Couverture de JFP_012

Article de revue

Les psychothérapies actuelles

Entretien avec Claude Pigement

Pages 6 à 8

Notes

  • [*]
    Médecin, délégué national aux questions de santé au Parti socialiste.

1 Claude Pigement : Vous souhaitez donc avoir une réflexion très globale sur les psychothérapies. Je n’ai pas les compétences ni l’autorité pour m’exprimer sur la question de la psychanalyse ou des psychothérapies. Par contre, je vais réagir en tant que politique par rapport à ce que j’ai lu sur la proposition de loi déposée par Bernard Accoyer et vous dire aussi comment je vois les choses.

2 La proposition de loi de Bernard Accoyer, c’est bien : « L’usage du titre de psychothérapeute est strictement réservé, d’une part aux titulaires du diplôme de docteur en médecine qualifié en psychiatrie et, d’autre part, aux titulaires d’un diplôme de troisième cycle en psychologie. » On est bien d’accord ?

3 Michel Jeanvoine : Il y a eu deux propositions, l’une d’octobre 1999 « relative à l’usage du titre de psychothérapeute » et l’autre d’avril 2000, dont le titre est modifié, relative à la « prescription et la conduite des psychothérapies… »

4 C. P. : En effet. « … Les psychothérapies sont des traitements médicaux, psychologiques des souffrances mentales. Comme toute thérapeutique leur prescription et leur mise en œuvre ne peuvent relever que de professionnels qualifiés : médecins qualifiés en psychiatrie et psychologues cliniciens. Les professionnels qui dispensent des psychothérapies depuis plus de cinq ans à la date de promulgation de la présente loi pourront poursuivre cette activité thérapeutique, après évaluation de leurs connaissances et pratiques par un jury composé d’universitaires et de professionnels dont la composition est fixée par décret en Conseil d’État. »

5 M. J. : Entre-temps, en avril, il a organisé une réunion à l’Assemblée nationale et a rencontré un certain nombre de professionnels. Son point de vue sur cette question a évolué.

6 C. P. : Ce que je voudrais dire sur ces problèmes-là, c’est que je comprends tout à fait que l’on veuille moraliser l’activité de psychothérapie puisque l’on sait très bien qu’il y a des gens qui exercent cette activité sans avoir une expérience, une qualification et, pour parler clair, que cela relève du charlatanisme.

7 Donc je comprends très bien que des élus du peuple veuillent donner un cadre précis pour éliminer tout ce qui est charlatans, gourous… qui existent, je ne sais dans quelle proportion dans la « profession », mais qui existent. Donc je comprends la démarche. Mais quand on touche à ces problèmes, que ce soit la psychothérapie, la psychiatrie, la psychanalyse, on sait très bien que cela ne peut se réduire d’une manière législative ou scientifique.

8 Le reproche que je ferais à la proposition de loi de Bernard Accoyer, c’est de vouloir réglementer par la loi quelque chose qui relève de domaines beaucoup plus compliqués et complexes. La psychiatrie, la psychanalyse et la psychothérapie relèvent de choses très complexes où il y a beaucoup d’intervenants… J’ai peur qu’une loi soit beaucoup trop réductrice. Donc je comprends la démarche qui vise à éliminer les charlatans, mais vouloir réglementer une démarche de psychothérapie me paraît extrêmement compliqué au niveau d’une loi, et le risque est d’ouvrir la boîte de Pandore, c’est-à-dire qu’en voulant faire le bien, on en arrive effectivement à ce que cela se retourne contre les initiateurs et à créer de nouveaux conflits. Alors qu’au départ le conflit est entre les compétents et les non-compétents, les charlatans et les non-charlatans, on ouvre là de nouveaux champs d’affrontement qui ne sont pas nécessaires. Donc voilà un peu ma démarche.

9 Par ailleurs, Bernard Accoyer montre qu’il n’a pas saisi le problème lorsqu’il occulte complètement la psychanalyse alors que l’on sait très bien que dans la démarche de psychothérapie beaucoup de professionnels sont psychanalystes. Or on sait que pour l’exercice de la psychanalyse, la formation est au niveau de séminaires et d’une psychanalyse personnelle. Il n’y a pas de diplôme de psychanalyste. En élaborant ce genre de projet de loi, quid des psychanalystes ?

10 Alors que faire ? Je pense qu’il faut d’abord une concertation. J’ai l’impression que la concertation a été occultée. Il faut réunir autour de la table les psychiatres, les psychologues cliniciens, les sociétés de psychanalyse et discuter d’abord, voir si c’est une bonne démarche. Si c’est le cas, voir comment la poursuivre, sinon quelle autre démarche envisager.

11 Faire une proposition de loi sans qu’il y ait eu concertation en amont ne me paraît pas une bonne démarche. Il conviendrait, avec toutes les parties prenantes, de voir comment on peut encadrer, au bon sens du terme, plutôt que légiférer, la pratique de psychothérapeute. Voir ainsi comment éliminer les charlatans, tous ceux qui n’ont aucune compétence, car l’on sait bien qu’il y a des gourous, des sectes même, qui se servent de la psychothérapie pour exercer leur activité. L’autre approche possible pour éliminer tout ce qui est phénomène sectaire, mais compliquée elle aussi, c’est le projet de loi sur les sectes qui est discuté actuellement. Ne pourrait-on introduire dans ce cadre un article qui viserait à éliminer les sectes qui se servent de la psychothérapie pour embrigader les gens ? C’est une piste que je lance.

12 C’est cela mon souci en tant que responsable politique. Mais je n’ai aucune compétence pour dire ce qu’il en est des différentes écoles. Il ne faudrait pas que les politiques décident d’une approche personnelle en terme de débat de société, au niveau de la psychanalyse par exemple. Ce serait la pire des choses.

13 Voilà donc mon approche : un souci d’éliminer tout ce qui est charlatanisme, nécessité d’une grande concertation et être très prudent car l’on touche à des choses essentielles. Tout ce qui est réglementation sur ce genre de sujet doit être fait avec beaucoup de doigté.

14 M. J. : Avez-vous eu connaissance de la proposition de loi de Jean-Michel Marchand qui traite plus précisément de la « profession » de psychothérapeute ?

15 C. P. : Je différencierai d’abord ceux qui exercent une profession, comme les psychologues, et tous ceux qui s’arrogent le titre de « professionnel » et exercent dans un flou total ce que j’appellerais une activité.

16 J’ai parcouru cette proposition. C’est flou : « garantie, formation… » Qu’est-ce que cela veut dire ? À côté d’une formation universitaire (cela ne changerait rien), la formation serait confiée à des écoles. Quelles écoles ? Qui les agrée ? Cela suppose des structures incontestables. Il y a là un vrai problème. Qui accrédite ? Qui valide ? Qui agrée ?

17 La Commission qui en serait chargée, telle qu’évoquée dans cette proposition, ne peut être créée que dans le cadre d’un consensus. Si on commence à contester la qualité de cette Commission, rien n’est possible. Tant qu’il n’y a pas eu de débat sur les objectifs et la composition d’une telle commission au sein d’une vraie concertation, rien ne peut être avancé.

18 À propos d’un projet d’Office des professions de santé non médicales, il pourrait y avoir une réflexion en ce sens dans la mesure où M. Nauche propose la création d’un Office des professions paramédicales plutôt que la création d’un « Ordre ».

19 M. J. : Au sein du Parti socialiste y a-t-il des commissions qui réfléchissent à ces questions ?

20 C. P. : Non, pas précisément.

21 Jacqueline Bonneau : Vous les intégrez dans l’ensemble des questions de santé, de la santé mentale ?

22 C. P. : Oui, mais pas d’une manière aussi pointue. En effet, c’est plus dans le cadre de la santé mentale. Il s’agit d’une réflexion transversale.

23 J. B. : Quelles perspectives, quelles propositions envisagez-vous à ce titre? Que soutenez-vous en termes de santé mentale, justement ? Quelle attention portez-vous sur telle ou telle dimension de ces questions ?

24 C. P. : En ce qui concerne la santé mentale le problème, actuellement, est qu’il s’agit d’un parent pauvre dans la politique de santé. La santé mentale est un secteur où un effort doit être fait au niveau des moyens et de l’intérêt du politique.

25 Il doit aussi y avoir des passerelles en permanence entre le médical, le psychologique et le social, car tout est lié. On sait très bien que l’acquis joue un rôle très important dans la formation d’une personnalité. Cela impose donc d’avoir une approche transversale des problèmes. On a bien vu dans le rapport de l’inserm que les inégalités de santé sont liées aux inégalités sociales. La souffrance mentale est souvent en relation avec la souffrance sociale. La santé mentale doit être partie prenante de tout le système de santé. Il doit y avoir une approche globale de ces questions.

26 M. J. : Y a-t-il au sein du Parti socialiste, dans la commission Santé, une réflexion sur l’exercice de la médecine, sur l’acte médical ?

27 C. P. : Oui, tout à fait.

28 M. J. : Ces propositions de loi posent la question de la nature de l’acte. Que ce soit l’acte de la psychothérapie ou l’acte médical, elles les mettent en question. L’acte médical aujourd’hui semble être proposé sur le versant d’un service, d’un acte technique. Or l’acte de psychothérapie, tel qu’on peut le lire et l’entendre à travers certaine proposition de loi, est également conçu comme étant de l’ordre du service, se référant à l’ordre de techniques, parfois commerciales, alors que, comme vous le savez – vous être gastro-entérologue –, si l’importance de la parole et de l’acte que vous pouvez construire avec votre patient présente bien un aspect technique, ce qui semble opérer, c’est surtout la parole que vous pouvez échanger et la confiance que le patient veut bien vous accorder.

29 C. P. : Oui, absolument. Moi-même, en tant que gastro-entérologue, il m’arrive d’adresser à la psychologue du service un malade qui relève plus de ces problèmes que de problèmes purement organiques. Par exemple, à un patient qui présente une colopathie fonctionnelle majeure où l’on voit qu’un problème psychologique important sous-tend cette affection, je vais donner un traitement médical symptomatique et l’adresser à la psychologue pour qu’ils discutent, car je vois bien que le problème est ailleurs. Là je considère que la parole de la psychologue du service peut être aussi importante, complémentaire de mon acte de médecin. C’est la continuation de ma consultation avec une parole différente.

30 M. J. : Que pensez-vous de ce moment que nous vivons, moment historique ? D’un côté on voudrait faire du médecin surtout un technicien et, de l’autre, en créant par exemple un statut de psychothérapeute, on veut lui retirer cette capacité de s’intéresser et d’avoir à s’intéresser à la dimension de la parole engagée avec son patient.

31 Alors, que ces événements surgissent simultanément, ce n’est peut-être pas un effet du hasard…

32 C. P. : Je pense qu’il y a les deux. Il y a à la fois, effectivement, la marchandisation de la santé qui peut être un élément ; l’autre élément, c’est la montée en puissance de tous ces gourous, sectes et autres. Il y a dans la santé une immixtion de plus en plus importante de ces gourous qui occupent un espace où il y a mélange des genres, confusion des valeurs. C’est pour cela que ce débat existe et que nous aboutissons à une mauvaise approche de vrais problèmes.

33 M. J. : Vous avez évoqué la question des sectes. Dans l’hypothèse où un statut de psychothérapeute serait créé, avec un certain nombre d’instituts, d’écoles, pensez-vous vraiment que ce serait une protection ?

34 C. P. : Dans l’idéal, oui. Mais qui va créer ces instituts, les agréer, les contrôler ? À la limite, les sectes peuvent se débrouiller pour être présentes.

35 Comme je vous le disais au début de notre entretien, concertons-nous, mettons en place une commission auprès du ministère.

36 M. J. : N’a-t-il pas été question que cela se réglemente dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé ?

37 C. P. : J’ai lu les titres 1 et 2, et il n’en est absolument pas question. Pour ma part, j’interviendrai afin que ce sujet ne soit pas introduit dans cette loi. Il n’a pas sa place dans une telle loi et la dénaturerait : elle aborde l’importante question du droit des malades. En introduisant cette autre question, on fausserait le débat parlementaire. Donc, à tout point de vue, sur la forme comme sur le fond, je considère que ces propositions de loi ne doivent pas être intégrées dans ce projet de loi de modernisation du système de santé. Ce serait une erreur. Voilà…

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Notes

  • [*]
    Médecin, délégué national aux questions de santé au Parti socialiste.

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