Note
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Circulaire du 28 février 2008 relative à la mise en place des centres de soins, d’accompagnements et de prévention en addictologie.
1Que signifie pour un patient de franchir le pas d’un centre de soins ? Que cela suppose-t-il pour un patient en proie à des tourments qu’il ne peut apaiser seul ? L’accueil, ce sas entre l’extérieur, la relation avec les autres et les soins, constitue déjà un espace thérapeutique.
2La mise en place des centre de soins, d’accompagnements et de prévention en addictologie (csapa), lieu de soins pour les usagers ayant une problématique addictive et pour leur entourage, ouvre sur l’opportunité de réfléchir aux fonctions spécifiques de l’accueil au sein de cette institution des « pathologies du lien ». Puisque cette mission obligatoire des csapa « ne se réduit à la prise de rendez-vous [*] », il s’agit de s’interroger sur ses fonctions thérapeutiques et de les illustrer. Nous envisageons l’accueil comme un « espace interstitiel », soit comme un lieu de passage, de rencontre, en dehors des activités institutionnelles définies, mais dans lequel des éléments cliniques apparaissent.
Accueillir : la promesse d’un avenir
3Qu’il s’agisse d’une institution ou d’une entreprise, elles ont toutes un espace et un temps d’accueil qui font partie intégrante des usages et du savoir « bien vivre ». Quand bien même ce n’est pas un art, recevoir correspond à des codes ancrés dans notre culture. Pourtant, les plate-formes téléphoniques anonymes, la prise en compte des demandes par numéro défilant sur écran, provoquent de l’indifférenciation et parfois des violences actées : « Se faire recevoir » prend parfois le pas sur « être reçu » ! S’intéresser à l’accueil, c’est prendre le temps de s’arrêter sur cet espace interstitiel où chaque sujet se reconnaît comme « ex-sistant » en dehors du temps formalisé par les horaires. Il permet une transition entre le dehors et le dedans, l’avant et l’après, entre la scène sociale et l’individualisation de la situation. « Il en a la richesse, mais il peut aussi en reproduire les avatars. » (Roussillon, 1996.) Au sein d’un csapa, l’accueil correspond au sas entre la rue et le soin et permet, dans un sens, aux usagers de se diriger vers les professionnels et, en sens inverse, de se séparer de l’équipe pour réinvestir une autonomie au quotidien. Dans ce cadre, l’accueil concerne les espaces et le temps de l’ensemble des professionnels qui côtoient les patients, dans une structure, en dehors des rendez-vous « dans les bureaux », qu’il s’agisse d’une personne souffrant d’une pratique addictive ou de leur entourage.
4Quelques fonctions s’y retrouvent systématiquement : un lieu chaleureux, sécurisant et contenant, proposant ce que Jean-Yves Hayez appelle une « ambiance attractive » (Hayez, 1999), avec une prise en compte personnalisée de l’usager, centrée sur le sujet. Au-delà de l’ambiance d’un lieu où l’on « se sent bien », le lien est favorisé par le fait d’être écouté et même entendu. Il s’agit d’être disponible pour recevoir l’autre et sa parole et pouvoir y répondre de façon adaptée, en respectant l’intimité. L’accueil se déroule avec des règles sociales où chacun respecte une certaine distance et une « limite de courtoisie ».
5En csapa, les usagers questionnent le lien à l’autre du côté de la dépendance / indépendance. Entre le collage de la personne dépendante à l’alcool et le déficit de symbolisation du consommateur d’héroïne, s’illustrent l’excès et la carence de la relation à l’autre. Agir, créer de l’urgence, de l’immédiateté, traduisent une position de toute-puissance, et sont des modes de relation à l’autre fréquemment utilisées par les usagers quelle que soit leur addiction. Prendre le temps d’aider à l’élaboration des demandes et tenter d’y répondre, poser le cadre de l’intervention et ses limites, permettent à l’équipe d’accompagner les patients de façon cohérente sans se laisser contaminer par ces postures.
Qui s’adresse à qui ?
6Pour tisser un lien indispensable à la relation de soins, cela commence par la reconnaissance des usagers, le respect de leur individualité et de leur personnalité. L’usager qui franchit la porte d’un csapa affronte le regard de l’autre et se reconnaît déjà en difficulté. Pour certains, il s’agit de faire plaisir à l’entourage, d’un problème financier, d’une menace de séparation, ou d’une obligation de justice. Quel qu’en soit le déclencheur, la souffrance éprouvée provoque des symptômes stigmatisant socialement, voire la honte. Ne pas se sentir jugé et s’autoriser à verbaliser la situation aide à établir une relation de confiance. Du côté de l’équipe, informé, orienter, rassurer, faire circuler la parole tout en préservant la confidentialité, favorisent l’ancrage d’une relation.
7Par petites touches, la première « impression » va dessiner un cadre contenant, chaleureux et rassurant : un sourire, des repères clairement verbalisés quant au règlement de fonctionnement. « Dire et vivre la loi, c’est l’attitude de base, la condition nécessaire pour mettre en place un lieu de vie crédible et cohérent. » (Hayez, 1999.) Une poignée de main rythme les séquences dans l’entretien formel de bureau et le distingue de l’espace interstitiel.
8L’accueil est un lieu de précipitation fantasmatique : l’usager « se lâche » dans la relation qui fait fonction de contenant psychique, face à ce vide transitoire, ce flottement qu’il lui faudra absolument boucher. Dans ce contexte, « ses propos, rarement anodins, éclairent les professionnels, à condition d’être reformulés pour éviter l’enkystement, le secret. L’institution doit créer un espace de “débarras” pour mettre en réserve des informations qui ne peuvent être élaborées dans l’immédiat. » (Roussillon, 1996.)
9Raccompagner les usagers, c’est leur proposer de se préparer à la séparation, manière pour eux de rassembler leurs idées, et pour nous de se donner l’opportunité de recueillir d’autres éléments. Petit à petit, les usagers manifestent moins d’angoisse, se répandent moins lors de ces transitions, travaillant ainsi la séparation/individuation, délimitant à nouveau une intimité psychique. René Kaës explique d’ailleurs que « l’institution est une enveloppe, un contenant où l’on peut se faire une structure psychique ». La salle d’attente participe à cette construction, offrant une suspension dans un premier temps insupportable pour celui qui consomme de l’immédiateté et n’accepte pas la confrontation avec lui-même. Par la suite, cette parenthèse temporelle évolue vers un moment à soi, un temps de réflexion et de préparation avant les rendez-vous. Parfois, l’équipe gère des situations de crise et les professionnels se rendent alors disponibles, à l’écoute. Dès l’accueil, les usagers se raccrochent au centre et s’appuient sur l’équipe en déversant souffrance et anxiété. Il n’est pas rare qu’un patient craque et pleure dès son arrivée. Accueillir, c’est s’adapter, par exemple en proposant cette fonction contenante.
Risques d’incidents à l’accueil
10Les professionnels ont une fonction d’étayage : ils doivent tenir, faire face aux usagers pour leur permettre de s’éloigner du centre, de se confronter au cadre et s’appuyer dessus. Il arrive qu’un usager « débarque », tente de déroger au cadre des rendez-vous, aux horaires, essaye de transgresser les règles, manifestent un comportement inadapté sous l’emprise de produits. Être là, solide, rappeler la règle rassure l’usager qui cherche la faille et trouve des repères. L’évaluation personnalisée et individualisée favorise l’inscription des usagers dans le cadre et constitue une réponse acceptable. Cette introjection de la loi, souvent défiée, parfois même jamais rencontrée, les aide à se (re)construire. Ils se confrontent à une temporalité différée, à la frustration et aux limites. En csapa, en raison de sa situation interstitielle, l’accueil reste un espace de transgression. La cohérence de l’équipe demeure indispensable, elle pose un cadre « souple mais ferme » qui limite la toute-puissance qui a prévalu jusqu’à présent aux relations avec les autres, à un comportement addictif. Nommer le cadre et le règlement aide à identifier clairement une « vigilance bienveillante », par exemple en salle d’attente. Les usagers invitent l’équipe à une demande de protection pendant cet entre-deux cadres formalisés où ils se côtoient, mais qu’ils tentent parfois de transgresser en dealant. Aux professionnels de faire face à l’imprévisible, de contenir les débordements et les passages à l’acte. Lorsque la violence s’exprime dans l’acting out, l’équipe affronte la situation et la gère afin de rassurer l’ensemble des usagers, y compris celui qui manifeste cette violence. Mais « tolérer, ce n’est pas fermer les yeux par peur de l’affrontement, c’est accepter lucidement certaines transgressions parce qu’on trouve que, pour le résident, il est préférable de laisser ses pulsions de vie s’exprimer. » (Hayez, 1999.) L’équipe exerce une surveillance discrète, mais nécessaire, elle évite que sa présence devienne étouffante ou suscite un climat de paranoïa institutionnelle, elle laisse se développer un espace d’autonomie individuel suffisant. Un éventail de violences sont exprimées, en réaction aux frustrations rencontrées : menaces, disqualification, tentatives de culpabilisation, séductions, sont autant de postures qui imposent aux professionnels de se soutenir et de travailler ensemble pour mettre de la distance, du sens, et ne pas engendrer de réaction en miroir.
Madame d. cherche sa place dans l’institution
11Madame D., âgée de trente-quatre ans, est orientée par son médecin traitant, car elle ne prend pas correctement son traitement de substitution. Mère de deux enfants de deux pères différents, elle s’est installée depuis peu dans la région avec le père de son deuxième enfant et envisage de « quitter » sa pratique addictive. À l’accueil, elle se présente familière, cherche un lien de proximité avec les secrétaires. Elle dit avoir appartenu à une association de prévention en milieu festif. Elle explique qu’elle faisait renouveler sans difficulté ses ordonnances par des médecins différents, sachant « ce qu’il fallait dire ». Elle l’avait appris lorsqu’elle faisait de la prévention. Commence, à sa demande, une prise en charge pluridisciplinaire. Madame D. installe une mise en scène assurée, une familiarité avec le personnel, et fait un large sourire en dehors du bureau. En entretien, elle exprime un profond malaise et manifeste une problématique abandonnique. Elle supporte difficilement de se voir effondrée. Parallèlement, son quotidien est source d’inquiétudes : problèmes conjugaux, financiers, où l’alcool prend une place au sein du couple. Les rendez-vous sont manqués, déplacés. Elle arrive dans l’urgence, dispersée, parfois agressive. À la fin d’un entretien, Madame D. parle de l’absence de café, alors que nous convenons du prochain rendez-vous. Je fais part de cette remarque à une collègue secrétaire. Cela fait sens pour elle. En effet, à son arrivée, Madame D. lui avait demandé une tasse de café. La secrétaire s’était assurée de la règle auprès d’un collègue avant de lui poser le cadre de l’accueil : « Par souci d’équité pour les patients, il n’y a pas de café, la distribution n’est pas mise en place dans la structure. » Énervée, Madame D. était partie dans la salle d’attente. À la suite de nos échanges, l’infirmier explique que cette demande fait suite à son passage avec un mug de café. Une hypothèse avance que la place de la patiente est « glissante » en raison de la confusion qu’elle éprouve sur les raisons de sa venue. L’équipe s’interroge sur l’acceptation de sa situation de soins et sa dépendance aux produits. Refuser ce café correspond à une réaffirmation de sa venue comme patiente, la renvoyant à son malaise et à la réalité de sa situation. Cela questionne l’équipe dans ce qu’elle renvoie de ses fonctionnements individuels et collectifs, même lorsqu’ils ne sont pas dans une adresse directe à la personne. Une phrase, a priori anodine, peut faire sens à condition que « ça se parle » en équipe, et participe ainsi à l’accompagnement. Madame D. questionne à nouveau, à travers cette tentative de proximité, sa place dans la structure. La réponse de l’équipe vient « redéfinir » sa place, sans confusion possible et éclaire un travail de distanciation qui aidera la patiente à trouver des repères clairs, constants. L’accueil questionne la différenciation et oriente les soins vers un travail d’acceptation.
Adaptation de l’équipe à la problématique de Monsieur K.
12L’élaboration suivante s’appuie sur des données recueillies par les observations et l’écoute hors bureau, ce qui favorise la réflexion collective sur la situation de Monsieur K., le sens de sa venue.
13Âgé de quarante-cinq ans, Monsieur K. vit seul après une séparation, sa femme ayant la garde de leurs deux enfants. Il ne travaille pas. Issu d’une famille de pieds-noirs rapatriée, il a été éduqué par ses parents dans une culture traditionnelle, la femme étant au service de la famille et du couple. Il décrit une éducation empreinte de violence et de haine des étrangers. Son père, malade alcoolique, est décédé d’une cirrhose décompensée. Au moment de son décès, Monsieur
14K. se présente la tête totalement rasée, son discours idéalise celui qu’il considère comme un patriarche, alors qu’auparavant leur relation était conflictuelle. Proche de sa mère, Monsieur K. lui rend visite toutes les semaines pour déjeuner ou faire le ménage en échange d’une contribution financière.
15Monsieur K. est adressé au csapa par un médecin psychiatre pour qu’un relais de traitement de substitution par méthadone, initié en milieu hospitalier, soit assuré. Polyconsommateur de produits licites et illicites, il est impulsif au début des soins, avec une forte intolérance à la frustration. Il manifeste de l’agressivité et de l’irrespect envers toute l’équipe, insulte les secrétaires et se positionne dans la confrontation face à un lieu ou une personne inconnus. À deux reprises, il se présente armé, ce qui est une menace directe envers les professionnels, qui rappellent le règlement de l’institution interdisant ce type de comportement. « Le simple fait de relever la transgression, de signifier de façon claire une désapprobation au résident est un élément indispensable et parfois suffisant pour le mobiliser autrement. Encore faut-il que cette désapprobation vienne d’une personne significative à ses yeux… » (Hayez, 1999.) Il formule cependant une forte demande d’accompagnement et prétend avoir toujours « adhéré » aux soins. Dans des moments de crise, Monsieur K. évoque son agressivité et sa violence contre des personnes extérieures. Il est adressé pour une prise en charge des comorbidités. Les éléments transmis par le psychiatre permettent d’adapter les soins à sa structure psychotique caractérisée par des éléments de persécution. En effet, un sentiment d’insécurité l’oblige à être dans une tentative de domination et de maîtrise de l’extérieur, des autres. L’accueil représente encore un espace non clairement déterminé, qui favorise son ressenti et nécessite que l’équipe développe une clinique de l’imprévisibilité.
16Le rappel du cadre, comme l’organisation des rendez-vous, ont progressivement permis qu’il intègre les règles, leur respect étant une condition sine qua non à la poursuite des soins. Afin de faciliter cette introjection, les secrétaires aménagent toujours des rendez-vous supportables, en prenant en compte ses contraintes. Monsieur K. développe alors un lien de confiance envers les professionnels, il se confie à l’équipe, sans différencier les fonctions de chacun. À plusieurs reprises, les secrétaires lui proposent de rencontrer la psychologue, car il les confronte aux limites de leurs fonctions et de celles de l’espace d’accueil. Il refuse toute prise en charge psychologique et décharge sa souffrance sans élaboration, sans aller plus loin dans le travail psychique. Dans son discours, Monsieur K se présente victime des autres, mais ne prend jamais la place d’acteur. Avec son ex-femme, la relation demeure ambivalente : Monsieur K. est tantôt disqualifiant lorsqu’il l’injurie et l’accuse des comportements délictueux de leur fils aîné, et tantôt admiratif de son ascension sociale.
17Monsieur K. investit son rôle de père, particulièrement auprès de l’aîné, un adolescent de dix-sept ans, et se préoccupe des changements qui s’opèrent chez son fils qui a créé un scénario avec une scène dans laquelle il deale des fraises Tagada. Monsieur K. verbalise sa fierté et son inquiétude. Touché par ce que vit son fils, il se sent concerné par ses premières expériences amoureuses, par sa scolarité. Son rôle de père semble entrer en résonance avec les liens à son propre père. La castration représentée par le rasage de ses cheveux semble afficher l’impossibilité d’une transmission phallique, dont il ne peut prendre le relais. Son propre fils hérite de cette identité de dealer qu’il semble jouer en miroir. Être dealer pourrait donc mettre en œuvre la transmission de cette identité masculine impossible à recevoir des générations précédentes. Par ailleurs, la seule activité lucrative de Monsieur K. concerne le deal : la drogue lui a donné une identité professionnelle. Venir dans un centre d’addictologie le conforte désormais dans cette identité d’ex-toxicomane. Dans la salle d’attente et au secrétariat, il entretient ce statut de « caïd », selon ses termes, sans consommer. Être caïd, c’est rechercher la relation d’exclusivité à l’autre, s’imposer par son « hyper présence », exigeant de l’autre de le combler, ce qui l’expose à un fort attachement et à la dépendance. S’il cherche à exister par sa différence, il risque de se fondre dans l’autre, voire de se confondre. Cela a un lien avec sa difficulté à se séparer d’un lieu où il peut exister sans accéder à ce statut de victime. À l’inverse, lorsqu’il adopte une position victimaire, il maintient un lien à l’autre de domination / soumission. Cautionner qu’il se répande hors entretien consisterait alors à l’y maintenir. D’un point de vue systémique, le travail consiste à réinstaurer de la symétrie dans la relation que Monsieur K. rejoue sans cesse sur le mode de la complémentarité. Il se positionne systématiquement dans un rapport dominant/dominé dans lequel il paraît s’enfermer.
18Monsieur K. investit le csapa comme un lieu de ressource, différent de l’extérieur. Dès qu’il pousse la porte, il semble être dans un lieu rassurant, face à un extérieur qui reste menaçant, vécu dans un sentiment d’injustice subie. Il refuse plusieurs fois un relais de prescription extérieur, le centre restant pour lui un pilier, où se rejoue le clivage de l’objet externe dans lequel l’autre est tout aimant ou tout persécuteur. En s’interdisant de menacer, le csapa se pose comme le lieu où Monsieur K. ne peut pas être tout-puissant et installe une limite à ne pas dépasser, un cadre contenant lui permettant de se confronter à ses propres limites, et ainsi d’introjecter la loi. Il se contient dans cet espace où des repères identifiables sont posés par tous. Sans rejeter le patient, les secrétaires permettent une re-délimitation entre l’intime et l’espace psychique en acceptant ce morcellement. Dans l’institution se rejoue le lien parent/enfant, une carence précoce dans la relation à l’autre. Il n’existe pas en dehors du lien à l’autre, aux autres, qui tantôt l’étaye et le rassure, tantôt est vécu comme menaçant. Le constat de cette dépendance insupportable pousse le sujet vers des consommations, qu’il dit maîtriser, une réponse à la défaillance de sécurité interne, substitut de la relation dangereuse, car l’autre absent ne permet pas un nouage du lien qui mène à la séparation progressive. Pour Monsieur K. l’institution est « suffisamment bonne » et contenante – on parle de holding – pour s’adapter à sa réalité et installer une relation sécure à partir de l’alliance thérapeutique. Elle doit le contenir, l’étayer et lui signifier sa confiance pour qu’il puisse réinterroger la question de la séparation. L’institution propose un autre mode de lien à l’autre en cas d’angoisse. L’objectif des soins en csapa n’est pas de déplacer la dépendance au produit par une dépendance à l’institution ou à un professionnel ; elle n’est pas là pour se substituer, mais pour créer une relation, tisser un lien qui permettra au patient d’interroger sa problématique de dépendance et s’en séparer. Elle doit veiller à ne pas répéter la problématique familiale que le sujet interroge. Cette vignette montre l’indispensable cohérence de l’équipe, son discours et son positionnement, sans injonction paradoxale. La clinique de « l’entre-deux formel » favorise le travail de posture et questionne les pratiques pour accompagner le patient et répondre de façon adaptée à sa demande. Pour une structure psychotique, l’autre n’existe pas en dehors de toute présence. Dans la structure, l’équipe le fait exister, et agit dans une préoccupation bienveillante. « Ça parle » du sujet hors de sa présence. Toute l’équipe se mobilise pour que le patient interroge sa relation familiale. Une structure de soins serait contaminée par les usagers si elle répétait le schéma relationnel que le sujet a vécu dans sa famille. La verbalisation et le soutien de l’équipe ont permis à Monsieur K. de reconnaître ses difficultés et de faire émerger une demande, même s’il demeure dans le passage à l’acte. Compte tenu de sa structure psychique, l’élaboration ne semble pas envisageable actuellement. L’équipe se doit de créer des outils pour ne pas être contaminée et accompagner le patient vers l’autonomie. Chaque professionnel est garant de l’accueil par ce qu’il observe, met en œuvre, et transmet à l’équipe.
19Ces vignettes illustrent des fonctions thérapeutiques de l’accueil grâce à une prise en charge pluridisciplinaire du patient. Considérer ce lieu comme participant au traitement « des pathologies du lien » mène à des interrogations. Y a-t-il des spécificités d’accueil en fonction du public au sein d’un csapa, en fonction du sexe, de l’âge, de l’addiction d’un patient ? Que fait-on des cadeaux, des dons de ces patients ? Nous devons réfléchir aux horaires d’accueil du public, à la mise en place d’une machine à café, d’un espace enfant, des affiches, de la musique… Cela va bien au-delà d’une organisation pragmatique et des codes sociaux.
20« Accueillir c’est d’abord accepter l’altérité. » (Mellier, 2004.) À l’accueil, le sujet rencontre l’autre, mais aussi l’Autre. Il rencontre la loi de l’institution à travers ses signifiants (loi, règlement, usages, coutume, et ses corollaires : infraction, indiscipline, incivilité, irrespect) (Villerbu, Bouchard et Moisan, 1997.) Celle-ci favorise un début de triangulation, l’introduction d’un tiers qui permet l’individuation du sujet en l’ouvrant au monde extérieur. Le processus de soins en addictologie a pour objectif une séparation pour le sujet d’avec son comportement addictif et d’avec l’équipe soignante lui permettant ainsi d’exister, d’être autonome, de ne plus dépendre de l’autre et de retrouver sa capacité de penser et de désirer. L’accueil « au cœur » de l’accompagnement y participe, grâce à une position soignante cohérente. L’accueil est-il thérapeutique ? En grec, therapeutikê signifie « prendre soin de », soit prendre soin de la singularité de chacun, favoriser l’autonomie. Le thérapeute est alors facteur de changement du sujet. Réfléchir en équipe à cet espace/temps ferait partie du quotidien des professionnels : privilégier ce lieu comme point de rencontre déterminant dans la relation et l’engagement dans un « pacte de confiance ».
Bibliographie
- Hayez J.-Y., 1999, « L’institution résidentielle, médiateur thérapeutique », in L’Institution comme système, Vigneux, Matrice.
- Mellier D., 2004, L’Inconscient à la crèche, dynamique des équipes et accueil des bébés, Ramonville-Saint-Agne, Érès.
- Roussillon R., 1996, « Espaces et pratiques institutionnelles. Le débarras et l’interstice », in L’Institution et les institutions, Études psychanalytiques, Paris, Dunod.
- Villerbu L. M., Bouchard C. et Moisan T., 1997, « Diagnostic et traitement des insécurités endémiques à l’école », in Charlot B., Emin J.-C. (dir.), Violences à l’école. États des savoirs, Paris, Armand Colin.
Note
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Circulaire du 28 février 2008 relative à la mise en place des centres de soins, d’accompagnements et de prévention en addictologie.