1Fréquemment nommés « crise d’ado », souvent stigmatisés par la société et ses institutions, les comportements adolescents ou pré-adolescents répondent en réalité de mécanismes singuliers qui en appellent à des significations et problématiques diverses. Évoquant ces « états de crise », deux vignettes cliniques illustrent ces « agirs » propres au passage de l’enfance pour le monde adulte.
2Le passage de la vie d’enfant à celle d’adulte, que l’on a coutume de nommer « adolescence », se voit usuellement lié à la notion de « crise » donnant ainsi ce regroupement de signifiants employés à tout-va : « la crise d’ado ».
3En premier lieu, il est à supposer un caractère péjoratif à cette expression, puisque le terme « crise », employé en politique, en économie, dans le commerce ou encore dans la finance, tend à rendre compte d’un passage grave et déplaisant : en effet, si la crise n’est pas rapidement « suturée », elle peut avoir de lourdes conséquences allant jusqu’à la faillite économique ou gouvernementale. La récente crise dite des « subprimes », et ses répercussions sur le monde entier, parle d’elle-même.
4En second lieu, ce terme de « crise » provenant étymologiquement du latin médiéval crisis, issu du grec krisis (« jugement ») est emprunté par la médecine dès le xive siècle pour signifier l’« aggravation soudaine d’une affection pathologique ». À ce titre, cette expression – si nous nous fions à son utilisation et à son sens historique – s’apparente donc à l’immédiateté d’un changement qu’il est nécessaire de résoudre pour en limiter la nuisance annoncée.
5Ainsi, il me semble quelque peu inconvenant de lier un passage de vie, qui n’admet d’ailleurs aucunement de début et de fin chronologique précise, à une catastrophe. Toutefois, je m’autorise à penser qu’un tel lien n’ait pu se faire qu’à partir d’observations comportementales (par ailleurs, nous ne nous nierons pas le caractère inquiétant, voire dramatique, de certaines conduites). Pour autant que cette expression soit employée par les parents, les institutions scolaires et les revues à gros tirages, je lui préfère l’idée de moment « décisif pouvant être périlleux » plutôt que « grave et regrettable ».
6Je souhaite orienter ce travail sur ce qu’il en serait d’une crise non pas comme qualificatif d’une période entière de la vie d’un sujet, mais bel et bien en tant qu’acte ponctuel, périlleux et bouleversant que j’entends nommer « état de crise ». Pour ce faire, ma réflexion s’appuiera sur deux vignettes cliniques qui me permettront de confronter théoriquement, par l’apport de la psychanalyse, deux états dits « de crise ».
Des mots qui cognent
7J’ai rencontré régulièrement Simon, jeune adolescent de douze ans, une séance par semaine au sein de la structure d’accueil qui l’héberge. Un jour, quelques minutes avant notre rencontre, un hurlement m’incite à bousculer le cadre habituel de nos entretiens : je viens à lui guidé par ses cris plutôt que de l’attendre dans le bureau.
8« Elle m’a dit nique tes morts ! » Insulté par une jeune fille, Simon venait d’exploser. Un début de bagarre émerge. Simon continue de hurler de manière répétitive cette phrase déclenchant sa fureur. Il tente de se jeter sur la jeune fille à de multiples reprises. Quelques coups partent, il se jette au sol, hurle, se roule par terre, tremble. L’éducatrice tente par tous les moyens de le contenir corporellement.
9Semblant s’imposer au jeune garçon telle une ritournelle obsédante, cette répétition amène à faire l’hypothèse du caractère infranchissable de l’insulte pour ce sujet. Simon bute, enfermé dans cette parole de l’autre qui prend valeur d’insulte et qui a pour effet de marquer un point d’arrêt dans la pensée du sujet. L’adolescent ne pense plus, il répète. Ne pouvant plus recourir au langage, c’est l’acte qui prime. Supposons une rupture de la chaîne signifiante : l’hypothèse pourrait alors être l’immersion dans « un bain » de signifiants de ce corps qui explose – le langage étant l’outil clinique par excellence –, comme une tentative de lui prêter une accroche, par le signifiant, pour qu’il puisse à nouveau reprendre cette chaîne brisée ; le corps étant quant à lui contenu par l’éducatrice.
Sens des mots
10Dans un premier temps, l’idée est de décrire simplement cet état de détresse en proposant des mots aux actes. Puis, animé par le désir d’un décalage de cette compulsion de répétition, je cherche à comprendre le sens de cette insulte. Je propose alors toute une déclinaison de la question suivante : « Ça veut dire quoi pour toi ? » Sans résultat. Puis cela m’apparaît évident que Simon ne puisse pas répondre à cette question, puisque ma tentative de le comprendre, et donc de le connaître, le maintient dans une position d’acteur (il hurle), devenant ainsi le seul à pouvoir en donner le sens. À ce propos, Jean-Michel Vives nous enseigne que « ce qui est convoqué en lui par l’insulte est innommable », d’autant plus que « l’insulte pointe un réel que le sujet n’est pas en mesure de contester directement » (2001, p. 326). À partir de là, il est vain d’attendre que l’insulté puisse donner un sens à ce binôme de signifiants. D’autant que cette expression articule dans l’insulte à la fois la question de la mort et du sexuel, du côté de la violence.
11Conscient de m’attaquer de façon trop directe à ce qui ne semble pas pouvoir se dire, je tente de border cette scène de mots d’une autre manière. J’essaie alors de lui signifier que je comprends – dans le sens de l’empathie – qu’une telle insulte puisse le plonger dans une grande détresse et que je suis prêt à entendre ce qu’il peut dire non du sens, mais de cet état. Pour le dire autrement, « j’entends cette insulte qui te fait souffrir, je ne t’en demande pas le sens, mais j’assume d’entendre tout ce que tu t’autoriseras à lier à cet état, à ce mal-être ».
12Cette intervention n’a que peu d’effets jusqu’à ce que Simon s’autorise autre chose que cette insulte obsédante. « Maman elle a rien ! » se met-il à répéter avec ce que je perçois d’une détresse terrible chez le jeune garçon. Ce petit pas de côté soutient ainsi l’hypothèse de cet appel par les signifiants. Contenant le corps du garçon, l’éducatrice le prive de ce plaisir régressif de vouloir tout casser et massacrer l’insulteur ; le bain de langage a quant à lui pour fonction d’appeler l’enfant à se reconstruire par la verbalisation. Il n’y parviendra qu’en s’autorisant à se raconter cette scène, de son commencement jusqu’à l’explosion.
Reconnaissance du sujet
13Contrairement à la première demande de sens (« Qu’est-ce que ça veut dire ? ») qui maintient le sujet dans cette aliénation à l’insulte, se saisir de l’ébauche et soutenir son élaboration concernant le souvenir de ce qui a engendré l’explosion permet de reconnaître le sujet dans un processus de signifiance et non dans un simple signifiant. En ce sens que le rôle clinique se précise dans la reconnaissance du sujet et non dans la recherche d’une connaissance sur le sujet. D’autant que « accepter de ne pas le connaître, c’est accepter son propre rapport au manque » (Vives J.-M., 2001, p. 327).
14Cliniquement, un point particulier de cette situation m’interpelle : ce passage d’une répétition compulsive de l’insulte à l’assertion : « Maman elle a rien ! » Dans un premier temps, il est notable d’entendre qu’entre « mère » et « mort », la distinction phonétique est faible. À ce propos, il en devient de même entre cette insulte liant le sexuel à la mort et l’insulte œdipienne par excellence – « Nique ta mère ». Cette possible équivoque de l’insulte, doublée de cette successivité de l’insulte et de l’idée que cette mère n’ait rien, soutient ce lien particulier entre « mort » et « mère » ainsi que l’hypothèse selon laquelle Simon vient de se confronter psychiquement à la perte envisageable de l’objet d’amour représenté par sa mère. Mais, par ce passage à l’acte, il refuse de prendre conscience de cette perte.
15Ce type de passage à l’acte hétéro-agressif est assez isolé dans le cas du jeune garçon. Il arrive également qu’il retourne cette agressivité contre lui-même, s’assénant de coups portés à la tête, dans les dents, etc. De même que le sentiment qui domine habituellement n’est pas tant la tristesse que l’opposition ou la colère. Ces comportements, cette attitude provocante, l’enferment dans une certaine répétition d’un cause à effet, de l’acte à la punition. Cette recherche de la punition soutient l’hypothèse qu’évoque Claude Miollan concernant le placement d’un enfant qu’il considère comme un temps de « perte du sentiment de sa propre valeur » par l’affirmation de son caractère « mauvais » aux yeux de tous. L’enfant préfère s’auto-accuser pour donner raison à sa mère de l’avoir « abandonné » (1987, p. 93). Cette figure maternelle est liée à une problématique mortifère par cette déchéance volontaire en tant que « prix à payer » pour un sujet qui entretient un rapport outrancier à un objet : l’alcool. Le manque de ce dernier le promeut comme nouvel objet de désir entraînant un mal être qui représente pour la personne dépendante une preuve de son existence.
Temporalité de cet « état de crise »
16J’ai ainsi tenté, par le récit de cette vignette articulé à quelques points théoriques, d’approcher les possibles « déclencheurs » d’un tel état de crise. J’entends faire l’hypothèse de trois temps successifs dans le déroulement de ce passage à l’acte.
17En premier lieu, il est aisé de voir que les quelques mots ayant valeur d’insulte viennent cogner le sujet tel un knock out (ko)?* dans les sports de combat. Alors que le ko signifie « une mise hors combat », ces quelques mots pointent « une mise hors signifiance du sujet » de manière brutale. L’insulte se loge puis se fixe au sujet au point que ce dernier n’entende et ne répète plus que cela. Cette répétition signe le caractère aliénant de ces mots venant désubjectiver l’insulté. À la suite de cette répétition, le jeune garçon opte pour un lien à cette problématique maternelle qu’il travaille depuis quelques semaines en séances. Cette seconde assertion (« Maman elle a rien ! ») peut être entendue à la fois décalée de la répétition, mais également liée tragiquement à cette insulte, dans l’hypothèse du rapprochement phonétique entre « mort » et « mère ». En dernier lieu, l’état de crise se voit apaisé par ce qui l’avait déclenché, c’est-à-dire des mots. Cependant, ces nouveaux mots, pris dans une certaine signifiance, dans un certain enchaînement, ayant pour objectif de s’entendre dire le déroulement de l’acte, appartiennent au sujet et non plus à « l’insulteur ».
18Par ailleurs, s’il est un point que je n’ai pas traité comme variable, c’est celui du caractère vulgaire, péjoratif ou encore non admis socialement, de l’insulte proprement dite. Néanmoins, je me suis attaché à développer le caractère de l’insulte, en faisant prévaloir le fait qu’elle véhicule quelque chose qui vient « effracter » le sujet plus qu’elle ne choque sa morale par le caractère grossier qu’elle laisse entendre. En considérant un lien privilégié entre l’insulte et l’effraction, peut-on alors penser l’existence d’une possible insulte propre ?
Un discours qui accable
19Étienne est un adolescent âgé de treize ans que j’ai rencontré une fois par semaine dans un centre de consultation et qui – selon les dires de ses parents – souffre de Troubles obsessionnels compulsifs (toc). Bien qu’Étienne n’ait jamais questionné (pas même décrit) un tel comportement compulsif, je fais l’hypothèse d’une inscription de son dit symptôme dans le lien qui nous unissait – la séance – par la ritualisation massive des débuts et fins d’entretien. Cela étant, rien ne laissait transparaître dans son discours que l’adolescent soit organisé autour d’un toc, signifiant néanmoins utilisé par l’« autre » pour le désigner.
Un adolescent « débranché »
20Je reçois le jeune garçon et sa mère, à la demande de cette dernière, consécutivement à la séance avec l’adolescent. Les premiers mots de la mère sont des reproches fait à son fils sur des détails de la vie de tous les jours : sa manière d’être à table, le nombre de fois où il a souhaité changer d’oreiller avant de se mettre au lit, le temps qu’il a mis pour prendre sa douche la veille, « je suis obligée de lui dire de la prendre, puis de lui dire d’arrêter ! », etc. Mes tentatives pour intégrer Étienne dans la conversation sont vaines. La mère insiste, Étienne s’effondre. Son regard se fige sur le sol, il fait des mouvements de balancier, les larmes commencent à couler. Si ce discours lui est impossible à entendre, je lui propose d’attendre dans la salle d’attente. Il refuse, mais j’ai le sentiment qu’il n’entend plus. Je mets alors fin au supplice. Sur le parking de la structure, Étienne, figé, tête baissée, les bras rétractés sur la poitrine, pleure, bave et pousse des cris très régressifs. La scène est saisissante d’autant que je vois cette mère à quelques mètres de lui, le regardant comme s’il lui était étranger. Je m’attache à entendre ce qu’il veut me dire, mais Étienne parle avec des sons. Il semble agacé que je ne le comprenne pas. J’ai le sentiment qu’il est « débranché ». Je lui propose de revenir au centre pour discuter, de m’expliquer ce qu’il se passe : qu’est-ce qui le contrarie à ce point ? Mais rien n’y fait. Là encore, je fais l’hypothèse que seul un bain de signifiants peut lui permettre d’accrocher quelque chose du côté du langage. L’adolescent retrouve peu à peu les mots : « Je veux plus qu’on parle de moi comme ça ! » hurle-t-il. « Je ne veux pas y aller ! » lance-t-il. Sa mère souhaitait qu’il l’accompagne voir une amie. « L’essence c’est cher » répète-t-il, telle une ritournelle obsédante. Le signifiant « essence » me renvoie ainsi à l’une de nos séances.
21Sur ces mots, je lui demande où en est « sa machine ». En effet, lors de l’une de nos rencontres, Étienne m’avait évoqué son projet : créer une « machine autonome » qui n’aurait pas besoin d’aide extérieure ni d’essence. Puis, lors de la séance précédant l’état de crise, cet hypothétique débranchement, il m’annonce une nouvelle machine : une douche « où on a besoin de rien faire, un peu comme quand on met au four ». À chaque problème sa machine, tant qu’elle est autonome, tant que la parole de l’Autre n’a plus besoin de venir faire point d’arrêt au fonctionnement d’Étienne. Une machine qui viendrait donner autre chose que lui-même en pâture à sa mère. Peu à peu, les pleurs et les cris cessent, les bras se déplient, le dialogue se reforme autour de la « machine ». L’adolescent semble avoir créé lui-même sa solution, des machines pour ses problèmes car, dira-t-il, « tout devient compliqué quand on est grand ».
Des paroles mal dites
22Ce sont à nouveau des mots à l’égard d’un sujet qui apparaissent comme déclencheurs de cet agir particulier. Alors que se déplie ce discours qui l’accable, le jeune garçon se transforme. Dite comme cela, la scène peut paraître se mettre en place de manière longue et progressive ; il n’en est rien. Quelques minutes suffisent à donner à cette scène une impression d’éternité, une souffrance qui dure, pèse et devient insupportable. Alors qu’il est irréfutable d’entendre la détresse subie par le garçon, nous sommes en droit de supposer la valeur « maltraitante » d’une parole émise. Jean-Michel Vives propose ainsi de lire cette dernière comme « une expression verbale de la violence […] toute parole porteuse d’une malédiction adressée à l’enfant », une malédiction parentale que l’auteur place sous le sens de paroles mal dites (2001, p. 324). Cette adresse de l’Autre qui ne cesse de le « mal-dire » rend le garçon complètement incapable de parler, de s’exprimer par le refus d’entendre cela, par la colère ou encore par cette opposition qu’il fera quelques minutes plus tard sur le parking. Étienne est anéanti, il lui est impossible de répondre à cette malédiction qui s’abat sur lui. Il ne parviendra dès lors qu’à échapper à cet Autre uniquement par l’agir qui lui permet cette mise à distance de ce savoir absolu que porte sa mère sur lui-même. Une solution par l’agir qui devient, comme le rappelle Jean-Paul Mouras, « l’équivalent du désarroi d’être l’objet de l’Autre » (2000, p. 77). Une mise à distance qui advient même réellement, puisque, rappelons-le, une distance s’impose à la mère lorsqu’elle regarde son fils dans cet « état de crise ». L’hypothèse pourrait être que cette mère ne puisse dire son fils que par ce discours sur le symptôme qui énonce le garçon. Du moment qu’il met à distance, certes de façon saisissante, l’énoncé « je sais tout de toi » ; la mère prend quant à elle une certaine distance dans le réel. Comme si ce fils ne pouvait être dit que par ses mots à elle, c’est-à-dire dans l’hypothèse d’un refus de cette mère à entendre une quelconque position subjective de ce dernier.
23Ce questionnement me semble important pour concevoir l’agir du jeune garçon et je reste conscient que cette hypothèse oriente mon travail vers le mode de fonctionnement de cet « Autre » maternel. Pour autant, je ne souhaite pas perdre le fil de ma réflexion. Aussi, du côté de l’adolescent, qu’en est-il ?
24Il semble que l’enfant trouve en l’agir une position dans laquelle il n’est pas attendu par l’Autre comme objet. Cependant, le comportement régressif pour lequel il opte – qui est loin d’être un acte conscient bien sûr – le pose d’une certaine manière en tant que sujet se détachant de cette position d’objet à laquelle il se voit réduit. La formule de Jean-Paul Mouras tend à résumer de manière intéressante cette situation : « Il tente d’introduire en acte ce qui pourrait être l’espace nécessaire à la mise en jeu de sa subjectivité dans l’élan, dans l’écart qu’il constitue ainsi » (2000, p. 78). Alors que je me suis attaché à entendre ce qu’il en serait de l’acte du jeune garçon vis-à-vis de cet Autre qui le juge et qui, de fait, sait tout de lui, il semble tout aussi intéressant de tenter de comprendre ce qu’il en est du sujet au moment où il reçoit ces paroles mal dites. Il semble alors que l’on assiste, visuellement, à une véritable confrontation d’un sujet à une détresse totale, à une angoisse de néantisation, qui tente de créer par l’agir une défense face à cette intrusion des mots. Alors que cette angoisse se voit qualifiée de « gouffre de non-être », la solution du sujet prendra la forme d’un passage qualifié de « recours à l’acte » (Cahn R., 1987).
Ne pouvant plus recourir au langage, c’est l’acte qui prime.
Ne pouvant plus recourir au langage, c’est l’acte qui prime.
Discussion théorique
25J’ai souhaité traiter cette question de l’« agir », et plus particulièrement de l’« état de crise », car cet agir visible aux yeux d’un Autre, et donc soumis à toutes formes d’interprétation, est devenu un marqueur de jugement par cet Autre du social qui, je pense, soumet toute une population adolescente à cette pression comportementale du « bien-faire ». À partir de l’apport de la clinique, ce travail propose une lecture différente de ces comportements adolescents ou pré-adolescents que je m’autorise à penser comme étant stigmatisés par certaines institutions et certains discours, notamment celui du social.
26Je soutiens alors cette réflexion par les quelques mots de Serge Lesourd prêtant au discours courant la pensée de ces actes juvéniles comme étant « non recevable en signification ». Ainsi, « les actes adolescents sont qualifiés soit d’insensés quand ils sont dans le registre de la délinquance ou de l’autodestruction, soit d’irresponsables quand ils sont dans le domaine des actes de l’adulte » (2000, p. 31). Cependant, dans la conduite de son texte, j’entends que l’auteur intègre principalement dans cet agir juvénile des actes pouvant se différencier de ceux que j’ai pu exposer, par leurs impacts mettant en jeu le social dans son ensemble plutôt qu’une seule institution. Pour autant, je retiens de ses mots le caractère insensé de l’acte qu’il est possible d’entendre sous d’autres formes cherchant à voiler cette signification par l’annonce d’une cause à l’acte : « c’est un caprice », « il pique sa crise », « il est intolérant à la frustration », « ce sont des troubles du comportement », « il va de passage à l’acte en passage à l’acte », ou encore « quelle immaturité ! » Autant de jugements ou d’explications semblant mettre à l’écart la possibilité que l’acte parle. En ce sens, bien que quelque chose de l’acte puisse voir le sujet s’y réduire, l’acte ne peut pas pour autant le déterminer, il convient alors de lire l’acte autrement que dans cette radicalité qui lui est propre.
27Néanmoins, comme le souligne Olivier Douville, ces actes n’ont pas toujours eu mauvaise presse : « Des cliniciens ont vu dans l’agir autre chose qu’une transgression destructrice » (2000, p. 82). L’auteur fait notamment référence à Sandor Ferenczi. Ce dernier présente l’acte comme une traduction de l’émergence, dans l’urgence, d’une réalité psychique. C’est ce raisonnement que j’ai souhaité imager par ces deux vignettes cliniques véhiculant les enjeux de l’acte.
28À ce propos, j’ai tenté de faire valoir la notion d’« urgence » à gérer l’insupportable, et ce, de façon singulière. L’un décharge dans une hétéro-agressivité quand l’autre souffre, replié sur lui-même. Cette singularité, comme caractéristique du traitement de l’acte par le sujet à partir des problématiques qui lui sont propres, conforte cette idée première qu’il ne peut y avoir de réponse préconçue et préexistante à l’acte lui-même, comme souhaite le faire croire le discours courant. Pour autant, le point commun de ces deux situations est le déclencheur : l’acte de parole. Alors que Simon est cogné par l’insulte, Étienne est accablé par des mots ne relevant aucunement par ailleurs d’une formule insultante.
29Ainsi, à la question « existe-t-il une insulte propre ? », nous pourrions dire qu’il existe une formulation, bien que propre – elle n’est pas une injure reconnue –, ayant des effets comparables à ceux de l’insulte, puisqu’elle angoisse, fige et engendre une souffrance qui ne peut pas ou mal se dire. Or, le sujet, appelé à agir (mécanisme qu’il fait prévaloir à la parole), semble trouver dans l’acte une façon de liquider l’angoisse, afin de ne pas subir la détresse qui lui est promise s’il en reste là sans rien « faire ».
30Je débutais cette discussion en présentant l’« agir » dans le passage adolescent comme lié à une forme de régression qui déplaît, puisque marquée du sceau du caprice ou de l’immaturité par le discours courant, c’est-à-dire celui dans lequel nous baignons (j’entends par ailleurs que ce comportement puisse être régressif). Cependant, il semble que l’apport de la psychanalyse nous dirige vers une énième hypothèse et ouverture, une possibilité d’envisager l’acte comme nécessité plutôt que comportement casse-pied.