manifester, actualiser, de son rapport au savoir mathématique dans la situation didactique est lié à l’atmosphère transférentielle qu’il arrive à installer dans la classe avec le concours des élèves.

31S’il nous est toujours possible de repérer la fantasmatique personnelle qui pousse l’enseignant/e à configurer la dynamique transférentielle de telle ou telle manière, nous sommes conduits à penser que l’identification des fantasmes à l’œuvre chez l’enseignant est insuffisante pour comprendre ce scénario qu’il projette dans l’espace de la classe et qui a partie liée, non seulement au mode de lien qu’il installe avec les élèves, mais surtout au rapport au savoir qu’il manifeste dans la situation, et notamment, à la distance qu’il a établie avec les objets du savoir.

32Autrement dit, en situation didactique, ce que nous allons apercevoir, ce n’est pas ce que le professeur sait mais ce qu’il fait de ce qu’il sait, ce jour-là, à cette heure-là, avec ce groupe-là. Ce qui apparaît dans une séance d’enseignement est la résultante de plusieurs dimensions : les modalités personnelles de son rapport au savoir soumises aux contraintes de la situation d’enseignement, lesquelles renvoient à la fois aux contraintes didactiques à strictement parler, aux contraintes institutionnelles, aux contraintes relationnelles et à ses propres « contraintes intérieures » de sujet, au sens de sujet de l’inconscient. Sans analyse, cette construction, dans le moment de l’acte didactique lui-même, reste masquée aux yeux de l’élève par les phénomènes d’emprise et de captation pédagogiques ; ce n’est que dans une analyse d’après-coup qu’elle peut être appréhendée. Dans ces recherches, il s’est agi alors de dessiner la topique singulière de chacune des séquences étudiées en ce qui concerne le rapport au savoir mathématique de l’enseignant qui transparaît dans son discours en lien avec son mode de relation aux élèves. Nous estimons que ce scénario repérable lors d’une séquence, même s’il subit certaines fluctuations d’une séquence à l’autre, possède une sorte de stabilité structurelle.

33C’est ce scénario psychique que j’ai proposé de nommer le transfert didactique de l’enseignant et c’est l’écologie psychique de ce transfert didactique qui m’intéresse, au sens où c’est elle qui instaure dans la situation une certaine qualité d’espace psychique, à l’insu de l’enseignant. Car, c’est cette empreinte psychique qui induit véritablement la manière dont le climat de la classe est affecté dans la rencontre didactique. Cette façon de considérer les phénomènes psychiques au cours d’une séquence d’enseignement me permet de donner du sens, du côté de l’élève, à ce à quoi il peut être « sensible » ou ce par quoi il peut être « touché », au-delà ou en deçà du contenu de savoir lui-même de chaque séquence de leçon ou de chaque cours. Du côté de l’enseignant, cela permet d’appréhender les fonctions qui peuvent faire l’objet d’une attaque quelquefois dévitalisante de la part des élèves.

34Tous ces éléments me font avancer l’hypothèse que le transfert didactique de l’enseignant, qui ne peut manquer d’être issu de son rapport traumatique au savoir (et lequel d’entre nous n’a pas un rapport traumatique au savoir ?) constitue le canal par lequel l’enseignant va transmettre à son insu les caractéristiques traumatiques, les impensés, les enkystements, les fossilisations de son propre rapport au savoir.

35Car un enseignant est sous une injonction de parole de la part de l’institution, il parle, il propose un discours qui va bien au-delà du texte proprement dit du savoir enseigné et, de ce fait, il est amené à poser de nombreux micro-actes lors de son acte d’enseignement [11]. En analysant ces actes ainsi que le processus décisionnel dont il est le siège, aussi bien que les propos qu’il tient dans une intention de transmission de savoir au-delà des stricts énoncés de savoir, j’ai pu montrer qu’un enseignant est doublement mis en risque psychique : d’une part, sur l’axe de sa relation d’objet, représentée dans la situation d’enseignement par son transfert didactique ; d’autre part, sur son axe narcissique.

36En effet, son transfert didactique est mis à rude épreuve tout au long de ses années d’enseignement. Il est mis à la question jour après jour quant à son transfert sur le savoir qu’il enseigne [12]. Quant à son lien aux élèves, il lui incombe de trouver à tous les instants la juste distance dans la rencontre, sous peine de se voir dériver dans des actings conduisant à la rupture du lien didactique. J’ai pu constater ainsi que, sous le poids de ces enjeux et sous l’effet du phénomène de résonance dans l’espace de la classe, l’enseignant risque d’osciller entre des extrêmes, un pôle masochiste et un pôle sadique de la relation. Sur le plan narcissique, il est aux prises avec le risque de mise en résonance de sa propre insécurité interne avec celle des élèves, de certains de ses élèves. Ses assises narcissiques sont en permanence ré-interrogées, et là aussi, nous avons pu constater qu’il est conduit à osciller fortement sur l’axe narcissique entre des pôles extrêmes, entre des moments d’euphorie, pour ne pas dire des moments qui peuvent s’avérer producteurs de sentiments d’intense élation narcissique, et d’autres moments où l’auto-disqualification, l’auto-dénigrement dominent, dans une tonalité sub-dépressive.

37Pour illustrer ces phénomènes induits au niveau inconscient par les appareils psychiques des partenaires de la situation de classe, l’enseignant et les élèves, j’évoquerai ici la leçon de Martine au CM1 à propos de l’écriture des grands nombres (de l’ordre des millions). Dans cette recherche, nous nous sommes attachés à l’analyse des paroles prononcées par l’enseignante et à l’analyse de certains de ses comportements non verbaux, ainsi qu’à l’analyse des paroles ou comportements des élèves réactionnels aux siens [13].

38Selon une perspective macroscopique, à l’échelle de l’espace de la classe, nous avons formulé l’hypothèse que tout se passait comme si l’enseignante prêtait aux élèves son propre espace mental. À une échelle plus fine, nous avons identifié que cet espace psychique, instauré à son insu par l’enseignante, n’était pas partout de la même texture et qu’il n’avait pas les mêmes caractéristiques lorsqu’il était prêté à tel ou tel élève particulier, ce qui ne donnait pas les mêmes conditions aux élèves pour déployer leurs mouvements de pensée et de compréhension. C’est ce que je voudrais montrer en analysant « à la loupe » deux moments très contrastés, qui se situent aux minutes 18 et 46 de la leçon, ces moments où les élèves que nous avons nommés Jérôme et Sophie viennent au tableau à la demande de l’enseignante. Signalons que ces deux élèves ont retenu notre attention dans la mesure où l’analyse didactique de la séquence avait montré leur importance dans le déroulement du projet explicite d’enseignement proposé par l’enseignante.

Jérôme et Sophie

39Dans la classe de Martine, Jérôme est l’élève qui bat les records de temps passé au tableau parmi tous les élèves de la classe. C’est un « permanent » du spectacle, cependant que toute une pléiade d’autres élèves joue les « intermittents » du spectacle autour de la vedette. Jérôme reste au tableau alors que son propre « show » est terminé depuis longtemps et que d’autres élèves ont pris le relais sur le plan des interactions de savoir, notamment Louis. Au total, ses déplacements devant le tableau témoignent de ce que, en moyenne, sa distance effective à l’enseignante est la plus réduite. Il est celui qui garde la plus grande proximité avec elle tout au long de l’épisode. Nous décrirons deux ou trois instants très marquants au cours de cette longue présence au tableau. Tout d’abord, son arrivée. À la minute 19, cherchant à interroger un élève parmi ceux qui lèvent le doigt, l’enseignante, au cours d’un travelling panoramique de la tête, parcourt l’ensemble de la classe, arrête son regard sur Jérôme et, de manière concomitante, claque dans ses mains et dit : « Ben, tiens, Jérôme, allez, viens. » Cependant qu’elle prononce le mot « viens », elle fait un geste de la main gauche comme pour l’attirer vers elle. L’expression verbale « Ben, tiens » pourrait indiquer une sorte de choix de l’élève au hasard mais le claquement des mains, le geste d’invite de la main gauche et la tonalité de la voix démentent qu’il s’agisse d’un choix au hasard. D’ailleurs la manière dont Jérôme répond à cette invitation nous convainc d’une complicité sans mot, presque physique, déjà installée entre eux. Dans le sillage du mouvement de la main de l’enseignante, Jérôme se lève de sa place, située au fond de la classe ; penché en avant jusqu’à mi-corps, comme aspiré par le geste de l’enseignante, le visage rayonnant, il parcourt l’allée de la classe comme s’il s’agissait d’une ligne aimantée jusqu’au tableau. Il est suivi du regard par toute la classe ; en cours de route, il prononce à l’intention de l’enseignante : « Si tu veux, je… », aussitôt interrompu par la réponse de l’enseignante : « Je veux. » La réciprocité de l’attirance est nouée.

40La micro-scène qui s’ensuit vient confirmer et intensifier la force d’étayage narcissique mutuel qui va les relier dans toute cette partie de la séquence. L’enseignante prend Jérôme par les épaules, le fait pivoter dos contre elle, et ils font face, tous les deux, à la classe. Elle se penche pour amener sa tête à la hauteur du visage de Jérôme et lui chuchote à l’oreille avec une main en cornet pour protéger leur aparté. Pendant ce temps, Jérôme, avec un visage enfantin, suçote la craie. Leurs deux visages proches et leur attitude similaire évoquent une image dédoublée. Cet instant, fugitif au demeurant, fait penser à une idylle amoureuse qui les isolerait face au groupe. D’ailleurs, lorsque l’enseignante relève la tête, c’est pour « faire les gros yeux » à un élève qui n’était pas au diapason et qui troublait leur duo. Ce moment intense laisse la place à un échange d’ordre plus cognitif, mais par moments, l’enseignante continue à envoyer à Jérôme des signaux témoignant qu’elle continue à le créditer de sa confiance inébranlable, même lorsqu’il est « attaqué » par la classe. Lorsque, par exemple, il se met à écrire au tableau en très gros, et que les autres élèves se mettent à rigoler, elle le soutient avec un ton de voix attendri : « Ben, vous y voyez au moins ! Bon, chut » ou lorsque certains élèves ne sont pas d’accord avec ce qu’il fait (minute 22), elle le soutient à nouveau avec un : « Laissez-le » répété trois fois, « Attendez », « Aidez-le », « Chut ». À un autre moment (minute 23), elle dit : « Laissez réfléchir ce pauvre Jérôme, vous allez le massacrer », et s’adressant à Jérôme directement : « Reprends tes esprits », en accompagnant ses paroles de la même posture que dans la scène initiale, en le prenant sous son aile. Cette fois, la tonalité de la voix est plus maternelle qu’amoureuse. Elle protège Jérôme des agressions externes et veut qu’il ait toutes ses chances.

41Au fond, dans cet épisode, ce qui importe vraiment à l’enseignante, c’est Jérôme. Peu importe que les autres élèves sachent ou aient compris, elle n’a pas le temps de s’expliquer, ce temps est redonné à Jérôme par l’enseignante qui lui fait le crédit absolu d’arriver à comprendre et même d’expliquer à la classe. Pour cela, elle lui prête l’espace-temps nécessaire, comme si rien d’autre n’existait autour d’eux. À deux reprises, l’enseignante utilise un autre geste spécifique : elle désigne Jérôme à la classe avec son index, en accompagnant la posture d’une mimique rieuse signifiant : « C’est lui, qu’il faut regarder et écouter, c’est lui la source de vérité. » Comme si elle était son supporter fervent. Sa bouche d’ailleurs pré-articule des mots, sans sons, comme pour souffler à Jérôme, à distance, ce qu’il faut dire, pour l’encourager. Au niveau des regards, on dirait qu’elle n’a d’yeux que pour lui. Et quand, fort de ce soutien indéfectible, il demande à son tour à la classe un peu de temps : « Si mais attendez », prévient-il, elle répète en écho : « Attendez », laissant à Jérôme le soin de gérer le temps didactique. Dans ce moment, c’est comme si elle lui avait délégué une partie de ses fonctions et Jérôme les reprend bien à son compte. Plus tard, (minute 30), lorsque Jérôme vient de nouveau au tableau, elle lui dit : « Vas-y. Fais-leur. Explique-leur », et annonce à la classe : « On va voir ce qu’il veut nous montrer », Jérôme se sent autorisé à parler à Nathalie comme l’enseignante lui parle à lui : « Tu vas me le lire après », lui dit-il. « Alors, maintenant, lis-le moi. » Voilà Jérôme dépositaire de la partie « bonne maîtresse » de l’enseignante. Certains élèves ne s’y trompent pas. Nathalie (minute 30) énonce pour convaincre l’enseignante : « Comme il dit Jérôme » et plus loin, elle le prend comme référence : « selon lui », croyant renforcer son propos, qui n’est tout de même pas entendu par l’enseignante, en lui confirmant qu’elle respecte la place que celle-ci a octroyée à Jérôme.

42En d’autres termes, on pourrait dire que l’on voit se dérouler au cours de cet épisode toutes les facettes d’une scène de « séduction narcissique », dans laquelle tout concourt à ce que chacun construise l’autre, dans un jeu qualifiant et vitalisant réciproque. L’enseignante lit sur le visage de Jérôme quelque chose qui lui donne du plaisir à regarder, Jérôme se dilate d’aise et de reconnaissance sous ce regard et répond pleinement à l’attente de l’enseignante, ce qui la comble en retour. Nous parlons à dessein de « séduction narcissique » par opposition à « séduction sexuelle », au sens de Racamier (1991), qui promeut ce concept pour décrire la fascination narcissique mutuelle de la mère et de son bébé, à l’aube de la constitution de la psyché. Dans ce type d’interaction, chacun participe à la reconnaissance de l’autre, « chacun des deux procède à la création de l’autre ». Ce cocon narcissique vise à préserver l’unisson d’un monde à l’abri des excitations externes. Pour nous, entre l’enseignante et Jérôme, il se joue quelque chose d’un lien de cet ordre-là. On pourrait aussi dire avec d’autres mots, que l’enseignante projette sur Jérôme sa partie vivante, vibrante et passionnée, et que Jérôme la lui donne à voir en retour, ce qui ne peut manquer de la gratifier narcissiquement. Si l’on poursuit dans cette veine de l’identification projective, cette respiration de la vie interpsychique, nous allons voir qu’a contrario, l’enseignante projette sur Sophie sa partie menacée, fragile, craintive par rapport au savoir et, bien évidemment, cette image en retour se trouve beaucoup moins gratifiante ; elle est beaucoup plus insupportable à regarder en face. C’est ce que nous allons découvrir en décrivant l’épisode Sophie.

43L’entrée en scène de Sophie s’effectue dans un style tout à fait à l’opposé de celui de l’arrivée de Jérôme au tableau. L’enseignante a pris Sophie à partie sur un ton interrogatif à trois reprises, énonçant : « Sophie a fini ? », puis « Sophie, tu hésites ? », et enfin « tu viens au tableau ? ». Entre les deux premières questions, l’enseignante avait insisté : « Qui est sûr d’avoir bien écrit le nombre ? »

44Ce qui frappe le plus dans la scène qui suit, c’est que l’enseignante se tient à une distance d’un ou deux mètres de Sophie ; distance importante par rapport à son comportement habituel. Elle fait face la plupart du temps à Sophie, tout en ne la regardant pratiquement pas, alors même que Sophie a le visage tourné en permanence vers l’enseignante ; un visage immobile, implorant, seuls ses yeux sont très mobiles ; tantôt ils lancent des regards en coin, comme pour chercher du secours, tantôt, Sophie, tout en se mordant les lèvres, élève son regard vers l’enseignante comme pour guetter ses réactions et implorer son indulgence. Sophie tient la craie dans ses deux mains, en la triturant nerveusement, et pourtant, elle la laisse choir à terre à deux reprises au cours de cette scène, ce qui traduit l’hypotonicité de sa posture.

45Le ton de voix de l’enseignante est, d’entrée de jeu, apitoyé, plutôt un peu condescendant. On ressent que l’enseignante se force à être gentille et aimable avec Sophie. Nous sommes très loin du plaisir de l’échange avec Jérôme. Elle parle à Sophie en articulant bien, presque comme pour quelqu’un qui ne comprendrait pas le français. À un moment donné, elle fait un quasi-lapsus mais le mot est lâché, elle ne peut le reprendre. Elle dit, parlant de Sophie qui est à côté d’elle ; « ce qu’elle a mal… » ; visiblement elle s’entend prononcer cette évaluation et cela la gêne mais le mot est lâché, elle assume et enchaîne (minute 50) : « mal fait ». Nous constatons, à ce propos, qu’elle parle de Sophie à la classe à la troisième personne comme si elle n’était pas présente ; ce comportement fait partie des idiosyncrasies verbales de cette enseignante. Nous avions noté le sur-emploi du « il-élève », qui lui permet à plusieurs reprises d’infliger une légère humiliation [14] à certains élèves, en parlant d’eux à la classe, à la troisième personne, sans leur parler directement. Mais, ce qui nous paraît plus significatif, c’est que, à bout d’arguments, elle propose Jérôme comme modèle à Sophie : « Fais comme Jérôme », lui dit-elle. « Tu ne te rappelles plus ce qu’avait fait Jérôme ? » Jérôme qui s’entend cité deux fois se sent autorisé à intervenir alors et il souffle à Sophie une réponse, fausse au demeurant. Si l’hypothèse que nous avançons a quelque pertinence, à savoir que Sophie serait dépositaire des craintes et hésitations de l’enseignante par rapport au savoir, il est certain que sa présence ne peut la gratifier comme celle de Jérôme, au contraire, et c’est bien par un effort volontariste qu’elle tente d’aider Sophie. On peut alors se demander quel effet peut avoir sur Sophie cette tentative qui laisse traverser des sentiments d’apitoiement et d’ennui. De même que Jérôme était confirmé dans sa position valorisée d’élève « merveilleux », ici, Sophie est en quelque sorte confirmée dans sa position ordinaire de « victime ». Sophie, cette élève qui, pour des raisons qui la concernent et qui concernent son propre développement psychique et son histoire familiale, vient résonner dans l’espace-classe avec des éléments de l’histoire du rapport au savoir de l’enseignante, mais cette fois, avec des éléments traumatiques de son rapport au savoir.

46Nous pouvons avancer que si, dans un premier temps, nous avons pu montrer que l’enseignante, au lieu de faire vivre les objets de savoir dans l’espace de la classe, y déployait une intense activité relationnelle, dans un deuxième temps, en pratiquant une sorte de « zoom » sur certains élèves, nous avons vu cette analyse s’affiner. Jérôme, presque en contradiction avec le scénario global de l’enseignante est autorisé à faire vivre le savoir pour lui-même et à le transmettre, comme si à la faveur du lien narcissisant qui le relie à l’enseignante, celle-ci lui confiait la représentation de cette partie d’elle-même qu’elle ne s’autorise pas à jouer pour la classe, cependant que Sophie représenterait sa partie légèrement phobique par rapport au savoir mathématique. Dans ce jeu de l’identification projective, les dépôts des parties de soi laissés chez les élèves permettent à l’enseignant tantôt de se débarrasser d’éléments psychiques encombrants tantôt de bénéficier du retour positif des dépôts d’éléments gratifiants. Ceci permettrait d’expliquer que si, à un certain niveau, on a pu dire que l’enseignante prête son espace mental à la classe, à un niveau plus fin de l’approche, on constate que la densité de cet espace n’est pas homogène. Elle varie selon les élèves.

47Du point de vue de la construction de ses connaissances, lorsque Jérôme va au tableau pour écrire en chiffres le nombre alors énoncé en lettres : dix-sept millions deux mille cinquante-huit, il est « sûr d’avoir juste ». Il inscrit 17 en dessous de dix-sept, laisse un espace en dessous de mille, puis écrit 200 en expliquant : « J’ai marqué deux mille comme on sait que là y’a trois chiffres,… marquer 2 deux zéros là après le 2. » La remarque d’une élève, « Quand on dit 17 millions, on écrit, on met toujours un écart… et après on dit 2 mille, 2 mille, 2 c’est, ça veut pas dire 2 cents », conduit Jérôme à corriger son erreur et à terminer correctement l’écriture du nombre.

48Après cette remarque qui lui a été faite, Jérôme, en parlant seul et en écrivant au tableau à sa façon, au milieu d’un vif débat, comprend la contradiction, resitue ses connaissances passées dans un contexte nouveau et se convainc que 200 est incorrect et qu’il faut écrire 002 dans cette tranche de chiffres.

49Au niveau strictement cognitif, que se passe-t-il pour Sophie ? Pour l’exercice qu’elle a à résoudre, dont l’énoncé est donné à moitié en lettres, à moitié en chiffres, soit : « Écrire en chiffres 4 millions 316 mille 24 », Sophie répond en écrivant 4 316 24. À la demande de l’enseignante, elle remarque qu’il manque le chiffre des centaines au nombre qui n’occupe que deux places et avance timidement qu’il faut écrire zéro. L’enseignante l’interroge alors sur le nom des positions occupées par les différents nombres, et Sophie, qui répond en confondant la classe et le rang, va rester plusieurs minutes sans participer au débat. Au cours de cet épisode, il ne suffit plus de « faire » en commentant avec « ses mots », il faut discourir sur la procédure en désignant justement les positions de chacun des chiffres, l’exigence sémantique est devenue plus forte. L’enseignante attend la formulation d’un énoncé plus savant. Nous sommes à la minute 46, la séquence arrive à sa fin. Nous constatons que Sophie semble capable de rectifier correctement le manquement à la règle d’action mais n’entre pas dans un débat où on désigne les objets mathématiques sans les manipuler et s’abstient d’agir.

50Ainsi, nous notons que les deux élèves interrogés par l’enseignante sur la base d’une erreur dans un exercice vont, à l’issue de leur passage au tableau, rectifier leur erreur. Cependant, alors que nous avons pu observer les tentatives cognitives réussies de la démarche heuristique de Jérôme, nous n’avons pu repérer aucun signe de l’activité cognitive de Sophie.

51En résumé, voilà que, dans cet espace protégé qui lui est offert, Jérôme modifie son rapport à l’objet enseigné en s’évadant du scénario de l’enseignante dans un sens souhaitable. Il accède à un savoir nouveau qui lui résistait, un savoir opérant pour la suite de la leçon. Évidemment, la question se pose de la durabilité de cet apprentissage. Quelle issue y aura-t-il pour Jérôme en dehors de cette relation qualifiante pour lui ? Aura-t-il la force d’en sortir et comment se débrouillera-t-il avec un autre enseignant par lequel il ne sera pas forcément « choisi » comme partenaire privilégié ? En revanche, la résistance de Sophie à l’apprentissage vient ici faire écho à la tonalité phobique du rapport au savoir mathématique de cette enseignante qui ne peut que se transmettre psychiquement à son insu alors même, nous n’en doutons pas, qu’elle a une très grande volonté d’aider cognitivement cette élève. Sophie du coup se positionne dans une relation de dépendance psychique légèrement teintée de sado-masochisme, dont il sera, et pour elle, et pour l’enseignante, difficile de sortir.

Élaborer son rapport au savoir pour revitaliser sa pratique enseignante

52Ainsi, en constatant que l’enseignant est un filtre par rapport au savoir qu’il transmet et que les « attaques » des élèves à son rapport au savoir sont souvent dévitalisantes pour sa pratique, j’ai pensé proposer aux enseignants des espaces groupaux où un travail d’inspiration Balint soit possible. Dans ces dispositifs, ils sont conduits à réfléchir sur leur rapport au savoir qu’ils enseignent, issu de leur histoire personnelle et de leur formation et sur l’évolution de ce rapport depuis qu’ils ont commencé à enseigner. L’objectif du travail est toujours ramené à l’acte didactique lui-même : comment s’infiltre leur propre rapport au savoir mathématique, par exemple lorsqu’ils sont professeurs de mathématiques, dans la situation didactique, quelles attentes sont les leurs de ce fait, que projettent-ils sur leurs élèves, quels types de liens établissent-ils avec eux ?

53C’est ainsi que je soutiens l’idée qu’il y a un travail psychique à faire sur notre propre rapport au savoir lorsque nous devenons ou que nous sommes enseignants et que celui-ci devrait s’effectuer dans les temps de formation, particulièrement en pré-professionnalisation et en formation initiale mais surtout en formation continue ; sous peine que si ce travail psychique n’est pas effectué il soit transporté dans nos espaces d’enseignement et se retrouve à la charge de nos enseignés. L’ouvrage que je viens de publier Au risque d’enseigner (2013) est tout entier consacré à cette question du travail psychique dans les dispositifs d’analyse clinique de la pratique enseignante tel que je les ai conçus. J’y montre que, pour des enseignants et des formateurs d’enseignants, élaborer en groupe des situations difficiles de leur pratique leur permet de partager un rapport vivant au savoir, en activant leur pulsion de recherche et leur capacité à penser leur métier.

Didier

54On peut voir, par exemple, Didier contenir l’« attaque » verbale d’un élève qu’en un autre temps (avant le travail clinique réalisé en groupe au cours de cette année-là) il aurait tout à fait pu exclure de son cours. Lors d’une séance, Didier raconte que l’un de ses élèves, Gilles, qui a eu des difficultés dans les cours précédant celui-ci, arrive assez en colère au cours. Il n’a pas envie de travailler. Didier essaie de lui faire faire les exercices de mathématiques prévus, mais, alors qu’il insiste pour le faire travailler, Gilles lui dit : « Monsieur, vous m’emmerdez. » Didier note alors que, sans réfléchir vraiment, il s’entend dire calmement à l’élève : « Eh bien toi tu ne m’emmerdes pas, mais je veux que tu fasses tes exercices. » À la surprise de Didier, l’élève s’est alors mis au travail.

55J’estime que Didier est en train d’apprendre à exercer sa fonction contenante, corollaire à mes yeux de la possibilité de tenir une classe. On voit bien avec cet exemple que, même lorsqu’un élève fait preuve d’incivilité notoire à l’égard de l’enseignant, il est possible de ne pas lui renvoyer la balle dans une forme de ping-pong et ainsi de ne pas installer un rapport de forces, mais au contraire, à partir d’une posture intérieure plus sereine, de contenir l’attaque et de la métaboliser.

56Si on tente de théoriser autour de cet incident, on peut penser qu’on assiste typiquement là à une projection d’éléments hostiles sur le professeur. Nous voici dans une situation où le professeur met en œuvre sa fonction alpha, à savoir sa capacité à accueillir ces projections de la part des élèves sans pour autant se laisser détruire, mais au contraire avec la possibilité de les métaboliser, c’est-à-dire de les transformer pour les rendre digestibles en retour pour l’élève. Cette fonction contenante a une conséquence immédiate pour l’élève puisqu’elle le ré-institue du même coup dans sa position d’élève : celui-ci ne voit pas sa violence lui être retournée en boomerang, mais se sent autorisé à garder une place de sujet dans la relation avec le professeur, donc de sujet-élève. C’est cette capacité de contenir les attaques au cadre sans riposter par une contre-attaque qu’il me semble tout à fait indispensable que les enseignants acquièrent aujourd’hui.

Adrien

57Je pourrais aussi prendre l’exemple d’Adrien qui est un enseignant débutant. Dans l’entretien qu’il m’a accordé, il apparaît rapidement dans ses propos qu’il a beaucoup de griefs à formuler vis-à-vis de la formation qu’il a reçue. Lorsque la confiance s’installe entre nous en avançant un peu plus dans l’entretien, il dit s’être senti « démuni au départ » en commençant à enseigner ; il estime qu’en formation, « on ne [leur] apprend pas les choses de base pour former une personne » ; en particulier, « on ne [leur] dit pas ce que c’est qu’une classe » et « on ne sait pas du tout ce qui nous attend en fait ». Il insiste à ce propos : « Ça, vraiment, je n’étais pas du tout préparé. » Il se plaint, en énonçant : « S’ils m’avaient simplement expliqué des choses très simples », sous-entendu : je m’en serais mieux tiré au début. Il estime d’ailleurs qu’« il y avait sûrement des solutions à apporter » mais ajoute aussitôt : « Bon, on ne m’en a donné aucune. » Sa déception encore intense se traduit par des propos assez vifs : « Je maudissais vraiment les gens qui m’avaient préparé », car, dit-il, « on tombe un peu de haut » en arrivant dans la classe, d’autant que « ça, vraiment jamais, on ne m’a appris à faire travailler un enfant ». Lorsque je l’interroge sur son rapport à la formation continue, Adrien a des ressentis analogues. Il résume finalement sa demande de formation par la formule suivante : « On aimerait bien voir ce que font les gens. » Énoncé qu’il va répéter sous d’autres formes à plusieurs reprises. « J’aimerais », explique-t-il, en me parlant d’une enseignante qui a été sa tutrice de stage, « qu’elle [la professeur expérimentée] me montre dans sa classe comment ça fonctionne […] Il faut voir les choses qui marchent, sinon je n’y crois pas du tout ». Ainsi nous entendons à l’œuvre chez Adrien sa pulsion de voir dans son désarroi d’enseignant débutant. Puis, au cours de l’entretien, c’est comme si, en appui sur la dynamique transférentielle qui s’y développe, quelque chose de sa pulsion de savoir se réanimait, transcendant la composante partielle de sa pulsion de voir. L’énoncé se transforme, il dit : « J’aimerais bien savoir comment ils font » pour enseigner. Et en avançant dans l’entretien, il se met à me poser des questions pour savoir… C’est en ce sens que j’imagine que ce moment de l’échange a pu déclencher chez lui un début d’élaboration de son rapport à la formation et de sa problématique d’enseignant débutant. Mais pour déplacer véritablement sa posture, il faudrait encore du temps, et celui de l’entretien est trop court pour qu’une effective transformation psychique puisse se réaliser.

Stéphanie, Michelle, Alice et les autres

58Nous savons que, pour Freud (1905), c’est de la troisième à la cinquième année qu’on voit « apparaître les débuts d’une activité provoquée par la pulsion de rechercher et de savoir ». Ainsi, pour lui, « la pulsion de savoir ne peut pas être comptée parmi les composantes pulsionnelles élémentaires de la vie affective […] son activité correspond d’une part à la sublimation du besoin de maîtriser, et, d’autre part, elle utilise comme énergie le désir de voir ». Si l’on suit Sophie de Mijolla (2002), la pulsion de savoir suppose que, derrière l’énigme, il existe un objet perdu à retrouver, alors que la pulsion de recherche tendrait à admettre l’infini de la quête et inclurait le savoir préconscient que l’objet échappera à jamais. Dans le cas de la pulsion de recherche, l’enjeu et le plaisir se seraient alors déplacés sur ceux de la démarche même de recherche.

59Je souscris à cette dernière hypothèse et j’imagine que c’est peut-être quelque chose de ce déplacement que nous réussissons à induire pour des enseignants qui sont accompagnés par un groupe d’analyse clinique de leur pratique. Pour des enseignantes comme Stéphanie, Michelle et Alice que j’évoque plus avant dans mon dernier ouvrage, on peut constater qu’elles acceptent d’élaborer leur pratique à partir d’incidents qui les ont mises en difficulté dans leurs classes et qu’elles rapportent lors des séances de groupe. Ces situations de classe se constituent alors en énigme et, contrairement à Adrien, elles ont compris que l’enjeu du travail n’est pas de vouloir voir ni savoir comment un autre enseignant s’y prendrait face à ce genre de situations mais qu’il s’agit d’accepter de se mettre en mouvement dans une recherche autour de l’énigme que constitue leur propre fonctionnement d’enseignante ; elles ont conscience que ce travail les conduit progressivement à assouplir leurs réponses réactionnelles aux provocations de leur environnement professionnel et à se passionner, de manière vivante, pour l’analyse dans l’après-coup de tous les imprévus de leur quotidien professionnel. Une partie de leur souffrance a fait place au plaisir de chercher, en supportant que le processus de recherche engagé puisse sans cesse être ravivé. Chemin faisant, sur la voie de cette recherche, elles ont aussi réalisé que les dégagements opérés dans leur pratique par ce travail élaboratif les rendaient un peu moins soumises à la routine professionnelle dévitalisante et que le plaisir de chercher à analyser ce qui se passe pour elles dans la classe donnait du jeu et de la fluidité à leurs modalités d’action.

Conclusion

60Pour conclure, je dirai que l’étude du rapport au savoir m’a naturellement poussée à m’intéresser à la question de la capacité à penser, notamment à ce qui peut favoriser le développement de la capacité à penser pour un sujet-chercheur. Là aussi les théorisations de Bion m’ont été d’un grand secours. D’une part, dans le cadre de l’accompagnement à la production de mémoires et de thèses, comment peut-on favoriser la créativité alors que l’exercice est largement contraint par des codes académiques et institutionnels ? J’ai développé un dispositif d’encadrement groupal pour ce type de productions dont je décris les spécificités dans un chapitre d’ouvrage intitulé Penser un accompagnement de chercheurs en groupe (2010) ; d’autre part, mon expérience de l’animation, au cours des deux dernières décennies, d’équipes de recherche que nous avons dénommées co-disciplinaires (Blanchard-Laville, 2000) m’a permis d’élucider les conditions les plus favorables au développement de la pensée créative de chercheurs réunis en groupe, notamment lorsqu’ils sont porteurs de paradigmes différents et qu’ils acceptent de se pencher sur un même corpus pour conjuguer leurs résultats. Dans tous ces dispositifs où il s’agit de potentialiser les appareils à penser de chacun-e, j’ai pu constater que pouvoir élaborer ses modalités de rapport au savoir a toujours été très fécond.

Bibliographie

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  • Weill A. (1991), Souvenirs d’apprentissage, Bâle, Birkhäuser.

Notes

  • [1]
    Lorsque J. Beillerot soutient, en 1987, son doctorat d’État, il intitule sa note de soutenance, Savoir et rapport au savoir : disposition intime et grammaire sociale, montrant ainsi la double inscription psychique et sociale de la notion. Très vite après cette date, J. Beillerot me demande ainsi qu’à Nicole Mosconi de nous engager avec lui pour faire avancer cette notion aussi bien sur un plan théorique que sur un plan clinique. C’est ainsi qu’a débuté une collaboration qui s’est traduite par la publication de plusieurs ouvrages collectifs, dont, en 1989, le premier intitulé Savoir et rapport au savoir : élaborations théoriques et cliniques. Par la suite, cette équipe, dénommée Savoirs et rapport au savoir, a réalisé deux autres publications collectives dans lesquelles la notion est présentée et déclinée de différentes manières : Pour une clinique du rapport au savoir en 1996 et en 2000 Formes et formations du rapport au savoir. Jacky Beillerot nous a quittés en septembre 2004.
  • [2]
    Aujourd’hui l’équipe est dénommée Clinique du rapport au savoir et s’intitulera dès 2014, lors de la mise en œuvre du prochain quinquennal de l’université Paris Ouest, Savoirs, rapport au savoir et processus de transmission.
  • [3]
    On peut consulter la note de synthèse citée précédemment dans laquelle figure un panorama de ces travaux.
  • [4]
    J. Beillerot, lui, s’est aussi intéressé à Michel Butor et à Roger Martin du Gard, Nicole Mosconi à Simone de Beauvoir, Claude Poulette à Jean-Paul Sartre. Aujourd’hui je souhaite, pour ma part, proposer une telle analyse en étudiant l’ouvrage « Souvenirs d’apprentissage » du mathématicien André Weill, en lien avec notre recherche sur le fonctionnement groupal du groupe de mathématiciens dénommé groupe Bourbaki.
  • [5]
    Deux parties du soi professionnel de l’enseignant dont j’ai montré qu’au plan psychique leur dialogue pourrait être profitable à l’exercice de la pratique (Blanchard-Laville, 2001/2013).
  • [6]
    Voici quelques intitulés de thèses où la notion apparaît explicitement : Élèves et enseignant(e)s engagé(e)s dans une pratique volontaire des mathématiques : rapport au savoir et processus identitaires, Le rapport à l’informatique des enseignants de l’école primaire, Approche clinique du travail en équipe pédagogique. Vers un rapport au savoir d’équipe ? Le professeur d’éducation musicale au collège. Entre le soi-musicien et le soi-enseignant. Étude clinique du rapport de l’enseignant à l’objet de sa discipline, Des professeurs des écoles aux prises avec des activités technologiques à l’école élémentaire : contribution à une clinique du rapport au savoir technologique à l’école élémentaire.
  • [7]
    Green A. (1993b), « Avatars de la pensée en psychanalyse et ailleurs », Journal de la psychanalyse de l’enfant, Naissance de la pensée. Processus de pensée, Colloque de Monaco, n° 14, Paris, Bayard Éditions.
  • [8]
    On peut lire à ce propos le chapitre de Jacky Beillerot (1989), « Le rapport au savoir : une notion en formation », dans l’ouvrage collectif Savoir et rapport au savoir. Élaborations théoriques et cliniques, Paris, Éditions Universitaires.
  • [9]
    Dans l’ouvrage collectif de Sztulman et Fénelon J. (dir.) (1981), La Curiosité en psychanalyse, Toulouse, Privat.
  • [10]
    Voir article de Jacky Beillerot déjà cité, p.198.
  • [11]
    Nous avons accordé une place importante dans nos recherches à la compréhension du processus décisionnel de l’enseignant, ce processus qui le conduit à poser tel ou tel acte, par exemple envoyer un élève au tableau pour y corriger un exercice à un moment de la séquence de cours. On peut ainsi consulter à ce sujet le chapitre « Analyse de la séance » de l’ouvrage Mélanie tiens passe au tableau (2003).
  • [12]
    À l’exemple de ce que décrit Michael Parsons dans son article « Le contre-transfert de l’analyste sur le processus psychanalytique » dans la Revue française de psychanalyse (2006).
  • [13]
    Cette recherche a donné lieu à l’ouvrage que j’ai dirigé en 1997 : Variations sur une leçon de mathématiques.
  • [14]
    Je me suis penchée sur cette question importante des petites humiliations dans la classe dans un texte co-écrit avec Laure Castelnau en 2008, où nous montrons en transposant des hypothèses de D.W. Winnicott que, lorsque celles-ci restent à peu près bien tempérées, elles permettent à l’enseignant de négocier quelque chose de sa « haine contre-transférentielle » structurale sur les élèves.
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