Couverture de JDP_341

Article de revue

Comment articuler notre pratique de psychologue avec les systèmes hiérarchiques qui nous régissent ?

Pages 17 à 19

Note

  • [*]
    In proposition d’amendement, transmise en décembre 2014 par le Snp au rapporteur du Projet de loi relatif à la santé n° 2302.

1Comment faire valoir l’indépendance du psychologue face à des exigences managériales qui vont parfois à l’encontre de l’éthique même de notre profession ? Placer le Code de déontologie au rang des décrets est une solution qui permettrait d’asseoir la place du psychologue dans les systèmes hiérarchiques, de légitimer et de définir son expertise.

2Les logiques managériales ont leurs propres paradigmes bien éloignés des concepts qui sous-tendent l’exercice du psychologue. Or, en qualité de salarié ou d’agent public, nous sommes dans un lien de subordination à une hiérarchie et, en qualité de travailleur indépendant libéral, nous sommes redevables à ceux qui nous consultent ou qui nous missionnent.

3L’exercice de la profession de psychologue nécessite quelques prérequis indispensables tels que ceux déjà définis par la loi de juillet 1985, que sont les conditions de formation initiale régissant l’usage professionnel du titre de psychologue, ainsi que de nombreux autres qui, faute de définitions légales, sont plus difficiles à faire respecter.

4Certes, l’antinomisme entre les logiques managériales et les prérequis indispensables à l’exercice de notre profession n’est pas patent en toute situation professionnelle. Mais, quand il est avéré, il devient difficile au psychologue d’éviter l’instrumentalisation de sa pratique, qui peut en découler, sans entrer en conflit avec sa hiérarchie.

5Le Syndicat national des psychologues ne cesse de recevoir à sa permanence des témoignages de consœurs et confrères aux prises avec des situations de ce type, dans lesquelles l’exercice même de la profession devient quasiment impossible au vu des exigences managériales dont ils sont l’objet.

6Il s’agira, ici, pour le praticien, de se plier à des exigences de tests systématiques de la population accueillie dans l’établissement au mépris de l’avis professionnel du psychologue sur la pertinence de la passation de tel ou tel test pour telle ou telle personne. Ou il pourra s’agir, là, d’une interdiction managériale de la prise en compte des dimensions institutionnelles par le psychologue ou encore d’une obligation d’utilisation, édictée par une direction d’établissement, de telle ou telle méthode thérapeutique, au mépris de l’avis même du clinicien sur son intérêt thérapeutique.

Comment faire valoir l’indépendance nécessaire à l’exercice professionnel ?

7C’est bien cette question qui se pose à chacun d’entre nous, lorsque nous sommes soumis à des injonctions qui heurtent la conceptualisation même de notre exercice professionnel. Si nous nous en tenons aux règles du droit du travail, nous devons obéissance à notre hiérarchie et ne pouvons revendiquer aucune indépendance par rapport à celle-ci sous peine de faute grave pour insubordination. Les aphorismes tels que « Mais quand même, je suis psychologue, j’ai bien le droit de faire comme je veux… mon indépendance est inscrite dans ma déontologie… » n’y changeront rien ! Dura lex sed lex, c’est le Code du travail qui gagnera, in fine, contre les concepts du psychologue.

Le recours à la déontologie

8Depuis les débuts modernes de l’exercice professionnel de la psychologie, la question déontologique s’est posée et un Code signé par la plupart des organisations de psychologues a vu le jour en 1996. Il a été une référence commune jusqu’aux divergences de 2012 autour de sa nécessaire actualisation. En effet, deux stratégies se sont affrontées lors des premières rencontres interorganisations mises en place en vue de cette actualisation. L’une d’elle consistait à revoir le texte sans poser la question d’une instance légale pour le porter, tandis que l’autre prônait la décision de mise en place d’une telle instance préalablement à la réécriture du Code. Cette fracture entre les organisations nous a fait perdre beaucoup de temps et, aujourd’hui, toutes le regrettent. D’autant que l’immense majorité des psychologues est pour la mise en place d’une instance de régulation d’une déontologie enfin légalisée.

Qu’est-ce qu’une déontologie légalisée et pourquoi doit-on l’adosser à une instance ?

9Un Code de déontologie des psychologues légalisé serait institué par un décret pris en Conseil d’État qui en ferait une norme juridique certaine. Un Code qui rejoindrait ainsi le corpus législatif et réglementaire se trouverait, de facto, inscrit dans la hiérarchie des normes et deviendrait ainsi opposable à d’autres textes de ce même corpus – de fait, les règles indispensables à l’exercice professionnel de la psychologie auraient un statut juridique comparable aux règles de l’exercice salarié ou d’agent public.

10La déontologie appartenant au registre du disciplinaire, sa légalisation doit être assortie de l’indication d’une instance juridique de référence, puisqu’aucune juridiction disciplinaire non spécifique n’existe en France.

11Chaque code de déontologie est ainsi référé à une instance professionnelle (Conseil national des géomètres-experts, Chambre des notaires, Ordre national des médecins, etc.), car le propre de la justice disciplinaire consiste à ne pas être une justice étatique.

12Gérard Cornu (1987) définit le disciplinaire comme un « ensemble de règles et devoirs imposés aux membres d’un corps ou d’une profession, ou attachés à l’exercice d’une fonction et dont le régime de sanction est autonome tant en ce qui concerne les instances compétentes et la procédure que la définition des infractions et la nature des peines ». Chaque association, syndicat, groupement, etc., régi(e) par des statuts est de fait investi(e) d’un pouvoir disciplinaire non juridictionnel par le simple fait qu’il (elle) possède celui d’accepter ou non ses adhérents ou d’en prononcer la radiation pour non-respect des statuts. Dans le cas d’une instance professionnelle spécifique, la différence tient au fait que le pouvoir disciplinaire devient juridictionnel et qu’il implique un pouvoir sur l’appartenance à la profession et pas seulement à une association ou un syndicat.

13Afin d’étudier ces questions juridiques et ne pas en rester au niveau d’un simple code d’éthique partagé entre des organisations comme sont ceux de 1996 ou de la révision de 2012, le Snp et la Cfdt Santé-Sociaux se sont conjointement adjoint les services d’un juriste, l’avocat Yann Durmarque. Il a résulté de cette élaboration juridique, d’une part, la production d’un Code, élaboré à partir d’une matrice des Codes lui conférant les bases nécessaires à sa légalisation par un décret pris en Conseil d’État, et, d’autre part, la proposition d’une instance de type Haut conseil des psychologues, à même d’assurer la régulation déontologique de la profession.

Une appartenance professionnelle inscrite dans la hiérarchie des normes

14Actuellement, seul l’usage du titre de psychologue étant protégé par la loi, la réglementation de la profession ne confère pas aux psychologues la totalité des droits et devoirs afférents habituellement aux professions réglementées, et en particulier ceux relevant de la déontologie applicable à la profession. La légalisation de la déontologie des psychologues et l’adossement de celle-ci à une instance professionnelle de type Haut conseil des psychologues permettrait d’inscrire l’appartenance professionnelle dans la hiérarchie des normes et de donner ainsi à la déontologie professionnelle le caractère de norme juridique certaine, au rang des décrets. Les règles déontologiques deviendraient ainsi opposables et supérieures en droit à d’autres normes. Se soumettre à une discipline déontologique permettrait un positionnement professionnel nettement mieux affirmé dans les lignées managériales auxquelles appartient le psychologue salarié ou agent de l’État. Cela assurerait aux psychologues, aussi bien dans l’exercice salarié que dans celui de travailleur indépendant, le caractère de profession libérale à pratique prudentielle, c’est-à-dire, selon Florent Champy (2009), une profession qui nécessite la mobilisation de savoirs dans des situations d’incertitude, dans lesquelles on ne peut se contenter d’appliquer un savoir normalisé, contrairement aux pratiques des métiers standardisés.

15Aucune norme standardisée, aucune référence normalisée, ni même aucun savoir expert ne peuvent ni ne pourront jamais suffire dans la prise en charge de l’humain. En effet, une certaine incertitude foncière naît de l’unicité de chaque sujet, et seules des références déontologiques sont à même de protéger le public et de garantir une qualité au soin psychologique.

Un code légal pour garantir les fondamentaux de la profession de psychologue

16« Se référant aux fonctionnements psychologiques, les psychologues veillent à l’intégrité psychique et psychosociale des personnes, des groupes et des organisations. Ils concourent à l’étude de ses conditions, à la prévention de ses atteintes et à sa restauration. Ils sont des acteurs de la santé publique.

17L’exercice de la psychologie est l’accomplissement habituel d’actes autonomes ayant pour objet, à l’égard d’une personne, individuellement ou en groupe et dans un cadre de référence scientifiquement étayé de psychologie, la prévention, l’examen, le dépistage ou l’établissement d’un diagnostic psychologique de souffrances psychiques ou psychosomatiques et la prise en charge, le soutien ou le développement de cette personne.

18La protection du public recourant à leurs services est assurée par un Code de déontologie et un Haut conseil national des psychologues, garants du professionnalisme de leurs actes[*]. »

Seule la soumission au droit fondera l’autonomie professionnelle au service du sujet !

19La revendication par les psychologues du droit à l’autonomie est constante et certaine, à tel point même que la simple évocation d’une quelconque inscription légale est perçue par certains comme une restriction à cette autonomie et à cette indépendance et, par conséquent, comme une limitation de la liberté du sujet. Il y a ici confusion, car c’est bien l’inscription dans le droit qui fonde la liberté comme nous l’enseigne L’Esprit des lois de Montesquieu (1748). En effet, la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent, et c’est cela qu’un Code de déontologie à valeur légale assurerait au psychologue.

20L’inscription de la profession de psychologue et de sa déontologie dans le droit lui conférera, comme nous l’avons vu, une place certaine dans la hiérarchie des normes juridiques et donc une réelle force qui, seule, peut lui permettre de défendre la nécessaire autonomie inhérente à la pratique des psychologues, au service de la liberté et de l’autonomie des individus qui les consultent. Car c’est là la seule raison à la nécessité d’un encadrement déontologique de notre profession, le respect du consultant du psychologue, le respect du sujet, de son autonomie psychique, et ce, quelle que soit sa situation sociale, pathologique, etc.

Note

  • [*]
    In proposition d’amendement, transmise en décembre 2014 par le Snp au rapporteur du Projet de loi relatif à la santé n° 2302.
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