Notes
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« L’homme mesurable : évaluer ou dévaluer les pratiques ? », Jdp 307 : 16-60.
1Tout un chacun, aujourd’hui, est confronté à la dimension évaluative, ne serait-ce par son utilisation itérative dans de multiples secteurs d’activité. La déferlante de l’évaluation a envahi l’ensemble de la vie publique, le secteur économique, bien entendu, mais aussi les collectivités, la santé, le secteur associatif, l’université, et il fait partie intégrante du développement des politiques publiques.
2La culture évaluative, devenue invasive pour certains, n’est pas apparue de manière spontanée : elle résulte d’une lente évolution – entre fascination et rejet – vers une implantation des outils du gestionnaire dans tous les secteurs précités. Les années 2000 ont vu la sacralisation de la culture du chiffre, s’accompagnant de l’illusion de l’objectivité : le mythe rationaliste laisserait penser que l’on puisse appréhender la réalité avec précision, que l’on puisse l’objectiver. Nous avions d’ailleurs longuement traité de cette tendance à la mesure, à la « quantophrénie » comme la nomme Vincent de Gaulejac, dans un dossier que nous avions publié en 2013 [*].
3Comme l’enfer est pavé de bonnes pratiques, celles-ci ont rapidement – grâce à des serviteurs zélés – envahi, précisément, les pratiques de manière infernale. Flairant de nouveaux marchés, certains se sont vite formés à l’expertise et à l’évaluation interne et externe dans le secteur médico-social, par exemple.
4Mais le véritable piège de l’utilisation du terme « évaluation », dont beaucoup sont victimes et dont certains profitent, c’est de laisser croire que ce vocable revêt un caractère univoque, globalisant, et que toutes les démarches d’évaluation ont les mêmes origines, les mêmes moyens, les mêmes finalités. Contrairement à certains esprits qui voudraient insuffler le virus entrepreneurial à l’ensemble du secteur non marchand, la question de l’évaluation ne se pose pas de la même manière dans les soins, l’éducation… que dans l’amélioration de produits de consommation.
5Au-delà de la mesure des compétences, de l’appréciation des aptitudes et des qualifications, il existe d’autres formes d’évaluation, à l’instar de l’évaluation psychologique au cœur de notre dossier de ce mois.
6L’examen psychologique pourrait être un des lieux – à l’opposé de l’idéologie évaluative qui est d’abraser les différences et de taire les conflits – où il serait possible de positiver les singularités et de révéler les tensions productrices de sens, à condition que celle-ci ne soit pas une tentative de normalisation du sujet comme le rappelle Anne Andronikof dans notre dossier.
7Dans un monde mouvant et incertain, l’évaluation serait-elle une forme de repère qui fixerait les valeurs de chacun, au moins jusqu’à… la nouvelle évaluation ? Ce que je vaux aujourd’hui vaudra-t-il la même chose demain ? et qui en décide ? Du coup, les évaluations seraient à évaluer, afin d’en déterminer, dans toutes les dimensions et à partir de la diversité des secteurs considérés, la légitimité et la validité.
8Si l’évaluation consiste à ériger des valeurs nouvelles, à donner du sens à ce qui est confus, à aider chacun à être au plus près de son destin, alors celle-ci aura retrouvé quelques lettres de noblesse.
Notes
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« L’homme mesurable : évaluer ou dévaluer les pratiques ? », Jdp 307 : 16-60.