Notes
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[1]
Cf. « Connexions et relations », page Idées du Journal de l’École de Paris du management n°120, juillet / août 2016.
1Les spectaculaires innovations dont rend compte le présent numéro posent la question de l’avenir de notre civilisation alimentée par l’accumulation de telles victoires de l’intelligence humaine. Cela nous laisse-t-il espérer le paradis terrestre que nous annonçaient les penseurs des Lumières, dont le credo peut se schématiser par la chaîne suivante : la raison permet la science, qui permet la technique, qui permet l’industrie, qui permet la prospérité, qui permet le bonheur ? On a bien des raisons de douter de la solidité des liens de causalité postulés par cette formule, ne serait-ce que par la constatation que les siècles récents ont été les plus meurtriers de l’Histoire, mais d’autres questions se posent, comme le montre l’historiette suivante.
2Une start-up a mis au point la machine à café qui commande toute seule les capsules qui vont manquer. Avant l’arrivée de cette merveille, la suite d’événements ci-après pouvait prendre place : le fils disait à son père, « J’ai pris la dernière capsule » ; le père disait alors à la mère, « On va manquer de capsules » ; la mère écrivait sur la liste des prochaines courses, « capsules », etc. Avec l’arrivée de cette innovation, ces quelques échanges disparaissent. Le progrès consiste dans le fait que la menue charge mentale que ces propos et gestes imposaient aux protagonistes est remplacée par un automate. Une connexion a remplacé des relations [1].
3Pour faire quoi ? Le plus probable est que chacun va employer le temps libéré devant un écran, mettant provisoirement fin à ces échanges intimes. À vrai dire, ce n’est pas sûr, car les connexions autorisent des dialogues avec des interlocuteurs lointains, qui favorisent des relations orales et visuelles naguère impossibles. Beaucoup de grands-parents apprécient vivement. Mais à voir le temps que les usagers de tous âges passent dans la contemplation des écrans sans dialoguer ou peu s’en faut, ces effets bienfaisants n’apparaissent pas majoritaires. Ainsi, en élargissant le champ sur les effets de l’innovation en cause, on est conduit à se demander si le bilan global est toujours positif. Quels que soient les progrès à venir dans les connexions, rien ne remplacera jamais les contacts charnels, tels que le nourrisson tétant sa mère, la joyeuse étreinte des amants, ni une main posée sur celle d’un vieillard. En matière commerciale, les contacts physiques reculeront aussi à mesure que les achats se feront à l’écran et les livraisons à domicile (même le livreur peut disparaître au profit de drones), au point que des personnes et leurs rencontres seront chassées par des dispositifs sans âmes dûment programmés, comme les opérateurs de l’industrie par des robots avec le chômage qu’ils induisent.
4La question se posait tout autrement lorsque la condition humaine était dominée par les pénuries. Lorsqu’il s’agissait de nourrir ceux qui ont faim, tout ce qui augmentait l’efficacité du travail était bienvenu. Aujourd’hui, ce n’est plus la production qui manque, c’est l’emploi. La plus grande source de souffrance n’est plus la pauvreté, mais la solitude. Donc, les innovations qui facilitent les connexions peuvent avoir pour conséquence d’aggraver les solitudes. D’où le titre retenu pour la présente page.
5Pourquoi « Rien de nouveau sous le soleil ? » Cette formule figure dans le livre biblique de l’Ecclésiaste, qui commence par « Vanité des vanités… ». Ce qui a conduit à conserver ce message nihiliste dans le canon biblique c’est l’avant-dernier verset qui énonce (je traduis librement) : « Fin des discours, j’ai tout entendu, crains Dieu et obéis à ses commandements, car c’est là le tout de la condition humaine. »
6En quoi consistent les commandements divins ? Pour l’essentiel, dans toutes les lectures des religions bibliques, dans les devoirs de chacun vis-à-vis de son prochain. Les produits de la raison peuvent y contribuer, mais les vraies nouveautés que l’homme ressent avec bonheur sont celles qui accroissent son capital d’amour. La lumière du soleil n’y suffit pas, sauf exception.
Notes
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[1]
Cf. « Connexions et relations », page Idées du Journal de l’École de Paris du management n°120, juillet / août 2016.