Notes
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[1]
Ce dossier, faute de place, est malheureusement privé de l’éclairage de la puéricultrice et de l’assistante sociale.
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Selon l’heureuse expression d’André Carel.
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[3]
Le terme de « transparence » risque de véhiculer l’illusion d’une transparence totale. Une telle chimère méconnaîtrait l’irréductible inconscient tant de la parturiente que de ses interlocuteurs.
1Reconnaître les multiples scénarios de crises et de ruptures du naître humain, du (re)devenir parent et du rester soignant pour tenter d’accompagner au mieux ces trajectoires humaines, tel est l’objectif de ces professionnels qui se consacrent, avec créativité et vulnérabilité, à dépasser le clivage entre psyché et soma pour relever le défi d’une psychologie clinique périnatale pluridisciplinaire. Définition et contour des enjeux princeps.
2Avant, pendant et après la naissance, la femme (re)devenant mère et l’homme (re)devenant père conçoivent, attendent, puis accueillent un enfant. Cette métamorphose individuelle, conjugale, familiale et collective constitue un axe majeur anthropologique de la filiation familiale verticale et de l’affiliation sociale horizontale.
3Les territoires humains de cette mutation sont la personne, le couple, éventuellement la fratrie, la famille nucléaire et élargie, l’ethnie et la société.
4La chronologie de cette transformation est celle de la grossesse et de l’après-naissance, une durée plus étendue que celle de la première définition de la périnatalité. De fait, elle a été définie au départ par des pédiatres néonatalogistes comme une période de vie du fœtus / nouveau-né de seize semaines qui s’étendent de sa vingt-huitième semaine de vie intra-utérine au septième jour de sa vie postnatale.
5Dans le cadre qui est le nôtre, celui de la psychologie clinique, la périnatalité est nettement plus large. Elle débute avec la gestation et s’étend, selon les référentiels, des ancestraux quarante jours post-partum à la fin de la première année.
6Contrairement à la périnatalogie des pionniers de la néonatalogie, l’espace-temps de la périnatalité ne se centre pas seulement sur l’axe développemental du fœtus / bébé « isolé ». Il concerne électivement une « série complémentaire » (Freud, 1916-1917) de quatre sujets dont la constante interactivité témoigne d’une homéostasie commune : celle du fœtus / bébé, sujet en devenir ; celles des parents, de la famille élargie, de la communauté d’appartenance ; celle des soignants ; celle de la société.
7De plus, la psychologie clinique englobe, chez le sujet et le groupe, la double processualité croisée de la réalité événementielle externe (matérielle) et de la réalité psychique interne. En périnatalité, l’intrication de ces deux formes de réalité sera constante, en particulier chez les trois acteurs principaux en présence : l’embryon / fœtus / bébé, les parents et les soignants. Et, dans une vision résolument intersubjectiviste, les réalités interne et externe de chacun d’entre eux seront a priori perçues comme recevant et exerçant constamment une influence mutuelle des deux autres. En d’autres termes, les embryons / fœtus / bébés, (re)devenant parents et soignants, seront envisagés dans cet espace-temps périnatal comme élément d’un tryptique pluriel mais unitaire dans son homéostasie interpersonnelle.
8Enfin, la psychologie clinique se doit de relever le défi de s’opposer au clivage entre la psyché et le soma qui parasite le soin médical occidental. En périnatalité, les processus de maternalité et d’épigenèse du fœtus / bébé sont paradigmatiques d’une intrication somato-psychique. Mutatis mutandis, celle de la paternalité est moins évidente, mais ne l’est pas moins. Toute approche soignante qui vient dénier cette dialectique est en risque de iatrogénie. Face aux menaces scientistes d’hypermédicalisation déshumanisante de la parentalité et de la naissance, la réflexivité interdisciplinaire inhérente à la mise en œuvre d’une psychologie clinique périnatale constitue une force d’opposition.
Les enjeux du champ périnatal
9Pour un clinicien du devenir parent et du naître humain, il est légitime d’affirmer que l’état des lieux de la politique de santé d’un pays en matière de périnatalité est un marqueur d’une grande fidélité de son degré de civilisation. Les moyens matériels alloués et les stratégies préventives primaires et secondaires engagées reflètent peu ou prou sa reconnaissance de l’importance de cette période charnière pour les citoyens en devenir et les conditions parentales et soignantes.
10Dans ce tableau, les cadres juridiques et éthiques périnatals d’une nation représentent des données typiques et surdéterminantes. Les débats, souvent les polémiques, autour de l’adoption, de la gestation pour autrui, de l’homoparentalité, de la procréation médicalement assistée, du statut du fœtus, du diagnostic anténatal… en attestent abondamment.
11Comme la clinique en témoigne, ces aspects politiques, juridiques, éthiques et sociologiques, leurs racines et évolutions historiques, ne sont jamais absents des questions abordées. Pour autant, la psychologie clinique périnatale se centre avant tout sur le sujet biopsychique dans sa double valence intrapsychique et interpersonnelle. Aussi, les enjeux, en termes de psychologie clinique de la périnatalité, se poseront essentiellement dans ce dossier en termes de trajectoires humaines (individuelles et collectives), dont le chapitre périnatal occupe une place capitale :
- soit au moment inaugural où l’embryon / fœtus / bébé naît humain ;
- soit au moment où cet ex-embryon / fœtus /bébé (re)devient parent ;
- soit au moment où cet ex-embryon / fœtus / bébé (devenu parent ou non) est soignant en périnatalité.
12Dans tous les cas, la périnatalité est indissociable de l’écart entre origine et originalité. Cet écart fondateur est une variable anthropologique fondamentale dont l’épaisseur représente l’identité humaine biopsychique. Deux réseaux s’y entremêlent inextricablement : un réseau de facteurs endogènes : génétiques, biologiques, intrapsychiques… et un réseau de facteurs exogènes : métaboliques, alimentaires, écologiques, interpersonnels, culturels… L’unicité inaliénable de chaque être tient dans la singularité du processus d’actualisation permanent de cet écart : on le nommera « épigenèse » en biologie, « intersubjectivation » en psychologie clinique. Telles les deux faces de Janus, épigenèse et intersubjectivation liées constituent la trajectoire humaine.
13L’axe majeur générationnel épigénétique et intersubjectif suit, pour le meilleur et pour le pire, cet écart plus ou moins différenciateur entre origines et originalité. Mais, quoi qu’il en soit, les enjeux essentiels des scénarios périnatals pour les parents, les enfants à naître ou nés et les soignants se distribuent entre comédies humaines et tragédies. Et ce sont bien, justement, la proximité, la labilité et la réversibilité entre variations de la « normale » de la comédie de la vie et les pathologies morbides de la tragédie qui caractérisent l’objet de la psychologie clinique périnatale. D’ailleurs, une de ses vertus emblématiques est bien de s’adresser tant aux variations de la normale qu’aux pathologies, ce qui tombe ici à pic. C’est en cela que son orientation psychanalytique en filiation directe avec l’héritage freudien est, dans ce contexte, si essentielle : il n’y a pas de différence de nature entre les figures de la normalité et du psychopathologique, il n’y a que des différences de degrés. Eros et Thanatos sont étroitement liés dans la chorégraphie périnatale. Ils le sont, dans le meilleur des cas, dans une ambivalence d’une amplitude tempérée.
14Le paradoxe humain est typiquement à son comble dans l’espace-temps périnatal : hommes et femmes mortels s’inscrivent dans une éternité générationnelle faute d’une éternité individuelle. Les enjeux narcissiques en présence de la transaction mort / éternité sont tels pour tous que le moindre faux-pas risque de faire basculer la comédie d’une éternité par procuration dans la tragédie d’une finitude sans filiation, d’une mort sans promesse d’éternité générationnelle.
15Pour toutes ces raisons, les conséquences cliniques de ce postulat de la continuité entre normalité et pathologie et de la potentialité tragique (traumatique) de la crise périnatale sur l’éthique du soin et la conception des stratégies de prévention sont cruciales : elles doivent favoriser des interventions prévenantes à l’abri de la stigmatisation soignante qui surveille et punit les errances de la parentalité en entretenant, sinon en amplifiant, ses dysfonctionnements.
16En psychologie clinique périnatale, le soin interdisciplinaire fonde son action sur la reconnaissance du caractère de crise de ce segment périnatal de la vie infantile ou adulte. Cette crise est virtuellement source de créativité (crises maturatives) et de vulnérabilité (ruptures délétères). Mais, point névralgique, l’une et l’autre ne sont pas perçues comme des entités nosographiques clivées et statiques, mais bien, a contrario, comme deux pôles entre lesquels les mille et un parallèles variables et évolutifs singuliers des embryons / fœtus / bébés, des parents et des soignants vont se distribuer et interagir chemin faisant. La psychologie clinique périnatale est dédiée aux multiples scénarios de crises et de ruptures du (re)devenir parent, du naître humain et du rester soignant.
Pas de psychologie clinique périnatale sans interdisciplinarité
17Pour témoigner de la complexité de la clinique périnatale d’aujourd’hui et relever le défi d’en édifier une psychologie clinique interdisciplinaire, il est nécessaire de faire appel, comme dans ce dossier, à des ambassadeurs des grandes corporations qui en constituent les déclinaisons collectives institutionnelles, libérales et en réseau.
18Cette évidence n’a pas toujours été de mise et, à une exception notable près, le Traité de gynécologie-obstétrique psychosomatique de Sylvain Mimoun (1999), les ouvrages génériques francophones de psychologie, psychopathologie et psychiatrie périnatales ont été rédigés par des psychiatres, psychologues et psychanalystes. Ne nous y trompons pas : à convier ici une sage-femme, une obstétricienne et une pédiatre [1] à venir partager la rédaction de ce dossier avec une psychiatre et un psychologue, est une véritable revendication clinique et épistémologique, dont le message mérite d’être explicitement formulé :
- les psychiatres et les psychologues n’ont pas le monopole de l’accueil, de la compréhension, du soin des crises et des ruptures biopsychiques périnatales. Ils en sont un maillon militant et fédérateur dans une équipe et un réseau ;
- bien au-delà de la formation académique des professionnels et de l’histoire de la médecine, c’est la synergie entre les compétences des « somaticiens » et celles des « psychistes » pour une approche holistique du sujet qui peut prétendre à une efficacité thérapeutique, une légitimité éthique, tout en respectant les vocations professionnelles initiales de chacun et leur maturation. Le tuilage entre ces compétences respectives fonde le territoire commun de la psychologie clinique périnatale. Les spécificités en constituent les déclinaisons spécialisées. Un échographiste annonçant une grave anomalie fœtale à des parents, puis s’investissant dans le suivi du couple, simultanément, joue sa propre partition (déclinaison spécialisée), mais aussi échange, partage avec l’équipe et le réseau (dont le psychiatre et-ou le psychologue est membre) ;
- le travail de réflexivité critique inhérent à l’exercice partagé de la psychologie clinique est une interface entre chaque spécialité impliquée dans le soin périnatal ; il impose un labeur de liaison intersubjective qui trouvera sur sa route les répétitions et résistances de chacun. C’est bien pourquoi les modalités intra et interdisciplinaires (reprises cliniques, groupes de parole, exposé d’une situation dans le cadre d’une formation en réseau, groupe Balint, intervision [2]…), quand elles existent, sont des hauts lieux de cette élaboration du négatif qui plonge ses racines dans la richesse de l’après-coup, condition sine qua non de la réflexivité. En institution et en libéral, les psychiatres et les psychologues ont certainement un rôle de premier plan pour impulser et maintenir pérenne cette réflexivité collégiale. Elle restera lettre morte, si elle n’est pas un objet transversal commun.
Définir la psychologie clinique périnatale
19En étroite filiation avec l’histoire hexagonale de la psychologie clinique, la psychologie clinique périnatale revendique être une fenêtre ouverte sur la réalité psychique consciente / inconsciente, subjective / intersubjective du sujet en situation de (re)devenir parent et de naître humain.
20Comme nous le verrons avec les illustrations cliniques qui seront présentées dans les différents articles à suivre, le processus de parentalité périnatale correspond, en effet, à une amplification singulière des transformations biopsychiques et des processus d’associativité / inhibition-dissociation inhérents. Cette métamorphose parentale correspond aux extrêmes, à une crise à double valence potentielle : traumatique et-ou cathartique.
21Pour le meilleur et pour le pire, la parentalisation met transitoirement en exergue des éléments typiques de la structure et des contenus de la réalité psychique du sujet. Monique Bydlowski (1991), une des premières psychanalystes françaises à s’être penchée sur la clinique périnatale, après Hélène Deutsch (1949), Grete L. Bibring (1959) et Thérèse Benedek (1959), a parlé, à cet égard, de la « transparence psychique » de la femme enceinte.
22Mais, élément cliniquement et techniquement central pour notre définition de la psychologie clinique périnatale, cette « transparence psychique » parentale, n’est a priori que virtuelle. L’actualisation relative [3] de ses mises en sens n’est qu’une potentialité qui sera justement, de fait, confirmée ou non. La majoration de l’associativité inhérente au vécu périnatal ne correspondra à des opportunités subjectivantes que dans la mesure où les dispositifs internes et externes de l’appareil psychique du sujet, de ses espaces intersubjectifs conjugal, familial, professionnel, et liés au suivi médico-psycho-social périnatal (maternité, néonatologie, pédiatrie, pmi, lieux d’accueil, libéraux, réseaux périnatals…) seront ou non propices à sa contenance élaborative. La contrainte de cette condition sera décuplée dans le cas de grossesses / naissances médicalement « pathologiques » et-ou de troubles de la parentalité et de dysharmonies précoces parents / fœtus / bébé, etc.
23Aussi, la première face de l’objet de la psychologie clinique périnatale sera l’exploration du quotidien de la réalité psychique consciente / inconsciente, subjective / intersubjective du sujet en situation de (re)devenir parent, naître humain et être soignant sous ses formes « normales » / « pathologiques », individuelles, conjugales et groupales.
24L’attention envers les possibilités des parents et des soignants à bénéficier de cadres intimes, privés et institutionnels propices à la métabolisation de cette amplification de la processualité associative verbale et non verbale (en particulier somatique) inhérente aux transformations biopsychiques de la parentalisation et à son accompagnement professionnel, constitue la deuxième face de l’objet de la psychologie clinique périnatale.
25Cette observation clinique contenante de l’existant chez tous les acteurs en présence et la stimulation tout-venant des potentialités de métabolisation de cette associativité verbale / non verbale correspondent aux stratégies de prévention médico-psycho-sociale primaire de la psychologie clinique périnatale. Elles n’ont de sens et d’existence effective que dans l’interdisciplinarité collégialement élaborée.
26Avec une territorialité commune essentielle avec la prévention primaire, la prévention secondaire désigne la mise à disposition de dispositifs de rencontre intersubjective pour des parents et des soignants habités par des obstacles inhibiteurs-dissociatifs muselant la métabolisation de la processualité associative verbale / non verbale et à la mise en sens subjectivante de sa phénoménologie.
27L’inclusion dans la psychologie clinique du « normal » et du « psychopathologique » et, partant, des préventions primaire et secondaire, est essentielle à sa version périnatale. De fait, comme nous allons le voir, l’histoire de la psychologie clinique périnatale démontre caricaturalement combien est insatisfaisante et maltraitante pour les parents et le fœtus / bébé une attention sur les seuls cas « bruyants », objets d’une réponse psychiatrique ponctuelle.
28L’élargissement de la psychiatrie de liaison et de la psychologie clinique périnatale aux variations de grande amplitude en périnatalité de la « normale » et à une attention soignante interdisciplinaire prévenante tout-venant (prévention primaire) a été source d’une humanisation de la naissance et d’une reconnaissance des pathologies masquées, muettes ou visibles (prévention secondaire).
29En effet, les signes de souffrance « ordinaires » en périnatalité risquent d’être ignorés ou banalisés et d’évoluer souterrainement : la récurrence, encore sous-estimée en périnatalité, des troubles anxieux, thymiques, psychosomatiques, des dysharmonies relationnelles familiales, des troubles psychosomatiques du nourrisson… démontre aisément cet aveuglement culturel.
30Dénonçant le mirage d’une « normalité » médicale conformiste de la parentalité (c’est-à-dire défensivement idéalisée et source d’exclusions violentes), la prévention primaire en périnatalité se justifie par la très grande variabilité individuelle de la nature, du contenu et de la chronologie de la maturation anticipatrice parentale du fœtus / bébé. En réponse aux singularités de cette prévention parentale spontanée, la prévention institutionnelle tentera d’être « sur mesure » et bienveillante. Dans un souci éthique constant, sans naïveté sur les nombreuses dérives d’une prévention scientiste et maltraitante, elle proposera une trame rituelle interdisciplinaire favorisant la reconnaissance, l’accueil partagé et la mise en sens des ondes de choc potentielles de cette crise oscillant entre vulnérabilité et créativité.
Notes
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Ce dossier, faute de place, est malheureusement privé de l’éclairage de la puéricultrice et de l’assistante sociale.
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Selon l’heureuse expression d’André Carel.
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Le terme de « transparence » risque de véhiculer l’illusion d’une transparence totale. Une telle chimère méconnaîtrait l’irréductible inconscient tant de la parturiente que de ses interlocuteurs.