1Plus qu’un simple outil pratique, la prise de notes offre au clinicien des éléments précieux en situation psychodynamique. Pour soutenir la technique psychanalytique, l’auteur propose une nouvelle méthode dite « des quatre théories ».
2Les notes agissent comme des compagnons silencieux du travail psychothérapeutique. Elles témoignent du dur labeur effectué ou rappellent, par leur absence, les traversées du désert, les silences, les effacements ou les oublis. Elles attestent parfois d’un « c’était déjà là » lorsqu’elles sont relues plusieurs mois plus tard, tout en aidant le psychothérapeute à se construire une représentation du travail en cours. Ce texte tente de combler le manque de littérature sur ce sujet, en rappelant tout d’abord l’importance des notes dans le travail de psychothérapie. Un format est ensuite proposé à partir de la spécificité de la situation psychodynamique.
Le modèle dit « soap »
3La fonction des notes cliniques est double. Elles permettent, d’une part, de conserver une trace du travail effectué par le clinicien et offrent, ainsi, soit une mémoire soit une preuve. D’autre part, elles servent également à communiquer une information et sont alors un support de formation et de recherche.
4Historiquement, les cliniciens disposent d’un format de notes structuré depuis une cinquantaine d’années. Lawrence Weed (1964) a proposé le format Soap afin d’améliorer la continuité des soins pour les patients. Les notes Soap permettent de classer, d’identifier et de hiérarchiser par ordre de priorité les problèmes du client, de formuler des hypothèses et un plan de traitement. Initialement conçues pour faciliter le travail des médecins hospitaliers, elles ont été adoptées par d’autres professionnels comme les infirmiers, les kinésithérapeutes ou les psychologues.
5L’acronyme Soap signifie « Subjectif, Objectif, Analyse, Plan ». Le clinicien note dans la section « Subjectif » l’expérience subjective du client, son point de vue personnel. Elle comporte ce que le client dit, pense et éprouve. La section « Objectif » contient ce que le clinicien observe. Cette section peut renvoyer aux habits du client, à sa posture ou à tout ce qui peut être observé par le clinicien. La partie « Analyse » synthétise les sections « Subjectif » et « Objectif ». Elle fournit l’analyse ou l’interprétation du clinicien. C’est le moment où le clinicien émet des hypothèses et conceptualise les problèmes du client. La section « Plan » est la dernière. Le clinicien note ce qu’il est prévu de faire au cours des rendez-vous du client.
6Le but des notes Soap est multiple : améliorer le traitement ; faciliter la communication entre les professionnels ; faciliter la mémoire des détails de chaque situation ; permettre une évaluation continue des progrès du client et du traitement.
7Pour Susan Cameron et Imani Turtle-Song (2002), les notes Soap ont pour but d’augmenter la qualité et la continuité des services rendus au client, d’aider les cliniciens à se rappeler des détails des prises en charge. Elles amènent les cliniciens à identifier, à classer par ordre de priorité et à suivre l’évolution des problèmes du client. Enfin, elles contribuent à l’évaluation des progrès du client et de l’intervention.
8Le format Soap est sensible à la théorie de référence du clinicien. Par exemple, ce que le clinicien relève et le sens qu’il donne à ses observations dépend de la théorie utilisée. De plus, certains contextes théoriques s’accommodent plus facilement que d’autres du format Soap. Les psychothérapeutes travaillant avec la théorie psychanalytique peuvent être déroutés par cette méthode dans laquelle ils ne retrouvent pas leurs repères habituels
Notes cliniques et psychanalyse
9Pendant des années, les notes cliniques sont restées presque au-delà de l’horizon des psychanalystes. Pourtant, Robert S. Wallerstein et Harold Sampson mettent en avant en 1971 que les notes cliniques sont un matériel formidable pour la recherche clinique. En effet, elles laissent une trace des constatations relevées par des observateurs expérimentés. Elles s’établissent aisément dans de bonnes conditions éthiques. Elles sont plus facilement exploitables que des transcriptions de séance enregistrées au dictaphone. Tout cela favorise la transmission du travail réalisé en psychanalyse et, donc, l’amélioration de la technique psychanalytique. Les articles spécifiques sur les notes cliniques dans un contexte psychodynamique restent cependant rares.
10À ce propos, il faut souligner le travail de Guy Gimenez et Sophie Barthélémy (2011), lesquels ont développé un système de prise de notes permettant de représenter l’expérience sensorielle, cognitive et émotionnelle du clinicien dans un cadre psychodynamique. Leur méthode est originale parce qu’elle tient compte de la position particulière de l’observateur dans le dispositif groupal. Les notes peuvent donc être prises pendant la séance par l’observateur, sans que cela nuise au processus analytique. Elles sont ensuite relues après la séance avec les cothérapeutes. Les auteurs insistent sur le fait que le processus d’attention flottante est actif pendant la prise de notes. Le clinicien doit porter son attention sur les constructions défensives, les motifs d’anxiété ou d’intérêt qu’il retrouve pendant la prise de notes.
11Ce système est organisé en quatre colonnes : les communications verbales ; les scénarii ; les pensées, émotions, transferts ; le transfert et l’intertransfert.
12• Les communications verbales et la chaîne associative groupale : cette colonne contient tout ce qui peut être vu et entendu dans le groupe. Les sensations sont décrites avec le plus grand détail afin de donner une image précise de l’événement. La tonalité affective, le rythme, les dimensions spatiales de l’importance sont à noter. Les chaînes associatives groupales sont également relevées dans cette colonne. Elles permettent de prendre en compte la polyphonie groupale (Kaës, 1994).
13• Les scénarii groupaux : dans cette colonne, le clinicien note les scénarii décrits dans le groupe ou ceux qui se produisent dans les groupes. Les phrases sont descriptives, « quelqu’un fait quelque chose à quelqu’un d’autre face à un troisième qui regarde ». Cela permet au clinicien de rendre compte des interactions entre les membres du groupe.
14• Les pensées, les émotions, le contre-transfert et l’intertransfert : le clinicien note les mouvements internes en relation avec l’expérience sensorielle et les associations groupales de la première colonne. Le clinicien décrit ses sentiments en réaction au groupe et reflète son accordage au groupe. Lorsque le groupe compte plus d’un psychothérapeute, l’analyse de l’intertransfert est noté dans cette colonne.
15• Le rôle du tiers et la position auto/méta : des hypothèses formulées en fonction du matériel recueilli dans les trois premières colonnes sont notées ici. Le clinicien transforme ce qu’il a observé en fonction de sa théorie de référence et donne son point de vue. Pour les auteurs, les hypothèses doivent rassembler des indices cliniques, offrir une explication des faits observés et avoir une dimension prédictive. En un sens, cette colonne est un conteneur pour les trois autres colonnes et crée un espace de transformation ou les pensées et la théorisation peuvent avoir lieu loin des réponses défensives au groupe.
16Pour Gimenez et Barthélémy, la prise de notes est un outil de collaboration entre des cliniciens. Elle permet de comparer des points de vue différents et offre des manières de les associer. C’est la fondation de la recherche et de la communication entre chercheurs. Le système proposé ci-après s’appuie à la fois sur le format Soap (classiquement utilisé dans les domaines de la santé et de la médecine), sur la dynamique transférentielle et sur les quatre grands systèmes de la psychanalyse.
Les quatre théories
17Dans une perspective psychodynamique, un système de notes doit permettre de répondre aux questions suivantes : quels sont les conflits principaux ? Quelle est la qualité de l’angoisse suscitée par les conflits ? Comment l’angoisse est-elle gérée ? Quels stratégies défensives et schémas relationnels sont développés pour gérer l’anxiété ? Quelle est leur efficacité ? Comment les problèmes présentés ou symptômes sont-ils reliés aux stratégies défensives ? Comment le transfert et le contre-transfert sont-ils organisés ?
18Il est plus facile d’organiser ces questions autour des quatre « mini-théories » du fonctionnement mental décrites par Fred Pine (1998). Ces dernières peuvent se résumer ainsi :
19• Théorie des conflits inconscients : le rôle des désirs (libido et agression) est proéminent. Le développement sexuel est déterminant dans la formation des conflits.
20• Psychologie du Moi et des mécanismes de défense : l’adaptation et la régulation des pulsions sont saillantes. Mécanismes de défense et zones non conflictuelles sont des ressources (intelligence, perception, mémoire).
21• Psychologie du Self : régulation de l’estime de soi et de la valeur de soi ; importance des relations précoces parent-enfant ; forte considération pour la séparation et l’individuation.
22• Théorie des relations d’objet : la mémoire des figures importantes du passé organise les désirs, le comportement, les perceptions et les significations du présent.
Les conflits inconscients
23Sigmund Freud a mis au cœur de son système théorique la notion de conflit dynamique (Freud, 1912). Il considère que chacun est soumis dans sa vie à un travail d’adaptation malaisé du fait d’une série de conflits. Le Moi régule les conflits entre les exigences du Ça et les interdits et idéaux du Surmoi. Enfin, il existe des possibilités de conflit entre le principe de plaisir et le principe de réalité et entre les pulsions de vie et la pulsion de mort.
Le Moi et les mécanismes de défense
24Les mécanismes de défense sont une conséquence de la conflictualité psychique. Des comportements, des affects ou des pensées protègent le Moi des anxiétés provoquées par les désirs et les interdits conscients et inconscients. À la suite d’Anna Freud, les psychanalystes ont développé la théorie des mécanismes de défense. Ces derniers ont été classés en fonction de leur apparition dans le développement de l’enfant et de leur respect vis-à-vis de la réalité externe. Vaillant a proposé un modèle des défenses dans lequel niveaux les plus inférieurs sont décrits comme narcissiques et psychotiques. Puis viennent les défenses immatures décrites comme névrotiques. Les défenses matures correspondent aux défenses les mieux intégrées.
La psychologie du Self
25Heinz Kohut a développé une théorie originale selon laquelle le narcissisme est une instance qui rend compte du développement du Self dans son ensemble. Pour Kohut, le narcissisme est organisé autour d’un pôle omnipotent et d’un pôle idéalisé. Le premier porte les rêveries mégalomaniaques tandis que le second, l’imago parentale intériorisée, produit les idéaux qui nous guident.
26Les objets-soi jouent un rôle déterminant tout au long de la vie de la personne en satisfaisant ses besoins narcissiques essentiels. Ils donnent valeur au Self de la personne tout en assurant sa cohésion. La défaillance des objets-soi provoque des états de désintégration psychique et des états de rage. Pendant le traitement, la relation transférentielle s’établit sur la base des besoins narcissiques qui n’ont pas été satisfaits. Le patient peut établir un transfert idéalisant dans lequel le thérapeute prend la place du parent idéalisé. Dans les transferts en miroir, le patient attend que le thérapeute valide son sentiment de grandeur.
La théorie des relations d’objet
27Melanie Klein fut la première à décrire les interactions imaginaires des « objets » internalisés qui se produisent dans l’inconscient des patients. Cette théorie des relations d’objet a ensuite été développée par des analystes comme Donald W. Winnicott, William R. D. Fairnbairn, Harry Guntrip ou Mickael Balint.
28La théorie des relations d’objet tente de répondre à la manière dont les comportements, les pensées et les émotions d’une personne sont affectés par les autres. Elle laisse une grand part aux premières années de la vie (l’attention et les soins constats que nécessitent les enfants les rend dépendants des autres pour la satisfaction de leurs besoins physiques et psychologiques).
29Il en résulte que le Self est constitué de certains aspects des personnes ayant joué un rôle important par le passé ou de l’expérience du Self au moment d’interactions importantes. Ces aspects, qui peuvent être conscients ou inconscients, déterminent les manières de penser, de ressentir et d’agir des personnes. En d’autres termes, la théorie des relations d’objet permet de comprendre comment le passé s’actualise dans le présent de chacun.
Les notes pour les thérapies psychodynamiques
30Le système proposé ici permet d’articuler ce que le patient dit pendant la séance avec les principales théories psychanalytiques ainsi qu’avec l’axe transféro-contre-transférentiel. Certains thérapeutes s’attachent particulièrement aux défenses et à leur analyse tandis que d’autres portent davantage leur attention aux relations d’objet. Pourtant, chacun reconnaîtra sans peine qu’aucune théorie ne peut rendre compte de façon satisfaisante de la complexité d’un comportement, d’un symptôme et encore moins d’une personne. La pluralité des points de vue théoriques permet de s’approcher un peu plus de la complexité et de la véracité de chacun.
Self
31Le clinicien note dans la section « Self » ce que le client verbalise. Dans le cadre d’entretiens préalables à une psychothérapie ou à un examen psychologique, cette partie comprend également les motifs du rendez-vous, la plainte du client, les difficultés auxquelles il est confronté et les solutions utilisées jusqu’à présent. La section « Subjectif » (dans le Soap) est un résumé concis et fidèle du point de vue du client. Le clinicien note également ce qu’un tiers – par exemple un membre de la famille ou un professionnel – a pu lui dire à propos du client. Même si les échanges verbaux sont privilégiés, le clinicien porte également son attention aux autres modalités de communication. Ce qui est donné à voir ou à sentir appartient également à cette section. Les citations du client sont parfois utiles. Elles servent à illustrer un point clinique : la confusion, la perte de mémoire, le déni, l’attitude générale vis-à-vis de la thérapie, peuvent être saisies par une citation du client.
32Cette partie décrit comment la personne se perçoit. Les fantaisies qu’elle forme à propos d’elle même, l’identité qu’elle s’est construite et celle qu’elle fait vivre dans les relations avec les autres font l’objet d’une notation. Le clinicien prend également des éléments en relation avec l’estime de soi. Les vulnérabilités narcissiques et les réactions qu’elles provoquent sont prises en compte. Comme le soulignait Kohut, la rage narcissique est une réaction possible pour rétablir un contact suffisant avec un objet-soi. D’autres réactions sont possibles comme l’utilisation d’autres (en tant qu’appui narcissique) ou la spirale dépressive.
33Différentes questions peuvent aider à remplir la section « Subjectif ». Comment le client se représente-t-il sa situation ? Existe-il des défaillances précoces de l’environnement ? Le client est-il capable d’empathie ? Comment le client réagit-il aux atteintes narcissiques ?
Psychologie du Moi
34Cette section concerne particulièrement le fonctionnement du Moi et la manière dont il met en œuvre les mécanismes de défense. Le clinicien s’intéresse à la manière dont le sujet prend en compte les exigences pulsionnelles et celles de la réalité. Le bon ou mauvais accordage entre les instances et entre la réalité Internet d’une part, et la réalité externe d’autre part appartiennent à cette section.
Section | Définition | Exemples |
---|---|---|
Self | Expérience subjective des individus | Comment la personne voit les choses |
La psychologie du Moi | Manière dont le sujet prend en compte les exigences pulsionnelles et celles de la réalité | Le bon ou mauvais accordage entre les instances, la réalité interne-externe |
Les conflits | La sexualité et l’agression | Les désirs et les sentiments exprimés dans la séance |
Les relations d’objet | Les relations avec les objets internes et externes | La manière dont les figures du passé interviennent dans les expériences du présent |
L’axe transféro-contre-transférentiel | Manière dont le passé est actualisé dans la séance | La façon dont le patient présente le passé |
Analyse | Résumé de l’analyse du clinicien ; synthèse des sections précédentes | Diagnostic, impressions cliniques |
Plan | Paramètres du traitement ; plan d’action et pronostic | Date du prochain rendez-vous |
35Après une analyse de la littérature, Serban Ionescu, Marie-Madeleine Jacquet et Claude Lhote (1997) définissent les mécanismes de défense comme « des processus psychiques inconscients visant à réduire ou annuler les effets désagréables des dangers réels ou imaginaires, en remaniant les réalités interne et-ou externes et dont les manifestations – comportement, idées ou affects – peuvent être conscients ou inconscients ».
36Cette définition donne plusieurs clefs d’entrée pour la section « Psychologie du Moi ». Le clinicien note les différents mécanismes de défense (refoulement, déplacement, clivage etc.), les dangers (perte de l’objet, de l’amour de l’objet, d’une partie de l’image inconsciente du corps, de l’affection de l’objet), l’impact sur la réalité externe (création d’une néoréalité, prise en compte partielle ou totale) et interne (création d’une nouvelle topique par clivage ou refoulement, diminution des tensions internes en cas de satisfaction etc.).
37Les quelques questions suivantes sont en lien avec la section « Psychologie du Moi » : quelles sont les défenses repérées ? Quel est le niveau de maturité des mécanismes de défense ? Quel est l’effet des défenses sur le fonctionnement général ? Quelle est l’efficacité des défenses ?
Conflits
38Les occasions de conflits sont nombreuses dans la théorie psychanalytique. Les litiges peuvent se produire entre deux instances (le Moi, le Ça et et le Surmoi), entre deux principes (principes de plaisir et de réalité) ou se développer dans le domaine interpersonnel. Dans cette section, le clinicien dresse une carte générale du fonctionnement conflictuel du client.
39Les conflictualités interne et externe sont prises en compte. Dans le premier cas, la notation concerne la manière dont les représentations et affects inconscients activent les défenses et l’anxiété. Le clinicien s’attache à décrire quels éléments inconscients activent quelles défenses et provoquent quelles angoisses. La conflictualité externe concerne la manière dont le client initie ou gère les conflits qui se produisent avec d’autres personnes. Le clinicien note les motifs récurrents de conflits, la manière dont le client les forme ou les évite.
40Là encore, des questions peuvent servir de guide pour la section « Conflits ». Existe-il un conflit central ? Le conflit est-il intrasystémique ou intersystémique ? Le conflit est-il convergent ou divergent ? Comment le niveau de conflits évolue-t-il ? Est-il stable ? En augmentation ? En diminution ? Quel est le niveau de développement des conflits ? Sont-ils préœdipiens ? Œdipiens ? Quel est le rôle de l’environnement dans les conflits ? Quel est le rôle de la culture dans les conflits ?
Relations d’objet
41Les relations d’objet renvoient aux relations avec les premières personnes importantes de l’environnement humain du client et à la manière dont les figures du passé interviennent dans les expériences du présent.
42Le clinicien note le mode d’expression relationnelle du client. Les modes fusionnels, anaclitiques et triangulaires correspondent aux modes décrits par Thomas Ogden (1977) et Melanie Klein (1927). Les objets internes sont constitués dans les premiers moments de la vie de la personne. Ils sont puisés dans l’expérience vécue avec une personne significative pour l’individu. Ils sont des complexes cognitivo-affectifs qui évoquent différentes manières de penser, de sentir et d’agir.
43Les positions schizo-paranoïde et dépressive de Melanie Klein (1964, 1975) et le mode autistique-continu décrivent des manières d’organiser l’expérience subjective en fonction des relations d’objet. Les objets du mode autistique-continu sont des objets et des formes autistiques. Dans le mode schizo-paranoïde, ils sont clivés et partiels tandis que les objets du mode dépressif sont des objets totaux. Dans ce cas, les qualités intrinsèques de l’objet sont pleinement reconnues.
44Une autre manière de décrire les relations objectales consiste à les placer en regard avec le développement psychosexuel (Bergeret, 2011). Le type de relation oral est caractérisé par la prévalence de la succion, l’absence de différenciation entre le corps propre et l’objet extérieur et l’absence d’amour et de haine proprement dite. Dans la relation d’objet anal, les relations d’objet sont organisées autour de la maîtrise, la rétention et l’expulsion. Le plaisir est celui du sadisme et de l’auto-érotisme d’une part et du plaisir de garder ou de donner d’autre part. Enfin, au moment de l’œdipe, l’enfant passe d’une relation d’objet duelle à une relation d’objet triangulaire. La relation d’objet est marquée par l’amour pour le parent de sexe opposé et la haine du parent de même sexe.
45Voici quelques questions susceptibles d’aider à se repérer dans cette section : quelle est la qualité des objets internes prééminents ? Quelle est la qualité des objets externes prééminents ? Comment les relations premières ont-elles été internalisées ? Quel type de relation d’objet le client construit-il ? Quels sont les choix d’objet du client ?
Transfert contre-transfert
46Le clinicien note la dynamique transférentielle et contre-transférentielle de la psychothérapie. L’alliance de travail dans ses différentes composantes appartiennent à cette section. L’alliance de travail peut être définie comme l’accord entre le client et le thérapeute sur les buts thérapeutiques, les moyens de les atteindre et les tâches à réaliser (Bordin, 1994).
47Les niveaux transférentiels et contre-transferérentiels proprement dits sont également à prendre en compte. Le transfert correspond à la tendance de chacun à vivre les relations actuelles sur le mode des relations construites pendant l’enfance. La tonalité du transfert, ainsi que ses modulations sont notées dans cette section. Le travail de David Malan facilite le repérage du transfert en faisant correspondre les conflits inconscients du patient à la dynamique transférentielle (Malan, 1995).
48Le système défensif et le transfert sont représentés respectivement par le triangle des conflits et le triangle des personnes. Le Triangle des Conflits est formé par les défenses qui s’expriment contre les désirs ou sentiments réprimés, ce qui provoque de l’anxiété. Dans le triangle des personnes, les sommets sont occupés par les Autres, le Psychothérapeute et les Parents. Le patient se défend (mécanismes de défense) contre les sentiments réprimés envers des personnes présentes ou passés à l’origine du conflit, mais la satisfaction des désirs est impossible ou inacceptable, ce qui provoque de l’anxiété. Les triangles reposent sur leurs sommets, ce qui signifie que les sentiments et désirs réprimés alimentent les défenses et l’anxiété et que les relations aux autres et au psychothérapeute dépendent des premières relations avec les parents. David Malan associe les deux triangles en faisant correspondre les sentiments réprimés à un ou plusieurs sommets du Triangle des Personnes.
49Cette section pose la difficile question de savoir à qui appartient le matériel de psychothérapie et les notes qui le traduisent. Lorsque les choses se passent banalement, la question n’a pas à être résolue. Il n’y a de psychothérapie uniquement parce qu’une personne demande à une autre de traiter une difficulté psychologique. Les pensées formées en séance appartiennent aussi bien à l’un et à l’autre des protagonistes. Un mécanisme comme l’identification projective montre combien les pensées ou les émotions de l’un peuvent être données à vivre à l’autre. Dans le cadre des écrits du psychothérapeute, la distinction est généralement faite entre les notes cliniques et les notes du psychothérapeute. Ces dernières comportent des éléments transférentiels et contre-transférentiels, et, de ce fait, elles ne sont pas versées au dossier du client contrairement aux notes cliniques. Aussi, cette section est à supprimer lorsque les notes doivent être transmises, qu’il s’agisse d’un autre professionnel ou du patient lui-même.
50Les questions suivantes peuvent être utiles pour la section Transfert Contre-transfert : un transfert est-il repérable ? Quelle est la tonalité du transfert ? Le transfert est-il une aide ou un obstacle à la psychothérapie ? Le thérapeute est-il gêné par la nature du transfert ? Quels sont les éléments du passé qui sont actualisés dans le transfert ?
Analyse
51Dans la section « Analyse », le clinicien effectue une évaluation du client en fonction de ce qui a été noté dans les sections précédentes. Pour plus de clarté, il peut être nécessaire d’organiser la section en sous-rubriques : problèmes, buts et évaluation. La sous-rubrique « Problème » liste les problèmes du client et les présente par ordre d’importance. Cette sous-section est surtout importante dans le cadre des entretiens diagnostiques. Elle permet la planification de la prise en charge du client. Le clinicien donne son point de vue de la situation dans la sous-section « Évaluation ». La section « Analyse » fait le lien entre la perception du client (Subjectif), les données cliniques par l’axe transféro-contre-transférentiel, les conflits, le Moi et les mécanisme de défense, le Self et les relations d’objet, et ce qui va être proposé dans la rubrique Plan.
52D’une façon générale, la section « Analyse » permet de discuter de l’écart entre la perception du client et ce qui est observé dans le rendez-vous, de discuter les buts du traitement, et de commenter l’évolution du client. Elle est un résumé des problèmes trouvés et des buts que le clinicien s’est donnés avec son client. Les trois sous-rubriques sont à comprendre comme un processus. Les problèmes du client sont tout d’abord listés en fonction de ce qu’il a apporté (évaluation) et de ce qui a été observé (les données cliniques). Puis, des buts sont donnés.
53Les buts à long terme sont décomposés en plusieurs étapes. Enfin, une évaluation générale de la situation est donnée par le clinicien (sous-rubrique « Évaluation »).
Plan
54La section « Plan » résume le traitement prévu pour le client. Elle décrit les actions menées auprès du client. Il est important de prendre en compte les modalités du traitement : qu’est-ce qui sera fait ? Où ? Par qui ? Pendant combien de temps ? À quel rythme ? Quels tests sont à passer ? Lorsqu’il s’agit d’une psychothérapie, la section « Plan » doit préciser au minimum le type de traitement donné et la fréquence du traitement. Des informations supplémentaires comme le nom du professionnel ou qui donnera le traitement et le nom de l’institution où il sera conduit peuvent être utiles. Le plan est en relation avec les buts à long terme et à court terme établis dans la section « Analyse ».
55Lorsque la note est écrite à la fin de la prise en charge, la section Plan précise : le type de traitement, les résultats obtenus, le nombre de séances, l’assiduité du client, les recommandations faites, les autres traitements déjà prescrits et les documents donnés. La section « Plan » est l’étape finale de la planification de la prise en charge du client. Au moment de l’évaluation diagnostique et aux étapes intermédiaires du traitement, elle encadre l’accompagnement du client. À la fin de la prise en charge, elle donne un résumé des traitements effectués et des recommandations faites.
Conclusion
56Les notes cliniques sont un élément essentiel du travail du psychothérapeute. Elle l’accompagnent et l’aident à penser son client une fois celui-ci parti. Elles permettent de préparer la séance à venir. Elles sont une aide dans l’organisation du soin, dans la formation des psychothérapeutes et dans les échanges scientifiques. Pourtant, malgré toutes ces qualités, les notes cliniques sont souvent négligées par les psychothérapeutes psychodynamiciens. La méthode des quatre théories offre un système de notes cohérent avec le cadre psychanalytique.
57Elle est organisée autour des quatre théories de la psychanalyse (théorie du conflit, psychologie du Moi et des mécanismes de défense, théorie des relations d’objet, théorie du Self) et de la dynamique transférentielle. Elle permet d’organiser le matériel à partir de ce qui est entendu (section « Subjectif ») et expérimenté (section « Transfert contre-transfert »), en relevant l’impact des premières relations (section « Relations d’objets ») sur l’aménagement de la personne (section « Psychologie du Moi et des mécanismes de défense »). Les éléments cliniques peuvent alors être interprétés par le clinicien (section « Analyse ») et des options de traitement peuvent être proposées (section « Plan »).
Bibliographie
- Bergeret J., 2011, Psychologie pathologique : théorique et clinique, Paris, Elsevier Masson.
- Bordin E. S., 1994, « Theory and Research on The Therapeutic Working Alliance : New Direction. », in Horvath O. H., Greenberg L. S. (sous la direction de), The Working Alliance: Theory, Research, and Practice, New York, Wiley.
- Cameron S., Turtle-Song I., 2002, « Learning to Write Case Notes Using the Soap Format », Journal of Counseling and Development, 80 (3) : 286-292.
- Freud S., 1912, « Conseils aux médecins dans le traitement psychanalytique », in Œuvres complètes, Tome xi, Paris, Puf, 2005.
- Gimenez G., Barthélémy S., 2011, « Le temps de la prise de notes », Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 1 : 171-185.
- Ionescu S., Jacquet M.-M., Lhote C., 1997, Les Mécanismes de défense : théorie et clinique, Paris, Armand Colin, 2012.
- Kaës R., 1994, La Parole et le lien : processus associatifs dans les groupes, Paris, Dunod.
- Katzman D. K., 2010, « Les sextos : assurer la sécurité et la responsabilité des adolescents dans un monde adepte de technologie », Paediatrics & Child Health, 15 (1) : 43-45.
- Klein M., 1927, Développement de la psychanalyse, Paris, Puf, 1966.
- Kohut H., 1991, Le Soi : la psychanalyse des transferts narcissiques, Paris, Puf.
- Levine H. B., 2007, « A Note on Notes : Note Taking and Containment », The Psychoanalytic quarterly, 76 (3) : 981-990.
- Malan D., 1995, Individual Psychotherapy and The Science of Psychodynamics, Boca Raton, Crc Press.
- Ogden T. H., 1977, Projective Identification and Psychotherapeutic Technique, Lanham (Maryland), Jason Aronson.
- Pine F., 1998, Diversity and Direction in Psychoanalytic Technique, Londres, Yale University Press.
- Vaillant G. E., 1977, Adaptation to Life, Boston, Little Brown.
- Weed L., 1964, « Medical Records, Patient Care, and Medical Education », Irish Journal of Medical Science, 39 (6) : 271-282.
- Wallerstein R. S., 2001 « The Generations of Psychotherapy Research : An overview », Psychoanalytic Psychology, 18 (2) : 243-267.
- Wallerstein R. S., Sampson H., 1971, « Issues in Research in Psychoanalytic Process », The International Journal of Psycho-analysis, 52 : 11-50.