1Le véhicule autonome sera-t-il un salon confortable ou un bureau mobile, filant au long des routes en toute sécurité ? Si certains y ont cru, d’autres, comme Google ou Uber, délaissent cette ambition pour travailler à d’autres solutions, comme les robots-taxis, dont les avantages multiples pourraient hâter la mise en œuvre. Dès lors, par delà des solutions techniques, déjà bien avancées, c’est la capacité politique à repenser l’espace urbain et les mobilités qui sera la clé de cette transformation radicale.
2La ville est l’écosystème ultime de la mobilité au sein duquel toutes les innovations doivent s’intégrer. Mes réflexions, partant de l’automobile, m’ont ensuite conduit à suivre ce qu’ont réalisé Uber, depuis sept ans, et Google, qui travaille sur la voiture autonome depuis 2009.
3Dans ce contexte, trois impératifs majeurs doivent être pris en compte pour comprendre la transformation de la mobilité. Le premier se fonde sur les exigences croissantes des clients/utilisateurs qui veulent plus de praticité et de facilité d’utilisation, de l’instantanéité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, via leur téléphone mobile, être connus et reconnus, recevoir un service adapté et moins cher… C’est sans doute là l’impératif le plus important, celui qui a permis l’apparition d’Uber. Le deuxième tient aux besoins environnementaux locaux (les particules, le NO2…) et planétaires (le CO2…). Le dernier impératif relève des saturations, voire des crises, du trafic urbain. Ces impératifs ont enfin pu être traités par la convergence d’un ensemble de technologies qui ont été assemblées les unes aux autres initiant ainsi de profondes transformations. Nous n’en sommes qu’au début.
La transformation a commencé
4Beaucoup de données disponibles viennent des États-Unis, plus particulièrement de New York puisque cette ville a imposé que toutes les courses de taxis, d’Uber ou autre lui soient notifiées. Cela constitue, à l’heure actuelle, le meilleur ensemble de données sur ce sujet et c’est donc sur elles que je m’appuierai.
5De janvier 2015 à janvier 2018, le nombre de courses y a presque doublé. Mais alors qu’Uber et Lyft, son principal concurrent, croissaient à vive allure, les taxis perdaient du terrain jusqu’à assurer moins de 40 % des courses. Ces nouveaux opérateurs ont aussi apporté leur service à des destinations très mal desservies par les yellow cabs, au-delà de Manhattan, d’où une croissance des courses de 300 % sur la période étudiée à Brooklyn, par exemple. Le résultat est la circulation à New York d’une pléthore de voitures, entre 100 000 et 150 000, si l’on compte aussi les black cars.
6Uber avait compris que le service rendu ne correspondait plus aux nouvelles exigences des gens et que la technologie associée à un nouveau modèle d’affaires permettrait de faire autrement. Le client d’une course “à la demande” obtient désormais une réponse en quelques secondes, le prix est annoncé, il voit le chauffeur arriver sur la carte, c’est transparent et pratique (paiement par carte de crédit, pourboire intégré, facture reçue par e-mail, bilan mensuel) et l’évaluation du service se fait en deux clics. Le coût peut même baisser grâce aux courses partagées (uberPOOL et Express POOL). Au total, l’entreprise annonce 2,5 millions de chauffeurs dans le monde, pour 3 milliards de courses. Son concurrent Didi Chuxing en annonce 7,4 milliards en Chine.
7Deux enquêtes ont été réalisées fin 2016 par l’université de Californie à Davis (UC Davis) et National Household Travel Survey (NHTS). Celle de UC Davis, qui s’appuie sur sept métropoles et 70 millions d’habitants, montre que sur les principales aires métropolitaines du pays, 5 % des gens utilisent Uber ou Lyft au moins une fois par semaine. L’enquête de NHTS, basée sur 70 millions d’habitants de villes de plus d’1 million d’habitants bénéficiant de transports en commun lourds, montre que les taxis et VTC réunis représentaient presque 2 % des trajets motorisés, contre 9,4 % pour les transports collectifs. C’est peu, mais le phénomène n’est plus marginal et est en forte croissance.
La voiture autonome
8Daimler a été le pionnier de la voiture autonome, il y a quelques années, avant d’abandonner le projet pour ne garder qu’une simple veille technologique. Le véritable précurseur a donc été Google. Il a démarré ses recherches en 2009 et ses prototypes, en 2012, étaient déjà capables de circuler au milieu des piétons, camions et cyclistes dans les rues de Palo Alto, faisant aussi bien sinon mieux que ses concurrents aujourd’hui. En 2015, Google a franchi un pas supplémentaire en faisant rouler sa Google Car sans chauffeur dans la Silicon Valley, à Austin (Texas) et à Phoenix. Les rares incidents constatés ont été dus à des véhicules classiques les percutant par l’arrière, la Google Car étant parfois trop prudente.
9En 2016, Google a créé une filiale dédiée, Waymo, puis lancé à Phoenix le programme Early riders, reposant sur de “vrais” utilisateurs, c’est-à-dire circulant sans chauffeur sur route publique. Waymo vient de passer un accord avec Jaguar pour la fourniture de 20 000 voitures électriques (I-Pace) et plus récemment avec Fiat-Chrysler pour 62 000 minivans, tous destinés à une utilisation commerciale dès fin 2018.
10Le fait que Waymo ait choisi Jaguar montre que, à l’évidence, le prix n’était pas déterminant, mais aussi qu’ils recherchaient une voiture innovante (électrique) et à l’architecture électronique avancée (développée avec Altran). En 2017, Uber avait choisi Volvo, lui commandant 24 000 XC90 et disant explicitement que leur choix avait été dicté par une meilleure architecture électronique de la voiture. Tesla a été le premier à mettre en œuvre, dès 2012, une architecture électronique radicalement différente et permettant la mise à jour over the air de logiciels embarqués sans retour au garage, comme sur vos téléphones portables. Très peu d’autres constructeurs l’ont fait, à ce jour, et c’est un fait remarquablement rare qu’une innovation aussi fondamentale mette autant de temps à se généraliser dans le monde de l’automobile.
11Pendant que ses concurrents hésitaient encore, Waymo a multiplié les tests de roulage, atteignant à ce jour 3,8 milliards de kilomètres en simulation, en utilisant les données captées grâce à leurs 8 millions de kilomètres cumulés effectués sur des routes publiques. Ils ont ainsi pu recréer une multiplicité de situations de conduite et s’en servir pour “éduquer” leur système avec les techniques du machine learning dont ils sont un, si ce n’est le, leader mondial.
12Chez les constructeurs, les choses ne se sont accélérées qu’à partir de 2013, date à laquelle Mercedes et Nissan ont, de façon quasiment simultanée, annoncé des véhicules autonomes. En ce qui concerne Nissan, une mise sur le marché est prévue pour 2020. Quant à Mercedes, qui n’a fixé aucune date, l’entreprise a démontré son savoir-faire en refaisant avec son véhicule autonome, le parcours historique de 108 kilomètres, effectué en 1888 par Bertha Benz, exploit qui avait alors contribué à la renommée de la marque. Volvo a annoncé un projet pilote d’une centaine de véhicules autonomes à Göteborg, General Motors se dit prêt pour 2019 et, désormais, tout le monde suit.
13En janvier 2015, lors du Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas, Mercedes, par la voix de Dieter Zetsche, PDG de Daimler, choisissait de communiquer sur le thème du véhicule de luxe et du temps gagné. Il déclarait alors : « The car is growing beyond its role as a mere means of transport and will ultimately become a mobile living space. » [1] Il se situait dans la logique, classique dans l’automobile, d’une entrée de l’innovation par le luxe avant une diffusion progressive dans les autres segments.
14La plupart du temps, les constructeurs définissent les automatismes de conduite avec une échelle à six niveaux, du niveau 0 au niveau 5, qui est celui de l’autonomie complète sans chauffeur et en toutes circonstances. Aujourd’hui, les équipements d’aide à la conduite offrent des niveaux 1 (assistance) ou 2 (autonomie partielle). Certains constructeurs proposent désormais du niveau 3, dans lequel l’automatisation est poussée, mais où le conducteur doit être prêt à reprendre le contrôle du véhicule en cas de nécessité. Tous les efforts des constructeurs se sont concentrés sur ce niveau 3 et le niveau 4, où le véhicule est entièrement autonome dans des circonstances prédéfinies, par exemple sur autoroute ou en valet parking, lorsque la voiture va se garer seule.
15Cependant, alors même que Dieter Zetsche s’exprimait à Las Vegas, Uber recrutait la moitié des chercheurs du meilleur laboratoire de robotique américain, celui de Carnegie Mellon à Pittsburgh, avec la volonté affichée de s’inscrire dans la course au véhicule autonome. Cette décision était surprenante, Uber n’étant pas considéré jusque-là comme un compétiteur potentiel, mais elle ouvrait la voie à une démarche très différente de celle de Mercedes en visant à atteindre directement un niveau 5 “sans chauffeur”, circonscrit à des environnements urbains bien déterminés. Uber montrait à tous que leur solution de mobilité à la demande pouvait devenir beaucoup plus économique et révolutionner la mobilité urbaine. L’accident mortel de mars 2018 a montré qu’ils sont cependant encore bien éloignés du niveau technique de Google pour y prétendre rapidement.
16La réaction des constructeurs n’a pas tardé et a conduit à un changement de cap radical de l’industrie. Le premier a été BMW qui, en juillet 2016 et en collaboration avec Intel et Mobileye, a annoncé la production de masse de véhicules complètement autonomes dès 2021, non seulement pour l’usage privé sur autoroute, mais également pour des véhicules dédiés au ride-sharing, c’est-à-dire aux courses partagées en environnement urbain. Une floraison d’annonces a suivi, venant de tous les acteurs du secteur, signe que l’industrie automobile a désormais compris les enjeux et que les premiers véhicules autonomes que nous verrons apparaître seront vraisemblablement des robots-taxis.
17Face à la baisse des coûts liés à la rémunération des chauffeurs, et en dépit des surcoûts dus à la technologie, c’est donc à une augmentation massive des flottes de ces robots-taxis qu’il faut s’attendre, la ville de New York pouvant ainsi passer de ses 100 000 ou 150 000 véhicules actuels à 300 000, voire 500 000 robots-taxis dans un proche avenir.
La vision d’une révolution
18Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut auparavant revenir sur quelques conventions de vocabulaire, l’anglais étant plus précis que le français sur ces points.
19Le premier concept est celui de ride-hailing, qui correspond à ce que fait aujourd’hui Uber. Le car-sharing, c’est Autolib’ ou Car2go. Le peer to peer (P2P) car-sharing est le partage temporaire du véhicule personnel avec d’autres usagers. Le ride-sharing relève de ce que fait uberPOOL et, dans ce cas, le prix de la course est partagé entre deux ou plusieurs passagers mis en relation par la plateforme. Enfin, le P2P ride-sharing est ce que font BlaBlaCar ou Drivy, sa version urbaine. Tout cela est regroupé sous le vocable générique de Mobility as a Service (MaaS). En français, on parlera de transport à la demande, d’autopartage, de course partagée ou de covoiturage, en prenant garde à ne pas confondre, sous ce dernier vocable, le véhicule partagé entre collègues pour se rendre au travail (P2P) et uberPOOL où une entreprise optimise, par le biais d’une plateforme digitale, les courses de passagers sans lien entre eux et prend la responsabilité de les regrouper dans un même véhicule avec un chauffeur.
20On parlera ensuite de robots-taxis pour des véhicules de moins de huit places et, au-delà, de robobus. Ces véhicules électriques sans chauffeur, couplés au ride-hailing et au ride-sharing à grande échelle, pourraient rendre la mobilité urbaine et périurbaine plus facile, plus confortable, moins chère et transformer considérablement les agglomérations urbaines.
21Des simulations ont montré ce qui se passerait dans une ville où les robots-taxis arriveraient en masse, remplaçant non seulement les taxis conventionnels, mais aussi des bus, des véhicules individuels, etc. La première a été faite par l’International Transport Forum, indépendant de l’OCDE quoique basé dans ses locaux parisiens, aux travaux duquel participent aussi la Chine et la Russie. La première simulation a porté sur la ville de Lisbonne, en avril 2015, puis sur l’ensemble de son agglomération, avec les hypothèses suivantes :
- les métros et les trains peuvent accroître leur capacité, mais les bus sont éliminés ;
- les robots-taxis (de 2 à 5 places) font du porte-à-porte ;
- les robobus (de 8 à 16 places) prennent en charge au coin du bloc ;
- des contraintes de service variées sont imposées (attente de moins de 5 minutes, trajets allongés de moins de 20 %, etc.).
22Quatre scénarios ont alors été élaborés :
- 100 % de robots-taxis en mode ride-sharing, avec des remplissages plus ou moins complets ;
- 100 % de robots-taxis en mode non partagés ;
- 50 % des trajets réalisés en véhicule privé et 50 % en robot-taxis en ride-sharing ;
- 50 % des trajets réalisés en véhicule privé et 50 % en robot-taxis non partagé.
23Par rapport à la situation actuelle, servant de référence, le premier scénario, avec une flotte de robots-taxis partagés ne représentant que 10 % du parc de véhicules circulant aujourd’hui, entraînerait, pour une même mobilité, une qualité de transport bien meilleure pour ceux qui utilisaient auparavant les transports en commun, avec des temps d’attente divisés par six pour des temps de parcours quasi inchangés. À kilométrage parcouru identique, le nombre de véhicules nécessaires baisse drastiquement en heure de pointe, tombant respectivement à 35 % et 57 % dans les deux premiers scénarios, le nombre de voitures particulières stationnées étant, quant à lui, divisé par 15 et 10.
24En revanche, dans les deux autres cas, si l’on maintient 50 % de déplacements effectués en véhicule particulier, les améliorations ne sont pas visibles, ce qui écarte l’option d’une transition progressive et suggère que ce n’est que d’un changement radical que l’on pourra obtenir les bénéfices attendus.
25Une autre conclusion importante de ces simulations est que la demande pour les modes de transport en commun lourds (trains, métros, ferrys), à l’encontre de certaines craintes, croît de façon très nette, de 50 % en banlieue, dans la simulation de Lisbonne. Cela est essentiellement dû au ride-sharing, les robots-taxis et robobus qui emmènent les usagers de la périphérie vers leurs gares, renforçant ainsi l’intermodalité.
26Les bénéfices que les villes peuvent espérer de cette simulation sont multiples : pollution en baisse, puisque les véhicules sont électriques ; moins d’accidents, puisque les véhicules sont autonomes ; hausse de l’espace disponible dans les rues avec moins de véhicules en stationnement ; coût moindre de la mobilité ; diminution des embouteillages ; temps de transport réduits ou équivalents ; zones d’achalandage et bassins d’emplois étendus ; disparition des subventions pour les bus, qui sont, de loin, le moyen de transport le plus subventionné.
27La contrepartie pour les constructeurs serait sévère. Le cabinet conseil allemand Roland Berger d’abord, puis IHS Markit, prévisionniste connu du marché automobile, prévoient une baisse de ce marché de 25 à 35 % d’ici à 2040, ce qui représenterait, à terme, une centaine d’usines automobiles en moins dans le monde. Ce type de prévision a largement contribué à sensibiliser les plus grands constructeurs à l’urgence pour eux de se transformer en opérateurs de la mobilité.
Les obstacles
28Entre la situation réelle d’aujourd’hui et celles esquissées par les simulations, divers obstacles se présentent. Le premier porte évidemment sur la fiabilité de la technologie et son adaptation progressive aux différents types de voies de circulation, aux différents usages, etc. Si Uber a récemment provoqué un accident mortel de piéton, lié à un mauvais choix de l’intelligence artificielle embarquée sur son véhicule, Google, avec ses 5 millions de kilomètres cumulés, n’a connu que des incidents mineurs. L’État de Californie, qui impose la publication du nombre de reprises de contrôle par le chauffeur, n’en constate, en 2017, qu’une tous les 8 000 kilomètres environ pour Google, soit près de 6 fois moins que son meilleur concurrent, General Motors et environ 20 fois moins que tous les autres qui testent leurs voitures en Californie. Uber n’en fait pas autant… Google est une entreprise logicielle qui a tiré les leçons de la mauvaise qualité générale du software automobile, comparé à ceux de l’aéronautique ou du ferroviaire, et privilégie une démarche beaucoup plus prudente que celle de son poursuivant Uber.
29Les contraintes des règlements, tels que la Convention de Vienne, pèsent également sur le développement du véhicule autonome et devraient être assouplies en Europe, à l’image de nombre d’États américains qui en ont déjà décidé l’allègement.
30Aujourd’hui, aucune voiture autonome n’est adaptée au ride-sharing. Les sondages montrent que partager un trajet sans chauffeur avec un inconnu, en particulier la nuit, est un frein, voire un blocage, en particulier pour les femmes. Chaque passager devrait alors être physiquement séparé des autres, ce qui n’abolirait cependant pas le sentiment d’insécurité lors de la dépose dans un endroit isolé. En conséquence, aucun passager ne devrait pouvoir descendre ailleurs qu’à la destination pour laquelle il a réservé son trajet. Il ne devrait cependant pas être très compliqué de concevoir des véhicules répondant à ces contraintes.
31Par ailleurs, aucun acteur n’a, à ce jour, toutes les compétences requises. Google ne sait pas réaliser de véhicule ni gérer physiquement une flotte. Uber excelle dans la gestion d’une plateforme de ride-hailing et de ride-sharing, mais gérer une flotte est plus facile quand ce sont les chauffeurs qui assurent eux-mêmes l’entretien physique de leur véhicule. En leur absence, c’est toute une logistique dédiée qu’il faut envisager de mettre en place.
32Enfin, et ce n’est pas le moindre des obstacles, pour un “patron” d’agglomération souhaitant aller vers moins de voitures personnelles et de bus en les remplaçant par des robots-taxis, quel pourrait être le chemin politiquement acceptable de la transition ? À l’évidence, les choix ne sont pas simples et passent par une acceptation personnelle et sociale, en masse, des véhicules sans chauffeur et des robots-taxis ainsi que par l’abandon, au moins partiel, de l’usage de la voiture personnelle.
La nécessaire intervention publique
33Si l’on quitte les simulations et que l’on regarde le monde réel, on peut revenir à New York. Avec la croissance rapide d’Uber et de Lyft, le trafic a fortement augmenté dans Manhattan et la vitesse moyenne de circulation a baissé de 19 % aux heures de pointe (de 15 heures à 19 heures).
34Cette augmentation du trafic et le ralentissement qui s’en suit ne sont déjà plus soutenables et le seraient encore moins si le prix de ce mode de mobilité baissait encore avec des voitures sans chauffeur, entraînant toujours plus de trafic.
35C’est pourquoi le maire de New York a annoncé qu’il envisageait de rendre payante la circulation dans une partie importante de Manhattan, afin de réduire la circulation privée et de taxer les courses des taxis, d’Uber et consorts, afin de favoriser le ride-sharing.
36L’enquête de UC Davis, de façon tout à fait convergente avec les chiffres sur New York, avait aussi montré que le ride-hailing avec chauffeur (service standard d’Uber) a contribué à augmenter la mobilité, mais a aussi cannibalisé d’autres modes. Sont touchés l’autopartage, l’usage des voitures personnelles (sans que leur propriété ne soit affectée, pour le moment) ou encore les transports en commun, notamment là où ils sont de mauvaise qualité. En ce qui concerne les taxis et les loueurs traditionnels, en particulier pour leur activité “voyages d’affaires”, on observe un véritable effondrement.
37Face à une situation qui est déjà difficile, les pouvoirs publics vont devoir s’imposer dans cette transformation qui a débuté. Quand bien même, les décisions nécessaires ne seront pas faciles à prendre pour les élus. À terme, il faudra plus de ride-sharing, moins de voitures particulières, des aménagements spécifiques pour améliorer les prises en charge, les déposes, etc. Il faudra aussi établir un plan global avec des appels d’offres pour les opérateurs de flottes de robots-taxis et de robobus, des contrats de service… Uber et Google l’ont bien compris, qui commencent à passer des accords avec des villes comme Boston ou Columbus.
38Les bénéfices potentiels du ride-sharing sont cependant tels que des évolutions ont déjà commencé. Afin de réduire ses investissements d’infrastructure, en l’occurrence le parking d’une gare, une ville du New Jersey a ainsi commencé à subventionner à la course Uber, qui s’est engagé, en retour, à transporter en ride-sharing les usagers de chez eux à la gare et retour pour 2 dollars la course. Le coût du parking étant de 4 dollars, l’opération est financièrement neutre pour les usagers et, de surcroît, leur évite le stress de la recherche d’une place de parking. C’est là un bon exemple de substitution d’une solution de mobilité à un investissement dans des infrastructures.
39Une douzaine d’autres villes américaines ont suivi cet exemple en remplaçant des lignes de bus peu rentables par un meilleur service rendu par Uber ou Lyft. Il en va de même pour la deuxième compagnie d’assurance américaine, qui a confié à Lyft les trajets de ses clients-patients vers l’hôpital, en substitution des ambulances classiques, plus onéreuses.
40Fin 2015, le département des Transports de l’administration Obama a ouvert un concours, dénommé Smart City Challenge, sur le thème de la mobilité future dans les villes, avec un prix de 40 millions de dollars pour la gagnante. Soixante-dix-huit villes ont répondu et Columbus (Ohio), ville de 2 millions d’habitants, en a été la lauréate. Un autre concours, organisé en 2016 par le World Economic Forum, a été remporté par Boston dont le maire a annoncé l’arrivée prochaine des robots-taxis dans sa ville.
41Les villes sont donc face à un dilemme. Les bénéfices de cette révolution de la mobilité peuvent être extrêmement importants, mais la transition est difficile à mettre en place et amène à prendre des mesures particulièrement impopulaires. Cela pose plusieurs questions, dont une touche particulièrement la France, celle d’un leadership légitime et donc fort dans les agglomérations. La capacité de blocage d’une commune est, en effet, souvent très supérieure à la capacité de décision du responsable de la communauté urbaine. Il faudra donc prévoir, planifier et gérer la transition, et choisir les meilleurs acteurs afin d’obtenir rapidement des bénéfices tangibles. Les choix d’infrastructures, voies dédiées, points de dépose et de prise en charge, parkings, transports publics lourds, etc., seront, eux aussi, lourds de conséquences.
Les compétences nécessaires pour opérer des robots-taxis
42Il va de soi que la technologie de la conduite autonome doit être parfaitement maîtrisée et que les voitures doivent être adaptées au ride-sharing. Il en va de même pour la technologie des plateformes de gestion à distance et de celles indispensables pour opérer des flottes en ride-sharing. Dans ces domaines, le champion est Uber, mais d’autres compétences se révèlent nécessaires, dont il n’a pas encore la pleine maîtrise, en particulier celle liée aux outils de simulation combinée à l’intelligence artificielle et au machine learning. Des dernières grandes publications, il ressort que, derrière Google, Uber et Didi Chuxing ont désormais pris des positions importantes dans ces domaines.
43En outre, des usines devront être dédiées au nettoyage et à la recharge, chaque nuit, des robots-taxis. Ces contraintes, loin d’être secondaires, doivent être considérées au regard des 100 000 véhicules, pour chacun des deux ou trois opérateurs, qui circuleraient chaque jour dans une ville comme Paris – chiffre envisageable dans l’hypothèse d’une disparition des véhicules privés. Ce sont alors des installations de type industriel qu’il faudra mettre en place, nécessitant chacune d’importantes forces sur le terrain. Or, ni Google ni Uber n’ont les compétences pour assumer cette composante physique.
44Des compétences spécifiques, permettant de collaborer efficacement avec les autorités organisatrices de transport (AOT) et les agglomérations, sont également requises. Pour prendre de telles décisions et réussir ce saut radical vers le tout véhicule autonome, les élus responsables auront besoin d’être convaincus de son bien-fondé, non seulement par des équipes en charge de démontrer l’impact des nouvelles solutions et de coconstruire les chemins pour y parvenir, mais aussi par des outils de simulation suffisamment fiables et précis. Les briques technologiques pour construire ces outils existent déjà : l’agent-base modelling, le traitement des données des téléphones mobiles pour identifier les déplacements et établir, de façon très fine, bloc par bloc, combien de personnes sont parties, à quelle heure et pour aller où, les simulations de trafic, etc. Leur assemblage n’a cependant pas encore été fait, en tout cas de façon publique. Sur la base de ces données massives, ces outils permettraient, en variant les paramètres, la simulation de situations alternatives, en attribuant à chaque agent une valeur de confort, un budget, une valeur du temps, une capacité à marcher, etc. Aujourd’hui, l’une des deux sociétés capables de faire une partie de ce travail, Urban Engine, a été rachetée par Google en septembre 2016. L’autre, moins performante, a été rachetée par Porsche, donc Volkswagen. Sans ces capacités, un plan de transition serait hasardeux, pour ne pas dire suicidaire.
45Enfin, il faudra des références concrètes, et les Américains, tout comme les Chinois ou les Japonais, sont en train d’en construire. Malheureusement, on ne constate aucune initiative française en ce sens, à une échelle suffisamment grande pour que les acteurs puissent acquérir puis afficher un savoir-faire convaincant.
Les acteurs
46En premier lieu, les acteurs de cette transformation sont, évidemment, les pure players, c’est-à-dire les entreprises digitales comme Google-Waymo, Uber, Didi Chuxing, Baidu (équivalent chinois de Google), Tesla, etc. J’y joindrais SoftBank qui, adossé à un fonds saoudien de 200 milliards de dollars, investit chez tous ces acteurs.
47Viennent ensuite les acteurs actuels de l’écosystème automobile, qu’ils soient constructeurs automobiles (Daimler, General Motors, Volkswagen, Renault-Nissan-Mitsubishi…), loueurs s’efforçant de fusionner location et autopartage (Avis, Europcar, Sixt…), ou compagnies de leasing ou d’assurances. Daimler, dont le PDG avait déclaré, au Salon de l’automobile de Paris de septembre 2016, que la mobilité du futur serait « connectée, autonome, partagée et électrique », a récemment dépensé plus d’1 milliard d’euros en rachats d’acteurs des secteurs du ride-hailing et du ride-sharing. General Motors entreprend une démarche équivalente.
48Sont également impliqués tous les acteurs actuels de la mobilité urbaine et périurbaine : les dirigeants des villes ou des agglomérations, les AOT et les entreprises privées de transport urbain, dont Transdev et Keolis sont parmi les 5 premières au monde
49Les autres acteurs notables sont des start-up (door2door, Vulog…) ou des énergéticiens, en particulier ENGIE.
50Il ressort de tout cela que, pour y jouer un rôle majeur, les acteurs privés doivent avoir des ressources importantes, savoir rassembler autour d’eux, s’adapter à des conditions locales diverses et maîtriser au moins l’une des compétences clé. Google évidemment, Uber, Didi Chuxing ou Baidu, et certains des constructeurs automobiles pourraient en être. Google a probablement plus de 2 000 personnes travaillant sur ces sujets, niveau que General Motors vise également. Daimler a manifestement aussi mis de gros moyens en jeu. Renault-Nissan-Mitsubishi, Volkswagen et Toyota publient peu sur ces sujets. Les autres prétendants, comme Keolis ou Transdev, ne pourront vraisemblablement rentrer dans le système que par le biais d’alliances avec les acteurs majeurs, mais ils sont les seuls à avoir une longue pratique de la relation avec les AOT et les élus des grandes agglomérations.
51Par ailleurs, dans ce domaine, ce que fait la Chine, désormais premier acteur de l’intelligence artificielle devant les États-Unis, est proprement époustouflant. Les Chinois disposent maintenant de multiples plateformes utilisables pour des véhicules électriques et attendent de ces nouveaux modes de mobilité des gains importants en matière de sécurité routière ainsi que d’amélioration du trafic et des infrastructures. À Shenzhen, une équipe de 200 à 300 personnes est ainsi exclusivement dédiée au développement des simulations de mobilité et le gouvernement chinois l’a désignée comme prestataire de service pour l’ensemble des villes désireuses de tenter l’aventure. Moins contraints que les Occidentaux par les exigences liées à la vie privée, les Chinois ont donc toutes raisons d’aller très vite.
Débat
La sécurité en question ?
52Un intervenant : L’intelligence artificielle prend des décisions de nature probabiliste. Comment est-ce compatible avec le droit français qui exige une relation causale entre une action et ses conséquences ? En cas de problème, qui du conducteur ou du constructeur qui a paramétré le véhicule sera responsable ?
53Patrick Pélata : Les machines décident, de façon effectivement probabiliste et non explicite, sur la base des millions de situations qu’elles ont intégrées. Les spécialistes du machine learning disent que l’on peut cependant border cela par des algorithmes qui supervisent cette décision. C’est un sujet sur lequel tout le monde travaille en ce moment. Cependant, quand Volvo vend des voitures à Uber, qui les prépare en intégrant certains de ses composants propres à l’architecture électronique du véhicule, il est dès lors clair que ce sera celui qui a validé les couches logicielles supérieures, en l’occurrence Uber, qui portera la responsabilité, et non Volvo. En France, les pouvoirs publics n’autorisent les constructeurs à procéder à des essais de voitures autonomes que sous leur responsabilité pleine et entière.
54Int. : Quand un véhicule, circulant en mode autonome, doit, d’urgence, être repris en main par un conducteur, forcément déconnecté, le temps de réaction n’est-il pas trop important ?
55P. P. : Le niveau 3 est certes censé être un niveau eyes off et non pas brain off, mais les accidents mortels qu’ont subi des conducteurs de Tesla ont effectivement été causés par cette perte de vigilance. C’est pour cela que le niveau 3 est dangereux, sauf si on le limite à la conduite sur autoroute à petite vitesse, donc en embouteillage. Je ne crois pas en la possibilité de progresser étape par étape (du niveau 2 à 3, puis 4 et 5). Il arrive un moment où l’on doit être capable de passer directement aux niveaux 4 ou 5. C’est la voie plus sûre qu’ont choisi Google et Uber en visant une autonomie complète du véhicule, mais limitée à des zones complètement cartographiées et maîtrisées.
La valeur de la rue
56Int. : Dans le cas de la région parisienne, entre l’incompréhension de ces questions par les élus, la complexité de gestion du Syndicat des transports d’Île-de-France et l’énormité des investissements en infrastructures, notamment ferroviaires, déjà largement déficitaires, l’imbroglio des problèmes pose la question de savoir qui va payer.
57P. P. : Je suis très pessimiste sur le cas de la région parisienne. La capacité des communes à bloquer des initiatives collectives est un frein énorme. Le fait qu’il n’y ait pas de vrai décideur en est un autre. Il ne me semble donc pas possible que cela puisse démarrer à partir de Paris. Si l’on veut évoluer vers des robots-taxis, ce qui me semble inéluctable, il ne faut pas se focaliser sur la seule technologie mais également s’intéresser aux villes dans lesquelles on pourra les mettre en œuvre. Les villes en question, en France, existent mais sont peu nombreuses, car l’entité ville/agglomération doit y être légitime, comme c’est le cas à Rennes, Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Rouen et peut-être à Grenoble. Néanmoins, à supposer que Singapour parvienne à mettre en place des robots-taxis d’ici trois ans, avec des résultats probants, qu’Oslo ou Helsinki suivent ainsi qu’Auckland (en Nouvelle-Zélande), Pittsburgh, Austin (Texas) ou encore Phoenix, dans notre monde de communication globale, cela va vite faire école. Il ne faudra sans doute pas très longtemps pour convaincre d’autres villes, surtout si on laisse Uber ou ses homologues monter en puissance et introduire ces robots-taxis sur les zones limitées en baissant leurs coûts.
58Les décisions sur les infrastructures de transport en commun sont certes lourdes et coûteuses, mais ce sont les seules. Les autres, comme l’aménagement des gares ou des points de dépose dans les rues, ne sont ni très onéreuses ni très complexes, et relèvent du mandat ordinaire d’un maire, qui sait mettre les bénéfices obtenus en regard des taxes imposées.
59Int. : Les embouteillages, qui concentrent des individus isolés, seuls dans un énorme véhicule, sont une défaite de la pensée rationnelle dont s’étonneront nos descendants. Cependant, n’y a-t-il pas d’autre solution que ces véhicules autonomes bourrés d’électronique ?
60P. P. : Aujourd’hui, la valeur de la surface de la rue n’est portée par personne et chacun l’utilise jusqu’au point où elle s’effondre pour le collectif. Il y a désormais nécessité d’y revenir. Interdire les voitures en ville est sans doute une utopie, impossible à porter pour un élu s’il n’y a pas une solution de remplacement crédible. L’augmentation du prix du parking est un tout petit début de reconnaissance de cette valeur commune.
L’Europe et les smart cities
61Int. : Existe-t-il une stratégie européenne sur ces questions ?
62P. P. : Pour avoir des véhicules autonomes, il est évident qu’il faut la technologie qui va avec. Élisabeth Borne, ministre des Transports, et Anne-Marie Idrac, haute responsable pour la stratégie nationale de développement des véhicules autonomes, conjointement avec Luc Chatel, représentant de la plateforme automobile, ont présenté très récemment une stratégie pour le véhicule autonome. Cela sera-t-il suffisant face à Google qui travaille avec des moyens considérables sur ce sujet depuis des années ? La technologie est quasiment aboutie et des véhicules autonomes circulent déjà en conditions réelles. Le train est déjà lancé.
63De plus, et peut-être davantage que celle de la technologie, c’est la question des smart cities qui est importante. Les gouvernements allemand et français ont déclaré que les smart cities étaient un bon sujet de coopération entre les deux pays et l’Europe va prochainement faire une proposition sur ce sujet. Mais aujourd’hui, on constate sur ce point une dispersion des efforts dans notre pays qui est fort regrettable, alors qu’il faudrait les concentrer sur quelques points majeurs pour construire des références et que les acteurs de l’industrie et des transports apprennent, à l’image de ce qu’a fait, en 2015, le département des Transports de l’administration Obama avec le Smart City Challenge. Nous en sommes malheureusement très loin.
64Int. : La question de la recharge des véhicules me paraît importante. Suppose-t-elle un maintien des parcs électronucléaires ?
65P. P. : La différence entre les consommations de jour et de nuit est d’environ 40 %, soit 15 gigawatts. Recharger 300 000 voitures, parc envisageable pour une ville comme Paris, durant 5 heures (à raison d’une heure chacune) à 50 kilowatts, puissance actuellement admissible par les batteries, représenterait 3 gigawatts. Tant que l’on n’atteint pas quelques millions de véhicules, les infrastructures actuelles suffiraient… à la condition indispensable de gérer réseau et recharges avec intelligence (smart grid). Néanmoins, il faut bien, en parallèle, prendre la dimension industrielle sous-jacente au déploiement de grandes flottes de robots-taxis.
66Int. : L’Europe met beaucoup d’argent dans la recherche sur les transports. Quelles devraient être les priorités selon vous ?
67P. P. : Ce qui me semble crucial, c’est le développement rapide des outils de simulation et de l’agent-base modelling. Il est important de pouvoir collecter, grâce aux téléphones mobiles, les données fines de mobilité et de pouvoir les exploiter. C’est ce que fait Urban Engine, rachetée par Google, en travaillant sur des millions d’agents. Le développement des couches supérieures d’intelligence artificielle pour la conduite autonome est également absolument critique.
Penser globalement la mobilité
68Christophe Deshayes : L’hypothèse de cette séance était que les nouvelles mobilités seraient les prochains grands enjeux du monde digital. La démonstration en est maintenant faite. Il est alors très clair que nous sommes confrontés à des difficultés de communication. Depuis sa création en 2015, Uber en est déjà à son troisième business model officiel. Faute de pouvoir en présenter un qui soit lisible, n’est-ce pas là une raison fondamentale pour laquelle les politiques ne parviennent pas à nous comprendre ? Ne manquons-nous pas aussi d’un lobbying efficace ? Le patron d’Uber ne se déplace jamais sans ses deux directeurs des affaires publiques, alors que le patron de Valeo, intervenant dans le cadre de ce séminaire [2], n’en a qu’un à temps partiel. À ce jeu-là, les Anglo-Saxons ne sont-ils pas, une fois encore, bien meilleurs que nous ?
69P. P. : La recommandation que j’ai faite à un dirigeant du monde de l’automobile est de créer des équipes business to territory. Il ne s’agit pas d’une force de vente particulière, mais de la réunion de gens capables de penser globalement la mobilité. Ces compétences sont soit à acquérir en interne, soit à obtenir par le biais d’alliances. Il s’agit, d’une part, de personnes qui en ont l’expérience ou qui sont issues des autorités organisatrices des transports et, d’autre part, d’ingénieurs capables de modéliser le réel, d’en simuler les transformations et de prédire ce qu’une conception va donner. Tant que l’on n’aura pas réuni ces deux dimensions, il ne sera réellement pas possible de convaincre des politiques du bienfondé d’un tel changement. Les lobbyistes viennent ensuite. Mais sans doute suis-je trop ingénieur et pas assez politique ! Les grandes villes étrangères que j’ai citées sont déjà très actives sur ce plan, car elles en ont compris très tôt les enjeux, les bénéfices et les difficultés.
70En France, les hauts fonctionnaires qui accompagnent les villes dans leurs choix sont plutôt des gens issus de Sciences Po que des ingénieurs. Durant les deux derniers siècles, ceux qui avaient pour responsabilité de développer les infrastructures de transport étaient massivement des ingénieurs. Les Scandinaves ou les Allemands, et les Chinois plus encore que tous les autres, ont su préserver le rôle des ingénieurs dans ces problématiques d’aménagement.
71C. D. : La G7, après avoir été – mal – gérée par Renault, puis plus encore par Simca, est devenue rentable lorsque Rousselet a pris son indépendance et créé un nouveau modèle d’organisation. Cela ne présage guère de la capacité des constructeurs à bien gérer ces nouvelles mobilités.
72P. P. : Lou Gerstner, le patron qui a changé IBM, a écrit : « Who says elephants can’t dance ? » Je ne sais si les Daimler, Volkswagen, Renault-Nissan-Mitsubishi, Toyota ou General Motors sauront un jour danser cette danse-là, mais je sais que, quand le feu menace la maison, ces grandes entreprises peuvent, parfois, trouver l’agilité et les ressources nécessaires pour “danser”. En revanche, je pense que les Google, Uber, Didi Chuxing, Baidu et consorts sont a priori mieux placés pour gagner, mais qu’ils vont devoir apprendre encore davantage du monde physique. Ils savent déjà faire des alliances – par exemple Waymo avec Avis, Lyft avec une compagnie d’assurance, Uber avec la ville de Boston – dans une démarche, peut-être de lobbying, mais surtout d’ingénierie concourante. En Europe, nous n’avons pas de grands joueurs comme eux, c’est pour cela que nous devons nous battre pour que ceux qui en ont les moyens puissent s’allier et entrer dans le jeu.
73Pascal Lefebvre