Notes
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Jon Evans, « After the end of the startup era », TechCrunch, 22 octobre 2017 (www.techcrunch.com).
1À l’heure de la révolution numérique, on pourrait penser que les problématiques industrielles traditionnelles ne comptent plus. Pourtant, le secteur des objets connectés rappelle l’importance d’une conception ingénieuse, d’une fabrication rigoureuse et d’une capacité à répondre à une demande en forte croissance à l’échelle mondiale. Serial entrepreneur et inventeur de la brosse à dents connectée Kolibree, Thomas Serval use de méthodes managériales digitales pour faire face à des enjeux profondément industriels.
2La transformation numérique, objet de votre séminaire, me passionne depuis toujours. Déjà il y a vingt ans, je consacrais ma thèse à l’économie de l’internet. En ces années 1990, les pouvoirs publics s’interrogeaient sur l’opportunité de laisser prospérer les entreprises commerciales dans le marché virtuel…
3Diplômé de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE) et de l’École normale supérieure, j’ai fait mes premières armes en créant la start-up Baracoda, devenue le leader mondial des lecteurs de codes-barres en Bluetooth – et ce, avant l’essor des objets connectés. Après avoir cédé cette entreprise au groupe Ingenico, j’ai assuré la direction de la stratégie et de l’innovation France pour Microsoft. Passant ensuite chez Google, j’ai pris la charge des nouvelles activités pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, et ai fait passer cette activité de 200 millions à 2 milliards de dollars en 2 ans. J’ai découvert à cette occasion Google X, sorte de “laboratoire positiviste” en quête de solutions susceptibles de transformer nos vies. Son directeur m’ayant proposé de le rejoindre, je lui ai expliqué que, plutôt que cette position subalterne, je préférais faire un Google X à Paris. Or, il ne croyait pas à l’innovation décentralisée…
L’internet des objets, un écosystème à inventer
4J’ai donc décidé de créer mon propre incubateur d’idées folles, en tirant parti des objets connectés et du big data. La France comptait des pionniers dans ces domaines et possédait les compétences industrielles et mathématiques nécessaires pour exister dans la compétition mondiale. Je me suis particulièrement intéressé aux secteurs de la banque et de l’assurance : des grandes compagnies comme BNP ou Axa étaient propices à me servir de piste d’envol.
5Au-delà, mon intention de combiner les objets connectés et l’assurance reposait sur une anticipation de modèle économique. Pour avoir vu s’effondrer des start-up, je savais que le succès de Google ou de Microsoft tenait, en définitive, à un taux de marge brute de l’ordre de 97 %, permettant de se remettre de toutes les erreurs possibles. Or l’innovation, par définition, demande d’essuyer beaucoup d’échecs. Encore faut-il pouvoir les absorber.
Qui financera l’internet des objets ?
6La croissance d’Internet a été financée par l’industrie des télécoms dans les années 1990, quand l’accès à la connexion était le nerf de la guerre, puis par la publicité à partir des années 2000. Ces marchés représentent respectivement 700 et 1 000 milliards de dollars. En d’autres termes, chaque nouvelle génération technologique a besoin de s’appuyer sur un secteur dont la surface financière est plus importante que la précédente. Demain, qui sera le sponsor de l’internet des objets ? Il y a fort à parier que l’assurance remplisse cet office. Ce marché a l’avantage de représenter 2 000 milliards de dollars, mais aussi de comporter des business models qui démontrent leur solidité.
Le retour du matériel
7Alors que la Silicon Valley prône une dématérialisation extrême, l’internet des objets réintroduit la dimension physique sous un nouveau jour. Google a, par exemple, réinternalisé la construction de sa voiture pour la réinventer. Le système de sous-traitance qui s’offrait à lui correspondait au modèle de production du moment – c’est-à-dire ancien –, alors qu’il avait besoin de réinventer une logique industrielle et de reprogrammer la chaîne de valeur. Il a eu besoin d’en concentrer tous les aspects en une seule main, et d’en reprendre la maîtrise. Apple avait d’ailleurs rencontré la même problématique avec l’iPhone.
8Fort de ce constat, j’ai décidé de créer un petit groupe industriel que l’on a renommé Baracoda (la marque ayant été rachetée à Ingenico). À la faveur d’acquisitions et d’une croissance organique, il compte aujourd’hui plus de cent soixante collaborateurs et couvre l’ensemble de la chaîne de valeur de la transformation numérique, depuis la conception et le design jusqu’à la logistique. Ce faisant, nous prenons le contre-pied de la théorie établie enjoignant de devenir expert dans un métier donné. Au contraire, nous sommes convaincus que pour transformer une industrie, il faut réunir une diversité de compétences sous une même égide. Notre groupe est ainsi présent dans le big data, les applications mobiles ou encore la conception d’objets connectés, via un bureau d’études dont j’ai fait l’acquisition et qui pratique ce métier depuis vingt ans. Ce dernier continue d’œuvrer pour de grandes multinationales, en marque blanche.
Une équipe disséminée dans le monde
9Nos collaborateurs sont répartis sur trois continents. Les équipes spécialisées en big data et en machine learning sont localisées en France, où l’on trouve les meilleures compétences dans ces domaines. Nos entités de production, en revanche, sont en Asie. J’avais expérimenté avec Baracoda un modèle où notre bureau d’études électronique et l’unité de fabrication étaient basés en France. Cependant, lorsque nous avons franchi l’étape des produits grand public, avec Orange pour premier client, celui-ci a jugé notre usine sous-traitante obsolète. Elle maîtrisait parfaitement la fabrication d’objets destinés au luxe ou à l’automobile, mais était dépassée en termes de volumes et de coûts pour les radios-réveils dont nous avions besoin. Il faut reconnaître que la chaîne de sous-traitance industrielle française s’est fortement appauvrie et spécialisée. À Singapour en revanche, nous avons pu obtenir des produits de bien meilleure qualité, réalisés trois fois plus vite et à un prix quatre fois moindre.
10Nous nous sommes dirigés vers la Chine dans un second temps. En matière d’électronique, la logistique – c’est-à-dire le transport des puces – est un élément de coût déterminant. Or, la ville de Shenzhen ne compte pas moins de cinquante mille sous-traitants électroniques. Y être présent permettait d’acquérir des puces à des prix compétitifs, mais aussi d’accéder à une large palette de sous-composants. Aussi avons-nous basé notre centre de R&D et d’achats électroniques à Hong-Kong, voisine de Shenzhen.
11Nous avons collaboré dix ans avec des sous- traitants chinois, non sans aléas. En effet, l’écosystème de Shenzhen était si efficace – la ville croît de 30 % par an – que les meilleurs prestataires finissaient par nous échapper, sous l’afflux des demandes, tandis que les moins performants disparaissaient brutalement. Nous ne pouvions garder de très bons partenaires chinois qu’à condition de croître à la même vitesse qu’eux. Il était difficile, dans ces conditions, de garder la maîtrise de notre destin.
12Nous avons alors découvert les Philippines, pays où la main-d’œuvre présente l’avantage d’être anglophone, formée à la qualité (essentiellement par des donneurs d’ordres japonais), fidélisée et marquée par une culture proscrivant la copie – à la différence de l’approche chinoise toute particulière de la propriété intellectuelle. Et ceci, pour un coût du travail inférieur de moitié à celui de la Chine…
13Nos équipes marketing sont, quant à elles, aux États-Unis, meilleure localisation pour faire du “buzz”. Pour espérer être entendu, mieux vaut annoncer au monde le lancement d’une brosse à dents connectée depuis Las Vegas que depuis Paris !
14Enfin, nous comptons un centre de développement en Pologne, piloté par des ingénieurs français d’origine polonaise.
15Voilà comment notre petit groupe s’est constitué. Nous avons fait de la brosse à dents connectée notre preuve de concept.
Pourquoi diable connecter une brosse à dents ?
16Comme tout père de famille, je demande chaque jour à mes enfants s’ils ont fait leurs devoirs et se sont bien brossé les dents. Réponse invariablement positive, souvent trompeuse. Et comme tout disciple de la Silicon Valley, je considère qu’il y a une application pour régler chaque problème – et pourquoi pas pour prévenir ma progéniture des caries ? Ma fille de 8 ans, grande adepte des jeux sur tablette, m’a expliqué combien il était ennuyeux de se brosser les dents. Pourquoi ne pas en faire une activité ludique, un jeu vidéo dont le joystick serait une brosse à dents connectée ?
17Possédant une bonne idée et un système industriel relativement organisé, nous avons rapidement annoncé le lancement de Kolibree (« la première brosse à dents qui vous dit si vous vous êtes bien brossé les dents ») au salon mondial de la high-tech, le CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas, en 2014. Notre petite entreprise, qui ne comptait alors que deux personnes, s’est vue décerner cinq prix, occasionnant pléthore d’articles et d’interviews dans les télévisions du monde entier. Nous avions senti la vague des objets connectés et étions au bon endroit, au bon moment.
18Le secteur des brosses à dents représente 9 milliards de dollars. Il est dominé par deux sociétés, Oral-B (Procter & Gamble) et Colgate. Chaque année sont vendues 3,6 milliards de pièces, dont environ un milliard par Colgate et un milliard par Oral-B. Sur ce marché de commodités très concentré, aucune innovation significative n’a vu le jour depuis la brosse à dents électrique dans les années 1950.
19Pour notre part, nous devions résoudre un problème technique infiniment complexe. Comment s’assurer que la bouche a été intégralement brossée ? Des capteurs de mouvement n’y suffisent pas : ils décèlent l’accélération du geste, mais pas sa position. Pour une raison de prix, nous devions utiliser des composants électroniques produits en masse. Or, ceux qui équipent les téléphones portables entraînent des erreurs de position de 30 mètres. Ils se recalent certes grâce au GPS, mais avec une précision qui reste insuffisante pour une dent de 1 centimètre. En physique mécanique, cette question qui mobilise la mécanique de la bouche et celle de la main est pratiquement insoluble. Il a fallu recourir à des séries temporelles, du machine learning et des technologies extrêmement pointues pour mettre au point une solution capable de détecter la position de la brosse au centimètre près, avec plus de 85 % de précision.
Ara, la brosse à dents intelligente
Ara, la brosse à dents intelligente
20Cette innovation nous a permis d’enjamber le simple marché du “balai-brosse”, de 9 milliards de dollars, pour atterrir dans celui de la santé et de l’hygiène bucco- dentaire, qui représente à lui seul 120 milliards de dollars aux États-Unis. La carie est la maladie la plus répandue au monde, touchant 30 à 40 % de la population, et près de la moitié des maladies bucco-dentaires pourraient être évitées par un brossage régulier. En passant d’une obligation de moyens (se brosser les dents) à une obligation de résultat (garantir un brossage efficace, facteur de prévention), nous investissions un marché de plusieurs centaines de milliards de dollars.
21Nous avons ensuite procédé par marketing inversé, en lançant un codéveloppement avec les mille premiers clients ayant acheté sur Kickstarter un engin qui était loin de son fonctionnement optimal. Il faut en effet savoir que les premières séries d’un produit industriel ne marchent jamais, même chez les meilleurs. Ces utilisateurs nous ont indiqué quelles fonctionnalités leur étaient utiles ou inutiles, comment leur expérience pouvait être améliorée.
22Mon intuition selon laquelle les enfants s’approprieraient la solution s’est avérée. Il est prouvé que leur assiduité à se brosser les dents augmente de 80 % dans un contexte ludique, ce qui réduit de 25 % le coût de leurs soins bucco-dentaires. Pour les adultes en revanche, aucune base scientifique solide ne permet de déterminer la durée et la fréquence optimales de l’exercice. Pour écouler leurs produits, les grandes marques ont créé des habitudes ayant pris force de préceptes.
23Grâce aux données d’usage que nous transmettaient tous nos engins connectés, nous avons constaté que les adultes abandonnaient leur brosse à dents après une dizaine de jours. En les interviewant, nous avons compris qu’ils étaient réticents à utiliser leur smartphone dans leur salle de bains, de peur de l’endommager. Autant dire que le principe même de notre solution était remis en cause : une brosse à dents “bête” envoyant des informations à un téléphone “intelligent”, diffusant lui-même des données dans le cloud. Se passer de téléphone impliquait de reconcevoir toute l’ingénierie pour placer l’intelligence au bon endroit, dans la brosse elle-même.
L’aventure de la fabrication
24Nous avons donc imaginé une nouvelle brosse à dents intelligente, appelée Ara. Restait à la fabriquer.
À la découverte de l’empoilage
25Inutile de préciser que nous ignorions tout de l’empoilage, cette technique consistant à insérer des poils dans du plastique, qui n’était plus pratiquée que par un fabricant en France dont l’usine était en déclin. C’est donc La Brosserie française, maison beauvaisienne fondée en 1846, qui a fait notre apprentissage. Il fut d’autant plus difficile de la dénicher que, lorsque nous avons entamé nos recherches, nous ne connaissions pas même le terme “empoileur”… Les géants comme Colgate ou Oral-B ont, pour leur part, internalisé ce savoir-faire.
26Pour constituer un réseau de sous-traitance efficace, nous aurions dû en toute logique trouver, à proximité de notre empoileur, des fabricants capables de réaliser des manches en plastique et des puces connectées. Les tests ont toutefois donné des résultats économiquement catastrophiques. La partie électronique est donc réalisée aux Philippines et la partie plastique qui n’entre pas en contact avec la bouche, en Chine. La France ne se charge que de l’embout buccal. Paradoxalement, le coût logistique d’intégration de cet ensemble est moins élevé que si la fabrication était confiée à un sous-traitant du Beauvaisis.
De l’impression 3D à la série industrielle
27En 2014, nous avons réalisé dix pièces à la main, en impression 3D. En 2015, ayant acquis un moule – très onéreux, demandant trois à quatre mois de fabrication – et conçu deux circuits électroniques, nous sommes passés à mille cinq cents pièces. Ce fut aussi l’occasion de découvrir les joies de la certification, barrière à l’entrée cachée de nos économies ouvertes. Les normes n’étant pas adaptées aux spécificités des objets connectés, y répondre est un véritable casse-tête pour les fabricants. Nous avons abouti l’année suivante au produit de la maturité, à treize mille exemplaires. Les problèmes de fabrication étaient peu ou prou résolus. Sur ce volume réduit, il était acceptable de supporter un taux de déchet légèrement inférieur à 1 %. Sur les cent vingt mille pièces que nous avons sorties en 2017, en revanche, ce taux serait devenu insoutenable. Aussi brillants fussent-ils, nos jeunes ingénieurs ont parfois peiné à intégrer les normes de qualité et les exigences de la production industrielle.
28Dans le cadre d’accords récemment conclus, nous devrions rentrer dans la cour des grands en 2020. Notre technologie sera alors intégrée à des articles fabriqués sous licence. En 2025, si l’on suit les courbes, des dizaines de millions de produits devraient être connectés à notre plateforme. Preuve du succès de notre modèle, Colgate a annoncé l’intégration de notre technologie dans la première brosse à dents vendue dans les Apple Stores. En tant qu’industriel, je me concentre donc sur ma substantifique moelle pour ne pas avoir à supporter les coûts en capitaux de la production. Je préfère vendre ma propriété intellectuelle plutôt que de construire des usines.
Dissection d’un objet connecté
29À s’émerveiller des prouesses de la connectivité, l’on en oublie qu’un bon produit connecté, c’est d’abord un bon matériel. Le jeune entrepreneur intrépide que j’étais ignorait totalement la complexité de cette dimension industrielle, qui nécessite l’accumulation de décennies de savoir-faire. C’est l’erreur qu’a commise Jawbone avec ses bracelets traceurs d’activité, conçus dans une logique de design plutôt qu’industrielle et en recourant exclusivement à la sous-traitance. Lorsqu’il a atteint cinquante millions de pièces, il a essuyé 80 % de déchet. Dans une industrie en transformation, le savoir-faire nécessaire pour réaliser un produit performant peut difficilement être sous-traité.
30La France est à la pointe en matière de design, et reconnue comme telle dans le monde. Elle possède une expertise mécanique, mais a perdu son savoir-faire industriel. C’est pourquoi nous avons envoyé des ingénieurs français à Hong Kong et à Shenzhen, où ils possèdent leurs propres usines et réalisent nos produits.
31Pour ce qui est des composants électroniques, le marché grand public est tiré par les téléphones portables, avec des cycles de vente de deux ans. Autant dire que si l’on met deux ans à concevoir un produit électronique, il est déjà obsolète lors de sa mise en marché. À cela s’ajoutent les délais de certification, d’où l’importance de la notion de plateforme : il est essentiel d’isoler la partie logicielle embarquée et de concevoir des architectures capables de survivre à l’obsolescence produit.
32Venons-en aux fameuses certifications, incontournables bien qu’elles contrecarrent largement les efforts d’optimisation. La certification est un système protectionniste visant à s’assurer qu’un produit est sûr et qu’il a le droit de pénétrer un marché. La seconde dimension l’emporte en réalité sur la première. Impossible, par exemple, de doter notre brosse à dents d’une prise électrique universelle, solution de notre invention dont même Apple s’était émerveillé. Le bureau Veritas l’a rejetée : les salles de bains françaises ne tolèrent que des prises entourées de plastique, tandis que le principe contraire s’impose aux États-Unis. Et n’imaginez pas proposer des embouts interchangeables ! Du reste, les normes de sécurité s’appliquant à un engin électrique exposé à l’eau et émettant un rayonnement n’ont pas été pensées pour un système aussi complexe que le nôtre. Nous négocions constamment avec le certificateur, qui ne peut s’appuyer sur aucun corpus définitif en la matière. Il faut en moyenne un an de travail pour obtenir une certification permettant de commercialiser un objet connecté dans le monde entier. Nous parvenons à réduire ce délai à six mois, au prix de combats incessants.
33Autre surprise apparue en cours d’exercice, nous n’avons pas pu comptabiliser nos applications mobiles en investissements figurant à l’actif de notre bilan : quand une dépense doit être répétée tous les six mois, elle devient une charge… Le rythme d’évolution des plateformes nous contraint en effet à sortir un nouveau système d’exploitation tous les six mois pour Android et tous les ans pour Apple, et par conséquent à reconcevoir notre application en permanence. Les serveurs qui gèrent les objets sont pour leur part très complexes, mais ont été grandement simplifiés par le cloud.
34En matière de logistique, la vente en ligne est le modèle de commercialisation traditionnel des objets connectés. Les clients ne sont pas enclins à acheter nos brosses à dents en supermarché ou en pharmacie, où aucun vendeur ne saurait leur en expliquer le fonctionnement. Il faut donc livrer directement le consommateur final. En la matière, le superpuissant Amazon s’impose presque comme une norme, s’octroyant au passage 30 % de la marge.
35Vient enfin le service après-vente. Plus un produit est complexe, plus il a de chances de dysfonctionner. Les entreprises l’oublient trop souvent, et ne se préparent pas à gérer ces problèmes. Des commentaires négatifs sur les réseaux sociaux entament leur image à jamais. Dans cette industrie, les mille premiers clients doivent être ravis.
Une redéfinition de la chaîne de valeur
36Parallèlement à Kolibree, nous avons créé pour des tiers une vingtaine d’objets connectés en quatre ans. Dans tous les cas, j’applique la règle empirique des “2 ans, 2 millions d’euros”. Telle est l’équation de la création d’un produit électronique. Elle valait déjà il y a quinze ans, mais selon des modalités différentes : le temps occupé par la conception était proportionnellement plus long, quand l’effort d’actualisation des applications a aujourd’hui pris le pas. Il se produit ainsi une redistribution de la chaîne de valeur dans laquelle priment tous les aspects touchant à l’expérience client.
37À quel maillon de cette chaîne est-il plus avantageux de se situer ? La réponse n’a rien d’évident. Vaut-il mieux être assureur ou plutôt vendeur de brosses à dents, de dentifrice ou de logiciels ? Chaque fois qu’un bien est confronté à la transformation digitale, il se produit une phase de reconcentration des métiers qu’il mobilise, permettant ensuite d’optimiser une nouvelle chaîne de valeur. Il est essentiel de prendre part à ce mouvement pour juger du meilleur positionnement à adopter.
38Je suis devenu un industriel de la brosse à dents, mais mon rôle est avant tout de concevoir des logiciels embarqués. Je ne fabrique ni le plastique ni les poils et ne m’occupe pas de logistique, autant d’activités consommatrices en capital et dont je ne suis pas expert. Surtout, la propriété industrielle que j’ai générée réside pour moitié dans la conception d’une méthodologie de fabrication et de machines qui construisent mes produits. C’est un aspect que l’on tend à omettre dans un monde que l’on croit dominé par le tout-logiciel. Il constitue pourtant la première barrière à l’entrée. Voilà pourquoi je possède encore une usine. De même, Nike fabrique la première série de ses nouveaux modèles dans sa propre unité de production, avant de passer à 99 % de sous-traitance. Pour être un acteur des objets connectés, je ne peux pas m’abstraire de la dimension physique, mécanique, de mes produits. Les logiciels de conception, aussi performants soient-ils, ne peuvent capturer ces aspects. La France doit à tout prix préserver des compétences dans ce domaine : la propriété intellectuelle se niche à des endroits inattendus.
Débat
S’inventer industriel
39Un intervenant : Vous qui veniez du monde numérique, qu’êtes-vous donc allé faire dans cette galère industrielle, vous obligeant à empoigner des problèmes aussi abscons que l’empoilage et la certification ?
40Thomas Serval : Il y a deux ans, je vous aurais répondu que c’était une folie. J’étais conscient que j’allais au-devant de difficultés, mais je n’imaginais pas à quel point elles seraient ardues.
41J’étais perçu chez Google comme un excellent vendeur, et par conséquent strictement cantonné à cette fonction. Qu’importe si je m’escrimais à vouloir développer en interne des objets connectés plutôt que d’acheter à l’extérieur les savoir-faire correspondants. Je restais étiqueté comme un vendeur, performant certes, mais interchangeable, incapable de changer la face du marché. Pour prouver ce dont j’étais capable, je devais le faire ailleurs.
42Ma génération a l’ambition de changer le monde. Je voulais faire la différence et être reconnu comme tel. Offrir des innovations technologiques au grand public, lui faciliter la vie, voilà mon moteur. Par le passé, j’avais inventé le premier poste permettant d’écouter la radio sur internet, vendu à plusieurs millions d’exemplaires. Mes associés et moi réunissons des compétences hardware et software ; notre universalisme d’ingénieurs français s’est enrichi de vingt ans d’expérience. Cet alliage est rare. Une centaine de personnes le possèdent dans le monde, parmi lesquels vingt Français. La Silicon Valley, elle, s’intéresse très peu au hardware.
43Ma dernière motivation est le regard de mes enfants. Maintenant que je fabrique des brosses à dents, ils comprennent enfin mon métier ! On trouve plus facilement sa place dans la société en ayant une contribution visible, matérielle. Tant mieux si cela contribue, de surcroît, à défendre l’excellence française.
44Int. : Après l’idéologie du tout-digital, à laquelle seul Apple a échappé, les acteurs qui sous-traitaient jusque-là semblent revenir vers le hardware. Un récent article de TechCrunch [1] annonçait ainsi la fin des start-up et redonnait l’avantage à l’intensité capitalistique. Partagez-vous cette orientation ?
45T. S. : Je ne dirais pas que je fais du hardware, mais que j’occupe une position dans la chaîne de valeur des objets physiques. Notre activité reste à 90 % logicielle. Nous nous concentrons désormais sur les puces électroniques, les algorithmes et les brevets, et délaissons tout aspect susceptible de devenir une commodité, n’ayant pas de barrière à l’entrée durable et dont la réalisation demande d’importants capitaux (la fabrication plastique et la logistique, par exemple). Notre valeur ajoutée dans le hardware tient donc à l’intelligence de nos ingénieurs.
46Nous expérimentons le modèle économique d’un industriel presque sans capital. Nous naviguons avec une coque de noix sur un océan. Une erreur de navigation et nous chavirons. C’est pourquoi je ne porte jamais plus d’un million d’euros de risque en capital. Si un projet nécessite une machine à 10 millions d’euros, je recours à un sous- traitant. Si j’entrais dans la course à l’intensité capitalistique, je serais sûr de perdre face à des Chinois pouvant s’endetter indéfiniment ou à des Américains ayant accès à des capitaux massifs.
47L’article de TechCrunch auquel vous faites référence affirme surtout que les entreprises tireront leur domination future de la data. L’accès à des milliards de données donne un avantage concurrentiel inestimable. En connectant nos objets, nous créons un écosystème où se répartit de façon nouvelle la chaîne de valeur non plus des brosses à dents, mais du marché bien plus vaste de la santé bucco-dentaire.
Une start-up face aux géants
48Int. : Oral-B a annoncé une brosse à dents connectée à la même époque que Kolibree. Qui a copié l’autre ?
49T. S. : C’est une histoire assez amusante. Mon idée m’est venue en janvier 2013, au CES de Las Vegas, face à une fourchette connectée qui faisait un immense buzz. J’en ai immédiatement embauché l’attachée de presse : il fallait être doué pour déclencher un tel “ramdam” autour d’un objet parfaitement inutile. À la différence d’un couvert de table, la brosse à dents me paraissait ouvrir un vrai business.
50J’ai déposé un brevet en mars 2013, puis recruté un directeur de projet en juillet 2013 après quatre castings infructueux. Je savais exactement quel profil je recherchais : un très bon ingénieur, ce que je ne suis pas et dont j’ai la chance d’être conscient. Puisque nous disposions d’une chaîne de sous-traitance, nous avons pu présenter notre invention en septembre 2013 à La Cantine, agora parisienne des start-up. Toutes ont prédit un échec, hormis le directeur marketing de Parrot. C’était un aiguillon pour renforcer la valeur ajoutée de notre produit. En novembre 2013, nous avions un prototype fonctionnel.
51En janvier 2014, nous lancions Kolibree au CES. Nous étions les premiers à y présenter une brosse à dents électrique connectée. L’écho fut considérable. Seule ombre au tableau, et à notre plus grand étonnement, nous nous sommes fait “challenger” par des représentants d’Oral-B, dont les avocats ont ausculté notre produit dans les moindres détails… J’avais pourtant mené une analyse très précise de la propriété intellectuelle de ce marché. Tout s’est expliqué le mois suivant, lorsqu’Oral-B a annoncé la “première” brosse à dents électrique connectée. Notre vigoureuse attachée de presse a convaincu le Wall Street Journal de rétablir la vérité. Nous sommes en avance techniquement et nous sommes plus agiles, mais Oral-B est une société extrêmement efficace pour vendre et promouvoir ses innovations.
52Ces différends nous ont fantastiquement profité. Les grandes marques ont validé le marché de la brosse à dents connectée et évangélisé les consommateurs, mais Kolibree est le seul à pouvoir démontrer sa valeur ajoutée. Nous seuls possédons l’algorithme qui localise le trajet de la brosse dans la bouche. Nos compétiteurs n’ont pas encore déployé assez d’exemplaires pour le reproduire. En définitive, la concurrence nous a crédibilisés. Désormais, nous sommes condamnés à innover toujours plus vite, pour maintenir notre avance. Ayant le plus important parc de brosses à dents connectées avec de l’intelligence artificielle embarquée, nous pouvons observer au plus près les usages et imaginer de nouvelles fonctionnalités.
53Int. : En vendant vos puces à des géants de la brosse à dents, saurez-vous garder votre avantage disruptif ou êtes-vous voués à devenir un sous-traitant ?
54T. S. : Dans tous les accords que je conclus, la donnée est codétenue avec mon partenaire. Jamais je n’accepte qu’un tiers intermédie l’accès aux data. Je garantis ainsi l’amélioration continue de mes algorithmes.
55Disposer des données clients permettra à des acteurs comme nous d’émerger dans deux types de business models, soit en B to C (nous pourrions par exemple vendre des jeux vidéo ou de l’assurance), soit en B to B (nous vendrions alors nos systèmes à des assureurs, qui les déploieraient pour faire baisser leur sinistralité). À la différence des géants de la brosse à dents, je sais quel discours tenir à un assureur.
56Dans tous les cas, il est essentiel de garder la main sur la donnée. Sur la base de nos cent trente mille appareils actifs et des cent mille que nous venons de distribuer gratuitement dans le monde, nous lançons une gigantesque étude clinique qui permettra enfin de savoir combien de temps il est recommandé de se brosser les dents, combien de fois par jour. Nous prouverons, le cas échéant, qu’une brosse à dents Kolibree divise par un certain facteur le risque de carie. Les dentistes nous feront confiance, les assureurs sponsoriseront notre produit, voire l’offriront à leurs clients.
57Les acteurs avec lesquels nous avons signé avaient besoin d’un partenaire solide. Ils constataient que je comprenais leur façon de penser, raisonnais en affaires d’une manière rationnelle et défendais bien mes intérêts. D’ailleurs, si nous nous sommes installés à New-York, c’est aussi pour que notre propriété industrielle soit gérée depuis les États-Unis, par des Américains. Nous sommes en effet convaincus que cela nous aide dans nos négociations et qu’une multinationale est moins encline à copier un fournisseur américain que français.
58Très souvent, les conditions initiales du contrat définissent la trajectoire du partenariat. Il ne faut être considéré ni comme un sous-traitant ni comme une agence. Dès qu’un partenaire essaie de nous faire entrer dans ces moules, je me rebiffe. Je suis extrêmement vigilant à l’hygiène de la relation. Les grandes compagnies épuisent souvent des petites entreprises comme la nôtre par leur incapacité à prendre des décisions rapides. Fort heureusement, j’ai noué un accord avec un acteur conscient d’avoir besoin d’un véritable partenaire digital. Il nous a choisis en grande partie pour notre caractère familial (nous n’avons pas d’actionnaire tiers), ainsi que pour notre stratégie inscrite dans la durée et misant sur les hommes avant la technologie. Pour autant, je lutte quotidiennement pour préserver l’esprit du partenariat.
59Int. : Kolibree pourrait-il nouer un partenariat avec une mutuelle de santé, misant sur les économies induites par une meilleure santé bucco-dentaire des assurés ?
60T. S. : Les mutuelles sont nos principaux clients stratégiques. Nos premiers clients en volume sont des assureurs. La révolution de l’Insurtech est d’ailleurs tirée par l’Asie, où les régulateurs incitent à aller de l’avant. En ce moment, la Chine découvre l’assurance santé at scale et il est probable que les premières assurances santé intégreront nativement des objets connectés. Le risque dentaire est un des plus importants et nous voulons être aux premières loges pour bénéficier de cette dynamique.
61Avec les mutuelles françaises, en revanche, l’un des freins au partenariat est temporel : le temps de la mesure actuarielle est de trois ans, quand les objets connectés ont une durée de vie de deux ans. Du reste, les soins bucco-dentaires ne coûtent pas assez cher à nos mutuelles pour qu’elles investissent massivement dans le domaine. Aux États-Unis, où le seul fait de passer la porte d’un dentiste coûte 500 dollars, l’enjeu n’est pas le même ! Enfin, l’Ordre des dentistes français interdit formellement la vente de tout produit par les praticiens. Ils seraient pourtant le meilleur vecteur pour expliquer le rôle préventif de la brosse à dents connectée.
62L’hygiène bucco-dentaire est en effet intimement corrélée à la santé globale. L’avantage est que le coût des soins dentaires peut être facilement isolé. Cela facilite les études d’impact, tandis qu’il est plus difficile à un fabricant de pèse- personnes connectés de démontrer son impact sur le coût de prise en charge du risque cardiovasculaire. Je n’ai donc pas choisi ce domaine par hasard ! Et la brosse à dents n’étant pas un dispositif médical, je ne suis pas soumis à des cycles d’innovation de cinq ans sous l’effet des certifications, mais de trois ou six mois. Nous nous sommes rapprochés le plus possible du médical, en gardant la temporalité de l’électronique.
Quand l’entreprise doit passionner ses salariés
63Int. : Comment avez-vous adapté votre management à la croissance rapide et internationale de votre équipe ?
64T. S. : Nous n’existions pas en 2013, étions quarante en 2015 et cent vingt en 2016. Déjà chez Google, j’avais embauché deux cents personnes en deux ans. Le cœur de ma fonction est, en fait, les ressources humaines. Je vois Kolibree comme la construction d’une cathédrale humaine avec pour piliers des compétences exceptionnelles. De fait, nos clients ou partenaires nous sollicitent davantage pour la qualité de nos collaborateurs que pour nos produits. On trouve en France de très bons profils, hormis leur maîtrise insuffisante de l’anglais. Mais je ne recrute pas assez vite au regard de mes besoins. Il nous manque vingt salariés depuis dix-huit mois.
65À l’inverse, les réorientations stratégiques imposent parfois d’importants remaniements. Lorsque Kolibree a pris le virage du B to C au B to B, quinze de nos vingt salariés sont partis en trois mois, d’un commun accord : nous ne partagions plus la même vision.
66La nouvelle génération, ultra-connectée, vit de façon naturelle dans une interface virtuelle. Le fait que nos équipes soient disséminées sur trois continents ne lui pose aucune difficulté. Elle baigne dans un univers international, constamment en réseau avec le reste du monde : notre agence de presse en Israël, nos sous-traitants aux Philippines, au Vietnam ou en Inde… Ces jeunes ingénieurs s’adonnent à un travail tant qu’il est “cool”. Le jour où ils n’y trouvent plus de plaisir, ils partent. Je dois leur trouver constamment des sujets intéressants. La croissance nourrit pour le moment l’excitation, mais la question se posera sous un autre jour lorsque nous adopterons une vitesse de croisière.
67Notre organisation est horizontale. Mes collaborateurs étant très performants, ils sont aussi extrêmement exigeants, y compris les uns envers les autres. Quand ils jugent un collègue insuffisant, ils le mettent rapidement sur le banc de touche et lui font quitter l’aventure. C’est une violence que j’essaie d’atténuer avec mes jeunes managers.
68J’ignore si notre organisation restera opérante dans cinq ans, quand nous aurons dépassé un cap de croissance. Probablement devrons-nous réinventer un modèle humain. Nous lançons un produit dans quelques mois. Deux de mes associés sont partis aux Philippines pour superviser la chaîne de fabrication. Dans quelques années, leur vie familiale ne leur offrira peut-être pas une telle mobilité.
69Int. : Comment créer une affectio societatis dans une organisation aussi éclatée ? Avez-vous institué des rites à cet effet ?
70T. S. : Nous avons institué des rites (goûters, soirées, petits-déjeuners du lundi) quand nous avons passé le seuil des cent salariés, en 2017. Nous avons pris conscience que notre équipe philippine avait grossi presque sans que nous nous en rendions compte. Les meilleurs ingénieurs philippins viennent travailler trois ou six mois en France avec leurs collègues, et nous favorisons le départ d’ingénieurs français aux Philippines. En France, nous avons aussi besoin d’accompagner certains collaborateurs vers de nouvelles responsabilités et des fonctions de management.
De la brosse à dents à la salle de bains connectée
71Int. : Compte tenu du savoir-faire que vous avez accumulé, depuis le design jusqu’au service après-vente, envisagez-vous de lancer d’autres objets connectés médicaux ?
72T. S. : Kolibree représente aujourd’hui la majorité de mon activité, mais moins de 25 % de celle du groupe Baracoda. Le reste est consacré à des projets pour des tiers. À ce titre, nous fabriquons de nombreux dispositifs médicaux connectés. Dans la plupart des cas, la difficulté est d’entrer dans une industrie où nous n’avons pas d’accès au marché. La longue aventure qu’il m’a fallu vivre pour comprendre la logique de la brosse à dents connectée paraît drôle avec le recul, mais elle était douloureuse il y a deux ans quand je ne pouvais pas payer mes fournisseurs et n’arrivais pas à satisfaire mes commandes. Nous avons failli disparaître la première année, car, sur quarante mille pièces commandées, nous n’étions capables d’en fabriquer que mille. Je ne souhaite pas prendre un tel risque dans trop de domaines, surtout lorsque l’accès aux clients est ardu. Je préfère dans certains cas concevoir en codéveloppement avec d’autres sociétés – d’assurance notamment – des objets connectés répondant à une problématique qu’elles ont identifiée. Nous avons par exemple inventé une alarme qui repère si la vie d’une personne âgée suit normalement son cours dans un appartement, et prévient un aidant dans le cas contraire.
73Les sollicitations dont nous avons fait l’objet me permettent de dire que demain, une vingtaine d’objets connectés trôneront dans les salles de bains : distributeurs de parfum et de crème, douches, balances… Les clients aspireront à ce que tous ces dispositifs soient interconnectés, même s’ils sont de marques différentes. Il y a là un vivier de solutions de prévention, sujet qui intéresse les assureurs au plus haut point. Car, quel endroit est plus naturel qu’une salle de bains pour capturer des signaux biométriques de façon simple et peu invasive ? Nous lançons un système d’exploitation CareOS qui permettra d’y répondre, tout en garantissant une sécurité absolue des données privées. Nous serons d’autant plus légitimes pour le porter que nous aurons à notre actif plusieurs millions de brosses à dents connectées.
74Sophie Jacolin
Notes
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[1]
Jon Evans, « After the end of the startup era », TechCrunch, 22 octobre 2017 (www.techcrunch.com).