1 Gilbert Rouget, ethnomusicologue, ancien directeur du département d’ethnomusicologie du musée de l’Homme à Paris, ancien directeur de recherches au CNRS est décédé en novembre 2017 à l’âge de 101 ans. Par ses recherches et ses études sur le terrain africain (Pygmée, Bantou, Dogon, Vaudou…), il rassemble une somme précieuse d’enregistrements sonores et photographiques, ainsi que des films réalisés en collaboration avec Jean Rouch, de musiques, chants et danses traditionnels, rituels et initiatiques souvent voués à disparition. Ses observations le conduisent à s’interroger sur le lien universel entre la musique et la transe : comment la musique provoque-t-elle et maintient-elle la transe ? Est-ce un phénomène « physique » dû à la forme et à la rythmique de la musique, ou bien la musique est-elle porteuse de « sens » ? Sa thèse d’État dont le titre est La musique et la transe, esquisse d’une théorie générale des relations de la musique et de la possession, publiée en 1980, n’intéresse pas seulement les ethnomusicologues mais tous ceux qui se penchent sur ces notions. Son ouvrage, sorte d’anthropologie de la transe, relie les données qu’il a recueillies sur les traditions orales et les transes initiatiques aux théories grecques et arabes de la transe. Il se réfère en cela à Platon, Aristote, Ghazzâlî… Gilbert Rouget offre ainsi une terminologie précise et originale de la transe. C’est ainsi qu’il fait une première distinction entre transe et extase : la transe est extériorisation en société, due à une sur-stimulation sensorielle – l’extase est immobilité, silence, solitude, par privation des sens. Puis il pose une distinction entre chamanisme et possession ou encore entre « transe active » et « transe subie ». L’auteur étudie ensuite les séances d’« audition spirituelle » (samâ’) des soufis, portées par chant, musique et invocation religieuse (dhikr) de la danse et l’extase (wajd) (par exemple chez les derviches tourneurs). Il distingue ici encore les transes « conduites » des transes « induites ».
2 À la suite de cette passionnante étude des différents phénomènes de transe, possession, chamanisme ou extase, on est conduit à prêter une oreille attentive à la conclusion de Gilbert Rouget. Pour lui, la musique ne déclenche pas la transe par quelques stimuli physiques (rythme, forme, intensité…) qu’elle porterait sur un substrat organique ou physiologique, la musique « socialise » la transe en émettant un certain nombre de « signes ». C’est parce que la musique fait signe dans un contexte social et interindividuel déterminé, selon des buts partagés qu’elle entraîne une transe ; le contrôle rituel, l’apprentissage et la maîtrise individuelle en sont les autres facteurs déterminants. La musique, selon notre auteur, a une action « morale » sur l’individu compris dans un plus large contexte. Peut-être dirions-nous une forme d’« influence » ?
3 « La langue que parle la musique est comprise par tous, chacun la décodant à son propre niveau », souligne Gilbert Rouget. Une phrase qui éclaire, de la transe à l’hypnose, notre pratique…
Bibliographie
Bibliographie
- Rouget G. La Musique et la Transe, Paris : Gallimard ; 1990.
- Rouget G. Musique et Transe chez les Arabes, Paris : Allia ; 2017 (réédition de la partie de l’ouvrage précédent consacrée aux transes « communielles arabes »).
- Zempléni A, Rouget G. La musique et la transe. L’homme. 1981 ; 21(4) : p. 105-110.