1La religion constitue-t-elle, comme la famille, une institution sociale qui canalise la quête de sens et le besoin d’appartenance des adolescents ? Opère-t-elle comme cadre organisateur des aspirations et des attentes de satisfaction ? Les recherches présentées ici, menées en France auprès de jeunes de religions différentes, soulignent la complexité des représentations et des interactions que les jeunes entretiennent avec la religiosité.
2L’adolescence est une période de transformation importante aux expressions multiples dans tous les secteurs du développement, neuropsychologique, cognitif, affectif, social. Les adolescents s’interrogent sur eux, sur les autres et sur le sens de la vie. Ils ont un besoin particulier de quête de soi et d’interrogation sur le monde qui se manifeste selon des formes et des temporalités variées. Chez certains, il s’agit de moments brefs, mais dont ils gardent un souvenir aigu. Chez d’autres, l’interrogation dure plus longtemps, avec des expérimentations dans divers rôles. L’interrogation sur soi va de pair avec une interrogation sur la société, ses valeurs, son fonctionnement. Leur quête est double. Ils veulent être partie prenante de la société, ou du moins avoir la perception de faire partie d’un groupe social, d’où leur engouement pour les réseaux sociaux, et, en même temps, ils veulent être singuliers, distincts des autres, d’où la recherche du signe qui va les rendre originaux. Les adolescents acquièrent progressivement, au cours de cette période, les compétences cognitives et sociocognitives pour comprendre le fonctionnement du monde en situant leurs actions, les références parentales et environnementales avec d’autres perspectives, d’où leurs expérimentations pour tester les règles de régulation sociale qui leur ont été inculquées et leur capacité de tester les valeurs et les représentations du monde qui leur a été présenté depuis l’enfance, et leurs intérêts pour les valeurs transcendantales et la philosophie. La recomposition ou la reconsidération des liens avec les adultes, particulièrement les parents, est faite le plus souvent non pas de distance et de rupture, mais d’un réaménagement vers des interactions adulte-adolescent moins hiérarchiques, plus égalitaires, et des liens plus forts avec les pairs (Erikson, 1968 ; Good et Willoughby, 2008). La religion, comme la famille, est une institution sociale qui canalise cette quête de sens et ce besoin d’appartenance à un groupe. Par sa réflexion sur les idéaux et le sens moral et spirituel, elle peut offrir un encadrement utile aux adolescents.
La religion, un phénomène complexe à multiples fonctions
3La religion est un phénomène complexe à multiples facettes et multiples fonctions (James, 1906 ; Weber, 2006). Les religions accompagnent les individus en soulignant les grands moments de leur vie – naissance, mariage, mort – par l’organisation de cérémonies spécifiques qui endiguent les moments émotionnels et leur donnent du sens. Elles proposent des rituels quotidiens ou annuels qui scandent et encadrent la vie des individus. La plupart des religions organisent une formation spécifique au moment de l’adolescence, par exemple la communion solennelle (confirmation chez les protestants), la bar-mitsvah chez les juifs et des procédures pour celles et ceux qui souhaitent se convertir passé l’âge de la petite enfance. L’islam est, de ce point de vue, une exception en ne proposant pas d’enseignement spécifique ni de rite de passage à l’adolescence ni, non plus, de procédures pour la conversion. En revanche, c’est une religion qui ponctue la vie quotidienne par ses cinq prières, les prêches du vendredi et les interdits alimentaires. Plusieurs aspects de la religion peuvent exercer une influence dans la vie psychique, sociale et comportementale des individus, et auxquels les adolescents peuvent être sensibles parce qu’ils correspondent à leurs besoins. Les religions sont pourvoyeuses de croyances, et notamment sur le sens de la vie, mais aussi de routines de vie, de pratiques de socialisation et d’identité collective (Geertz, 1973). Il peut s’agir de croyances personnelles à une transcendance ou immanence, du besoin de croire en une force supérieure, du sentiment intérieur d’être habité par cette force, de valoriser la prière individuelle et collective, ou encore le sentiment de participer à une communauté de croyants qui se retrouvent pour des moments de consécration et des moments de partage collectif et de solidarité. Les religions monothéistes juives, catholiques, orthodoxes, protestantes et musulmanes offrent une grande palette de croyances et de pratiques avec de notables différences non seulement entre ces confessions, mais aussi au sein même de ces grandes catégories confessionnelles. Chaque religion propose son propre schéma organisateur de croyances, de pratiques, de vie collective, incluant le sentiment d’appartenir à une communauté de croyants, ainsi qu’une articulation singulière entre les croyances individuelles, la foi personnelle et les pratiques collectives (Cohen, 2009).
4À la suite des travaux de William James (1906) sur la diversité des expériences religieuses, l’influence de la religion dans la vie des personnes, en particulier dans leur quête du bonheur et leur satisfaction de vie, a fait l’objet de nombreuses recherches. À l’aube du xxie siècle, cette question n’a rien perdu de sa pertinence dans le monde occidental à haut développement économique, où l’on assiste à une quête du religieux sous différentes formes, comme dans les autres parties du monde (Taylor, 2003). La religion, ou plutôt l’expérience religieuse, agirait, en dépit d’importants changements culturels et sociaux qui caractérisent les sociétés modernes au niveau de l’adhésion aux valeurs et aux pratiques religieuses, comme un cadre organisateur pour bon nombre de personnes (Bréchon et Galland, 2010 ; Hervieu-Léger, 1999 ; Taylor, 2007). Ce cadre organisateur, les adolescents y sont sensibles.
5Par ses activités symboliques, spirituelles et sociales, la religion est une ressource apte à soutenir le bien-être psychologique (Ferriss, 2002) comme une autorité qui peut influencer les valeurs familiales, les rôles et les cohésions familiales, ainsi que les identités sociales. Et ce, en renforçant le sentiment d’appartenance à un groupe, la fierté de cette appartenance et les relations intergroupes, en distinguant les croyants des non-croyants et en attirant l’attention sur la distinction des groupes, ou, au contraire, en soulignant la nécessité de porter un œil bienveillant sur les autres qui n’appartiennent pas au groupe (Chatters et Taylor, 2006 ; Fontaine et al., 2005 ; Friedman et Saroglou, 2010).
Une influence variable selon les contextes locaux et nationaux
6Malgré son caractère de transcendance qui la fait apparaître comme au-delà des cultures, la religion est un système culturel étroitement imbriqué dans l’organisation des groupes sociaux, leurs valeurs et modes de fonctionnement (Bellah, 2006 ; Gauchet, 1985 ; Geertz, 1973). Aussi bien la forme culturelle de la religion que la nature de son influence sont nichées dans les différentes cultures locales et nationales. Pour bien comprendre l’influence de la religion, il faut donc l’analyser au sein des contextes locaux et nationaux et s’intéresser aux interactions entre ces différentes sources d’influence. Les différentes confessions religieuses, les contextes religieux dans chaque pays, ainsi que le niveau de richesse nationale viennent modérer ou moduler le rôle d’influence de la religion sur les aspects fondamentaux de la vie tels les valeurs (Lavric et Flere, 2008 ; Saroglou, Delpierre et Dernelle, 2004) et la satisfaction de la vie ou le bonheur (Okulicz-Kozaryn, 2010). De façon générale, les personnes religieuses accordent de l’importance à la tradition, à la conformité et à la bienveillance, et n’apprécient pas toujours l’ouverture au changement et l’affirmation de soi, et ce, quelle que soit la religion (Saroglou et al., 2004). Mais cette influence de la religiosité sur les valeurs varie selon les relations entre les églises et l’État, mais aussi le pourcentage de protestants dans un pays. Dans les pays où la liberté religieuse est acquise et les rapports sont non conflictuels, et où l’influence de la religion sur les valeurs est assez faible. Parallèlement, les personnes religieuses ont tendance à être plus heureuses dans des pays religieux, l’influence de la religiosité sur le sentiment de bonheur étant moindre dans les pays moins religieux (Okulicz-Kozaryn, 2010). Chez les adolescents, il y a un lien direct entre la religiosité et leur satisfaction de la vie dans les pays religieux (États-Unis et Pologne), lien qui ne se retrouve pas dans les pays laïques (France et Allemagne) (Sabatier, Mayer, Friedlmeier, Lubiewska, et Trommsdorff, 2011).
Le rôle du religieux sur les adolescents : le capital social et le sens de la vie
7De nombreuses recherches ont essayé de comprendre le rôle de la religiosité sur le développement et l’adaptation psychosociale des adolescents aux États-Unis, un pays d’exception au regard de la religiosité. Bien qu’ils se situent dans un autre contexte, ces travaux permettent de comprendre ce que les jeunes Européens peuvent chercher dans la foi et la socialisation religieuse. Dans ces travaux, la religion apparaît comme un facteur de protection, un véhicule de transmission et de soutien. Comme facteur de protection, elle prémunirait contre la déviance, l’abus de substance, l’alcool, le tabac et l’engagement dans une sexualité non responsable. Comme véhicule de transmission, elle soutiendrait la formation de l’identité, des valeurs sociétales, favoriserait l’engagement civique et la prosociabilité. Comme soutien, elle contribuerait à la satisfaction de la vie et à l’optimisme, en procurant le sens de soi et des responsabilités.
8L’influence positive de la religion s’expliquerait par deux processus (King et Furrow, 2004). Selon l’une des explications, la religion agirait comme un capital social qui encadrerait les individus et servirait d’appui pour un développement positif. Selon l’autre, la religion procurerait tout un éventail d’explications du sens de la vie avec, à l’appui, une série de textes, de rituels, de cérémonies. La religiosité renforcerait le sens d’appartenance à un groupe. En s’impliquant dans des pratiques religieuses, on se socialise avec un groupe qui a des codes établis et qui offre une vision du monde particulier. On crée des liens, très recherchés à l’adolescence. Plusieurs études ont montré que les jeunes qui adhèrent aux valeurs religieuses sont soit des adolescents qui ont noué des liens d’attachement harmonieux avec leurs parents et, de ce fait, adhèrent aux valeurs et pratiques de leurs parents, soit, au contraire, ont souffert de la relation avec leurs parents et recherchent un apaisement dans la religion par compensation (Granqvist, 1998). Le sentiment d’appartenance peut porter aussi bien sur l’appartenance à un groupe spécifique de taille réduite ou modeste qu’à une très large communauté (Saroglou et Mathijsen, 2007). Pour nombre de jeunes musulmans, l’islam représente une façon d’appartenir à un groupe plus large que celui du groupe familial, ethnique ou national. Ils ont l’impression d’appartenir à un groupe pan-national sur le même registre que les jeunes Noirs peuvent se sentir appartenir à la vaste communauté des Noirs, ou que les jeunes immigrés en provenance d’Amérique du Sud peuvent se dire appartenir au groupe des Latinos. Ce sentiment d’appartenance peut être un élément qui sous-tend la distinctivité culturelle en renforçant les attitudes endogroupe et exogroupe, ainsi que la capacité d’articuler ces deux attitudes. Elle peut aussi renforcer le sens de soi en accentuant la perception des différences et du traitement inégal subi ou supposément subi, c’est-à-dire en renforçant la perception de la discrimination, le sentiment de ne pas être aimé du fait de ses choix religieux, d’être mis à l’écart.
Religion et adolescents en Europe
9Actuellement, chez les adolescents européens, on observe un intérêt non négligeable pour les phénomènes non rationnels, tels les expériences de transcendance ou les phénomènes paranormaux (Mathijsen, 2010). La question du sens de la vie les habite et ils explorent ses possibilités. On note aussi un engouement pour les phénomènes sociaux de la religion, l’appartenance à des groupes ou à des activités collectives (les journées mondiales de la jeunesse, par exemple). Pourtant, les enquêtes montrent bien une désaffectation des jeunes Européens par rapport à leurs aînés pour des pratiques religieuses régulières. Les jeunes Européens apparaissent fluides dans leur intérêt pour la religion et moins ancrés dans des réseaux sociaux traditionnels. C’est la pratique du « Croire sans appartenir » décrite avec les jeunes Européens par Grace Davie (2000). Une recherche internationale sur l’identité culturelle des adolescents menée dans plusieurs pays européens, aux États-Unis et en Australie, montre que les adolescents français se situent à un niveau intermédiaire quant à l’importance accordée à la religion (Sabatier, 2010). Les adolescents qui semblent y accorder moins d’importance sont les adolescents des pays nordiques. Ils se disent pourtant appartenir à un groupe religieux. Les adolescents qui y accordent le plus d’importance proviennent de pays catholiques tels le Portugal et la Pologne, ou des États-Unis, pays qui fait d’ailleurs figure d’exception dans le monde occidental par la très grande importance accordée au religieux. Les adolescents français qui se disent sans religion représentent un pourcentage assez élevé. Ceux qui se disent apporter de l’importance aux valeurs religieuses, y compris aux valeurs laïques, représentent un pourcentage moyen, ce qui correspond globalement aux données sociologiques de l’enquête sur les valeurs des Européens (Dargent, 2010).
Rôle de la religion chez les adolescents en France
10Le contexte religieux français est original, il est caractérisé par un triptyque de valeurs et de messages culturels ayant un ancrage historiquement fort avec la culture catholique, une affirmation de la liberté religieuse comme un droit individuel fondamental et des valeurs de laïcité également clairement énoncées. De fait, la société française est largement imprégnée de la culture catholique, première religion, loin devant les autres en termes de nombre de croyants et d’influence, et première institution religieuse à offrir un enseignement scolaire en dehors du système public. La laïcité s’organise autour de valeurs fortes concernant la séparation de l’Église et de l’État. Les idéaux prônés sont une dimension axiologique qui dépasse la simple désaffectation du religieux et la sécularisation, mais qui implique le droit de tous à la liberté religieuse. Dans un contexte si particulier, la question du rapport des adolescents avec la religion et les phénomènes religieux mérite d’être examinée, d’autant que, régulièrement, il est fait état de jeunes qui se sont investis dans des groupes religieux avec des effets sociaux qui peuvent poser des problèmes à la vie sociale.
11Se pose alors la question du rôle de la religion, en France, dans la vie des adolescents, aussi bien ceux d’origine française, majoritairement catholiques ou sans religion, que ceux issus de l’immigration, ayant des religions diverses.
Religiosité et satisfaction de soi
12Dans une première recherche, nous avons examiné le rôle de l’importance accordée à différents aspects du concept de soi, dont la religion, sur la satisfaction de la vie afin de comprendre le rôle spécifique de la religiosité. Nous avons posé quatre questions (identité nationale, religion, différence de genre et valeur humaine) à cent trente-sept adolescents français âgés en moyenne de quinze ans, dont quatre-vingt-un sont catholiques et cinquante-six se disent sans religion. Nous leur avons demandé d’indiquer à quel degré chacun de ces aspects était important dans leur concept de soi. Nous avons examiné l’influence de chacune de ces dimensions sur la satisfaction de la vie et avons cherché, par une approche statistique holistique, à repérer si l’importance accordée à la religion agissait comme un facteur seul, ou si son influence ne s’expliquait pas plutôt par un ancrage identitaire fort qui combinerait plusieurs identités.
13Les résultats montrent que les quatre dimensions du concept de soi sont interreliées dans toutes les paires, à l’exception d’une, à savoir la religion et le genre. Chacun des aspects est corrélé avec la satisfaction de la vie. L’analyse des poids relatifs montre, toutefois, que, parmi ces influences, l’aspect religieux aurait plus de poids. Par l’analyse des différentes configurations du concept de soi, quatre groupes identitaires ont été repérés : les identités faibles (qui n’accordent d’importance à rien), les identités laïques qui accordent de l’importance à toutes les identités sauf l’identité religieuse, les identités sexuées qui accordent peu d’importance à l’identité religieuse et à l’identité nationale mais beaucoup aux valeurs humaines, et l’identité de genre et les religieux qui accordent de l’importance à toutes les identités et accordent nettement plus que les autres de l’importance à l’identité religieuse. Ces groupes se distinguent sur la satisfaction de la vie, le groupe à identité faible étant celui qui est le moins satisfait et le groupe à identité religieuse le plus, les deux autres groupes étant intermédiaires. Ces résultats montrent ainsi une influence de la religiosité sur la satisfaction de la vie, mais montrent que, dans le cas des adolescents français, ceux qui accordent de l’importance à la religion sont ceux qui, de façon générale, accordent de l’importance à tous les autres aspects du concept de soi. La religiosité aurait un effet sur la satisfaction de la vie parce qu’elle s’accompagne d’un ancrage identitaire fort plutôt que par un effet isolé spécifique. C’est un aspect de la vie des adolescents qui mérite d’être mieux exploré. Les adolescents français peuvent ne pas accorder du tout d’importance à la religion, alors qu’ils accordent de l’importance aux autres dimensions (les laïques), mais aucun adolescent n’accorde de l’importance exclusivement à la religion.
Religiosité, valeurs familiales de solidarité et satisfaction de la vie
14Dans cette deuxième recherche, nous avons exploré spécifiquement les liens entre l’importance accordée à la religion, la satisfaction de la vie et les valeurs familiales de solidarité dans trois pays européens – la France, l’Allemagne et la Pologne – et aux États-Unis (Sabatier et al., 2011). Ces quatre pays ont en commun leurs racines européennes et chrétiennes. La liberté religieuse est une valeur dans chaque pays, mais deux d’entre eux, les États-Unis et la Pologne, ont un haut taux de religiosité avec l’acceptation que certains actes de la vie civile se confondent avec la vie religieuse, le mariage par exemple, et les deux autres pays, la France et l’Allemagne, qui ont une longue tradition de distinction des actes de la vie civile et de la religion, et une tradition, pour des raisons différentes, de laïcité ou de non-croyance.
15Des analyses complexes (équations structurales multigroupes) montrent que, dans les quatre pays, il existe des influences indirectes de la religiosité sur la satisfaction de la vie. Cette influence est médiatisée par les valeurs familiales de solidarité. Cependant, les influences varient considérablement selon le contexte religieux des pays. Les liens sont plus forts dans les deux pays à haut degré de religiosité, les États-Unis et la Pologne, que dans les deux pays à forte tradition séculaire, la France et l’Allemagne. Nous en avons conclu que, durant la période de renégociation des valeurs et des relations affectives, la religion contribue à l’endossement des valeurs familiales de solidarité, et l’intériorisation de ces valeurs est susceptible de procurer un sens de sécurité et, en conséquence, de renforcer la satisfaction de la vie. La religion ne serait efficace que parce qu’elle renforcerait les valeurs familiales de solidarité.
La religiosité, valeur structurante ou réductrice chez les adolescents issus de l’immigration
16Avec cinq groupes d’adolescents issus de l’immigration en France – des Vietnamiens (N = 65) dont certains se disent sans religion, catholiques ou bouddhistes, des Portugais (N = 101), tous catholiques, des Turcs (N = 59), des Algériens (N = 111) et des Marocains (N = 142), tous musulmans –, nous avons exploré, dans une troisième recherche, les liens entre l’importance accordée à la religion dans le concept de soi et différents aspects des relations intergroupes, la perception de la discrimination, les identités nationales et ethniques, ainsi que les attitudes d’acculturation selon le modèle « assimilation, intégration, marginalisation et séparation » de John Berry. Les entretiens qualitatifs avec des adolescents issus de l’immigration ont montré que, pour de nombreux groupes, y compris chez des groupes chrétiens (catholiques, protestants ou orthodoxes), la religion apparaissait à leurs yeux comme le ciment de leur groupe et les rendait distincts en renforçant les solidarités familiales et groupales. Nous nous sommes demandé quel rôle pouvait alors jouer la religiosité dans les relations intergroupes. Renforçait-elle l’identité de l’endogroupe tout en laissant l’ouverture aux autres, ou incitait-elle au repli sur soi, quitte à renforcer la méfiance et à se percevoir comme discriminé ? Les résultats montrent une grande variation selon les groupes culturels. On doit noter que, dans aucun groupe, on ne retrouve de liens entre l’importance accordée à la religion et la perception de la discrimination. La religion ne renforce donc pas le sentiment d’être rejeté de la part de la majorité, et c’est là une information importante. On observe trois patrons d’influence.
- Dans le premier, c’est le cas des Vietnamiens, aucune corrélation n’est observée pour aucune des dimensions mesurées. La religiosité n’exerce pas d’influence sur les dimensions analysées.
- Dans le deuxième patron, c’est le cas des Portugais (tous catholiques) et des Algériens (tous musulmans), l’importance accordée à la religion est reliée à l’identité ethnique, mais aussi à l’attitude de séparation. Il s’agit là d’une influence qui renforce le sens de l’appartenance à son propre groupe, mais sans mise à distance a priori des autres groupes. Cette influence apparaît soutenante.
- Le troisième patron d’influence se retrouve chez les Turcs et les Marocains, où la religiosité est liée positivement à l’identité ethnique, mais négativement à l’identité française et aux attitudes d’assimilation. Ce troisième patron renforcerait le repli sur son propre groupe avec une distance par rapport à la majorité. Son influence est probablement plus problématique.
Conclusion
17La religion semble donc bien un atout pour les adolescents français. Indéniablement, elle est une source de canalisation des grandes questions existentielles que se posent les adolescents et de leur besoin de se sentir ancrés dans des groupes sociaux. Ces recherches soulignent aussi la place de la religion parmi les sources d’influence du bien-être psychologique des adolescents. Elle y contribue très clairement, mais dans le cadre du système français qui a une longue tradition de sécularisation avec une affirmation de laïcité, il s’agit essentiellement d’une valeur ajoutée. Les liens entre la religiosité et la satisfaction de la vie, les attitudes intergroupes et les identités culturelles ne sont pas très élevés, laissant ainsi la place à d’autres sources d’influence pour le bien-être psychologique des adolescents et leur système de valeurs. Les influences sont souvent en combinaison avec d’autres ancrages dans des identités et elles sont médiatisées par les valeurs familiales. Les liens pour les groupes ethniques en France sont clairs, mais ne sont pas reliés au type de confession, puisque les adolescents d’origine portugaise qui sont catholiques ne se distinguent pas des trois groupes musulmans. Enfin, il est également intéressant de noter que le degré de religiosité n’est pas lié à une perception de discrimination.