La France qui se démarque
1Selon le cabinet W&Cie, qui a lancé en 2010, avec Viavoice, une étude annuelle sur les leviers et les freins attachés au déploiement de la marque France, « Alors même que de nombreuses entreprises d’origine française comptent parmi les toutes premières mondiales, nous estimons collectivement être moins bien armés face à la mondialisation et sa guerre économique que l’ensemble de nos compétiteurs internationaux. (...) La marque France est pourtant la plus contrefaite au monde. La planète entière semblerait donc bien lui attribuer une valeur considérable... excepté les Français eux-mêmes ! ». C’est pourquoi Gilles Deléris et Denis Gancel, co-fondateurs de W&Cie, esti- ment qu’il est urgent de « doter la France active, économique, innovatrice d’une marque ombrelle fédératrice » pour que « nous intériorisions nos atouts extraor- dinaires, nos forces réelles et en devenions les premiers ambassadeurs ».
2Si la création d’une marque France paraît en soi une excellente idée et séduira sans doute à l’étranger, on peut douter qu’elle provoque l’enthousiasme escompté parmi nos concitoyens. Notre « manie de l’auto-dénigrement » procède sans doute moins d’un prétendu complexe d’infériorité – contredit par l’arrogance bien connue des Français partout dans le monde – que de l’héritage d’une culture du doute initiée par Descartes et transformée par Voltaire en une ironie mordante qui s’en prend à tous les faux- semblants, à tous les blasons, à toutes les bannières. À l’aube du XIXe siècle, l’écrivain allemand Jean-Paul Richter appelait la France die persiflierende Nazion (la nation persifleuse) et sans doute nous reste-t-il quelque chose de l’habi- tude d’accrocher à la lanterne tout ce qui porte un nom un peu trop pompeux pour être honnête. Vouloir dissuader les Français de se moquer d’eux-mêmes en leur proposant de se ranger sous une « marque ombrelle fédératrice » revient sans doute à essayer de faire boire un âne qui n’a pas soif.
3La seule bannière dans laquelle les Français se reconnaissent volontiers est celle de La Liberté guidant le peuple, de Delacroix. D’où, sans doute, le fait que les créateurs du logo Rendez-vous en France, proposé lors des assises nationales du tourisme en 2008, se sont inspirés de l’image de Marianne. Ils l’ont cependant dépouillée de son bonnet phrygien, peut-être de peur de paraître récupérer à des fins mercantiles un symbole républicain. Du coup, la poitrine opulente de la mère patrie perdait toute dimension symbolique et n’évoquait plus que le Crazy Horse, ce qui suscita de nouveaux sarcasmes. Les seins disparurent de la deuxième mouture du logo et la référence à Marianne s’effaça dans l’image insignifiante d’une simple Parisienne.
4Une autre raison pour laquelle on peut craindre que la stratégie de marque France ne “prenne” pas vraiment chez nos concitoyens est que, justement, la France entend traditionnellement se démarquer de tous les autres pays. À l’origine, le nation branding a été imaginé par des États cherchant à attirer des immigrants, comme le Canada ou l’Australie. Se doter d’une marque reviendrait à se mettre sur un pied d’égalité avec les pays qui ont besoin de communiquer pour se faire connaître. C’est ici l’héritage gaullien qui s’exprime : « La France, c’est la France », incomparable à toute autre nation. Le Général avait refusé le fauteuil d’académicien qu’on lui proposait en rétorquant : « La France n’entre pas à l’Académie », et l’on voudrait aujourd’hui qu’une marque France entrât dans les registres de l’INPI ? Fi !
5L’auteur appréciera vos remarques et idées. Écrivez-lui ! elisabeth.bourguinat@wanadoo.fr