Notes
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[1]
Ce texte a été publié dans les actes du colloque organisé par l’Association française des psychologues de l’Éducation nationale à Nice, les 27 et 28 septembre 2013. Il ne correspond pas exactement à l’intervention de l’auteur au congrès de Nice, mais il en reprend les points principaux
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[2]
Le facteur d’impact est le paramètre le plus couramment utilisé pour mesurer le prestige d’une revue scientifique. Il représente le nombre moyen de citations que reçoit en un an chaque article publié par la revue en question. Autrement dit, plus les articles publiés par une revue sont cités dans d’autres articles scientifiques, plus le facteur d’impact augmente.
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[3]
J’ai abordé cette question en détail dans un article gratuitement accessible en ligne sur le site de la revue Esprit (Gonon, 2011).
La psychiatrie biologique, de l’espoir au doute
1 Le discours de la psychiatrie biologique affirme que les maladies mentales peuvent et doivent être comprises comme des maladies du cerveau. Il y a bien évidemment des cas où des symptômes d’apparence purement psychiatrique ont des causes cérébrales identifiables et traitables. Peut-on en déduire pour autant qu’à terme tous les troubles psychiatriques pourront êtres décrits en termes neurologiques puis soignés sur les bases de ces nouvelles connaissances ? Les leaders de la psychiatrie biologique expriment actuellement dans les plus grandes revues américaines des doutes quant à sa contribution à la clinique psychiatrique. « Quand la première conférence de préparation du dsm-5 s’est tenue en 1999, les participants étaient convaincus qu’il serait bientôt possible d’étayer le diagnostic de nombreux troubles mentaux par des indicateurs biologiques tels que tests génétiques ou imagerie cérébrale. Actuellement [en 2010] les responsables reconnaissent qu’aucun indicateur biologique n’est suffisamment fiable pour contribuer au diagnostic » (Miller, Holden, 2010). La contribution de facteurs génétiques à l’étiologie est sans doute plus forte pour l’autisme que pour tout autre trouble psychiatrique, mais n’explique qu’un petit pourcentage de cas. Pour les troubles fréquents, comme le Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (tdah), [1]les études récentes montrent que les prédispositions génétiques jouent un rôle mineur par rapport aux facteurs environnementaux, en particulier les trauma-tismes psychiques de l’enfance. Ainsi l’éminent pédopsychiatre anglais Sonuga-Barke écrit dans un éditorial de 2010 : « Même les défenseurs les plus acharnés d’une vision génétique déterministe revoient leurs conceptions et acceptent un rôle central de l’environnement dans le développement des troubles mentaux comme le tdah » (Sonuga-Barke, 2010). La recherche n’a pas non plus fait progresser substantiellement les traitements médicamenteux. Selon Steven Hyman, l’ancien directeur du National Institute of Mental Health, « aucune nouvelle cible pharmacologique, aucun mécanisme thérapeutique nouveau n’a été découvert depuis quarante ans » (Hyman, 2008).
2 Tous les leaders de la psychiatrie biologique reconnaissent que la recherche a pour l’instant peu apporté à la pratique psychiatrique, mais certains continuent à prédire des progrès importants dans un futur proche. Pourtant, selon d’autres experts, cette promesse risque fort de ne pas être tenue. En effet, l’absence de marqueur biologique rend problématique la mise en œuvre de modèles animaux des maladies mentales. D’autre part, puisque, sauf cas rare, les gènes impliqués dans chaque maladie mentale sont multiples et ne confèrent chacun qu’un risque faible, la psychiatrie moléculaire aura beaucoup de mal à déboucher sur de nouveaux traitements (Sadler, 2011). Très logiquement, tous les grands groupes pharmaceutiques ont récemment fermé ou considérablement réduit leurs centres de recherche sur de nouveaux médicaments psychotropes, car cet investissement leur semble trop risqué (Smith, 2011). Patrick Vallance, responsable de la recherche chez GlaxoSmithKline, avance trois raisons (ibid.). Premièrement, le développement actuel des connaissances en neurobiologie fondamentale est encore trop limité pour y adosser la recherche de nouvelles cibles thérapeutiques. Deuxièmement, les modèles animaux sont trop éloignés de la réalité des troubles mentaux. Troisièmement, les difficultés de diagnostic rendent très difficiles les essais cliniques de nouveaux médicaments.
Évolution des connaissances concernant le tdah
Évolution des connaissances neurobiologiques et épidémiologiques
3 Malgré des milliers d’études, la neurobiologie du tdah est encore très mal connue. En tout cas, elle n’a débouché ni sur la validation d’un marqueur biologique du tdah ni sur la découverte d’un nouveau médicament. Dans les médias comme dans la presse scientifique, l’hypothèse d’un déficit de dopamine est souvent avancée. De fait, cette hypothèse repose sur deux arguments exacts : les psychostimulants soulagent le déficit d’attention de la plupart des enfants souffrant du tdah et ils stimulent la neurotransmission mettant en jeu la dopamine. Cependant, contrairement à ce qui est très souvent affirmé (Iversen, 2007), il n’y a pas lieu de rapprocher ces deux observations. En effet, Rapoport et ses collègues ont montré dès 1978 que les psychostimulants stimulent aussi l’attention chez les enfants sains (Rapoport et coll., 1978). Malheureusement, cette dernière étude n’est que très rarement citée. Au total, l’hypothèse d’un déficit de dopamine à l’origine du tdah ne repose actuellement sur aucun argument scientifique solide (Gonon, 2009). C’est pourtant cette hypothèse qui est souvent mise en avant par les médias anglo-saxons (Gonon, 2011) et français (Bourdaa, 2013) pour justifier la prescription d’un psychostimulant supposé corriger le déficit de dopamine sous-jacent.
4 Quelques études initiales publiées dans les années 1990 et rapportant une association forte entre certains gènes et le tdah avaient suggéré que la cause principale du tdah pourrait être génétique. Ces études initiales ont été réfutées ou largement atténuées. On sait maintenant que les facteurs de risque génétique ne contribuent que de manière mineure au tdah. Le mieux établi et le plus significatif d’entre eux est l’association du tdah avec un allèle du gène codant pour le récepteur d4 de la dopamine (Gizer, 2009). Selon cette méta-analyse de 2009, ce facteur de risque n’est que de 1,33 (ibid.). Plus précisément, cet allèle est présent chez 23 % des enfants diagnostiqués tdah et seulement 17 % des enfants sains. Un autre argument mis en avant en faveur d’une causalité génétique concerne l’héritabilité du tdah, qui, selon la plupart des études, est de l’ordre de 75 %. Cependant, les études d’héritabilité ne peuvent pas différencier entre un effet génétique pur et le résultat d’interactions entre gènes et environnement (Gonon, 2010). Les facteurs environnementaux contribuent largement à l’héritabilité du tdah. Nous avons listé les principaux dans une revue récente : exposition à des niveaux toxiques de plomb, naissance prématurée, enfant sévèrement maltraité, parents souffrant de troubles mentaux, mauvaises interactions entre parents et enfants, faible niveau économique de la famille, faible niveau d’éducation des parents, famille monoparentale, enfant né de mère adolescente (ibid.). Ces mêmes facteurs de risque ont été retrouvés en France (Galera, 2011). La plupart de ces facteurs de risque sont sensibles à des politiques sociales. Ainsi le taux de naissances prématurées est de 13 % aux États-Unis alors qu’il n’est que de 6 % en France (Goldenberg, 2008). De même, selon l’oms, le nombre de naissances pour 1 000 adolescentes est de 42 aux États-Unis et de 10 en France (mais seulement 4 en Hollande).
5 Plusieurs centaines d’études en imagerie cérébrale ont été consacrées au tdah. Comme pour la génétique, les études initiales des années 1990 ont produit des résultats spectaculaires. Ainsi une équipe de Boston a affirmé en 1999 que le transporteur de la dopamine était plus abondant de 70 % chez les personnes souffrant du tdah. Comme les psychostimulants prescrits pour le tdah inhibent ce transporteur, cette étude expliquait la cause neurobiologique du tdah et le bien-fondé de son traitement. Cependant, ce résultat a été réfuté par une douzaine d’études ultérieures. Les différences observées en imagerie cérébrale concernant le tdah apparaissent maintenant de faible amplitude et statistiquement significative seulement si l’on considère la moyenne d’un groupe important de patients. De plus, ces différences sont complexes, peu reproductibles et n’ont pas permis de préciser clairement le dysfonctionnement neurologique supposé à l’origine du tdah (Gonon, 2010).
Évolution des connaissances concernant le traitement
6 Depuis les années 1970 aux États-Unis, la preuve a été faite que les symptômes du tdah peuvent être allégés à court terme chez 75 % des enfants par un médicament psychostimulant. Cependant, selon plusieurs études américaines ayant suivi de très larges cohortes d’enfants pendant des années, le traitement par les stimulants ne présente aucun bénéfice à long terme. En effet, les études épidémiologiques aux États-Unis montrent que les enfants diagnostiqués comme souffrant du tdah présentent plus de risque d’échec scolaire, de délinquance et de toxicomanie. Malheureusement, les psychostimulants ne diminuent en rien ces risques comme le rappellent deux revues récentes (Gonon, 2010 ; Loe, 2007).
Évolution de la prévalence du tdah
7 Aux États-Unis le pourcentage d’enfants recevant une prescription de psychostimulants est passé de 0,7 % en 1987 à 2,9 % en 1997 (Olfson, 2003). L’augmentation a ensuite été moins rapide (de 2,4 % en 1996 à 3,5 % en 2008) (Zuvekas, 2012). Plusieurs études ont mis en évidence les causes sociales de l’inflation de diagnostics de tdah. Premièrement, l’augmentation très rapide du début des années 1990 est liée au fait que l’administration américaine de sécurité sociale a reconnu en 1990 le tdah comme un handicap donnant droit à un supplément familial ainsi qu’à un enseignement renforcé (Perrin, 1999 ; Mayes, 2008). Cette décision fut précédée d’un intense lobbying de la part des associations de parents (ibid.) dont certaines ont été financées par l’industrie pharmaceutique (Phillips, 2006). Deuxièmement, comme les médecins généralistes américains sont autorisés à prescrire des psychostimulants aux enfants, le diagnostic de tdah semble souvent abusif. Ainsi des spécialistes ont examiné une cohorte de 3 082 enfants américains et validé le diagnostic de tdah pour 8,7 % d’entre eux, mais constaté que 3,3 % des enfants de la cohorte prenaient des psychostimulants alors qu’ils ne remplissaient pas les critères du tdah (Froehlich, 2007). De même, dans une ville de Virginie, 63 % des écoliers en avance d’un an étaient traités par des psychostimulants (Lefever, 1999). Sur l’ensemble de la population américaine, la prévalence du tdah varie avec le mois de naissance, confirmant ainsi que les écoliers les plus jeunes de leur classe sont les plus exposés (Evans, 2010). Troisièmement, les enseignants sont poussés par leur hiérarchie à signaler aux parents un possible tdah. En effet, les écoles reçoivent une dotation supplémentaire, variable suivant les comtés, pour chaque enfant diagnostiqué et l’industrie pharmaceutique fournit aux enseignants la documentation (Phillips, 2006). De plus, les écoles sont évaluées suivant les performances de leurs écoliers et sont incitées à en accroître le niveau. Une étude comparant les États américains a corrélé le caractère contraignant de ces incitations à la prévalence du tdah (Bokhari, 2011). Enfin, pendant les trois dernières décennies, la prévalence du tdah a augmenté en parallèle avec le nombre d’heures passées devant les écrans (télévision, jeux vidéo) par les enfants d’âge préscolaire et les écoliers. La nocivité de cette exposition vis-à-vis des capacités d’attention a été largement démontrée (Christakis et coll., 2004 ; Swing et coll., 2010 ; Harle, Desmurget, 2012).
Les distorsions du discours de la psychiatrie biologique
8 Face à ce maigre bilan et à ce futur problématique, le discours de la psychiatrie biologique, tel qu’il s’exprime dans les médias, apparaît exagérément optimiste. Une analyse des discours scientifiques et médiatiques montre que les scientifiques contribuent largement à alimenter cette bulle spéculative.
La déformation des données au sein des articles scientifiques primaires
9 Un article scientifique est dit « primaire » lorsqu’il rapporte des observations et des expériences, à la différence d’un article de revue qui présente une synthèse d’un ensemble d’études primaires. Dans un travail portant sur la littérature scientifique concernant le tdah, nous avons mis en évidence trois types de présentation déformée des résultats dans les articles primaires (Gonon, 2011). Le premier type, heureusement rare, consiste en incohérences flagrantes entre résultats et conclusions. Par exemple, une étude de 2007 a conclu que les psychostimulants améliorent les performances scolaires des enfants souffrant du tdah (Barbaresi, 2007). Par contre, dans la section « Résultats », les auteurs précisent que le risque de redoublement est légèrement diminué, mais que le risque de sortie prématurée du système scolaire reste élevé et que les performances en lecture ne sont pas améliorées. Malgré ce résultat globalement négatif, l’auteur principal de l’étude n’hésite pas à déclarer au Washington Post (21 septembre 2007) : « C’est la première étude qui montre que la prescription de stimulants pour le tdah améliore les performances scolaires. » Il n’a raison que sur un point : toutes les études antérieures avaient conclu que, sauf à court terme, le traitement médicamenteux n’améliore pas les performances scolaires.
10 Dans le deuxième type, une conclusion forte est affirmée dans le résumé en omettant de mentionner les données qui relativisent la portée de cette conclusion. Pour illustrer cette déformation, nous avons analysé l’ensemble des résumés mentionnant une association significative entre les allèles du gène codant pour le récepteur dopaminergique d4 (drd4) et le tdah. On a vu plus haut que cette association est quantitativement faible. Pourtant, parmi les 159 résumés qui affirment une association statistiquement significative, 84 % omettent de mentionner qu’elle confère un risque faible. Il ne faut alors pas s’étonner que, dans certains textes écrits pour le grand public, le gène du drd4 soit présenté comme un marqueur biologique du tdah (Gonon, 2011).
11 Le troisième type de déformation consiste à affirmer de manière abusive que les résultats d’études chez l’animal ouvrent de nouvelles pistes thérapeutiques pour les troubles mentaux. Pour illustrer ce biais, nous avons analysé l’ensemble des 101 études réalisées chez la souris en relation avec le tdah et publiées jusqu’en 2009 inclus. Nous avons considéré que les perspectives thérapeutiques n’étaient pas justifiées lorsque le lien entre ces souris et le tdah était uniquement basé sur des similitudes de comportements (le plus souvent une locomotion excessive). En effet, le tdah est une trouble complexe et le comportement observé chez la souris ne peut pas en saisir la complexité. Les symptômes du tdah ne se résument pas à une hyperactivité. Le déficit d’attention est le symptôme majeur, or ce déficit est difficile à isoler et à quantifier chez la souris. De plus, le tdah est très souvent associé à d’autres troubles (anxiété, dépression…). Notre analyse montre que des perspectives thérapeutiques injustifiées étaient affirmées dans 23 % des articles. De plus, la fréquence de ce type d’affirmation abusive était positivement corrélée avec le prestige du journal ayant publié l’étude. Ainsi parmi les dix articles publiés dans des journaux de facteur d’impact [2] supérieur à 9, six articles ont extrapolé les perspectives thérapeutiques. Autrement dit, pour publier dans des journaux prestigieux, les chercheurs ont intérêt à exagérer l’importance de leurs travaux. Comme les articles publiés dans les revues à fort facteur d’impact sont ceux-là mêmes qui sont repris par les médias, ces perspectives thérapeutiques excessives nourrissent des espoirs illusoires dans le grand public (ibid.).
Distorsion des citations
12 Les chercheurs ont souvent tendance dans leurs articles à citer les études qui sont en accord avec leurs hypothèses et à passer sous silence celles qui les contredisent. L’étendue de ce biais a été récemment étudiée dans un cas particulier : la relation entre la protéine ß amyloïde musculaire et la maladie d’Alzheimer. Greenberg (2009) a analysé le réseau des citations concernant cette question. Selon lui, la distorsion des citations a été si considérable dans ce cas qu’elle a généré un dogme non fondé. Même réfutés, ces dogmes peuvent persister pendant des années dans la littérature scientifique. On en a vu plus haut un exemple avec l’hypothèse d’un déficit de dopamine supposé à l’origine du tdah. L’étude de 1978 qui montre que les psychostimulants augmentent l’attention aussi chez les enfants normaux, et ruine ainsi le principal argument en faveur de cette hypothèse, n’est jamais citée (Gonon, 2009).
Vocabulaire trompeur
13 Le 27 août 2009, la chaîne de télévision TF1 a présenté dans son journal de 20 heures un court documentaire concernant le tdah. On y voit un enfant d’une dizaine d’années assis sur un lit d’hôpital et disant face à la caméra : « C’est une maladie qu’on est né avec. » De même, sur le site de l’académie d’Aix-Marseille, on pouvait lire en 2009 : « Le tdah est un trouble hautement héréditaire (environ 75 % des cas). Pour les autres causes… » Ou encore, dans une note de cadrage publiée par la Haute Autorité de santé en décembre 2012, on peut lire : « Concernant les mécanismes étiologiques du tdah, selon des données récentes, il s’agirait d’une affection biologique du cerveau vraisemblablement causée par un déséquilibre dans certains neurotransmetteurs associé à des facteurs héréditaires importants. De nombreuses études ont indiqué que l’héritabilité du tdah est similaire à celle de la taille. » Notons que si la taille est effectivement fortement héritable quand les conditions environnementales sont constantes, elle dépend également fortement de l’environnement (Visscher, 2009). Ainsi les enfants nés aux États-Unis de parents migrants ont en moyenne une taille supérieure à celle de leurs parents d’environ 20 cm, alors que la variabilité moyenne de la taille dans une population stable n’est que de 7 cm. Avec ces exemples, on voit comment le sens du terme « héritabilité » est interprété de manière erronée aussi bien dans les médias que par les professionnels.
Le processus de publication et ses conséquences pour la médiatisation
14 Dans le domaine des essais cliniques, il est connu depuis longtemps que les résultats positifs sont plus souvent publiés que les résultats négatifs (Easterbrook, 1991). Ce biais est aussi observé dans bien d’autres domaines de la biologie. En effet, lorsque plusieurs équipes concurrentes s’intéressent à la même question, la première qui trouve une relation statistiquement significative entre deux événements s’efforcera de publier rapidement alors que celles qui n’ont pas observé de relation significative ne publieront qu’en réponse à la première publication (Ioannidis, 2005a). Par exemple, la première étude portant sur la relation entre le taux d’expression du transporteur de la dopamine et le tdah a été publiée en 1999 dans The Lancet et a montré une augmentation de 70 % de ce taux chez les patients (Dougherty, 1999). Les études ultérieures ont rapporté des effets plus faibles ou nuls (Gonon, 2012). Une étude longitudinale de plusieurs dizaines de méta-analyses a mis en évidence la généralité du phénomène: dans trois cas sur quatre la première étude publiée rapporte un effet beaucoup plus spectaculaire que les études ultérieures (Ioannidis, Trikalinos, 2005 ; Ioannidis, 2011). Ces études initiales sont plus souvent publiées dans des revues prestigieuses (Ioannidis, 2005b) et sont donc plus médiatisées que les études ultérieures.
15 Ce biais de publication n’est pas choquant en soi. Ainsi avance la science, d’un premier résultat, spectaculaire, mais incertain, vers un consensus fiable, mais le plus souvent de moindre portée. Le problème est que la médiatisation des découvertes scientifiques en est grandement altérée. C’est ce que nous avons montré avec le cas du tdah (Gonon, 2012). Nous avons recherché dans la presse écrite anglo-saxonne tous les articles parus entre 1990 et 1999 et rapportant des travaux scientifiques concernant le tdah. Nous avons analysé les dix publications scientifiques les plus médiatisées. Parmi elles, nous avons trouvé sept études initiales qui ont toutes été réfutées ou largement atténuées ultérieurement. Les deux publications qui confirmaient des travaux antérieurs ont été par la suite reconfirmées. La dernière des dix, largement médiatisée aux États-Unis, a été publiée en 1999 par une équipe de la prestigieuse université Harvard. Elle affirmait que la prescription de psychostimulants aux enfants hyperactifs les protégeait du risque de toxicomanie (Biederman, 1999). Cette étude contredisait une étude de 1998 beaucoup moins médiatisée et qui suggérait au contraire un risque accru (Lambert, 1998). En 2008, la même équipe de Harvard publiait une suite à son étude concluant que le médicament ne prévient ni n’exacerbe le risque de toxicomanie (Biederman, 2008). Cette conclusion, pourtant confirmée par d’autres équipes, n’a pas retenu l’attention de la presse (Gonon, 2012).
16 Cette altération de la médiatisation n’est pas anecdotique. Selon notre étude, la presse anglo-saxonne a consacré 226 articles aux dix publications les plus médiatisées (Gonon, 2012). Les 67 études scientifiques ultérieures, qui en contredisaient huit sur dix, ne reçurent en tout que 57 articles de presse. De plus, un seul d’entre eux mentionna la réfutation de l’étude initiale correspondante. Autrement dit, la presse favorise les études initiales et n’informe quasiment jamais le grand public lorsqu’elles sont réfutées ou sévèrement atténuées, ce qui est pourtant le cas le plus fréquent.
17 Dans les cas que nous avons examinés, deux facteurs semblent concourir à cet attrait des médias pour les études initiales plutôt que pour les travaux ultérieurs. En moyenne, les premières sont publiées dans des revues scientifiques plus prestigieuses et par des chercheurs travaillant dans des universités plus renommées que pour les deuxièmes (Gonon, 2012). Autrement dit, le prestige des universités et des revues scientifiques n’est nullement un gage de fiabilité des études qu’elles publient (Munafo, 2009).
Les distorsions du discours des neurosciences dans les programmes télévisuels
18 La télévision représente, pour les Européens, la première source d’information concernant la santé (European Commission, 2007). Nous avons montré au paragraphe précédent que la presse écrite ne suit pas l’évolution des connaissances scientifiques. Nous avons voulu savoir si ce constat était également vrai en ce qui concerne les programmes télévisuels des six chaînes françaises les plus regardées (Bourdaa, 2013). Pour cette recherche, le cas du tdah est très intéressant puisque, dans ce domaine, l’évolution des connaissances a été particulièrement riche en revirements drastiques pendant ces vingt dernières années. En effet, comme nous l’avons évoqué plus haut, les études initiales des années 1990 avaient suggéré que les facteurs génétiques joueraient un rôle majeur dans l’étiologie du tdah et que les études d’imagerie cérébrale allaient déboucher sur un test diagnostique. De plus, les études à court terme suggéraient que les psychostimulants amélioraient les performances scolaires des enfants souffrant du tdah. Ces trois affirmations ont été réfutées par de très larges études à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Nous avons donc analysé les 60 programmes télévisuels diffusés entre 1995 et 2010 inclus et présentant le tdah pour voir s’ils tenaient compte de cette évolution. Sur cette période de seize ans, nous n’avons observé aucune évolution des conceptions défendues par ces programmes (ibid.). Parmi les 47 opinions émises par ces programmes, les trois quarts affirmaient le rôle prépondérant des facteurs génétiques, la capacité de l’imagerie cérébrale à contribuer au diagnostic du tdah ou l’efficacité du méthylphénidate à prévenir l’échec scolaire. Plus précisément, parmi les 10 programmes diffusés entre 2007 et 2010 inclus, neuf n’ont défendu que des opinions opposées au consensus actuel (ibid.). Le biais de publication scientifique selon lequel les études initiales présentent des résultats plus spectaculaires et incertains que les études ultérieures affecte donc non seulement la presse écrite, mais aussi la télévision.
Les fonctions sociales du discours de la psychiatrie biologique
19 La rhétorique spéculative du discours de la psychiatrie biologique influence le grand public : le pourcentage d’Américains convaincus que la dépression est une maladie du cerveau d’origine génétique est passé de 54 % en 1996 à 67 % en 2006. Contrairement à ce qui était attendu, ceux qui partagent cette conception réductionniste ont une plus forte réaction de rejet vis-à-vis des patients et sont plus pessimistes quant aux possibilités de guérison (Pescosolido, 2010).
20 Puisque les recherches en psychiatrie biologique n’ont pas fait progresser significativement la psychiatrie clinique et que les conséquences sociales de sa rhétorique sont bien loin d’être positives, il convient de poser la question de sa fonction sociale [3]. En résumé, dans les pays riches, la prévalence des maladies mentales est plus élevée chez les plus défavorisés. D’un pays à l’autre, cette prévalence augmente avec l’intensité des inégalités sociales. Selon Daniel Luchins, qui a été en charge de la psychiatrie publique dans l’État d’Illinois, le discours réductionniste de la psychiatrie biologique ne sert qu’à évacuer les questions sociales et à invalider par avance les mesures de prévention des maladies mentales les plus fréquentes. Selon la conception anglo-saxonne de l’égalité démocratique, les citoyens naissent égaux et ne doivent leur réussite sociale qu’à leurs mérites. Cet idéal se heurte à la réalité de l’inégalité sociale, qui est particulièrement violente aux États-Unis et va croissant depuis trois décennies. La fonction sociale du discours abusif de la psychiatrie biologique pourrait donc être de concilier l’idéal d’égalité des chances et la réalité de l’inégalité sociale en suggérant que l’échec des individus ne résulte que de leur handicap neurobiologique.
21 Concernant l’école, on observe que les inspections académiques diffusent de plus en plus souvent des informations à tonalité médicale concernant le tdah. Les enseignants, les psychologues et les médecins scolaires sont invités à participer au dépistage des enfants en difficulté d’apprentissage et soupçonnés de souffrir du tdah. De fait, il est frappant de constater que les risques d’échec en CP sont les mêmes que pour le tdah : être un garçon plutôt qu’une fille, être né en décembre plutôt qu’en janvier et vivre dans une famille défavorisée (fname, 2012). Selon mon hypothèse, il est particulièrement séduisant pour l’Éducation nationale de considérer que les enfants en échec scolaire le sont en raison de problèmes neurologiques d’origine génétique. Ainsi, la responsabilité de l’échec est entièrement reportée sur l’enfant et c’est à la médecine de trouver des solutions. L’institution scolaire évite ainsi de se remettre en question et d’envisager que ses méthodes d’enseignement pourraient contribuer aux difficultés si souvent rencontrées par les garçons issus de familles défavorisées (ibid.). ■
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Notes
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[1]
Ce texte a été publié dans les actes du colloque organisé par l’Association française des psychologues de l’Éducation nationale à Nice, les 27 et 28 septembre 2013. Il ne correspond pas exactement à l’intervention de l’auteur au congrès de Nice, mais il en reprend les points principaux
-
[2]
Le facteur d’impact est le paramètre le plus couramment utilisé pour mesurer le prestige d’une revue scientifique. Il représente le nombre moyen de citations que reçoit en un an chaque article publié par la revue en question. Autrement dit, plus les articles publiés par une revue sont cités dans d’autres articles scientifiques, plus le facteur d’impact augmente.
-
[3]
J’ai abordé cette question en détail dans un article gratuitement accessible en ligne sur le site de la revue Esprit (Gonon, 2011).