1Autolib’ est un succès technique et opérationnel, et aussi commercial. Après Lyon et Bordeaux, Indianapolis et d’autres villes de par le monde sont séduites. C’est aussi une aventure un peu folle d’entrepreneurs : Vincent Bolloré qui emmène son groupe familial sur les voies de l’innovation technologique et du développement durable ; Polyconseil, petite société spécialisée dans les technologies des télécommunications et de la conduite de projets audacieux, qui a pu montrer sa capacité à réaliser l’impossible.
2L’aventure Autolib’, c’est une aventure un peu folle d’entrepreneurs. Une aventure initiée par Vincent Bolloré, qui a lancé son projet de batterie électrique il y a une quinzaine d’année et qui a vu dans l’appel d’offres lancé par le Syndicat Mixte Autolib’ (SMA), association de communes de la région parisienne, l’opportunité de démontrer la performance de sa batterie à grande échelle. Une fois gagné cet appel d’offres, il fallait en particulier relever le défi de la réalisation informatique de ce projet, et cela dans un délai extrêmement court : l’engagement était une réalisation en moins de 12 mois. Ce défi impossible, c’est une petite société nommée Polyconseil, dont nous avons lancé l’activité en 2001 avec mes associés et qui avait été très récemment intégrée au groupe Bolloré, qui l’a relevé.
Le lancement d’Autolib’
3Le service Autolib’ a été lancé en “bétatest” dans Paris intra‑muros, le 2 octobre 2011, avec 66 véhicules et 33 stations, et ce neuf mois après que nous sommes entrés dans le projet, à la demande de Vincent Bolloré. Au jour du lancement de ce bétatest, le service était encore imparfait, mais c’était la naissance de ce qui est encore le plus gros service urbain d’autopartage de véhicules électriques dans le monde permettant de prendre un véhicule en un point A et de le déposer en un point B. Les autres expériences d’autopartage ne concernent généralement pas des véhicules électriques et imposent le plus souvent à l’utilisateur le retour de la voiture à l’endroit où il l’a prise.
4Autolib’ dessert 66 communes dans la région parisienne et ce nombre devrait encore augmenter en 2015. Autolib’ c’est aussi des équipes de terrain, plus de 200 “ambassadeurs” et un parc de trois mille voitures. Ce parc devrait atteindre 3 500 véhicules en 2015 pour répondre à l’augmentation rapide de la demande (+ 2 % par semaine en moyenne). Nos véhicules ont couvert 80 millions de kilomètres en 8 millions de locations ; nous proposons 900 stations d’accueil, dont 500 dans Paris intra-muros, et 5 000 bornes de recharge, soit plus de la moitié de toutes les bornes de recharge électrique en France. Chacune étant associée à une place de stationnement, cela représente un linéaire d’une quinzaine de kilomètres qu’il a fallu obtenir auprès des élus de la région parisienne.
5Nous réalisons en moyenne 15 000 locations par jour, chaque voiture étant louée six fois en moyenne chaque jour, ce qui a tendance à améliorer la disponibilité visible par l’utilisateur potentiel. Nous avons 70 bornes d’abonnement. Depuis le lancement, plus de 205 000 personnes se sont abonnées à l’une des offres proposées. Aujourd’hui, nous comptons plus de 72 000 abonnés Premium, engagés sur une durée d’un an. Les études nous montrent que le marché potentiel est encore très loin d’être saturé à Paris.
6Au final, Autolib’ se révèle donc être un succès commercial, en ligne avec le business plan d’origine. L’équilibre financier prévoyant 80 000 abonnés Premium sera atteint début 2015. Ce service est en train de prouver sa viabilité et peut être déployé dans d’autres villes en France et dans le monde. Après Lyon et Bordeaux où le service a été ouvert en 2014, nous préparons l’ouverture du service à Indianapolis, aux États-Unis, au milieu de l’année 2015. Nous devrions également le déployer dans une ville en Asie, probablement Singapour, et de nombreuses grandes capitales nous ont rencontrés pour voir quel intérêt pourrait avoir chez elles ce service.
Lancement des Autolib’ à Paris le 5 décembre 2011
Lancement des Autolib’ à Paris le 5 décembre 2011
Les abonnés
7Les abonnés Premium, abonnés à l’année, sont majoritairement des hommes, mais nous évoluons vers une répartition plus équilibrée, plutôt jeunes, habitant Paris intra-muros. Nombre d’entre eux ont abandonné leur véhicule principal ou secondaire et cela représente plusieurs milliers de véhicules qui n’ont pas été achetés ou qui ont été revendus : le nombre de véhicules que nous avons ajoutés dans Paris est donc très largement compensé par celui de véhicules qui en ont été retirés.
8L’utilisation du service est simple : il est possible de s’abonner via son ordinateur, son smartphone ou une borne d’abonnement dans la rue. De la même façon, on peut communiquer ses pièces justificatives, réserver trente minutes à l’avance une voiture ou une place de stationnement. Quand on a ses documents avec soi, la procédure d’abonnement dure cinq à sept minutes et la prise de location est immédiate.
9Bien que nous n’ayons à ce jour que trois mille voitures, la complexité technique et informatique, importante, réside dans le fait qu’Autolib’ est un véritable opérateur de service de transport. Il nous faut gérer : des clients dans la rue ; des véhicules qui possèdent leur propre électronique embarquée des bornes, qui ont un fonctionnement technique qu’il faut maintenir ; des équipes de terrain qui accompagnent les utilisateurs et des téléconseillers. Cette forte complexité est assez comparable, toute proportion gardée, à celle d’un opérateur de transport comme la SNCF.
Un métier qui n’existait pas
10Nous avons eu très peu de temps pour mettre tout ceci en place : courant 2010, nous avons accompagné Vincent Bolloré dans sa réponse à l’appel d’offres lancé par le Syndicat Mixte Autolib’ regroupant à l’époque une quarantaine de communes dont Paris ; le groupe Bolloré, seul opérateur industriel face à des regroupements d’acteurs, l’a remporté courant novembre de la même année. Le 1er février 2011, Vincent Bolloré confiait le mandat de l’informatique du projet au cabinet Polyconseil. J’ai immédiatement constitué une petite équipe projet de cinq personnes. Le 1er mars, nous avions rédigé le parcours client et nous démarrions les développements informatiques avec quelques programmeurs ; le 15 mai, nous lancions les appels d’offres concernant les infrastructures télécoms, réseaux et systèmes informatiques ; le 15 juin, le premier proof of concept (POC) sur terrain privé démontrait la fiabilité de la communication entre une voiture et une borne, et nous permettait de démontrer la réalisation d’une première location de véhicule ; le 2 octobre voyait le pré-lancement du service avec trente-trois stations et soixante-six voitures et, le 5 décembre, le maire de Paris inaugurait le service dans les rues de la capitale avec deux cent cinquante stations et autant de voitures. Les consultants de Polyconseil étaient épuisés, certains ont même pleuré de fatigue et de joie le jour du lancement. En dix mois de sprint très éprouvant, tout avait été bouclé.
11Polyconseil a assumé la responsabilité du projet dans son ensemble, avec le développement du système informatique, celui des infrastructures de télécommunication et le montage du centre opérationnel, avec l’ensemble de ses systèmes et sa téléphonie. Nous avons également eu à gérer les interconnexions des différents systèmes techniques avec les bornes d’abonnement, de location ou de charge, et avec les véhicules et leurs systèmes électroniques internes. Nous avons également dû mettre en place le système de communication entre les différents “ambassadeurs terrain” et le centre opérationnel qui définit leurs tâches et avec qui ils sont en lien permanent, ainsi que tout ce qui relève des paiements, des assurances et de la gestion des ressources humaines.
12La réalisation des bornes a été confiée à la société IER, leader des bornes qui délivrent les billets dans les gares ou les aéroports ainsi que des portiques de sécurité. Nous sommes interconnectés avec cette société puisque les bornes sont commandées par notre système central. La société Blue Solutions, qui travaille depuis quinze ans sur la batterie du groupe Bolloré, a été en charge de la voiture elle-même. Ces sociétés qui ne se connaissaient guère avant Autolib’ se sont désormais notablement rapprochées au sein de Blue Solutions, le grand projet de Vincent Bolloré.
13Nous avons donc élaboré l’architecture de ces interconnexions, mais ce qui a nécessité le plus d’investissements humains et de matière grise a été la conception du logiciel central. Avec Autolib’, un nouveau métier est né et il nous a fallu développer ex nihilo un système capable de le gérer. Lorsque nous avons lancé ce service, fin 2011, une quinzaine de développeurs y avaient travaillé pendant dix mois. Aujourd’hui, le système est environ vingt fois plus gros parce que nous avons changé d’échelle entre ce qui était juste indispensable pour démarrer le service, et ce qui est aujourd’hui nécessaire pour l’opérer, avec toute sa maintenance, la gestion de ses équipes, l’équilibrage de sa flotte et la modélisation de ses offres, comparables dans leur diversité à celles d’un opérateur de télécommunication. C’est là où réside l’intelligence de l’ensemble : il est possible de changer les bornes, les gens ou les véhicules, mais ce logiciel central est le pivot de la structure. Il faudrait donc fournir entre cent cinquante et deux cents années/homme de travail pour qui voudrait repartir de zéro avant de parvenir à un résultat similaire.
14Partie de un, le premier jour, puis passée à cinq membres la deuxième semaine, l’équipe s’est progressivement structurée jusqu’à ressembler désormais à ce qu’est l’équipe technique d’une grosse entreprise, tout en restant agile. Entre IER et Polyconseil, dont les équipes techniques ont désormais fusionné et dont j’assume la direction conjointe, ce sont aujourd’hui deux cent personnes qui continuent à travailler pour améliorer le service, mais qui se consacrent également au développement des nouveaux projets, en particulier dans les prochaines villes comme Indianapolis.
L’entrepreneuriat dans les tripes
15J’ai commencé ma carrière chez le régulateur des télécommunications, l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), avant de rapidement me dire qu’il serait beaucoup plus intéressant de passer du côté des créateurs d’entreprise. Entre 1996 et 2000, cent cinquante nouveaux opérateurs de télécommunication se sont créés en France et j’ai donc voulu tenter ma chance moi aussi. J’ai alors cofondé le premier opérateur ADSL français, deux ans avant que Free ne se lance dans l’ADSL, et, à cette époque, avec nos dix mille clients, nous en avions deux fois plus qu’Orange ! En 2001, les financiers qui nous accompagnaient se sont mis à penser que l’ADSL n’avait plus d’avenir et nous ont coupé les crédits ainsi qu’à tous nos concurrents. C’était l’éclatement de la bulle Internet. Aux États-Unis, le groupe Covad, comparable à nous dans son projet et qui valait trente milliards de dollars en Bourse, s’est ainsi trouvé ne plus rien valoir en quelques jours et a dû revendre, à la casse, ses infrastructures ADSL à des opérateurs qui, aujourd’hui, les opèrent avec succès…
16Nous avons donc fermé les portes de cette première société en 2001 et je me suis retrouvé au chômage. Avec celui qui allait devenir mon associé, Marc Taieb, nous avons vu passer un e-mail de l’Arcep qui cherchait des gens capables d’analyser la qualité des réseaux mobiles en France. Dès le lendemain, nous envoyions un courrier à tous les conseils généraux du pays en nous présentant comme les spécialistes de la méthode préconisée par l’Arcep. Quelques jours plus tard, nous recevions les premières demandes d’intervention : pendant trois semaines, cela a été le branle-bas de combat et, avec mon frère, Aurélien Géron, que j’avais fait revenir en urgence du Canada pour l’occasion, nous avons monté ce système. À la fin du mois, Polyconseil finissait sa première analyse de réseau pour le département de l’Orne. Ont ensuite suivi la moitié des départements français qui, chacun, nous ont acheté cette prestation. Vers la fin nous avions dix-huit concurrents mais l’avance prise dans les références nous garantissait encore un sérieux avantage.
17Dans la foulée, toujours avec Marc Taieb et Aurélien Géron, nous avons créé une seconde entreprise, Wifirst, qui propose de l’accès Internet wifi à haut débit. Wifirst a équipé à peu près tous les CROUS (Centres nationaux des œuvres universitaires et scolaires) de France et s’est ainsi spécialisé dans le déploiement et la gestion de réseaux dans les résidences étudiantes. Elle équipe également tous les économats des Armées et une partie des hôtels Accor. Ces deux sociétés, Polyconseil et Wifirst, sont ensuite entrées progressivement dans le groupe Bolloré. Entre 2003 et 2005, j’ai accompagné Renaud Dutreil dans le gouvernement Raffarin pour contribuer à la rédaction d’une loi sur la création d’entreprise. Mais, en 2005, Polyconseil n’employait qu’une quinzaine de personnes et Wifirst était encore une activité de faible ampleur, le développement de telles activités étant très lent dans leur phase initiale.
Polyconseil et Bolloré
18À cette époque, Vincent Bolloré a commencé à s’intéresser au secteur des télécommunications ainsi qu’aux licences Wimax qui venaient d’être mises sur le marché et il a cherché un cabinet conseil susceptible de l’aider à les obtenir. Il a fait appel à nous. Nous avons gagné pour lui ces licences et il a alors souhaité entrer à notre capital. Pour Wifirst, activité d’infrastructure, avoir à ses côtés un tel financier a été une aide énorme pour son développement et la société a pris son envol pour devenir le leader incontestable de son domaine, avec plus de points de présence en France que SFR ou Orange, leurs boxes mises à part. Polyconseil, de son côté, a continué à servir, de façon significative d’autres clients que le groupe Bolloré, comme la SNCF, avec l’installation du wifi dans les rames du TGV-Est, ou la Banque mondiale qui nous a confié l’analyse stratégique des possibilités de câblage sous-marin dans l’océan Pacifique, rapport qui fait aujourd’hui référence dans cette région du monde. Nous avons dirigé un projet de câble entre la Nouvelle-Calédonie et l’Australie, un autre entre Tonga et Fidji. Un câble entre Samoa et Fidji est actuellement en cours de mise en place. Ces activités de conseil restaient très éloignées de celles du groupe Bolloré et ce n’est qu’en 2011, se demandant qui allait porter l’informatique du projet Autolib’, que Vincent Bolloré s’est souvenu de nous et nous l’a confié.
19Les valeurs de Polyconseil sont des valeurs d’entrepreneurs, et ceux que nous recrutons doivent avoir l’entrepreneuriat dans le sang. Quiconque nous dit que son avenir est de créer une entreprise est donc quasiment aussitôt embauché ! Bien que le nom de Polyconseil n’ait rien à voir avec l’École polytechnique, dans les faits, une part substantielle de nos salariés sont issus de l’X, à commencer par Marc Taieb et moi-même, ce qui donne à l’entreprise une culture également très “ingénieur” et très “commando”. C’est cet esprit qui a été au centre de la réussite d’Autolib’. La croissance de Polyconseil est assez régulière, de l’ordre de 25 à 30 % par an depuis huit ans et, aujourd’hui, le cabinet compte une centaine de personnes auxquelles s’adjoignent les équipes d’IER.
20Ces expériences et le profil des consultants nous ont amenés à la conclusion que nous avions désormais la capacité de porter des projets depuis leur cadrage stratégique, en amont, jusqu’à leur mise en œuvre finale. Aujourd’hui, notre offre de valeur répond donc à cette capacité de mener de bout en bout les projets que l’on nous confie. Après Autolib’, nous sommes devenus très crédibles et plusieurs acteurs du monde industriel ont déjà fait appel à nous, notamment dans le domaine automobile.
Le parcours client d’Autolib’
21Le parcours client d’Autolib’ est assez composite puisqu’il comprend l’abonnement, la réservation, la prise de véhicule, l’ordinateur embarqué, l’expérience que le client vit dans la voiture, sa liaison avec le centre opérationnel et, enfin, le système financier.
22Il existe, dans Paris, 70 bornes d’abonnement, dont le choix de l’emplacement a été réalisé sous le contrôle des Monuments de France. Mais les clients peuvent également s’abonner depuis le site web ou depuis leur smartphone. Il s’agit d’une expérience multicanal, ce qui signifie que l’on peut démarrer la procédure d’abonnement par n’importe lequel de ces moyens et la poursuivre par n’importe quel autre. L’espace abonnement est un équipement hautement technologique dont la grande originalité est de vous permettre de prendre votre abonnement en visioconférence avec le centre opérationnel. C’est, dans le monde, la première expérience de visioconférence dans la rue, ce qui nous a valu quelques difficultés avec le Groupement des Cartes Bancaires pour lequel prendre un abonnement depuis un espace public n’est pas quelque chose de standard. Ce que nous faisons a donc fait l’objet d’une expérimentation, depuis lors validée et désormais potentiellement ouverte à d’autres.
23Sur un écran tactile, vous entrez les informations qui vous sont demandées ; vous êtes ensuite photographié et un scanner permet de numériser sur place vos documents ; une imprimante vous délivre enfin un badge RFID (Radio Frequency IDentification) souple d’accès au véhicule. J’ai personnellement réussi à accomplir toute la procédure en quatre minutes, mais cela ne prend guère plus de sept minutes au client type. Cela constitue une véritable performance technique et une grande partie de nos abonnements continue à être prise de cette manière, le contact visuel étant donc très utile pour le développement commercial du service. Le site web ressemble à tous les sites d’abonnement et l’application, quant à elle, autorise la prise d’abonnement quasi complète à ceci près qu’elle ne permet évidemment pas de délivrer le badge, celui-ci vous étant envoyé par La Poste dans les quarante-huit heures. Il vous est également possible de vous rendre dans une borne d’abonnement pour cette dernière étape. Nous réalisons la moitié de nos abonnements dans ces bornes, le restant étant réalisé sur Internet avec, pour un tiers de ces cas, une finalisation en borne, et, pour un autre tiers, une réception de la carte à domicile. Le solde est constitué de demandes qui ne sont pas finalisées ce qui représente une déperdition certaine que nous nous efforçons de réduire. Au final, le choix d’avoir réalisé le gros investissement que constituent ces bornes d’abonnement et leur implantation dans les rues de Paris, nous paraît avoir été commercialement judicieux.
24Pour prendre un véhicule, il suffit ensuite de présenter son badge sur une borne de location. Celle-ci vous pose un certain nombre de questions préalables, par exemple sur votre prise éventuelle d’alcool ou de stupéfiants et, en cas de réponse satisfaisante, vous dit de prendre tel véhicule à telle borne de charge. La borne de location peut paraître d’une taille disproportionnée mais plus de la moitié de son volume est occupée par l’appareillage électrique qui alimente les bornes de charge. Pour les prochaines villes, nous préparons une version radicalement différente, ces équipements électriques étant discrètement implantés ailleurs, l’interaction se passant alors sur la borne de charge elle-même. Nous simplifions également d’autres fonctionnalités afin d’améliorer le système.
25Le client peut réserver gratuitement sa voiture et sa place. Cette réservation se fait depuis l’application IPhone ou Android : il suffit de cliquer sur le bouton indiquant un véhicule libre et, cinq secondes plus tard, celui-ci vous est réservé pendant les 30 minutes qui suivent. Il en va de même pour la place de restitution. Nous travaillons, sur une prochaine version afin que vous n’ayez plus qu’à indiquer où vous allez pour que le véhicule ainsi que la place les plus proches vous soient automatiquement réservés. Depuis l’ordinateur embarqué dans la voiture, vous pouvez également réserver une place à votre lieu de destination et le GPS vous y conduira. Bien sûr, toute réservation faite sur votre smartphone sera retransmise au système et au GPS du véhicule que vous emprunterez.
26L’ordinateur embarqué présente un gros bouton bleu qui vous permet de contacter le centre opérationnel en cas de besoin. Cela fonctionne également dans l’autre sens et, si une personne fait quelque chose d’inapproprié comme, par exemple, quitter la région parisienne, c’est-à-dire sortir du périmètre Autolib’ autorisé, nous pouvons l’appeler pour lui demander de revenir, ce qui nous arrive de temps à autres. Étant donné que cet ordinateur est connecté en permanence au central, cela permet une personnalisation de l’expérience d’Autolib’. Quand vous rentrez dans la voiture, l’ordinateur vous dit bonjour en vous appelant par votre nom ; il connaît vos radios préférées, que vous aurez enregistrées dans un autre véhicule et démarre sur la station que vous écoutiez dans le véhicule précédent ; il connaît vos destinations favorites, etc. Le client a ainsi finalement l’impression qu’Autolib’, c’est quand même sa voiture et que l’on s’intéresse à lui. Ce travail de personnalisation va se poursuivre, en fonction des demandes qui nous seront faites. À court terme, les évolutions vont dans le sens d’une contribution plus importante du client à l’amélioration du service, en lui donnant la possibilité de nous faire un retour, par exemple, sur l’état et la propreté du véhicule.
Tableau de bord d’un véhicule Autolib’
Tableau de bord d’un véhicule Autolib’
27Le centre d’appel est le centre névralgique du système. Son écran de contrôle est comparable à celui d’un opérateur de télécommunication et c’est là où sont concentrés les téléconseillers qui répondent aux visioconférences d’abonnement. C’est également là que nous réalisons l’assistance en cas de véhicule abîmé ou de place réservée mais volée ; dans ce cas, nous orientons le client vers une autre place ou, dans de rares cas, nous l’autorisons à laisser le véhicule sur place et nous envoyons quelqu’un pour le récupérer. Ce centre opérationnel se développe et il gère désormais des flottes privées. Cette démarche a été primée à différentes reprises au titre des innovations portant sur l’expérience client, de son design ou de projets futuristes.
Autolib’ et le projet entrepreneurial de Vincent Bolloré
28Le groupe Bolloré a été fondé en 1822 et fabriquait des papiers fins, comme le papier bible ou le papier à cigarette. Fort aujourd’hui de cinquante-cinq mille collaborateurs et d’un chiffre d’affaires de 15 milliards de dollars, c’est un groupe familial depuis six générations. De son expérience ancienne dans les papiers fins, le groupe Bolloré est allé vers le film plastique, puis vers le papier pour condensateurs dont il est le leader mondial et, de là, vers l’électricité. Au cours des années 1990, il a commencé à investir dans le secteur de la batterie électrique dont il a réalisé ses premiers prototypes au début des années 2000, ce qui l’a amené à se rapprocher des grands constructeurs automobiles.
29Devant leur peu d’enthousiasme, Vincent Bolloré a décidé de produire son propre véhicule, la Bluecar, dont le projet Autolib’ est le premier client en volume. Dès lors, Autolib’ apparaît comme étant la plate-forme de démonstration de la pertinence des choix faits, d’abord pour la batterie, qui est au cœur des investissements du Groupe, puis pour le véhicule. Aujourd’hui, il est le seul à avoir fait tourner trois mille véhicules avec leur batterie, chacun ayant parcouru de 30 000 à 40 000 kilomètres, sans que cette batterie ne faiblisse.
30Le groupe Bolloré a développé un Bluebus, un Bluetram, un Blueboat, tous s’appuyant sur la batterie électrique du Groupe. Ce Groupe étend sa production à une Bluesummer décapotable, commercialisée sur la Côte d’Azur et aux Antilles. Nous avons signé un accord de collaboration avec Renault pour, entre autres, insérer la Twizy dans le service Bluely à Lyon, ce qui impose d’entrer dans l’électronique embarquée de ce véhicule tiers pour le rendre compatible avec la nôtre, mission relevant du cœur du métier créé par Polyconseil. Nous commençons à développer des logiciels de gestion de tournées de bus ou de trams, de supervision des véhicules particuliers et de leur support à distance.
31Le groupe Bolloré développe d’autres usages pour la batterie, notamment le stockage stationnaire, en lien avec les énergies renouvelables qui sont intermittentes. Ces applications, développées autour de la batterie, éventuellement connectée à des panneaux solaires, permettent de donner une certaine autonomie à des sites variés.
32Un pack pour Autolib’ représente une contenance de trente kilowattheures et pèse trois cents kilos, le double pour un bateau et le triple pour un bus. C’est une solution développée sur la base d’une batterie lithium-métal-polymère (LMP) mélange qui a la particularité d’être solide, à la différence des batteries lithium-ion, dont le mélange est liquide et qui ont besoin d’être refroidies. Elle est également beaucoup plus stable, ce qui est essentiel pour toutes les applications mobiles ou en pays chaud. Ces batteries peuvent être combinées en site stationnaire jusqu’à des ensembles de trente-six, stockés dans des conteneurs pour une capacité allant jusqu’à un mégawattheure. Le Groupe intervient également sur des expérimentations de lissage des énergies renouvelables avec des opérateurs français et étrangers.
33Ce que nous développons actuellement de plus significatif est, à Niamey ou au Togo, ce que nous appelons des Bluezones, de plusieurs hectares, équipées en panneaux solaires et de ces conteneurs. Ces Bluezones confèrent une autonomie énergétique à la zone ainsi qu’un service de télécommunications et, puisque nous sommes les seuls dans les environs à avoir de l’énergie, nous y installons des dispensaires, de la production d’eau, des installations sportives, du cinéma, etc. De ce fait, la nuit, ces Bluezones sont les seuls endroits éclairés dans ces villes africaines. Cela contribue à renforcer l’implantation, déjà ancienne et importante, du Groupe sur ce continent.
34Tout ceci est désormais inséré dans une société dénommée Blue Solutions, filiale du groupe Bolloré, dans laquelle IER et Polyconseil sont intégrées. L’entrée en Bourse a été réalisée, en octobre 2013, avec une valorisation d’environ quatre cent cinquante millions d’euros, valorisation qui a plus que doublé depuis lors. L’ambition du groupe Bolloré est de devenir un acteur mondial de premier plan sur les solutions de gestion et de stockage de l’électricité.
35Aujourd’hui, Vincent Bolloré dirige lui-même le projet Autolib’ et plus largement Blue Solutions, et, tous les lundis, en dépit de son emploi du temps plus que chargé, notre semaine commence par une réunion d’une matinée complète avec lui, portant sur le bilan de la semaine écoulée et sur l’état des projets. Étant donné sa grande complexité, un tel projet ne pourrait pas fonctionner autrement.
Débat
36Un intervenant : Comment gérez-vous les sinistres ?
37Sylvain Géron : Nous avons deux types d’accidents, ceux qui sont déclarés et ceux qui ne le sont pas. Les premiers sont couverts par notre assureur, complètement pour nous et moyennant une pénalité pour le client. Pour les seconds, la probabilité de retrouver le responsable est élevée, par le bais des déclarations croisées, grâce à la télémétrie dont nous disposons et aux capteurs dans la voiture qui savent mesurer les chocs. Mais la plupart du temps, les clients responsables reconnaissent spontanément leur implication dans un sinistre.
38Int. : Y a-t-il beaucoup de dégradations et comment la maintenance des véhicules est-elle organisée ?
39S. G. : Dans la voiture, il y a peu de vandalisme. En revanche, les Parisiens ne sont pas toujours très attentifs à la propreté ! On retrouve donc des emballages de boisson, des journaux, etc. Il y a eu beaucoup moins de dégradations sur les véhicules que ce que nous redoutions et le peu de vandalisme que nous déplorons reste très localisé géographiquement. Une de nos stations a ainsi été brûlée dans une cité et nous ne l’avons pas reconstruite considérant que les conditions d’acceptation de cet équipement n’étaient pas réunies en ces lieux.
40Int. : Comment a été décidé le design du véhicule ?
41S. G. : C’est Pininfarina, le designer italien réputé, qui s’en est occupé. Quant à la couleur, comme la carrosserie est en aluminium brut, c’est plutôt d’une absence de couleur dont il nous faut parler. Cela se justifie par des raisons écologiques (pas de solvant, plus d’autonomie) et économiques (redresser la tôle, entretien). Des évolutions du design sont envisagées.
Un savoir-faire unique
42Int. : Comment protégez-vous la sophistication informatique qui est au cœur de votre système ?
43S. G. : Nous avons déposé quantité de brevets, mais notre meilleure protection est la complexité objective de l’ensemble du système.
44Int. : Comment allez-vous réussir à dupliquer votre savoir-faire parisien ailleurs dans le monde ?
45S. G. : Pour Indianapolis, le système d’opération sera en France, au moins dans un premier temps. Nous aurons bien sûr des équipes locales et un centre de secours sur place, mais le centre principal restera à Vaucresson. Nous travaillerons donc en horaires décalés et avec des téléconseillers anglophones : avoir à disposition un centre dont la fiabilité est acquise et dont on peut suivre quotidiennement l’activité est une garantie de performance. S’il s’avère que cela ne suffit pas, il sera toujours temps d’en implanter un sur place.
46Int. : Que la voiture soit électrique n’est-il pas la condition sine qua non pour ce genre de service ?
47S. G. : Le premier aspect de ce choix est politique : la mairie de Paris imposait que ce soit un véhicule électrique. C’est également l’un des premiers arguments des mairies qui nous approchent : Indianapolis est l’une des villes de la voiture aux États-Unis, avec sa célèbre course, l’Indicar, mais son maire veut désormais avoir une politique verte.
48Ensuite, on observe que les opérateurs qui font de l’autopartage avec des véhicules à essence y arrivent. Leurs véhicules ont des capteurs qui indiquent à leur central leur niveau de carburant. Cela leur impose donc d’avoir des camions qui circulent dans la ville pour refaire le plein des véhicules qui en ont besoin. Mais, de notre côté, nous avons aussi dû mettre en place une grosse infrastructure de recharge, ce qui n’est pas sans coût. Nous avons également en projet d’adjoindre à notre réseau des panneaux solaires.
Savoir prendre le risque
49Int. : Comment envisagez-vous le développement de la voiture électrique ?
50S. G. : L’étape Autolib’ dans Paris a été essentielle pour le développement du véhicule électrique parce que, très vite, 5 000 bornes de charge fonctionnelles y ont été implantées, soit une station tous les deux cents mètres environ. De son côté, Londres a choisi de financer un plan de développement de bornes, et ce indépendamment de la question de l’autopartage. Plusieurs milliers de bornes ont été installées mais la moitié d’entre elles est en panne, faute d’être utilisées, le nombre de véhicules électriques privés étant trop faible. Créer un tel réseau sans en avoir pensé l’usage s’est ainsi avéré être une erreur. Nous avons donc répondu à un appel d’offres et repris à notre compte la gestion de ce réseau londonien.
51Désormais, une loi stipule que l’État français va accompagner l’implantation d’un réseau de bornes de charges sur tout notre territoire métropolitain et le groupe Bolloré en sera un des acteurs. Autolib’ aura été la première étape de ce développement.
52Int. : Vincent Bolloré a la fortune qui lui permet d’être une base puissante pour assumer un pari comme celui-ci, et une capacité de rêve hors du commun. Quant à vous, vous apportez un savoir-faire singulier. Votre relation illustre donc de manière frappante le lien étroit entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre. Cela ne vous enferme-t-il pas dans un seul type de service en vous faisant perdre votre autonomie ?
53S. G. : Celui qui aurait tout perdu si cela n’avait pas marché aurait été l’entrepreneur, c’est-à-dire Vincent Bolloré. L’opérateur public, de son côté, n’a fait qu’accorder le droit d’exploiter un service. Le courage, la capacité à courir le risque de perdre son temps ou son argent, me semble être un facteur de réussite essentiel. Confier ensuite le projet à des gens qui sauront le faire vivre est au cœur du rôle de l’entrepreneur.
54Mais, de son côté, Polyconseil continue son activité initiale. Ainsi, l’un de nos clients est Paris Saclay qui développe la ville du futur sur le plateau de Palaiseau. Nous le conseillons sur la façon d’y parvenir en installant, là où il le faut, des capteurs, en créant un service opérationnel central, etc.
55Int. : Qu’en est-il de votre accord avec Renault ?
56S. G. : Cet accord souligne la crédibilité du projet industriel du groupe Bolloré et en particulier de sa batterie électrique.
57Int. : À quel point le modèle financier d’Autolib’ permet-il de valider la possibilité d’un équilibre pour une économie de services ? Avait-il été testé auparavant ? Qui portait le risque ?
58S. G. : Le business plan d’Autolib’ existait sur Excel dès 2011. Ce n’est que maintenant, par l’activité opérationnelle que nous menons, que nous démontrons la validité de ce modèle. Chaque voiture est louée de deux à six heures par jour : c’est ce qui détermine l’essentiel du chiffre d’affaires.
59Int. : Et qui sont vos concurrents ?
60S. G. : Je n’en vois guère de significatifs. Il existe quantité de petits opérateurs, qui ne travaillent qu’avec quelques voitures, comme à Nice ou La Rochelle, mais ce ne sont pas de réels concurrents car ils ne sont pas passés à l’échelle industrielle et gèrent leur activité de façon quasi artisanale.
61Int. : Quels sont les freins que vous rencontrez au développement de la mobilité électrique ?
62S. G. : Nous allons au rythme de ce que le groupe Bolloré souhaite investir chaque année que ce soit pour l’ouverture de nouvelles villes, qui sont nombreuses à être intéressées, ou pour l’amélioration du service.
63Pascal Lefebvre