Couverture de JDP_295

Article de revue

L'éducation thérapeutique en question

Pages 24 à 28

1L’obligation d’éducation thérapeutique suscite des questions relatives à sa gestion et à sa mise en place ; elle interroge autant la définition du soin que celle des pratiques de soin et la relation médecin-malade. La pratique de la diabétologie, en fournissant des exemples relatifs à la façon dont chaque patient investit sa maladie chronique, met à mal l’idée qu’il existerait un mode opératoire unique de prise en charge pour une pathologie donnée, et donc une éducation thérapeutique qui pourrait s’appliquer de façon mécanique.

2L’éducation thérapeutique a fait son entrée dans la loi en 2009. Cette consécration ne peut que réjouir ses pionniers. Dans le même temps, elle ne manque pas de les inquiéter. Tout d’abord parce que son financement n’est pas assuré. Ensuite parce que les nouveaux convertis semblent prêts à qualifier d’éducation thérapeutique tout ce qui ne relève pas directement de la médecine prescriptive : information du patient, conseils, aide à la décision, apprentissage technique, accompagnement psychosocial, organisation d’activités sportives ou culturelles, aide à l’observance…

Quelle définition de l’éducation thérapeutique ?

3Au-delà des définitions institutionnelles, l’éducation thérapeutique, la « bien nommée », comporte trois éléments indissociables : la personnalisation du traitement, le transfert de compétences, l’aide aux changements de comportement.

4Il ne peut pas y avoir d’éducation thérapeutique si la thérapeutique elle-même est inadaptée au patient. En effet, il ne s’agit pas simplement d’appliquer des recommandations ou de suivre des procédures, mais de les adapter à chaque patient. Pour définir les objectifs et les modalités du traitement, il convient de prendre en compte les comorbidités et l’espérance de vie, l’évolutivité de la maladie, la réponse au traitement et, surtout, les possibilités du patient de mettre en œuvre dans sa vie quotidienne les prescriptions médicales.

5Il s’agit ensuite de transférer les compétences thérapeutiques au patient. Grâce à l’éducation thérapeutique, le malade apprend à être son propre médecin. Le diabétique doit devenir en quelque sorte son propre diabétologue, du moins est-ce le but idéal ! Si l’éducation thérapeutique a pour objectif d’apprendre au patient diabétique à être son propre médecin, il semble pertinent de se demander comment se comportent – et quels sont leurs résultats – les médecins compétents en diabétologie, eux-mêmes diabétiques. On ne peut qu’être interpellé par un certain nombre de professionnels qui, bien que compétents en diabétologie, n’appliquent aucune des règles élémentaires du traitement, tel ce médecin généraliste ayant enseigné pendant plus de dix ans le diabète aux internes de médecine générale, qui consultait pour des glycémies à plus de 3 g/l et qui avouait : « Je ne prends aucun médicament car je ne crois pas qu’ils sont efficaces. » Ou encore cet angiologue connaissant bien l’artérite des diabétiques et les complications podologiques, lui-même triple ponté et ne prenant aucun médicament : adressé en consultation pour le développement d’une rétinopathie diabétique, il entrait dans le box de consultation en levant les mains en l’air : « Je me rends ! » Un professeur de radiologie osseuse, également très compétent en matière d’ostéo-arthropathie nerveuse diabétique, a été hospitalisé dans le service en raison d’un mal perforant plantaire. Il avait complètement oublié qu’il était diabétique, si bien que l’examen du fond d’œil fait au lit permit de découvrir une rétinopathie proliférante nécessitant un traitement en urgence par laser. Le comble du comble : une ophtalmo-diabétologue, phobique de l’hypoglycémie « lasérisait » la rétine de ses patients tandis que son rein se détériorait à cause du diabète jusqu’à bénéficier d’une greffe rein-pancréas. Tous ces exemples amènent à tirer une conclusion radicale : la connaissance est nécessaire, elle est indispensable, mais elle n’est jamais suffisante pour changer les comportements et même pour changer les croyances ou renoncer à la « pensée magique ».

6L’éducation thérapeutique vise donc à apprendre au patient à résoudre des problèmes thérapeutiques personnels grâce à l’acquisition de nouvelles compétences. Elle a aussi pour but d’aider le patient à mettre en œuvre ces nouvelles compétences dans sa vie quotidienne, c’est-à-dire à changer de comportement.

Quel est le problème posé par le diabète ?

7C’est bien sûr le risque des complications. C’est un problème à la fois angoissant, abstrait et lointain. L’annonce du diagnostic d’une maladie chronique provoque une rupture. Ce ne sera jamais plus comme avant et ce sera pour toujours. Et ce « jamais plus » et ce « pour toujours » évoquent inévitablement le terme, c’est-à-dire la mort. C’est pourquoi le travail d’acceptation de la maladie a été assimilé à un travail de deuil. Une solution économique à court terme sur le plan psychologique est la suppression du problème par le déni. Le travail d’acceptation de la maladie n’échappe donc pas aux « lois du deuil » : tout nouveau deuil ravive tous les deuils antérieurs et tout deuil non fait interdit tout nouveau deuil. D’où la notion d’« aptitude au deuil ».

8On comprend dès lors la dérision des discours lénifiants qui infiltrent l’éducation thérapeutique, qu’il s’agisse du discours pédagogique pensant que pour réduire les difficultés il suffit de définir des « micro-objectifs » personnalisés ou du discours philosophique, à l’image de la grande sagesse d’André Comte-Sponville : « La vie fait ce qu’elle peut : santé et maladie ne sont que deux formes de cet effort de vivre… qu’est la vie elle-même. » La prévention des complications du diabète est donc un problème angoissant, mais c’est aussi un problème abstrait. En effet, cette prévention ne pourra jamais être vécue comme telle. Tous les soignants participant à l’éducation thérapeutique des patients diabétiques se posent la question de la concrétisation du risque de complications à long terme. Bien sûr, il y a les autres patients, ceux qui sont atteints de ces complications. Leur rencontre au hasard des consultations peut susciter la peur et même, en l’absence de communication, provoquer la politique de l’autruche, voire la fuite. Au contraire, l’échange, la mise en mots, permet de surmonter l’angoisse, de prendre conscience et d’agir pour éviter les complications. Il y a aussi les images (rétinographie, échographie,…) plus ou moins explicites. Les élèves de Jean-Philippe Assal recourent volontiers à la métaphore.

9Le risque des complications est un problème angoissant et abstrait, mais c’est aussi un problème lointain. En effet, ces complications surviennent dix à vingt ans après le début du diabète. Penser à un avenir si éloigné, c’est tout naturel pour un adulte économe, précautionneux, veillant sur son « capital santé ». Mais quel sens cela a-t-il pour un adolescent pour qui dix ans semblent une éternité, pour un épicurien qui jouit de l’instant, pour un aventurier dont la vie manquerait de piment sans l’incertitude du lendemain, pour un « ça passe ou ça casse » pour qui le sel de la vie réside dans le risque de la perdre, pour un précaire qui ne sait pas où il dormira ce soir, pour un déprimé pour qui la vie n’a plus de sens, pour un phobique condamné à l’évitement, pour un toxicomane tyrannisé par le manque… ?

10La prévention des complications du diabète dans dix ou vingt ans est d’autant plus difficile à mentaliser que le diabète n’entraîne, le plus souvent, aucun symptôme : pas de douleur, pas de prurit… rien de visible.

Comment aider le patient à mentaliser sa maladie ?

11Pour aider le malade à mentaliser sa maladie, il faut donc chercher à créer du symptôme, ce que font d’ailleurs la plupart des diabétologues en demandant à leurs patients de mesurer leur glycémie grâce à une piqûre au bout du doigt. Il ne faut pas se tromper sur la nature du symptôme créé. Il ne s’agit pas réellement de la douleur de la piqûre, mais de l’angoisse suscitée par le résultat. L’angoisse est bien le maître symptôme des maladies chroniques. Beaucoup de médecins pensent que le diabétique de type 2 est un convivial, un bon vivant, un insouciant. En réalité, dans l’immense majorité des cas, le patient diabétique est un angoissé. La question qui se pose alors est comment traiter l’angoisse ?

12L’angoisse trop importante peut provoquer la panique. L’angoisse répétée sans solution peut induire une dépression. Lorsque le patient diabétique se trouve dans cette situation, il est naturel qu’il arrête de mesurer ses glycémies capillaires aux résultats stressants, quitte à marquer des chiffres fantaisistes sur son carnet. Au contraire, nous cherchons à faire de l’angoisse un moteur pour l’action. Nous proposons au malade d’agir sans délai pour corriger son hyperglycémie et obtenir ainsi le soulagement, voire le plaisir, du bon résultat. Il faut donc que l’action soit efficace. Il est essentiel de définir précisément avec le patient le type d’action, les algorithmes thérapeutiques et les modalités de l’évaluation du résultat. On peut donc estimer que l’éducation thérapeutique est un traitement de l’angoisse par l’action. Cependant, pour agir, il faut être motivé.

Comment aider le patient à se motiver ?

13À en croire les psychologues, il y aurait deux types de motivation : une motivation « intrinsèque », et une motivation « extrinsèque ». « Une activité qui est pratiquée pour elle-même, pour son contenu, est dite “intrinsèquement motivée”, tandis qu’une activité pratiquée pour ses effets, pour l’obtention d’une conséquence positive ou l’évitement d’une conséquence négative, est dite “extrinsèquement motivée” » (Piché S., 2003). La première procure de l’intérêt et-ou du plaisir, la seconde plutôt de la satisfaction ou du soulagement.

14À l’évidence, la motivation pour se soigner est essentiellement une motivation extrinsèque visant à éviter les conséquences négatives de la maladie, de ses rechutes, ou de ses complications.

15Une motivation extrinsèque pour se soigner peut être extrêmement puissante, comme en témoignent les deux observations suivantes. La première observation est celle d’un pilote d’avion « bon vivant ». Son médecin du travail avait suspendu sa licence de vol, parce que son diabète était déséquilibré avec une HbA1c élevée à 7,4 %. Le délai pour la prise de rendez-vous à ma consultation avait suffi au pilote pour ramener son HbA1c à 6,4 % grâce à l’observance du régime et à l’augmentation de l’activité physique. Ce faisant, il obtint le certificat qui lui permit de reprendre l’air. La seconde observation est celle d’une jeune femme diabétique insulinodépendante qui contrôlait son poids grâce à une sous-insulinisation délibérée. Elle maintenait ainsi son HbA1c autour de 14 % et rien ne semblait y faire : ni l’hospitalisation de semaine dans l’unité d’éducation thérapeutique, ni les consultations rapprochées, ni les prescriptions variées visant à tromper la faim ou à freiner les compulsions. Elle ne voulait voir ni psychologue ni psychiatre. Elle revint un jour en consultation avec une HbA1c normale à 5,9 %. L’explication de ce retournement était simple. Ce parfait équilibre s’expliquait par la survenue d’une neuropathie diabétique hyperalgique.

16Dans les deux cas, la motivation extrinsèque s’était révélée très puissante, en tout cas plus efficace que le discours rationnel et empathique du médecin. À la réflexion, cette motivation extrinsèque paraît cependant bien fragile. Que se serait-il passé si, au lieu d’être un pilote, le patient avait été un bagagiste bénéficiant d’un arrêt de travail ? Que se passera-t-il lorsque le pilote aura atteint l’âge de la retraite ou s’il perd définitivement sa licence ? De même, qu’arrivera-t-il lorsque la douleur aiguë de la neuropathie diabétique disparaîtra ? Perdant son symptôme, la malade perdra-t-elle sa motivation pour équilibrer son diabète et retrouvera-t-elle son addiction au contrôle pondéral ?

17La motivation dépend de l’intensité des besoins ou des désirs parfois contradictoires, car l’être humain est une trinité comprenant trois instances du moi :

  • un moi rationnel, tendant à l’universel, régi par des normes et par des règles ;
  • un moi animal, à la fois biologique et comportemental, obéissant à la satisfaction de besoins primaires. On peut en rapprocher les pulsions et les comportements addictifs où l’impériosité de l’action l’emporte sur la raison : « C’est plus fort que moi ! » L’obsession du contrôle pondéral peut entraîner des conduites addictives, telles que la sous-insulinisation délibérée. Ainsi, une patiente du service a, pendant des années, maintenu son HbA1c autour de 13 % pour maintenir une silhouette mince. Elle a ainsi développé toutes les complications du diabète jusqu’à être amputée des deux jambes. Alors qu’elle était amputée, elle continuait à se sous-insuliniser délibérément. Pourquoi ? Pour plaire à qui ? Pour se plaire ? Non disait-elle : « Je sais bien que ce que je fais est stupide, mais c’est plus fort que moi… » ;
  • mais aussi et enfin, un moi « sujet » identitaire à l’irréductible singularité, régi par la loi d’homéostasie thymique, c’est-à-dire l’optimisation du bien-être, en tout cas l’évitement de la souffrance morale.

La motivation par la norme

18La motivation par la norme est puissante, car sortir de la norme suscite la peur de l’anormalité et donc de l’exclusion. Or l’« Evidence-based medicine » se traduit en recommandations qui produisent de la norme. Ainsi, dans le diabète, de grandes campagnes de communication ont médiatisé l’objectif d’une HbA1c inférieure à 7 %, si bien que la plupart des diabétiques qui ont une HbA1c au-dessous de 7 % sont soulagés, tandis que ceux qui ont une HbA1c au-dessus de 7 % s’inquiètent de leur avenir.

19Ainsi, la norme est un puissant régulateur comportemental. Oui, mais ne pas prendre son traitement, ne pas faire d’hypoglycémie, ne pas se piquer en public, sont une manière d’être comme les autres et d’éviter le risque de l’exclusion. De plus, le moi « sujet » identitaire ne supporte pas d’être réduit à la norme. En effet, chacun veut bien être différent, mais pas anormal, car chacun a peur que la maladie ne le dévalorise au regard des autres. Pourtant, je ne suis ni ce que j’ai ni ce que je parais, mais l’image que les autres ont de moi, qui dépend de ce que j’ai (mes piqûres, mes hypos, mes kilos en trop, mon diabète) peut menacer l’image que j’ai de moi, qui dépend de ce que je suis. Cette distorsion entre le « moi sujet » et le « moi objet » suscite la honte et explique la tentation de la dissimulation entraînant le déguisement, la clandestinité, ou l’auto-exclusion. À l’inverse, des patients peuvent faire de leur maladie, de leur souffrance, de leur combat contre l’humiliation, une identité plus ou moins revendiquée au point de refuser les traitements « normatifs » comme le font certaines associations de patients sourds-muets ayant transformé leur handicap en culture minoritaire, et cette culture en fierté.

Le « moi identitaire » et la motivation intrinsèque

20Quel est ce « moi sujet » à l’irréductible singularité ? C’est un aspect physique, un visage et particulièrement un regard. Ce visage vient frapper à votre porte, vous demander de l’aide et, alors que vous ne le connaissez pas, par le seul fait que vous êtes médecin, vous lui devez une aide absolue dont la seule limite sera fixée par le tiers social représenté à la fois par les autres patients et par les moyens limités mis à la disposition du médecin par la société. Ce moi identitaire, ce sont aussi des traits de caractère innés façonnés par l’empreinte parentale, modulés par la relation aux autres, construits par l’éducation, sélectionnés et renforcés par la vie. Ce « moi sujet » s’identifie plus ou moins à un moi paradigmatique, ce qui permet à chacun de jouer son personnage dans sa relation aux autres. Mais, au-delà de cette description, le « moi sujet » est une pure subjectivité fait d’émotions et de représentations, taraudée par l’inconscient et régie par la loi d’optimisation du plaisir. La motivation intrinsèque répond aux besoins identitaires de ce moi singulier. Elle pousse chacun à agir en accord avec sa nature profonde, et ce faisant, à « se réaliser ».

21La question du médecin cherchant à favoriser la motivation de son patient pour se soigner peut donc être formulée en ces termes : peut-on aider le patient à intérioriser, au moins partiellement, une motivation extrinsèque, et si oui comment ?

22Favoriser l’intériorisation de la motivation extrinsèque, c’est favoriser l’expression du « moi identitaire » du patient à travers le conte de sa vie (autobiographie). Il est en effet essentiel de connaître les événements importants de la vie du patient et de percevoir ses traits de caractère. Il faut donc en faciliter l’expression. Et s’il est important de chercher à connaître ce « moi identitaire », c’est d’abord pour adapter son style relationnel et comprendre ce qui est facile, ou au contraire difficile, voire insupportable, pour le patient, de façon momentanée, plus durable ou même définitive.

23Il s’agit autant que possible de « raccrocher » la motivation extrinsèque pour se soigner à une motivation plus puissante du patient. On peut se soigner pour préparer un voyage, pour programmer une grossesse, pour faire plaisir à sa femme ou pour rassurer ses enfants, pour préparer sa retraite, pour… Il s’agit ensuite d’aider le patient à trouver lui-même le compromis optimal entre son « moi rationnel » et son « moi identitaire », car le contrat qui scelle l’alliance thérapeutique n’est pas un contrat entre le malade et le médecin, mais un contrat entre les deux instances du moi du patient, le médecin devant se faire l’avocat des deux parties sans oublier de se faire l’avocat du diable. Ce faisant, il s’agit d’aider le patient à se connaître lui-même, c’est-à-dire favoriser sa métacognition et l’amener à changer sa représentation de la maladie.

De l’éducation thérapeutique à l’accompagnement

24Le but est évidemment de passer du contrat à la simple routine où le changement comportemental intégré ne relève plus d’un effort de volonté. Pour cela, il faut que l’éducation thérapeutique se déroule dans le temps selon un programme individualisé. L’initiation initiale qui implique de savoir perdre du temps pour en gagner doit être suivie par un accompagnement plus ou moins rapproché selon les patients et selon les objectifs, puis par des rappels pour éviter que la routine ne soit l’objet d’une dérive progressive. Il s’agit idéalement de marcher avec le patient, à son rythme et autant qu’il le souhaite, dans une direction fixée en commun, sachant que l’éducation thérapeutique vise à répondre aux trois besoins psychologiques fondamentaux que sont l’autonomie, c’est-à-dire l’aptitude à décider pour soi (ce qui ne veut pas dire décider seul), la compétence, c’est-à-dire le sentiment d’efficacité et, enfin, le sentiment d’appartenance et de reconnaissance à l’opposé du sentiment d’exclusion.

Aider le patient à trouver lui-même le comportement optimal et à se connaître.

figure im1

Aider le patient à trouver lui-même le comportement optimal et à se connaître.

Quelle pédagogie ?

25L’éducation thérapeutique nécessite donc des techniques pédagogiques. Ce faisant, elle n’échappe pas au débat opposant les grands courants historiques de la pédagogie. On peut en effet distinguer quatre types de pédagogie, inégalement adaptés à l’éducation thérapeutique :

  • La pédagogie académique, de type frontal, utilisée pour les conférences et les cours magistraux est de toute évidence totalement inadaptée à l’éducation thérapeutique. Elle permet seulement de délivrer des informations dont on sait que peu seront retenues ;
  • La pédagogie comportementale, visant à apprendre au patient un savoir-faire en lui faisant faire et en lui faisant répéter les gestes. Cette technique est utile pour bien réaliser son injection d’insuline ou mesurer correctement sa glycémie capillaire, mais elle n’est pas adaptée aux changements de comportement. Elle permet seulement un conditionnement ;
  • La pédagogie requise par l’éducation thérapeutique est de type constructiviste. Elle vise à mobiliser les connaissances et les affects des patients pour leur apprendre à résoudre des problèmes thérapeutiques personnels. C’est pourquoi elle se fait de manière optimale en groupe. Pour être efficaces, ces groupes ne peuvent pas dépasser le nombre de huit personnes. L’éducation en groupe n’a pas pour fonction de permettre un face-à-face entre maître et élèves, mais de favoriser une dialectique entre les apprenants où chacun se confronte aux autres pour réévaluer ses savoirs et en acquérir de nouveaux. L’enseignant n’est alors, pour l’essentiel, qu’un animateur avant d’être un référent. Le but de cette pédagogie est en réalité la conquête de l’autonomie du patient grâce à l’acquisition de compétences personnalisées (savoir faire, savoir mesurer, savoir analyser, savoir décider, savoir évaluer, savoir prévenir, savoir rechercher de l’aide, savoir vivre au quotidien avec, etc …) ;
  • L’éducation thérapeutique n’échappe pas au courant de la « pédagogie de la liberté » qui pense que l’homme est fondamentalement régi par un principe de régulation rationnelle pour la sauvegarde de sa santé. Il faut donc laisser le patient choisir son but et son chemin, en le mettant seulement dans un climat de confiance et en se contentant de répondre à ses demandes. Ce courant « fort sympathique » sous-estime les contradictions internes au patient entre les exigences de son moi rationnel et la dictature de son moi émotionnel. Il alimente de fait un courant de pensée postmoderne relativiste.

Quelle relation médecin-malade ?

26L’éducation thérapeutique conduit inévitablement à réfléchir à la relation médecin-malade. Il existe schématiquement cinq types de relation :

  • Une relation infantilisante
    Une relation ancienne où le devoir de bienfaisance des soignants s’exprime par un rapport paternaliste, infantilisant le patient. Ce modèle provient de la maladie aiguë grave où le patient se défend psychologiquement en régressant et où une attitude paternaliste est somme toute assez adaptée. On raconte des anecdotes de ce temps révolu où les patrons en diabétologie disaient au patient : « Vous êtes diabétique, vous fumez, il vous faudra choisir les cigarettes ou les jambes ! » Cette relation était inspirée par un devoir de bienfaisance allant jusqu’au devoir d’assistance, y compris contre l’insouciance, voire contre la volonté du patient. « Je vous sauverai malgré vous ! » Elle a toujours coexisté et tend à être supplantée par une relation plus moderne d’objectivation du patient.
  • Une relation objectivante du patient par le médecin
    Il peut s’agir d’une objectivation scientifique, le malade est alors transformé en porteur d’organes ou en « cas clinique ». Cette objectivation scientifique peut transformer le patient en un simple cobaye participant à une activité de recherche. C’est d’ailleurs pour éviter cette dérive éthique que la loi oblige à informer le patient et à obtenir son accord pour participer à une quelconque recherche médicale. À côté de l’objectivation scientifique se développe bien sûr l’objectivation commerciale faisant du malade un simple client ou un simple code de tarification à l’activité plus ou moins rentable.
  • Une relation objectivante du médecin
    Le revers de cette modernité déshumanisante est la transformation de la fonction du médecin par le patient en simple « prestataire », ou par le financeur en simple « producteur de soins ». Les médecins eux-mêmes, particulièrement ceux réalisant des gestes de haute technicité, mais ne suivant pas les patients dans la durée (anesthésie, radiologie, cardiologie interventionnelle, chirurgie), revendiquent parfois aujourd’hui cette position de technicien supérieur, prestataire compétent mais indifférent. Les mêmes rêvent souvent de réparer les organes sans avoir à toucher ni à parler ni même à voir le patient et espèrent qu’un jour prochain la télémédecine permettra d’exhausser leur souhait : rupture radicale avec la médecine hippocratique.
  • Une relation post-moderne relativiste
    Le rejet à la fois de la relation paternaliste du passé et de la relation déshumanisée de la modernité a engendré la postmodernité relativiste. L’anthropologie et l’ethno-médecine s’intéressant aux traditions et aux représentations culturelles des différents peuples, au-delà de tout jugement de valeur, ont favorisé l’essor de ce relativisme postmoderne où médecins et malades sont considérés comme deux experts mis sur le même plan ; l’un profane, l’autre scientifique. Leur rencontre est l’occasion de « croiser deux discours » pour « créer une nouvelle vérité ». Sous prétexte que médecin et malade sont deux personnes humaines devant avoir des rapports d’égalité, cette postmodernité gomme complètement l’asymétrie de la relation entre une personne souffrante, angoissée, recherchant à la fois une aide, et un(e) expert(ise).
  • Une relation de partenariat
    La relation médecin-malade qui correspond à l’éducation thérapeutique est l’alliance thérapeutique, c’est-à-dire un rapport égalitaire d’adulte à adulte pour fixer en commun des objectifs et les moyens de les atteindre, sachant que le médecin doit être garant de la validité scientifique de ses propositions, tout en étant capable d’aider le malade à les négocier avec lui-même. Le patient n’est l’expert que de lui-même. Ce partenariat implique que le malade peut proposer, plus ou moins explicitement, la relation qui lui convient. Ce peut être une position régressive, mais le pouvoir d’autorité est alors souhaité et donné par le malade au médecin. Ce peut être aussi une distanciation objectivante, par pudeur, par timidité ou par angoisse de révéler des failles intérieures. Ce souhait doit être respecté par le soignant, tout en sachant que cette relation peut évoluer avec le temps.

27L’éducation thérapeutique s’est développée en s’opposant à deux modes de relation médecin-malade, d’une part « l’infantilisation », d’autre part « l’objectivation ». Ces deux modèles sont encore très dominants, même s’ils s’expriment sous une forme moins caricaturale que par le passé. Les praticiens formés à l’éducation thérapeutique sont fiers de ce combat historique et revendiquent à la fois une pratique centrée sur le patient et une prise en charge globale. Cependant, loin de l’autosatisfaction, il est parfois utile de penser contre soi. Nous ne sommes pas en effet à l’abri de tentations qui comportent des formes insidieuses de manipulation du soigné par le soignant.

Conclusion

28L’éducation thérapeutique est thérapeutique. Elle doit être intégrée aux soins. Elle est le résultat d’un partenariat entre le patient et les professionnels de santé, médecins et paramédicaux travaillant en équipe.

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions