1La réflexion sur l’esthétique a actuellement un grand rôle à jouer, dans une société qui privilégie, en matière de soins, la rentabilité et l’efficacité plutôt que la dimension relationnelle propre à l’accompagnement thérapeutique. Le problème de l’esthétique, celui de la beauté et de la créativité, présent depuis toujours dans la philosophie, puis dans la psychologie, enfin dans la psychanalyse freudienne, a ouvert la voie à des applications importantes : transposition aux enfants avec l’utilisation du dessin dans la cure par Melanie Klein et Anna Freud ; adaptation aux psychoses et états-limites pour les enfants et adultes avec le déploiement de l’art-thérapie, puis des médiations thérapeutiques, grâce, notamment, au travail de Sandor Ferenczi, puis de Wilfred R. Bion et de Donald W. Winnicott ; référence au « conflit esthétique » théorisé par Donald Meltzer et autres spécialistes de l’autisme.
2L’esthétique est indispensable à l’humain, à l’établissement et à la consolidation de l’identité des individus, et penser en termes d’esthétique n’est pas sans influence sur le contenu et le déroulement des soins cliniques, sur les rapports patients / thérapeutes et, au-delà, sur leur insertion sociale et sur le développement des collaborations interprofessionnelles. Il s’agit donc, dans ce dossier, de conduire une réflexion sur les rapports entre la psychologie, la psychiatrie et la philosophie, en particulier sur leur efficacité et leur fécondité, dans le cadre de pratiques thérapeutiques prenant en compte les facteurs esthétiques et éthiques. D’où la question : si le rapport entre pratiques professionnelles et code de valeurs est évident, qu’en est-il de l’opérationnalité de la variable esthétique dans des contextes requérant de fortes et spécifiques exigences déontologiques ? Pour dire les choses autrement, comment la sensibilisation à l’esthétique apporte-t-elle une contribution à l’efficacité thérapeutique et modifie-t-elle les relations patients-thérapeutes ? C’est à ces questions que répondent directement ou indirectement les contributions réunies ici. L’esthétique dont il y est question renvoie à des expériences sensorielles et mentales consécutives à des prises en charge thérapeutiques institutionnelles ou libérales – souvent groupales –, ainsi qu’à une focalisation sur les liens qui les sous-tendent ; une esthétique traduite en pensées et en élaborations dont découlent des processus de symbolisation. Quant à l’éthique, elle accompagne nécessairement la politique soignante institutionnelle et sociale et trouve ses sources dans la formation professionnelle, clinique… – promouvant des attitudes de rigueur dans l’analyse du vécu et des interactions – et dans des valeurs comme l’accueil bienveillant, le respect des projets de soins, construits de manière concertée avec les patients. Cette réflexion, qui est véhiculée par les différents textes du dossier, s’appuie sur les références aux travaux bien connus de Freud, Bion, Winnicott et Meltzer… et s’est développée en rapport avec des pratiques cliniques inspirées par « l’art-thérapie » (et les médiations thérapeutiques), dans des lieux de traitement (intra ou extra hospitaliers) au sein desquels la verbalisation, ainsi que l’implication individuelle ou collective occupent une place prépondérante. Une formule lapidaire résume cette philosophie de l’action thérapeutique : « Soigner l’humain par l’humain. »