Couverture de JDP_342

Article de revue

Accompagner les aidants familiaux de malades Alzheimer

Pages 27 à 30

Notes

1Accompagner au quotidien un proche atteint de la maladie d’Alzheimer peut exposer l’aidant à un risque d’épuisement physique et moral. Une prise en charge psychothérapeutique peut parfois s’avérer nécessaire et offrir un soutien indispensable pour surmonter ces épreuves. Quelle est alors la spécificité de cet accompagnement ? C’est ici à une réflexion sur la pratique du clinicien dans ce dispositif d’aide qui nous est proposée.

2L’étude épidémiologique de référence française, Paquid, estime à plus de 850 000 le nombre de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou syndrome apparenté en France métropolitaine [1]. Environ 80 % d’entre eux vivent à domicile (Pancrazi, 2005) et bénéficient d’aides humaines dispensées, d’une part, par un réseau de soins médicaux et paramédicaux et, d’autre part, par l’entourage familial dont la mobilisation est fréquente et forte. Le nombre de personnes concernées par la maladie dépasse ainsi largement celui des personnes malades, incluant immanquablement les proches. Sur son site Internet, l’association France Alzheimer évoque cette réalité : « Aujourd’hui, trois millions de Français sont directement ou indirectement touchés par la maladie d’Alzheimer », et rappelle la nécessité de venir en aide aux proches : « Un malade, c’est toute une famille qui a besoin d’aide[2]. »

Fragilité et vulnérabilité de l’aidant familial

3À domicile, l’aidant familial est celui qui apporte seul ou en complément de l’intervention d’un ou de plusieurs professionnels l’aide humaine rendue nécessaire par la perte d’autonomie de la personne malade. Sa présence et son soutien permettent le maintien à domicile, alors que l’évolution de la maladie affaiblit progressivement l’autonomie de son proche.

4L’étude Pixel[3], menée entre 2001 et 2005 par le Dr Philippe Thomas, a apporté un éclairage très intéressant sur la manière dont la maladie d’Alzheimer s’inscrit dans le quotidien d’une famille. Le quatrième volet de l’étude [4] a permis de mettre en lumière la fragilité et la vulnérabilité des aidants et de déterminer les paramètres qui l’influencent. Comme le souligne le Dr Thomas, « il est particulièrement important de noter dans l’étude Pixel iv le lien entre la détresse du malade et celle de son aidant, réalisant parfois une double fragilité. Le stress des aidants est fréquent […] ; il est lié aux difficultés croissantes et incontournables à gérer le quotidien et les contraintes dues à la maladie » (Thomas et al., 2005).

5Dans l’ensemble, les difficultés des aidants ne sont pas liées directement à l’altération cognitive des malades, mais à leurs troubles du comportement, leur dépendance, ainsi qu’au stress engendré par les aléas et les entraves rencontrés lorsque l’aide est de longue durée, précise encore l’étude. L’usure vécue auprès des malades, l’impossibilité de laisser le malade seul à domicile, le temps journalier consacré au malade, la solitude de l’aidant et le poids de la culpabilité constituent les difficultés le plus souvent rencontrées.

6Presque tous les aidants (93 %) se sentent épuisés, 89 % se sentent déprimés, 79 % se déclarent en mauvaise santé et l’ensemble (98 %) estime que s’occuper du malade entraîne un retentissement sur leur santé. Leur qualité de vie se trouve significativement affaiblie : 71 % d’entre eux ressentent un lourd fardeau et 84 % s’estiment angoissés pour l’avenir. Prendre soin d’une personne malade confronte l’aidant familial à un risque d’épuisement physique et psychologique, pouvant entraver sa capacité d’accompagner son proche au quotidien. La difficulté de la situation d’accompagnement impose alors souvent à l’aidant d’être lui-même soutenu, avant qu’il ne soit confronté à une situation d’épuisement et de crise.

Un panel d’aides à l’attention des aidants

7Aujourd’hui, de nombreuses actions d’aide et de soutien sont proposées ; elles s’adressent soit uniquement aux personnes malades, soit uniquement aux aidants, soit aux personnes malades et à leurs aidants. Les familles ont la possibilité de s’adresser aux associations départementales France Alzheimer (où toutes les actions sont proposées gratuitement aux familles adhérentes des associations départementales), aux centres locaux d’information et de coordination gérontologique (clic), aux services des conseils généraux (unités territoriales médico-sociales, utams) ou aux centres communaux d’action sociale (ccas).

8Les aides offertes s’efforcent de répondre au mieux aux besoins des aidants non professionnels, qui sont en attente de temps de répit (sous forme d’accueil de jour ou d’hébergement temporaire), d’informations médicales leur permettant de mieux comprendre la maladie et ses signes, de reconnaissance, de soutien et d’écoute.

9En réponse au besoin de connaissance sur la maladie, France Alzheimer propose des réunions d’information où des intervenants spécialisés permettent aux aidants de mieux comprendre la maladie, les aides possibles et les dispositifs existants.

figure im3

10Depuis 2009, l’association France Alzheimer offre également la possibilité de suivre une formation de groupe (petits groupes de huit à quinze personnes) d’une durée de quatorze heures, sur cinq à six séances. Les cinq modules abordent la connaissance de la maladie, les aides disponibles (humaines, techniques, sociales, financières ou juridiques), l’accompagnement au quotidien, la communication avec la personne malade et le rôle de l’aidant familial. Coanimée par un binôme de formateurs, le plus souvent un psychologue et un bénévole d’une association, la formation allie apport de connaissances et mise en commun des expériences et des vécus. Par la diffusion de bonnes pratiques d’accompagnement, cette formation « permet aux proches de personnes malades d’acquérir les attitudes et les comportements adaptés aux situations quotidiennes. Elle apporte des outils essentiels à la compréhension des difficultés de la personne malade, à l’adaptation de l’environnement, à l’amélioration de la communication et au maintien de la relation ».

11Cette proposition de formation a été formalisée à l’occasion du troisième plan Alzheimer 2008-2012, et l’association France Alzheimer en est aujourd’hui la principale opératrice sur le territoire. Cette mesure de formation rappelle en certains points les programmes psychoéducatifs de soutien (tel le Fil Mauve®, conçu par éduSanté en 2002, par exemple) qui ont vu le jour dans quelques établissements hospitaliers il y a une dizaine d’années et dont l’efficacité en terme de soutien avait été reconnue (Brodaty et al., 2003). Ces programmes avaient déjà pour intérêt d’associer une formation formalisée, une possibilité de verbalisation des participants et une guidance psychoéducative qui visait à renforcer l’efficacité et la pertinence des actions de l’aidant. Le Dr Marie-Pierre Pancrazi, à l’initiative de la validation d’un programme éducatif pour les aidants en 2002-2003, témoignait de l’intérêt de développer ce type de programme « afin de modifier le vécu des aidants et d’augmenter la pertinence de leur action envers le patient, et, de ce fait, améliorer la qualité de vie des deux » (Pancrazi, 2005).

12En réponse au besoin de soutien et d’écoute, des groupes de parole peuvent être proposés, constituant un espace permettant à chaque aidant familial de s’exprimer et de partager son vécu et ses ressentis.

13La dimension de groupe offre la possibilité de rompre un sentiment parfois profond d’isolement, en échangeant avec d’autres familles sur leurs expériences personnelles, à la fois semblables et singulières. Dans certains cas, l’entretien individuel avec un psychologue répond mieux à la demande de l’aidant.

14France Alzheimer, tout comme les plates-formes d’accompagnement et de répit des aidants familiaux (sur Lille, la maison des aidants Lille métropole, par exemple), propose ce type de prise en charge, le plus souvent de façon ponctuelle, avec comme objectif de permettre l’expression des émotions attachées à une situation douloureuse, de désamorcer une situation de crise qui cristallise des tensions intrafamiliales, accompagner une décision difficile engendrant un fort sentiment de culpabilité ou encore d’envisager le type de soutien à mettre en place en fonction des besoins de l’aidant.

15Dans certains cas, l’accompagnement psychologique nécessite de s’inscrire dans la durée, et une prise en charge psychothérapeutique s’avère pertinente. Celle-ci est parfois proposée par les psychologues rattachés à un établissement hospitalier investi dans le diagnostic et la prise en charge des malades Alzheimer ou peut encore se faire auprès d’un psychologue libéral.

Témoignage d’une pratique clinique

16Exerçant en tant que psychologue clinicienne dans un hôpital gériatrique, je reçois en entretien des aidants familiaux de malades Alzheimer ou maladies apparentées, ébranlés par la maladie et les épreuves rencontrées au cours de l’accompagnement. En fonction des besoins, je leur propose un soutien psychique ponctuel ou une psychothérapie pouvant durer de quelques mois à parfois quelques années. Pour certains, le soutien trouvé dans l’approche psychothérapeutique s’avérera nécessaire tout au long de leur parcours d’accompagnement, régulièrement jalonné de nouvelles épreuves.

17Ici, je voudrais offrir un témoignage de ma pratique avec les aidants, marquée par des questionnements, des évolutions, mais aussi parfois des doutes quant à la légitimité de la place investie dans l’entretien. En effet, en ce qui concerne spécifiquement la situation d’accompagnement des aidants familiaux de malades Alzheimer, j’évoquerais la notion de « parcours », dans la mesure où ce sont les aidants qui, au fil du temps, m’ont conduit à adapter ma façon de travailler, soucieuse de répondre au mieux à leurs besoins.

L’entretien avec les aidants

18L’entretien clinique peut se décliner selon une grande diversité d’approches en fonction du modèle théorique (psychanalytique, phénoménologique, systémique ou cognitif) et avoir des objectifs divers (visée diagnostique, de recherche ou thérapeutique) (Benony, Chahraoui, 2013). L’entretien clinique à visée psychothérapeutique vise à accompagner la personne lorsque celle-ci doit faire face à une situation difficile, source de souffrance. Autant que possible, je privilégie la méthode de l’entretien non directif qui me semble la plus féconde. Cet entretien est centré sur la personne, ses besoins, ses problèmes, son rythme…

19Il offre un espace de réflexion et d’élaboration. Sur le modèle de l’entretien d’aide (Rogers, 1942), il vise à faciliter, chez le demandeur, la compréhension, voire la résolution de sa difficulté rencontrée et évoquée. Comme le rappelle Ariel Sanzana, « le clinicien conduit partiellement l’entretien, tout en se laissant conduire par le jeu associatif et les significations qu’il peut percevoir chez le sujet et chez lui-même » (Sanzana, 1997). Il fait preuve de capacité d’écoute, au plus près des besoins de ceux qu’il accompagne, « sans faire l’impasse du travail actif de pensée, et parfois d’intervention » (Sanzana, 1997), incitant chaque aidant à trouver ses propres réponses.

20Au cours des entretiens d’accompagnement des aidants familiaux de malades Alzheimer, ces derniers rendent souvent compte de leurs difficultés à s’adapter aux troubles cognitifs et psychocomportementaux de leur proche malade et de la souffrance occasionnée par la répétition de la confrontation à ce type de manifestations. Régulièrement, ils décrivent des situations du quotidien, parlent de leurs émotions et restituent la façon dont ils répondent à des manifestations psychocomportementales qui les dépassent souvent. Ils interrogent : « Mais pourquoi il fait ça ? », « Est-ce qu’il le fait exprès ? », « Est-ce qu’il le fait pour m’embêter ? »… Ils témoignent de leurs tentatives pour y réagir au mieux, en fonction de leurs connaissances et de leurs ressources. Conscients de « tâtonner » à la recherche de « la bonne réponse à donner », ils formulent une demande d’aide, de guidance, à la recherche de réassurance : « Est-ce que c’est bien si je réagis comme ça ? », « Comment je dois répondre à ça ? »…

21Devant l’expression de ces questionnements, il est bien sûr possible de favoriser l’émergence des émotions et de conduire l’aidant à s’interroger sur ses ressentis qui, parfois, peuvent s’inscrire dans l’histoire de la relation et faire écho à un événement de vie plus ancien (par exemple : « Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il pourrait le faire pour vous embêter ? » ou « Qu’est-ce qui est particulièrement difficile pour vous dans l’expression du comportement que vous décrivez ? »). Cet axe de travail peut aider l’aidant à mieux accepter le comportement qui s’exprime chez le proche malade. Il semble, cependant, n’offrir qu’une réponse partielle à la demande exprimée.

22Au-delà d’être entendus et soutenus, les aidants attendent d’être aidés à trouver des pistes de réponse face aux difficultés objectives auxquelles ils sont confrontés. Ils véhiculent leur besoin de comprendre le comportement et de comprendre comment il s’inscrit dans la complexité de la maladie neurologique.

23Cette demande de compréhension des signes de la maladie et d’aide au développement de leurs habiletés dans l’accompagnement est légitime, d’autant plus que « ce sont souvent des attitudes inadaptées ou un environnement inadéquat qui engendrent ou entretiennent certains troubles, notamment l’agitation ou l’opposition » (Pancrazi, 2005). Aider les aidants à mieux comprendre et renforcer leurs compétences pratiques dans la gestion des troubles psychocomportementaux de leur proche participe à réduire le stress et à renforcer leur sentiment de confiance en soi.

24Pour certains, la participation à une formation de groupe (telle celle formalisée dans le troisième plan Alzheimer et dispensée notamment par France Alzheimer), en parallèle de l’accompagnement psychologique, offrira les bénéfices attendus. Pour d’autres, et plus particulièrement pour ceux qui ne parviennent pas à exposer et travailler leurs situations singulières en groupe, leur demande d’aide à la compréhension et de feed-back continuera de s’exprimer à l’occasion des entretiens psychothérapeutiques.

Comment se positionner face à cette demande singulière ?

25Cette demande peut mettre le psychologue en difficulté ou tout au moins l’interroger sur la légitimité de cette place à prendre dans le cadre de l’entretien clinique. Est-ce le rôle du psychologue, investi dans l’approche psychothérapeutique, que d’apporter cet éclairage sur la maladie et ses signes, d’offrir une forme de guidance psychoéducative aux aidants familiaux en difficulté ?

26En effet, l’entretien à visée psychothérapeutique n’a pas pour objectif de conseiller ou d’orienter la personne. Il ne comporte aucun aspect de pédagogie ou de formation, mais vise à soutenir la personne dans l’élaboration de ses propres réponses.

27Pourtant est-il pensable de ne pas répondre à cette attente qui semble prendre tout son sens dans la dynamique spécifique et singulière de l’accompagnement d’un proche souffrant d’une maladie d’Alzheimer ou apparentée ? Comment ne pas y répondre lorsque l’on mesure à quel point l’impasse sur cette demande peut parfois affaiblir la confiance et entraver la poursuite du travail d’élaboration ?

28En psychologie, les modèles théoriques sont divers (Benony, Chahraoui, 2013) et « la question du choix référentiel ne doit pas dépendre de l’idéologie du psychologue, mais de l’analyse de la demande du patient » (Poussin, 1994). Ainsi, des ajustements dans la pratique clinique, offerts dans le souci de répondre au mieux aux besoins du patient et à la spécificité de la problématique qu’il exprime, pourraient être envisagés comme légitimes.

Une place « inventée » et régulièrement réinterrogée

29Guidée par la demande des aidants et soucieuse de répondre au mieux à leurs besoins et à leurs attentes, j’ai peu à peu investi ce type de travail de soutien et de guidance, en associant la possibilité de verbalisation à un soutien à la réflexion sur les ajustements à adopter face aux troubles cognitifs et comportementaux du malade.

30Pour le psychologue clinicien investi dans l’accompagnement des aidants familiaux de malades Alzheimer, il s’agit d’une place à créer, permettant d’apporter une réponse à la demande de l’aidant, tout en se sentant à sa place. Ainsi, même en véhiculant quelques informations permettant à l’aidant une lecture plus juste des signes de la maladie, le psychologue veille à conserver autant que possible sa neutralité et à se garder d’émettre des conseils. Il ne propose pas un enseignement sur la maladie (démarche qui peut se faire en d’autres lieux), mais offre à l’aidant la possibilité de relire avec lui les situations douloureuses qu’il décrit, en questionnant l’éventualité d’un type de réponse à apporter (par exemple, « pensez-vous que telle réaction de votre part pourrait participer à apaiser votre proche lorsqu’il est agité ? »…) et en guidant le proche dans la construction de réponses possibles. Le psychologue trouve sa place en accompagnant l’aidant dans la production de ses propres réponses.

31Bien que réinterrogeant régulièrement ma légitimité en tant que psychologue à produire une forme de « savoirs » dans l’espace de l’entretien psychothérapeutique, j’ai le sentiment qu’il s’agit là d’une piste légitime de travail visant à offrir la réponse la plus complète et la plus juste à la demande de ces aidants familiaux.


Date de mise en ligne : 02/11/2016

https://doi.org/10.3917/jdp.342.0027

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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