1 L’ouvrage de Jeanne Siaud-Facchin, L’enfant surdoué. L’aider à grandir, l’aider à réussir (Paris, Odile Jacob, 2002) est une des dernières publications sur le thème de l’enfant surdoué. L’auteur, psychologue clinicienne, est attachée à l’unité d’adolescents de l’hôpital de la Timone à Marseille et membre du Laboratoire d’exploration fonctionnelle cognitive de l’hôpital de La Salpêtrière à Paris. Dans son activité en cabinet libéral, elle s’est particulièrement intéressée aux enfants surdoués.
2 Au moment où l’on parle davantage d’enfants intellectuellement précoces, le titre du livre L’enfant surdoué semble un peu provocateur. Jeanne Siaud-Facchin s’en explique, p. 22 : « Il faut savoir que le terme d’enfant intellectuellement précoce, que la mode des sigles transforme en eip, a été adopté parce qu’il est idéologiquement et politiquement plus acceptable. Le terme de surdoué renferme encore beaucoup de croyances erronées et le mythe de génie heurte les consciences collectives. » Elle précise : « Or, ce n’est pas le fait d’être en avance qui caractérise l’enfant surdoué mais bien ses particularités de fonctionnement intellectuel, son mode de pensée différent. » Cette affirmation pose cependant des questions complexes : entre autres, comment distinguer la cause de l’effet ?
3 Jeanne Siaud-Facchin va même plus loin : « Il s’agit d’une composante génétiquement programmée comme la plupart des caractéristiques qui nous distinguent les uns des autres » avec une légère atténuation toutefois : « Mais, et l’inégalité est là, il est plus facile d’exploiter son potentiel intellectuel dans un milieu où l’intelligence est valorisée » (p. 21). Tout généticien scientifiquement reconnu serait beaucoup plus prudent sur la « programmation » de l’intelligence précoce.
4 Elle donne ensuite une définition sur laquelle beaucoup s’accordent : « Un enfant surdoué est un enfant qui obtient un score de qi supérieur à 130 aux tests d’intelligence validés et standardisés » (p. 19). Il faut cependant attendre la page 188 pour que la précision soit donnée : « … seul un qi > 130 avec des scores homogènes dans les deux échelles, verbale et performance, peut permettre de poser le diagnostic de surdoué avec certitude. » Par ailleurs, la rigueur scientifique actuelle impose de situer une performance dans un intervalle de variation défini par un seuil de confiance. Qu’en est-il ici ?
5 Jeanne Siaud-Facchin essaie de préciser les caractéristiques particulières de l’enfant surdoué sur le plan intellectuel : « L’intelligence de l’enfant surdoué est atypique. C’est cette particularité qui rend souvent difficile son adaptation scolaire mais aussi son adaptation sociale » : et sur le plan affectif, « L’enfant surdoué perçoit et analyse avec une acuité exceptionnelle toutes les informations en provenance de l’environnement et dispose de la capacité étonnante de ressentir avec une grande finesse l’état émotionnel des autres » (p. 20). On s’interrogera sur la pertinence du singulier (enfant surdoué) ; les enfants, y compris surdoués, ne sont-ils pas tous différents ?
6 Elle se décide donc à trancher entre eip et surdoué en inventant, dans le domaine des catégories psychologiques, une nouvelle entité, séductrice du point de vue de la communication, qu’elle appelle « le zèbre » et qu’elle explique p. 25 : « Un zèbre n’est-il pas une désignation à la fois chaleureuse et imagée de ces enfants différents, tout comme le zèbre de la steppe se distingue des autres animaux mais vit néanmoins en harmonie avec la plupart d’entre eux ? »
7 Les chapitres 2 et 3 sont consacrés à une description détaillée de la personnalité et de la pensée de l’enfant surdoué (toujours au singulier). L’auteur, qui a vraisemblablement été en contact avec beaucoup d’enfants dans ce cas, illustre son propos de nombreuses « vignettes cliniques ». Elle a un souci pédagogique constant, sans doute pour rester fidèle au sous-titre : « L’aider à grandir, l’aider à réussir. » De nombreux artifices sont utilisés : résumés, encadrés, petit questionnaire-jeu, conseils aux parents, parfois à l’excès, souvent redondants, évoquant trop les méthodes de la presse grand public.
8 Quand elle aborde la question de l’enfant surdoué à l’école, au chapitre 4, Jeanne Siaud-Facchin le place d’emblée comme victime d’incompréhensions majeures, en particulier s’il est scolarisé dans un établissement public.
9 Elle fait appel aux statistiques : « Les chiffres dont on dispose sont alarmants : près de la moitié des élèves surdoués ont des difficultés scolaires. Presque un sur deux redouble. Plus de 30 % d’entre eux n’arrivent pas aux études supérieures » (p. 94). C’est passer rapidement d’un constat clinique à une inférence statistique et à un point de vue à connotation idéologique.
10 Elle évoque la souffrance : « L’école devient pour l’enfant surdoué un lieu de souffrance car il ne comprend pas pourquoi ça ne marche pas et la raison du rejet dont il peut faire l’objet » (p. 96) ; mais elle déculpabilise les enseignants : « Les enseignants ne sont pas encore formés à la particularité de fonctionnement de ces enfants et à la pédagogie qui pourrait leur être adaptée » (p. 97).
11 Jeanne Siaud-Facchin parle même de handicap : « L’élève surdoué est pénalisé par le sérieux handicap que lui impose son mode de fonctionnement singulier » (p. 99). N’est-ce pas aller bien vite en besogne ? Elle en décrit quelques manifestations : défaut d’anticipation, pensée en arborescence, intuition mathématique. On se demande un peu d’où elle tire ces différents constats dans la mesure où aucune étude précise n’est mentionnée. Elle donne quelques conseils pour favoriser l’intégration de l’enfant surdoué à l’école : « Reconnaître l’enfant surdoué dans sa singularité et l’accepter pour ce qu’il est constituent un préalable indispensable à son épanouissement et son intégration scolaire. Le reconnaître ne suffit pas à le faire réussir mais le rejeter ou dénier sa différence signe son effondrement scolaire et personnel » (p. 106). Précieuse remarque, mais il est vrai que la réflexion vaut pour tous les enfants.
12 Pour aider l’enfant surdoué à accepter le système scolaire, le message qui lui est adressé doit être clair : « Tu peux garder ton système de pensée mais tu dois comprendre le système scolaire et faire en sorte, avec les possibilités de ton intelligence, de fournir au système scolaire les ingrédients de ta réussite » (p. 109).
13 Malgré ces conseils, le parcours scolaire de l’enfant surdoué est difficile ; si à l’école élémentaire, les choses se passent plutôt bien, le « séisme est brutal » à la fin du collège : « À ce stade, c’est pour l’enfant une blessure narcissique terrible. Habitué à comprendre, à savoir, l’enfant se sent soudain nul, incapable. Il a honte de ce qui se passe. Il peut manifester différents comportements qui peuvent aller du désintérêt et du désinvestissement scolaire à des troubles psychologiques plus sérieux : repli, dépression, troubles du comportement. La possibilité pour cet enfant de réinvestir la scolarité va être difficile à négocier et à aménager » (p. 112). Bien des psychologues rapportent qu’au contraire, les enfants en avance intellectuellement parlant, pour rester prudent, « se réveillent » au cours des études secondaires ou bien encore dans l’enseignement supérieur.
14 Jeanne Siaud-Facchin affirme, péremptoire, p. 113 : « Le redoublement banal d’un enfant en difficulté change rarement en positif le cours de sa scolarité. Bien au contraire. […] Faire redoubler un enfant surdoué est une catastrophe autant sur le plan psychologique que sur le plan intellectuel. »
15 Jeanne Siaud-Facchin aborde la question de l’ennui, si souvent à l’origine de la demande : « L’ennui est la star des plaintes de l’enfant surdoué, c’est ce que les parents entendent et rapportent le plus, c’est ce qui alerte le plus souvent les enseignants » (p. 114). On se demandera si ce n’est pas plus simplement le refrain le plus souvent entonné car le plus facile à chanter. Elle parle aussi des troubles d’apprentissage : « Les troubles spécifiques de l’apprentissage comme les problèmes d’écriture, de dyslexie ou des difficultés sérieuses en orthographe se retrouvent fréquemment chez l’élève surdoué » (p. 119). À notre connaissance, cette affirmation n’a jamais été vérifiée dans une étude statistique.
16 Elle décrit une pédagogie adaptée à l’élève surdoué basée sur la globalité – « découper l’apprentissage est pour l’enfant surdoué une modalité à laquelle il ne peut adhérer. Non par mauvaise volonté mais parce que son cerveau fonctionne sur un mode global… » (p. 122) –, la complexité, la contextualisation – « l’enfant surdoué tisse en permanence des liens, construit des ponts, associe entre elles toutes les données qui lui parviennent de l’extérieur, toutes les connaissances déjà stockées. C’est comme ça qu’il intègre et donne sens aux informations qu’il enregistre en continu » (p. 126) –, le sens et l’objectif de l’apprentissage : « Pour l’enfant surdoué, tout, vraiment tout, doit avoir un sens et un sens clair et acceptable » (p. 128). Il en est de même de tous les enfants.
17 À propos de l’attention et de la concentration, Jeanne Siaud-Facchin met en garde sur la confusion entre un enfant souffrant de thada « Trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention […] syndrome neuropsychologique dont le diagnostic ne peut être posé que par un spécialiste » (p. 133) et un surdoué dont elle précise les mécanismes attentionnels et leur composante affective.
18 En ce qui concerne la scolarisation des enfants surdoués, Jeanne Siaud-Facchin est formelle : « Aujourd’hui, les écoles qui proposent des alternatives pédagogiques pour les enfants surdoués sont dans une écrasante majorité des écoles privées sous contrat ou non avec l’État » (p. 138) (lycée Michelet à Nice, établissement Sainte-Marie-Blancarde à Marseille). Elle énumère les grands principes pédagogiques de ces écoles intégratives et évoque l’ultime possibilité : « La solution du cned n’est à envisager que dans les cas extrêmes liés à une impossibilité réelle de l’enfant à rester dans le système scolaire » (p. 143). On se demandera à quoi s’applique exactement la notion de « réelle » évoquée ici.
19 Le chapitre 5, consacré à la vie quotidienne de l’enfant surdoué, regroupe des conseils aux parents. Par exemple, la question des limites est abordée : « L’enfant surdoué cherche en permanence où se situent les limites autour de lui. Sa pensée est sans limites, ses questions sont infinies, le champ des possibles s’étend à perte de vue… ce qui peut générer de grandes angoisses. Ne pas ressentir de limites est très inquiétant. Pour cet enfant, l’existence d’un cadre solide qui le contienne, qui contienne ses angoisses est vital » (p. 151). Existe-t-il des enfants pour qui ces propositions banales ne sont pas applicables ?
20 Par ailleurs, l’art de la négociation est indispensable pour vivre avec un enfant envahi par une hypersensibilité affective qui se traduit par une grande susceptibilité, un sentiment d’humiliation et des réactions impulsives. Le chapitre se termine par un encadré intitulé « Comment poser les limites au quotidien », véritables dix commandements (même s’il n’y en a que huit) pour être de bons parents d’enfant surdoué.
21 C’est, un peu curieusement, presque à la fin de son livre que Jeanne Siaud-Facchin indique les signes pour reconnaître un enfant surdoué. Elle précise : « Seul un faisceau de signes et un bilan pratiqué par un psychologue peuvent confirmer les diagnostic » (p. 165). Cependant, des indicateurs peuvent être repérés dans la première enfance : bébé tonique, petit dormeur, au regard scrutateur et au langage précoce, riche et précis ; puis, dès la maternelle, enfant qui pose des questions sans fin et qui manifeste un fort désir d’apprendre.
22 Jeanne Siaud-Facchin prétend qu’il faut pratiquer un bilan le plus tôt possible, à titre préventif. Elle attribue accessits et bonnets d’âne aux différents interlocuteurs de l’enfant : les parents sont les meilleurs prédicteurs ; les médecins scolaires sont probablement les mieux informés, grâce au contact avec l’école. En revanche, le corps enseignant n’est pas épargné : « Le surdoué existe », il n’est ni « une construction du fantasme des parents » ni « un effet de mode ». Enfin, elle semble régler des comptes avec le corps médical qui « reste probablement le bastion le plus sceptique et le moins informé sur le diagnostic de l’enfant surdoué », particulièrement les psychiatres, « qui sont souvent les plus réticents au diagnostic et qui le réfute trop spontanément. Absente de leur connaissance et de leur savoir médical, la clinique de l’enfant surdoué ne peut entrer dans leur hypothèse diagnostique. Les méprises et les erreurs diagnostiques des psychiatres peuvent avoir des conséquences sévères et inquiétantes pour l’avenir de ces enfants. Il faut le savoir malgré le paradoxe que cela représente » (p. 170).
23 Enfin, Jeanne Siaud-Facchin prend la sage précaution de signaler l’effet de généralisation abusive : « Tous les enfants qui parlent tôt ou qui apprennent à lire avant l’heure, tous les enfants agités en classe, turbulents et opposants à la maison, tous les élèves en échec scolaire, tous les adolescent rebelles ou dépressifs, etc., ne sont pas des enfants surdoués. Et il ne serait question de faire des amalgames trop rapides et/ou de se rassurer face aux difficultés de son enfant en se persuadant qu’il est sûrement surdoué ! » (p. 168). Hélas, il en est parfois question et un certain nombre de familles, affirmant que leur enfant est surdoué, ont parfois de désagréables surprises.
24 On aurait aimé que la dimension du diagnostic différentiel soit beaucoup plus détaillée. Un tel développement aurait avantageusement remplacé le chapitre 7 intitulé « Qu’est-ce qu’un bilan psychologique ? » et l’annexe 1, éléments de cours de psychométrie du premier cycle des études de psychologie, qui semblent vraiment peu à leur place dans ce livre.
25 Après avoir déclaré, au chapitre 8, qu’il faut informer l’enfant eip qu’il est surdoué, si c’est en effet le cas, ainsi que sa famille et les différents partenaires de l’école (dont le psychologue scolaire), Jeanne Siaud-Facchin aborde la question des risques des troubles psychopathologiques – inhibition intellectuelle comparable à une anorexie intellectuelle, dépression vide – et signale les difficultés de prise en charge thérapeutique de ces enfants.
26 Un livre de vulgarisation à compléter, bien sûr, par d’autres lectures. Après la liste des associations pour enfants surdoués, des écoles et des possibilités de faire pratiquer un examen psychologique, Jeanne Siaud-Facchin donne quelques pistes bibliographiques. Ces références, et d’autres, pourront aider à réfléchir et à remettre en cause certaines déclarations définitives. Par exemple, contrairement à ce qu’écrit l’auteur, il existe des redoublements positifs pour certains enfants tout-venant ; on peut rencontrer des enfants surdoués parfaitement adaptés (Jeanne Siaud-Facchin en convient p. 216-217) ; il y a des écoles publiques qui peuvent prendre en compte les différences des enfants, quelles qu’elles soient ; certains médecins scolaires ignorent tout des enfants surdoués alors que nombre de pédopsychiatres sont très bien informés sur le sujet. Par ailleurs des déclarations comme « les recherches menées auprès des enfants dyslexiques (Springer et Deutsh, 2000) montrent un fonctionnement atypique du cerveau avec une forte activation de l’hémisphère droit dans le traitement du langage » peuvent être contestées ; ou encore l’affirmation : « Le qi ou, plus exactement, le potentiel intellectuel, est une donnée génétiquement programmée comme la force physique ou les capacités artistiques » ne fait pas, répétons-le, l’unanimité chez les psychologues. Enfin, l’ennui à l’école, si souvent évoqué par les familles, n’est pas un signe que l’on rencontre uniquement chez l’enfant surdoué.