Note
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Institut national du cancer, 2014, Mon enfant a un cancer : comprendre et être aidé, collection « Guides parents Cancer info », INCa-Sfce.
1Améliorer l’information et la participation des parents aux soins et au suivi de leur enfant atteint de cancer est un enjeu majeur pour permettre à ces familles de survivre à cette épreuve dévastatrice et douloureuse. Remettre pour cela au travail la fonction parentale dans la rencontre avec le psychologue fait partie des réflexions et des actions menées en ce sens par cette équipe d’une unité d’hémato-oncologie.
2Sous l’impulsion des plans cancers successifs et des textes organisationnels spécifiques à la pédiatrie, la cancérologie pédiatrique s’est beaucoup structurée ces dernières années.
3La suspicion ou le diagnostic de cancer chez un enfant conduit à sa prise en charge rapide sur un centre spécialisé régional (il en existe trente en France). Lors de cette première hospitalisation, souvent loin du domicile, les parents changent brutalement de statut et deviennent « parent d’enfant malade » à risque vital : en tant que responsables légaux, ils ont à prendre des décisions dans un domaine inconnu, leur vie personnelle passe au second plan pour se rendre disponible à 100 % pour leur enfant, et l’organisation familiale s’en trouve bouleversée.
4Passé cette phase « technique » en centre spécialisé, la suite de la prise en charge est réalisée le plus souvent possible près du domicile, grâce à l’implication, dans un travail en réseau, de services de pédiatrie de centres hospitaliers généraux – centres de proximité –, formés pour assurer la surveillance entre les cures de chimiothérapie et l’administration de certaines chimiothérapies simples. Deux nouvelles phases éprouvantes se présentent aux parents : le retour à domicile, pendant lequel ils se retrouvent seuls face à leur enfant « médicalisé », et les hospitalisations répétées en centre de proximité, au milieu des patients de pédiatrie générale, avec la nécessité d’accorder leur confiance à une équipe moins spécialisée.
5Pour accompagner les parents et les aider à trouver leur place tout au long de la prise en charge de leur enfant, différents documents et dispositifs ont été élaborés au niveau national et retravaillés par les équipes des centres de référence.
L’Hospitalisation initiale en centre de référence
Les grandes étapes de la prise en charge
6La première hospitalisation a deux objectifs : la prise en charge du cancer (très technique, médicale, de laquelle les parents peuvent se sentir « simples spectateurs ») et la prise en charge de l’enfant, c’est-à-dire la mise en place de mesures d’adaptation de son quotidien induites par la maladie et-ou les traitements, et dans laquelle les parents ont un rôle incontournable.
7La prise en charge du cancer passe par un diagnostic de certitude, un bilan d’extension, nécessitant plusieurs examens biologiques ou d’imagerie, la discussion du dossier en réunion de concertation pluridisciplinaire pédiatrique interrégionale pour une validation de la décision thérapeutique, la remise aux parents d’un plan personnalisé de soin, la pose d’un dispositif de perfusion pour l’administration des chimiothérapies et la mise en route du traitement pour vérifier son efficacité et sa tolérance.
8La prise en charge de l’enfant consiste à envisager le retentissement sur sa vie personnelle (physique, psychologique), familiale (parents, fratrie) et sociale (scolaire, loisirs).
L’amélioration des connaissances parentales par l’information
9Le choc de l’annonce reste gravé à tout jamais dans l’esprit des parents. Notre rôle pendant cette phase est de délivrer aux parents une information juste, claire, accessible et progressive, les aidant ainsi à s’approprier quelques connaissances qui leur permettent de mieux comprendre et accepter ce qui se passe pour leur enfant. D’une manière générale, nous divisons ce temps de l’annonce en trois entretiens distincts pouvant prendre jusqu’à une heure chacun.
10Le premier entretien est centré sur le diagnostic : en repartant des symptômes présentés par l’enfant et des anomalies constatées sur les examens paracliniques, nous donnons le diagnostic précis, nous nommons la maladie, puis laissons les parents réagir. Nous cherchons à savoir ce que cela représente pour eux, puis nous précisons que la maladie fait partie des cancers, qu’elle correspond à un accident de la vie cellulaire, qu’il n’y a pas de facteur favorisant connu et qu’elle est arrivée il y a peu de temps, essayant, dans ce premier temps, de déculpabiliser les parents. Nous poursuivons en expliquant que le cancer chez l’enfant est très rare, différent de celui de l’adulte, qu’il se soigne globalement mieux, que le traitement est connu et sera long et qu’il faut maintenant effectuer un bilan d’extension pour choisir le bon projet thérapeutique. Nous annonçons les armes thérapeutiques qui seront utilisées (chimiothérapies, chirurgie, radiothérapie) et commençons à présenter les effets secondaires généraux de la chimiothérapie, notamment l’aplasie. Nous parlons ensuite de la nécessité de poser une voie veineuse centrale. Nous terminons par l’annonce de la durée prévisible de l’hospitalisation et la présentation des différents acteurs qu’ils seront amenés à rencontrer au fil de la prise en charge.
11Le deuxième entretien est centré sur le traitement : annonce des résultats du bilan d’extension et du plan thérapeutique, en précisant l’intensité du traitement, les chances de rémission, puis de guérison. Nous entrons dans le détail du protocole, des cures de chimiothérapie et de leur toxicité spécifique, dans la réalisation concrète des traitements en introduisant la notion de centre de référence, centre de proximité et travail en réseau. Nous préparons ainsi la mise en confiance des parents.
12Enfin, le troisième entretien est consacré à la réponse aux questions que pourraient se poser les parents, à la remise de documents écrits (livret Mon enfant a un cancer : comprendre et être aidé [*], information sur les transfusions, sur la maladie, sur les associations) et à la signature de consentements éclairés (pour l’informatisation des données, le protocole de soins, les transfusions, les registres, la recherche…).
L’aide à l’organisation d’une prise en charge globale par le dispositif d’annonce
13La prise en charge de l’enfant dans toutes ses dimensions implique obligatoirement une restructuration de l’organisation familiale. Le dispositif d’annonce, mesure 40 du plan cancer, est particulièrement développé en pédiatrie. Tous les parents d’un enfant atteint de cancer rencontrent de façon systématique, après l’annonce médicale, un certain nombre de professionnels :
- une puéricultrice dédiée à un temps d’accompagnement soignant, qui les encourage à reformuler ce qu’ils ont compris – ou pas – des informations médicales données et les encourage à reposer des questions le cas échéant ;
- une assistante sociale qui les informe des aides auxquelles ils ont droit du fait de la maladie de leur enfant et les accompagne dans leur démarche d’ouverture de droits en fonction de leur situation préalable (la présence permanente d’un des deux parents auprès de l’enfant impose souvent un arrêt d’activité professionnelle pouvant avoir de graves répercussions sur l’équilibre budgétaire familial) ;
- une psychologue qui se présente et se met à disposition de l’ensemble de la famille (patient, parents, fratrie) en fonction des besoins et éventuellement des ressentis de l’équipe ;
- une enseignante qui évalue, en fonction du projet thérapeutique, l’adaptation possible pour le maintien de la scolarité et se charge d’aider les parents dans les démarches ;
- une professeur d’éducation physique et sportive qui essaie de maintenir chez l’enfant une préoccupation du bien-être corporel, passant par des exercices pratiques et-ou du lien avec les activités sportives préalablement pratiquées par l’enfant.
Vécu et enjeux de l’hospitalisation initiale
14Généralement, malgré les explications médicales, les parents tentent de trouver la cause de cette pathologie, de mettre du sens sur cet insensé. Cette recherche de sens sur l’origine de la maladie de leur enfant est un processus normal et les amène parfois à cibler une cause externe (tels que les pesticides, les événements de vie majeurs…), mais, le plus souvent, c’est surtout leur responsabilité que les parents questionnent ou mettent en avant à un moment donné.
15Ainsi, ils évoquent le plus souvent leur sentiment de culpabilité de n’avoir pas su protéger leur enfant contre le danger. Bien souvent, lors des premiers entretiens avec les psychologues, ils se questionnent sur leur rôle de protecteur : et s’ils avaient été plus attentifs ?
16et s’ils avaient consulté plus tôt ? et s’ils avaient insisté plus pour que soient réalisés tel ou tel examen ?
17Au moment du diagnostic, tous les repères de vie volent en éclats : les parents et l’enfant se retrouvent du jour au lendemain coupés de leur quotidien, loin de leur domicile, de leurs proches, coupés de leur vie professionnelle, dans un lieu inconnu et médicalisé, donc souvent incompréhensible.
18Dans ce contexte, avec un sentiment de culpabilité très présent, et face à la crainte pour la survie de leur enfant, il leur devient alors difficile de maintenir les règles éducatives habituelles. Ils n’osent plus imposer de règles à leur enfant qui est en détresse et qui subit déjà tellement, dans la crainte d’en ajouter à sa souffrance. Ainsi s’installe, au cours de l’hospitalisation, une attitude plus permissive, qui impacte fortement la relation parent-enfant. L’enfant qui n’a lui-même plus de repères ne peut plus s’appuyer sur une autorité parentale rassurante, ce qui renforce ses angoisses.
19Dans la grande majorité des familles, c’est la mère qui stoppe son activité et reste auprès de l’enfant à l’hôpital. Très rapidement s’installe une relation fusionnelle régressive engendrée à la fois par la nécessité de soins corporels pour l’enfant, mais aussi par la spécificité de l’organisation du lieu. En effet, l’enfant qui gagnait petit à petit en autonomie au cours de son développement devient de nouveau très dépendant de sa mère et, dans le même temps, enfant et mère se retrouvent enfermés dans un espace très restreint jour et nuit, les mamans dormant auprès de l’enfant dans la chambre d’hôpital. En outre, l’institution vient en quelque sorte « déposséder » la mère de son rôle de nourricière dans la mesure où les repas sont préparés par l’hôpital et où des régimes spécifiques sont mis en place du fait des traitements. Enfin, les mesures strictes d’hygiène liées au risque infectieux pour l’enfant ne permettent pas aux mères d’embrasser et de prendre leur enfant dans leurs bras comme elles le souhaitent. Cette relation régressive et les contraintes imposées par l’hôpital viennent affecter les modalités relationnelles et le lien mère-enfant.
20Pour les pères, la situation leur impose bien souvent de continuer leur activité professionnelle. Loin de leur enfant la journée et mis à l’écart de la dyade mère-enfant, leur sentiment d’impuissance est exacerbé. De plus, leur rôle de protecteur est repris par l’institution hospitalière.
21Enfin, les normes et stéréotypes sociaux font qu’ils s’autorisent moins à verbaliser leur souffrance, créant un sentiment de solitude particulier.
22D’une manière générale, c’est toute la dynamique familiale qui est alors perturbée. La place et le rôle de chacun sont modifiés, toute l’attention est centrée sur l’enfant malade, et le couple conjugal est mis de côté au profit du couple parental. Les parents ne s’autorisent plus à communiquer de la même manière et se refusent tout plaisir ensemble, car cela pourrait amener le sentiment qu’ils abandonnent leur enfant. Le décalage des places, des sentiments et des réactions, l’envie de protéger le conjoint de sa souffrance et de ses inquiétudes, peuvent rapidement devenir source d’éloignement, d’incompréhension ou de conflit.
23Il est donc important de proposer un accompagnement, afin de pouvoir préserver la dynamique familiale.
Le retour à domicile et les hospitalisations en centre de proximité
Le parcours du patient
24Après l’hospitalisation initiale survient le premier retour à la maison. L’état médical de l’enfant autorise la sortie de l’hôpital, mais, bien sûr, impose une poursuite de la surveillance… laissée en première ligne aux parents. Ils doivent savoir repérer des signes anormaux orientant vers des effets secondaires des traitements et doivent décider de la temporisation, du traitement symptomatique ou du recours à la consultation médicale. De nouvelles responsabilités pèsent sur leurs épaules. Ils doivent également faire face à la gestion concomitante du fonctionnement familial.
25Par la suite, de multiples hospitalisations en centre de proximité vont se succéder soit pour des contrôles ou traitements prévus, soit pour des urgences.
26Lors de ces hospitalisations, leur enfant se retrouve dans un service de pédiatrie générale, avec toutes sortes d’autres pathologies, parfois infectieuses. La crainte d’une prise en charge sous-optimale par une équipe non spécialisée et de prises de risque, notamment infectieux en période de baisse des défenses immunitaires, rend la confiance difficile et augmente la vigilance des parents.
L’éducation des parents et l’inclusion dans la prise en charge
27Au-delà de l’information, qui permet aux parents de mieux comprendre, l’équipe a développé des actions d’« éducation thérapeutique », en formalisant un entretien de sortie par une puéricultrice formée. Lors de cet entretien, les principaux éléments de la surveillance clinique et biologique sont commentés, et les attitudes pratiques à adopter lors de la vie quotidienne et en cas de symptômes sont abordées. Il s’agit ici d’anticiper les situations difficiles pour les parents et de leur donner des outils pour y faire face. Cet entretien oral s’appuie sur des documents écrits remis au parent sous forme de livret (« Conseils pour le domicile ») ou de fiches (« Que faire en cas de douleurs, en cas de fièvre »). Ces documents sont insérés dans un « classeur de suivi et de liaison », qui comprend également quelques informations à destination des professionnels des différentes équipes qui s’occupent de l’enfant, notamment sur les mesures de prévention de la douleur liée aux soins et sur les pratiques autour des voies veineuses centrales et des transfusions.
28Les parents véhiculent cette information entre les deux équipes, et sont ainsi associés au soin. Pour autant, ils ne doivent pas se sentir directement soignants, et nous avons bien différencié la partie « professionnelle » de la partie « parentale » du classeur. Ce concept de parents associés au soin nous semble fondamental, mais impose que chacun soit conscient et respecté dans sa position. Les parents ont la connaissance sur leur enfant, sa façon de réagir et acquièrent petit à petit des connaissances sur la maladie et les traitements ; les soignants ont des connaissances sur la maladie et les traitements et acquièrent progressivement des connaissances sur l’enfant, ses parents et leur fonctionnement. Cela dit, les décisions médicales doivent être prises par les soignants (en tenant compte des observations et remarques parentales), et les décisions éducationnelles par les parents (en tenant compte des informations données par les soignants) ; chacun doit garder sa place, faire confiance et ne pas juger (sauf limite atteinte dans les deux cas).
29Cette configuration des rapports entre soignants et parents permet un positionnement parental et professionnel au quotidien. Pour autant, cela n’est pas toujours facile en pratique : les parents possédant de plus en plus de connaissances sur la maladie et les traitements peuvent se trouver légitimes à interférer dans les décisions médicales, et grande est la tentation pour les équipes soignantes, témoins de scènes de vie familiale au sein du service, de s’immiscer dans les relations intrafamiliales… Il faut également tenir compte de l’évolution dans le temps et savoir adapter nos conseils et notre attente vis-à-vis des parents à l’évolution de la situation clinique de l’enfant et aux capacités parentales. Réévaluations et réajustements sont fréquents.
Vécu et enjeux de la suite de la prise en charge
30Même s’il est préparé avec l’équipe, le retour à domicile se fait souvent du jour au lendemain. Ce retour tant attendu crée tout à coup une ambivalence dans les ressentis : cela représente à la fois un réconfort de pouvoir retrouver son domicile et ses repères, mais cela est également source d’une importante angoisse que de devoir se retrouver en dehors de l’hôpital, seul avec son enfant. Face à la maladie, l’hôpital devient le seul lieu où l’enfant est à l’abri du danger, selon les parents. Pendant plusieurs semaines, l’enfant a été surveillé en continu, toute une équipe s’est mobilisée auprès de lui pour répondre à ses besoins, ses douleurs, et réaliser les soins. Le retour à domicile est donc une nouvelle rupture dans le parcours de ces familles : rupture avec un lieu où l’enfant est considéré en sécurité, rupture dans les liens tissés avec l’équipe, rupture dans les liens tissés avec les autres familles.
31En outre, le retour à domicile fait peser sur les parents la responsabilité de devoir être attentifs à l’état somatique de leur enfant d’une façon nouvelle, et ils se retrouvent à porter une certaine « autorité médicale ». Ils doivent surveiller les bilans sanguins pour guetter les périodes d’aplasie, surveiller la fièvre, donner des médicaments qu’ils n’ont pas l’habitude de donner, respecter des mesures d’asepsie particulières… bref, respecter autant d’injonctions qui entraînent de fortes angoisses et une crainte de ne pas y arriver ou de se tromper et de mettre ainsi la vie de leur enfant en danger.
32Malgré les dispositifs mis en place et les efforts des équipes pour les accompagner, les parents se retrouvent donc à ce moment-là dans une place nouvelle, dans un entre-deux. Ils doivent maintenir leur place de parent, mais, dans le même temps, ils peuvent se retrouver à une place de soignant. La relation devient médicalisée et médiatisée par des gestes, des soins techniques et du matériel médical.
33Enfin, après l’hospitalisation initiale et le retour à domicile, un grand nombre de familles doivent désormais être prises en charge dans un hôpital de proximité. Encore de nouveaux repères, encore de nouveaux intervenants, source d’angoisse pour les parents. Maintenant plus habitués à la prise en charge de leur enfant, ils se sentent les garants de son bien-être et revendiquent aussi leur expertise et leur légitimité à gérer sa prise en charge. Il faudra donc du temps pour que se tissent un lien de confiance et un partenariat de qualité dans ce nouveau lieu.
Conclusion
34Être parents d’un enfant atteint de cancer, c’est être parents à 100 % d’un enfant médicalisé qui lutte contre la mort. Les parents, responsables de l’enfant, collaborent avec l’équipe médicale, responsable des soins. Véritables partenaires de la prise en charge, ils ont besoin d’informations pour comprendre, d’aide pour s’organiser et de considération pour maintenir leur place de parents. Leur accompagnement et leur soutien sont primordiaux pour les aider à traverser cette tempête soudaine qui vient faire vaciller tous les repères, à préserver une alliance thérapeutique, mais également à préserver, autant que faire se peut, toute la dynamique familiale.
Note
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Institut national du cancer, 2014, Mon enfant a un cancer : comprendre et être aidé, collection « Guides parents Cancer info », INCa-Sfce.