Couverture de JFP_013

Article de revue

Débat après les interventions de Daniel Zagury, Maurice Peyrot, Pierre Haïk et Michel Bénézech

Pages 25 à 28

1 Michel Dubec : Pour lancer le débat, j’aimerais faire une tentative de clarification. Je crois qu’on parle de deux choses à la fois. On parle du problème de la responsabilité des malades mentaux et du passage éventuel du malade mental en cours d’assises. C’est une partie de la fonction de l’expert que de leur éviter cela. On parle en même temps de la fonction de l’expertise pour l’essentiel des accusés qui ne sont pas des malades mentaux, et qui est donc la participation de l’expert au procès dans ces cas-là. L’expert, je comprends qu’il est un colistier du magistrat, qu’il est un suppôt du juge d’instruction, c’est ce qui en fait la dangerosité et c’est ce qui en fait aussi un auxiliaire, parfois précieux, pour l’avocat parce que ça va permettre au cours du débat d’audience, au travers de l’expert, de dire tout ce qu’on n’a pas le droit de dire du juge d’instruction, et l’avocat parfois ne s’en privera pas. Si on prend le type d’expertise où l’expert se mêle de ce qui ne le regarde pas et vient justifier les décisions du juge d’instruction, vient justifier le fait que l’accusé a été mis en prison préventive, qu’il a été renvoyé devant la cour d’assises, où il se mêle des faits parce qu’il n’a pas grand-chose à dire sur la personnalité de l’accusé parce qu’il ne connaît pas bien son métier, alors, c’est du pain béni pour l’avocat ! Il aura vite fait de démontrer que c’est un imbécile, que la science dont il parle est celle d’ Ubu et que toute l’instruction qui est derrière relève de la même aune. C’est une technique de défense. Donc, il sert à quelque chose.

2 Si on considère que l’expert est un expert en vérité, si c’est un ministère de la Vérité, alors il faut immédiatement détruire cette fonction. Parce que la vérité, personne ne la détient et certainement pas les psychiatres et les psychanalystes ; ils la poursuivent certes, comme tout le monde, mais ils ne la détiennent pas.

3 Quand j’entends aussi les critiques de M. Bénézech, bien sûr que l’instruction va continuer, le dossier s’enrichir. Le procès ne se résume pas au passage de l’expert. À quoi sert l’expert ? Quand il fait une expertise à peu près convenable, c’est-à-dire qu’il parle de la vie de l’accusé comme parfois l’accusé n’est pas capable de le faire à l’audience, ne serait-ce que cela, quand il dit : « Peut-être qu’il a commis un crime mais peut-être aussi que son père l’a abandonné, que sa mère l’a placé, etc. », rien ne nous empêche de dire que dans la vie de quelqu’un, ça compte. La fonction de l’expert est d’enrichir les débats, de donner du grain à moudre aux parties, que ce soit à l’accusation ou à la défense. À titre personnel, j’aime bien que l’avocat général et l’avocat de la défense se disputent à travers moi, je ne le prends pas pour moi personnellement. Le problème dont parlait Maître Haïk, la sévérité grandissante de la justice actuelle, l’expert n’est pas responsable de cette tendance, mais il y participe, bien sûr. On a un problème avec notamment l’injonction de soins. Il y a dix ans, un avocat disait à propos des affaires de drogue : « J’y vais plus, c’est la guerre, c’est pas la justice. » Il y a eu une période de répression du trafic de drogue telle que ce n’était pas la peine que les avocats se dérangent, même en correctionnelle c’était vingt ans. Mais les experts n’y étaient pour rien. Effectivement, quand il y a une pression des associations de victime, quand un crime est vraiment odieux, on supporte mal qu’un expert puisse dire : cette personnalité, si elle est dans le box, ce n’est pas totalement un hasard et ce n’est pas totalement de sa faute. De temps en temps, nous n’avons peut-être pas le courage ou la force de le dire alors que le crime est odieux. Il faudrait.

4 X : La justice française est héritière du droit romain et, dans le droit romain, on sépare bien ceux qui possèdent la raison, qui est humaine justement, et on considère que l’émotion fait partie d’un autre domaine, ce qui permettait de mettre les criminels d’un côté où leurs crimes s’expliquaient par la vengeance des dieux. Or, vingt siècles plus tard, on ne sépare plus autant la raison et la folie. La société demande à l’expert psychiatre, et le lui demande d’autant plus qu’elle ne veut pas s’impliquer, de dire qu’untel est fou parce qu’il a commis tel crime. Ça veut dire : Ouf ! Moi qui ne le suis pas, je ne le commettrai jamais, ce crime. Donc, la société tient à avoir des experts qui différencient le fou du non-fou et demande aux experts l’impossible. Je veux dire qu’un siècle après Freud, les psychiatres ne peuvent pas répondre qu’on est à cent pour cent fou ou à cent pour cent raisonnable. La logique de la punition est une autre logique.

5 Daniel Zagury : J’ai été très heureux d’être invité parce que je trouvais que la façon dont était rédigé l’argument de ce colloque est très intéressante et qu’il témoignait de ce que des associations de psychanalystes, toutes écoles confondues pendant quelques décennies ont manifesté le plus grand mépris pour la psychiatrie légale. Les questions dont nous parlons sont des questions extrêmement complexes qui relèvent de discussions antiques entre des gens qui n’étaient pas tous des imbéciles. Un siècle après Freud, la question mérite d’être posée d’un principe qui est un principe antique de la responsabilité pénale des malades mentaux. Ce serait dommage, alors qu’il y a une écoute un peu différente : les rapprochements entre criminologie et psychanalyse ont culminé dans les années cinquante, on a parlé du rapport de Lacan au 2e congrès de criminologie. Et puis, il y a eu un divorce et, actuellement, il y a le traitement et le travail qui sont faits par nos collègues dans les prisons, avec notamment Claude Balier. C’est pourquoi je ne suis pas d’accord avec vous, cher maître, quand vous dites que les indications de l’expert restent lettre morte. Là, je dis qu’il y a un changement parce qu’on revoit quelqu’un qui a été expertisé trois ans avant et qui a été suivi par les psychiatres qui travaillent dans le milieu carcéral et on s’aperçoit que ce ne sont plus les mêmes. Il y a eu un travail qui a été fait, alors qu’il y a quelques années, on revoyait des sujets pour lesquels, dans l’expertise, étaient posées des indications psychothérapiques et on les retrouvait tels qu’en eux-mêmes. Peut-être que nos collègues des smpr ont attiré les psychotiques en prison, mais ils font du bon boulot et ça se voit. Et je ne vois pas pourquoi je serai plus l’allié du président que de l’avocat. L’expert peut faire son travail honnêtement et c’est le jeu judiciaire que de s’emparer de ce qu’il a dit, les parties s’en emparent et essaient d’en faire quelque chose. De même, la question de la culpabilité et de l’expert qui, caricaturalement, parle des faits ; mais les aliénistes avaient répondu à la question : si le sujet nie les faits, on ne peut pas se livrer à une analyse du rapport entre l’état mental et les faits, c’est un principe déontologique. Je sais bien que dans certaines affaires on peut avec beaucoup de prudence dire : « Dans l’hypothèse où… alors peut-être que… », mais tout est dans la façon, tout est dans la nuance. Ce qu’il faut critiquer, c’est un système qui interroge l’expert sur un rapport entre des faits qui ne sont pas établis, un état mental et un Code pénal qui l’inscrit dans sa lettre. L’expert n’y est pour rien, ne reprochons pas à la psychiatrie des contradictions qui ne sont pas de son champ et essayons de sortir de cette caricature du psychiatre-clown aux assises pour voir que depuis un siècle et demi, il y a des gens qui ont permis de défendre notre image face à la justice et face à la société.

6 Cyril Veken : Je suis spécialement gré à M. Peyrot d’avoir fait entendre à quel point un tribunal est un lieu de parole et les adresses étaient fondamentales, c’est-à-dire qu’effectivement on voit là une scène où un sujet est représenté mais un sujet qui ne peut être qu’absent puisque ce sujet ce n’est pas le peuple au sens de la somme des individus qui le composent, mais c’est peut-être ce qu’en psychanalyse on appelle le lieu Autre, le lieu même de la parole, le lieu qui rend la parole possible. Alors, ce sujet qui est là représenté, il peut être représenté par des gens dont j’ai beaucoup apprécié la manière humoristique, mais qui fait entendre que les jurés : quel lieu d’adresse peuvent-ils constituer, pour qui et comment ? Parce que, à travers eux, c’est à autre chose qu’on s’adresse, autre chose dont ils sont les représentants mais ce sont eux qui vont peser dans l’affaire. Il me semble que vous nous avez donné une démonstration étonnante, c’est-à-dire qu’on vous a entendu tellement dans le souci rhétorique d’emporter l’adhésion mais où, finalement, ce lieu de parole qui est le tribunal devient tellement le lieu de parole qu’il peut devenir un lieu où on joue la parole et à ce moment-là, la perversion est en place et l’expert se trouve dans une position où, quelle que soit sa valeur, quelle que soit son éthique, il se trouvera dans une position faussée dans la mesure où il va être là non pas pour contribuer à estimer si un jugement et une peine a lieu de s’appliquer, c’est-à-dire s’il y a du sujet qui répond chez le présumé coupable, mais pour donner un argument qui lui permettra d’échapper à une punition. Ceci ne peut que conforter dans l’opinion publique l’idée que l’expert psychiatre a pour mission essentielle de faire que si tu as un bon expert, tu vas y couper, tu vas échapper au couperet de la justice ; si c’est le cas, on se retrouve dans un espace qui n’a plus rien à voir avec la sagesse la plus universellement répandue, c’est-à-dire l’impossibilité de juger un malade mental comme tout le monde, comme s’il avait à répondre de ses actes comme tout à chacun. C’est une question à laquelle, comme analystes, nous pouvons contribuer dans la mesure où cette question du sujet et de sa responsabilité est celle qui est l’emblème de notre journée. Donc la question n’est pas : est-ce qu’il va être condamné ou pas, mais, indépendamment de la procédure, quelle est sa possibilité de responsabilité ?

7 Michel Patris : Le débat de ces journées tourne autour de la pénalisation de la maladie mentale. Le propos de Zagury a le mérite d’aborder ce sujet. Je voudrais abonder dans le sens de Bénézech parce que je crois qu’il ne faut pas perdre de vue un élément majeur. Vous parliez tout à l’heure de ce voile pudique de l’éthique que l’on met sur tous les forfaits de la science et du scientisme ; l’éthique sert aussi à couvrir toutes les obscénités économiques, la réduction des lits, huit cents postes de praticien hospitalier en psychiatrie non pourvus, trois unités d’umd pour l’ensemble de la France. L’abandon des services spécialisés dans les hôpitaux psychiatriques qui permettaient de gérer la violence avec des moyens psychiatriques. Cette dérive de la psychiatrisation des prisons n’est pas une bonne chose, il faut quand même le dire tout bêtement. La consommation de psychotropes dans les prisons est supérieure à celle des services de psychiatrie. Il n’y a pas une densité de soignants décente pour soigner quelqu’un. Dire qu’on peut entreprendre une psychothérapie en prison tient pour moitié du cynisme. On ne peut pas se soigner en prison, ce qui, bien sûr, ne met pas en cause le dévouement du personnel des smpr, même de certains gardiens, mais les malades que je vois qui sortent de prison sont en mauvais état. La prison n’est pas un lieu pour se soigner, il y a une pression économique dans l’Europe entière, on ferme des services en Écosse, en Allemagne, on comprime les lits. En Suisse, en Italie, on a jeté des psychotiques sur les trottoirs, dans les halls des gares, puis on est revenu en arrière. Moi, je dis : redonnons-nous les moyens de soigner les malades mentaux criminels dans des conditions décentes.

8 Une petite réponse à M. Peyrot. Vous nous avez fait un tableau du psychiatre en situation, tableau auquel vous avez prudemment donné un cadre provincial, ce qui m’a beaucoup touché. Vous auriez pu y inscrire, comme pour un tableau de Magritte : ceci n’est pas une caricature. Une réponse à Maître Haïk. Vous dites que la psychiatrie a trouvé ses lettres de noblesse dans sa rencontre avec la justice ; peut-être qu’elle y a trouvé une assise institutionnelle mais le mariage justice-psychiatrie n’est pas un mariage de raison, c’est un mariage de dupes parce que chacun croit trouver en l’autre quelque chose qu’il n’a pas : le psychiatre croit trouver l’infaillibilité des textes de loi et la justice, l’infaillibilité du savoir psychiatrique. Or les deux n’existent pas.

9 Evry Archer : Les psychiatres exerçant en milieu carcéral sont très conscients du risque actuel d’une dérive vers une entrée massive des psychotiques en prison, surtout au vu des difficultés que nous avons actuellement de les en faire sortir ne serait-ce que quelques jours en application de l’article D. 398 pour qu’ils soient traités dans les services de psychiatrie générale. Mais il faut bien savoir dans quel état se trouvait la psychiatrie dans les prisons françaises avant que nous ayons pris la décision d’y entrer. Cette décision n’était pas facile. J’ai moi-même écrit un texte pour expliquer que lorsqu’un chirurgien opère sur les champs de bataille, ça ne signifie pas qu’il est pour la guerre. À l’époque, il n’y avait pas de psychiatre en milieu carcéral, il y avait des grands malades mentaux qui pourrissaient. Il y a eu beaucoup de discussions entre nous avant d’y entrer. Donc nous y sommes et nous faisons du bon travail, et c’est parce que nous faisons du bon travail qu’il y a des choses qui étaient inconnues et qui apparaissent maintenant à l’air libre. À partir du moment où on a décidé que la liberté est un bien précieux et donc que la prison pouvait être une peine, il est normal de se poser la question de la présence des malades mentaux en prison en disant : voilà des gens qui subissent une peine uniquement parce qu’ils sont des malades mentaux, et c’est ce qui a conduit l’État à rechercher des moyens de distinguer ceux qui sont des malades mentaux, dont l’acte a été commis sous l’effet de la maladie mentale, et ceux qui sont des délinquants. C’est ce qui explique la rencontre de la psychiatrie et du champ judiciaire et c’est ce qu’il faut continuer à avoir à l’esprit pour se demander s’il est licite que des malades mentaux restent en prison alors que, de toute évidence, l’acte est en relation directe avec la maladie. Je précise un déplacement qui ne me semble pas avoir été évoqué ce matin, c’est que l’article 64 comme l’article 122-1 se fondent sur le moment de l’acte ; les aliénistes qui ont travaillé sur cette question ont cherché quelles étaient les maladies qui pouvaient provoquer ces moments susceptibles de favoriser un acte criminel. Maintenant, personne, ni le juge qui confie la mission, ni l’expert qui y répond ne considère ce moment-là comme étant le seul moment à prendre en compte, et on étudie la personnalité du sujet avant, au moment de l’acte et après, jusqu’à la veille du procès d’assises.

10 Pierre Delplat : Dans le prolongement de ce qui vient d’être dit – parce qu’effectivement il y a une dérive dans certaines pratiques expertales, parce que beaucoup d’experts vont au-delà des questions qui leurs sont posées –, il faut, je crois, revenir à la clinique psychiatrique médico-légale et au respect de l’éthique et de la mission. On nous apprend, quand on fait de l’expertise en général, qu’il faut répondre aux questions du juge, et les questions on les connaît bien, elles sont toujours les mêmes, à savoir : y a-t-il des anomalies mentales et l’infraction qui est reprochée au sujet est-elle en relation avec ces anomalies ? Si on s’en tient à la mission, on doit continuer de répondre de la psychologie du sujet et de ses anomalies au moment de l’acte, et pas avant ou après, ou en tous cas en éclairant l’acte lui-même. La confusion vient du fait que si on demande au psychiatre de se prononcer de cette manière-là et si on lui demande de dire si le sujet était responsable pénalement ou s’il avait un trouble psychique qui l’exonère de sa responsabilité pénale, parallèlement, de plus en plus, on interroge des psychologues en leur posant des questions qui sont différentes et auxquelles ils répondent de façon différente ; mais on va entendre à l’audience le psychologue et le psychiatre qui vont se succéder à la barre sans que, je crois, les gens présents fassent la différence.

11 X : La question de la responsabilité est exclusivement du domaine du psychiatre.

12 X : Par rapport à ce que M. Peyrot amenait de l’expert qui écrit une chose et en dit une autre devant le tribunal, ce qui me paraît intéressant, c’est de voir comment nous écrivons d’une façon et nous parlons d’une autre. Vous êtes journaliste et vous devez vous rendre compte de ces contradictions qui concernent la question de l’adresse quand nous parlons, le patient qui se contredit lui-même. Je vois des titres de journaux qui disent : faut-il juger et punir les malades mentaux criminels ? Déjà cet adjectif me pose problème, c’est-à-dire qu’à partir d’un acte supposé fait par cet accusé ou un acte commis effectivement par cet accusé, est-ce qu’un acte suffit pour qualifier les personnes de criminels ? Est-ce que c’est dans les potentialités ?

13 X : On a beaucoup parlé de la psychiatrie, de la justice, du regard des médias ; moi, je vois surtout les malades mentaux qui sont en prison et ce qui me frappe, c’est qu’ils confondent tout à fait la mission de l’expert et du psychiatre traitant, ils ne comprennent pas la différence. C’est vrai que certains experts font des expertises éclairs, mais en règle générale l’expertise prend suffisamment de temps pour qu’il y ait un accrochage entre la personne et l’expert et cet accrochage vient renforcer cette confusion entre psychiatre traitant et expert. Ça veut dire que tout cet investissement que le patient a fait débouche sur un inévitable deuil quand l’expert ne vient plus. La personne vient me dire qu’elle se sent flouée, abandonnée, surtout parce qu’elle n’a pas compris la particularité de la mission du médecin expert mais aussi parce qu’on ne la lui a pas expliquée. Au procès ce n’est pas fini, il va être confronté au choc de l’expertise, seul il va être confronté lors du procès au discours de l’expert à la troisième personne effectivement et on voit des personnes revenir du procès avec un sentiment d’incompréhension encore plus grand, voire de trahison. Alors, je me demande comment on peut remédier à tout ça. C’est un constat que je fais, certainement pas une critique, mais ça vient jouer dans le fait qu’on veuille juger des malades mentaux, parce qu’on peut se demander s’il peut y avoir encore quelque chose de thérapeutique dans la sanction à partir du moment où il y a un tel vécu pendant l’instruction et pendant le procès ; vécu en termes de lâchage, de trahison et finalement sentiment d’être étranger à tout ce qui se passe.

14 Daniel Zagury : Je crois que c’est l’article 57 du Code de déontologie qui oblige l’expert à signaler d’emblée pourquoi il est là, d’abord comment il s’appelle, quelle est sa mission, et quel sort va être fait à l’expertise. Il y a parfois quelque chose qui se passe et vous avez raison de parler d’un effet thérapeutique de surcroît ou d’un accrochage relationnel, mais je pense que l’expertise a des effets qui peuvent s’avérer thérapeutiques à partir du moment où elle se pose très clairement et d’emblée comme se distinguant de la situation thérapeutique.

15 Evry Archer : Depuis les événements récents, il y a eu en Belgique un changement radical dans la politique de santé mentale en milieu carcéral. Le service santé ne relevant pas, comme en France, du ministère de la Santé, les magistrats exigent des personnes qui interviennent en milieu carcéral, même celles qui ont une fonction clairement thérapeutique, des rapports puisque là-bas la sécurité prévaut sur tout. C’est ce qui risque d’arriver en France si les impératifs d’une politique sécuritaire continuent à s’aggraver et si une claire distinction n’est pas établie entre la fonction soignante et la fonction expertale. Ça me conduit à répondre à M. Bénézech en qui concerne les relations entre médecins traitants et médecins experts, lorsqu’on travaille en milieu carcéral, on doit avoir un souci éthique exagéré par rapport au secret médical ; l’existence de la psychiatrie en milieu carcéral en dépend parce que, quand le détenu croit que tout ce qui est dit au psychiatre est transmis à la direction de la prison ou au tribunal, on ne peut plus faire de psychiatrie. En psychiatrie plus qu’en médecine, il n’y a pas de confidence sans confiance, il n’y a pas de confiance sans secret médical. En même temps, il est important de faire savoir à l’expert le traitement du malade car il pourrait alors y avoir une sous-estimation des troubles et, bien sûr, nous avons le souci de savoir quel effet a le traitement sur le déroulement du procès. Quelquefois, son action n’est pas bénéfique. Devant un cas grave qui nécessite des soins, nous savons, si le traitement est efficace, que l’expert ne pourra pas dire si au moment de l’action il était malade comme nous l’avons vu à son arrivée en prison. La question des relations entre l’expert et le psychiatre ne sont pas des relations simples et on ne peut pas comme cela confier à l’expert le dossier du patient.

16 Tineke Engelen-Gauchet : Je remarque que nous parlons de l’état d’un patient à tel ou tel moment sans que soit posée la question de la structure, et il me semble que l’expert est là pour ça.

17 Daniel Zagury : Cela nous lancerait dans un vaste débat clinique. Il y a vingt-cinq ans, je soutenais ma thèse et je disais : méfions-nous de la notion de structure. De toute façon, la notion de structure n’a rien à voir avec la notion de responsabilité, ce qui compte est l’état mental au moment des faits. Cette notion de structure ne me semble pas d’un usage tout à fait modéré en situation d’expertise.

18 Jean Berges : Si la structure vacille, va d’un point à un autre et n’a rien à faire avec la notion de responsabilité, alors il faut que vous nous disiez ce que vous appelez structure. Je crois que ce qui se passe dans ce colloque concerne très précisément la question de la structure, je ne vois pas en quoi il s’agit de journées sur les effets des neuroleptiques.

19 Daniel Zagury : Je m’en doute bien, mais là on touche à quelque chose de passionnel, d’intangible sur le plan clinique (Brouhaha dans la salle). La notion de structure peut être utilisée de façon perverse et la psychanalyse peut être utilisée à partir de la notion de structure pour justifier l’absence de soins d’un certain nombre de sujets réputés ayant une structure perverse, comme si nommer la chose suffisait. Un sujet peut très bien avoir une structure psychotique au moment des faits. René Diatkine avait théorisé l’indépendance entre la notion de structure et la notion de normalité pathologique ; alors, n’ayant pas à l’issue de deux ou trois examens la prétention de faire des diagnostics de structure, moi, je serai beaucoup plus modeste. Pour le reste, mettons-nous d’accord sur le fait que la notion de discours est beaucoup plus vaste que celle du diagnostic de l’état mental au moment des faits et faisons un autre débat.

20 X : C’est sur quoi les journées se sont ouvertes ce matin, c’est-à-dire : est-ce qu’il y a non-lieu est-ce que oui ou non il y a quelqu’un qui répond….

21 Daniel Zagury : C’est une complexité qui a été traitée depuis 1830 ; tout à l’heure, Maurice Peyrot donnait cet exemple : « Tiens, il n’était pas schizophrène au moment des faits. » Mais un schizophrène qui vole un vélo, qui viole, nous ne disons pas qu’il n’est pas schizophrène au moment des faits, tout dépend du rapport : est-ce que le sujet y était ou n’y était pas ? Tout dépend du rapport qu’il a avec les faits. Pour certains actes, il sera responsable, c’est ça l’interprétation médico-légale. Par contre, le même qui entend des voix, qui est l’objet d’un automatisme mental, on ne conclura pas, c’est la doctrine médico-légale, elle est critiquable. Les aliénistes faisaient un tri médico-judiciaire, ils disaient : il y a un schizophrène, peu importe ce qu’il a fait, il est pour l’asile, il y restera ; mais tout a changé, on n’en est plus là. Ce n’est pas la structure qui fait l’avis, c’est l’évaluation médico-légale.

22 Cyril Veken : Il s’agit de savoir si du sujet, il y en a ; or, on voit mal comment ça pourrait être autre chose qu’une question de structure, car à renoncer à la question de structure on en fait uniquement un argument pour obtenir l’acquittement, ce qui va dans le sens d’une certaine perversion.

23 X : Concernant tous les détenus, ils disent qu’ils étaient mal, voire qu’ils n’étaient pas à leur procès, qui leur est passé complètement à côté. Alors, pour les psychotiques, il s’agit de procès impossibles. Ce que je sais, c’est que les psychotiques sont en prison après puisqu’ils en prennent plus que les autres et qu’on ne sait pas quoi en faire, il n’y a pas de moyens pour s’en occuper correctement, ils souffrent, ils dérangent toute la population pénale, ils déstabilisent les surveillants, les juges d’application des peines, l’équipe socio-éducative, personne ne sait vers où aller avec eux et ils créent une vraie déroute dans la prison.

24 Pierre Haïk : Vous venez de faire un constat qui me paraît important. On n’a pas compris ou on feint de ne pas comprendre comment s’est opéré ce glissement. Il y a une vingtaine d’années, on luttait pour faire sortir les malades mentaux de l’institution psychiatrique. Il y a tout un mouvement pour libérer la psychiatrie, libérer les institutions psychiatriques et, aujourd’hui, on s’aperçoit que la diminution des non-lieux et la diminution de l’irresponsabilité entraîne ipso facto un déplacement de l’institution psychiatrique vers l’institution carcérale. Pourquoi ce déplacement, comment s’est-on débarrassé de ces psychiatrisés et pourquoi, et qui avait intérêt à cela ? Aujourd’hui, ils sont incarcérés et on vous demande de vous en débrouiller. Ça ne remet pas en cause votre travail remarquable, mais vous êtes des samaritains, c’est pire que ce que faisaient à l’époque les psychiatres, c’est un double travail qu’on vous demande : à la fois d’essayer de jouer les mécaniciens dans une structure qui n’est pas adaptée et de jouer un rôle fondamental, parce que c’est un double oubli. Alors on se dit : c’est normal ; certains en tirent argument en disant : c’est pas plus mal parce qu’on arrive à faire quelque chose et il y a un progrès, c’est ce que disait Zagury tout à l’heure. Je ne sais pas s’il y a un progrès, je dis qu’aujourd’hui il y a une vraie responsabilité de ce transfert de population mais qu’il n’est pas innocent, ce transfert. Il y a eu une bataille entre psychiatrie et institution judiciaire, même si je disais tout à l’heure qu’ils ont formé un couple de dupes, et c’est sur le fondement d’un couple de dupes qu’on voudrait un discours qui ne soit pas un discours de dupes ! S’il y a eu une diminution des non-lieux, c’est aussi parce que du côté de l’institution psychiatrique on n’a pas voulu traiter ces gens-là, on n’en voulait pas ; alors on s’est dit : on va les jeter en prison et on va injecter un peu de psychiatrisation en prison, un peu de neuroleptiques, on a à la fois le calme avec les neuroleptiques et la bonne conscience d’avoir quelques médecins qui vont se dévouer et mener le combat de l’impossible. Vous êtes les combattants de l’impossible, c’est tout à votre honneur mais il ne faut pas occulter ce phénomène. ?


Date de mise en ligne : 01/10/2005

https://doi.org/10.3917/jfp.013.0025

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