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Article de revue

Les sorties culturelles à visée thérapeutique

Pages 43 à 47

1Les activités se déroulant hors des institutions psychiatriques et proposées à des patients sont actuellement répandues dans les pratiques thérapeutiques. L’étude du dispositif de sorties culturelles mis en place dans un centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (cattp) montre quels peuvent être les bénéfices attendus pour les patients, mais également l’importance du travail de pensée des soignants pour les réaliser.

2Les sorties culturelles, en tant qu’activités à visée thérapeutique, sont aujourd’hui courantes dans les structures de psychiatrie et les dispositifs de santé mentale issus de la sectorisation. Elles se sont développées dans les années 1980, à la suite du mouvement de désinstitutionalisation suggéré par l’antipsychiatrie et son désir de sortir la psychiatrie des murs de l’hôpital. L’idée d’utiliser les sorties en tant qu’éléments thérapeutiques s’est peu à peu imposée. Ces activités sont depuis reconnues pour leurs bienfaits : elles favorisent la socialisation, les approches relationnelles, la communication et l’affirmation de soi.

Cadre des sorties

3Dans le cadre d’un travail en centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (cattp), des cycles de sorties culturelles à visée thérapeutique ont été mis en place. Ces sorties rassemblent à chaque fois une petite dizaine de patients et leurs accompagnants : deux infirmières, une stagiaire psychologue et parfois une élève infirmière. La population du cattp est constituée en majeure partie de schizophrènes stabilisés. C’est le psychiatre référent qui adresse le patient au centre, mais la participation aux activités n’est pas obligatoire, elle doit être acceptée par le patient.

4Un cycle regroupe cinq à sept sorties, sur un thème commun, choisi par les soignants. Le rythme est régulier et mensuel. Le terme « sortie » renvoie à l’action de quitter un lieu ou un établissement, en allant à l’extérieur de celui-ci. Mais il désigne aussi l’activité ou la distraction exercée au dehors, en elle-même. En ce qui nous concerne, la sortie revient à se rendre dans un autre lieu que le cattp, pour y mener une activité en lien avec le domaine culturel. Elle comprend la visite d’une exposition, d’un musée ou d’un monument, et inclut également le trajet en transports en commun, un déjeuner au restaurant, parfois une promenade et un temps de reprise élaborative autour d’un café à la fin de la journée.

5D’un cycle à l’autre, nous observons la présence fidèle d’un petit groupe, auquel s’ajoutent généralement quelques patients, souhaitant découvrir les sorties. Les participants sont invités à une présence régulière durant un même cycle, pour maintenir une certaine cohérence dans le groupe et la dynamique qui va s’y mettre en place. Il est donc demandé aux intéressés un certain niveau d’engagement, c’est-à-dire la participation à un maximum de journées du cycle. L’éventualité d’en manquer une reste possible. Le choix d’un groupe relativement fermé et fixe correspond à une volonté de préserver et stabiliser les processus de socialisation qui vont s’installer entre les membres.

6Pour faciliter la décision d’inscription, chaque nouveau cycle et son thème, ainsi que les expositions pressenties, sont présentés aux patients lors d’une réunion afin qu’ils puissent décider s’ils souhaitent ou non s’engager. Le choix de s’inscrire suppose une interrogation et une mise en pensée de leurs envies. Ils ne sont pas en position de malades à qui un traitement est imposé, ils peuvent exprimer leur désir de participer aux sorties ou au contraire refuser. Sur le plan psychologique, un processus de restauration narcissique s’instaure à travers la possibilité de choisir. L’équipe soignante se trouve alors en face de sujets volontaires.

Déroulement des sorties et effets observés

7Le but premier visé par la mise en place de ce type d’activités pour les patients est un accès à la socialisation par la présence du groupe, mais aussi par la confrontation et l’ouverture au monde extérieur, à la société en général. Le changement d’environnement offre aux patients de nouvelles occasions de prise de contact et d’adaptation avec autrui. S’ajoute à cet objectif celui d’offrir un accès à la culture à des personnes qui en sont souvent exclues par leur pathologie. D’autre part, en ce qui concerne le soin, les sorties sont une occasion pour le personnel soignant d’accompagner et d’observer les patients dans un contexte différent du cadre institutionnel.

Un temps de préparation

8Comme nous l’avons vu, chaque cycle est présenté de manière générale aux patients pour déterminer s’ils souhaitent y participer ou non. D’autre part, quelques jours avant chaque sortie, le lieu est rappelé aux inscrits lors de la réunion hebdomadaire de planification des activités du centre. Ils indiquent alors à l’équipe s’ils seront présents, en fonction de leur état psychique.

9À cette occasion, la visite leur est également présentée en détails. Ils y sont introduits et disposent d’une première information sur son contenu. L’équipe soignante, à travers son discours sur la sortie culturelle, est garante d’une certaine sécurité : elle sait en quoi consiste la visite et est supposée connaître ce qui va être vu. Aux yeux des patients, l’équipe prépare, organise, sait et, par conséquent, sécurise. Les soignants se posent en médiateurs entre les patients, leurs questionnements, fantasmes et angoisses, et l’inconnu de l’exposition. Celle-ci peut parfois être vécue comme une menace : lieu inconnu, présence éventuelle d’une foule, absence des repères habituels… De plus, l’art en lui-même est une construction particulière, qui peut être vécue comme envahissante et déstructurante par les psychotiques. L’équipe prépare les participants à y être confrontés.

10Quant aux soignants, lors de la préparation de la sortie, ils échangent sur les patients, notamment sur leur état actuel, afin de décider d’être particulièrement vigilants avec certains. C’est là un discours de l’équipe sur le patient et non sur le sujet. C’est la parole typique d’une équipe constituée de soignants, dans un lieu de soins et réunie autour de ce même objectif. Mais les sorties culturelles créent un contexte particulier, dans lequel les relations soignants-soignés se trouvent modifiées. L’équipe va pouvoir rencontrer les patients différemment.

Sortir des murs de l’institution

11La décision de proposer une activité de visite culturelle aux patients implique effectivement de sortir des murs de l’institution et, par conséquent, de s’éloigner de la protection relative, du moins symbolique, de ces murs.

12En ce qui concerne l’équipe soignante, la possibilité d’observer le comportement de chacun dans la vie en société est sans aucun doute un élément positif. En complément du travail mis en place au sein de l’institution, l’équipe peut alors appréhender la manière dont les patients gèrent les tâches du quotidien, au travers de gestes simples : acheter un titre de transport, choisir un trajet… L’équipe est là pour inciter chacun à se prendre en charge et à faire preuve du maximum d’autonomie possible. La fonction des soignants est alors de soutenir le processus d’individuation qui s’observe au niveau psychologique. Comme la prise en charge dans le centre se fait à temps partiel et concerne des patients stabilisés, ceux qui participent aux sorties sont tout à fait aptes à y prendre part. Cependant, il est nécessaire d’évoquer le risque de manifestations comportementales hors normes, allant de légères bizarreries à des comportements totalement inadaptés. Ces manifestations restent toutefois exceptionnelles. Carle Doutheau (1984) pose l’hypothèse qu’il se crée une sorte d’autorégulation comportementale par le groupe, la plupart des sujets tentant d’agir sur toute ébauche de troubles du comportement survenant chez l’un d’entre eux. Le groupe et les interrelations apportent aux patients des objets d’identification, ils ne sont pas seuls et partagent une expérience du « vécu psychiatrique ». Ils peuvent s’adresser à un autre ou rester en retrait s’ils le souhaitent, mais l’échange est à portée de voix.

13Sur le plan psychologique, l’absence de limite contenante, externe ou interne, offerte d’habitude par l’enceinte du lieu de soins, serait rendue largement supportable pour les patients du fait de la présence des autres membres du centre et des soignants. Nous pouvons également supposer que c’est le groupe en lui-même qui pallie l’absence de contenant matériel, et sert d’enveloppe psychique, au sens de Didier Anzieu (1987), offrant ainsi un étayage au développement des fonctions du moi.

14D’autre part, il convient de signaler la bonne acceptation publique de groupes de personnes souffrant de troubles mentaux. Bien que stabilisés, l’apparence physique ou vestimentaire des participants est parfois en décalage par rapport aux normes sociales, mais les réactions négatives sont très rares. La bonne tolérance observée participe au mouvement de socialisation. Les membres du groupe constatent que leur pathologie ne leur ferme pas les portes des musées. Ils peuvent aller voir les expositions dont tout le monde parle, découvrir et acquérir des connaissances culturelles diverses. L’accès à la culture offert par nos sorties leur permet une normalisation sociale, en minimisant ou en diminuant leurs difficultés dans le monde situé hors des structures psychiatriques.

15La culture est un bien commun, elle fait partie du collectif et, par conséquent, personne ne peut en être exclu. Cependant, pour certains malades, participer à des événements culturels ne pourrait se faire sans le cadre offert par l’institution, ils ne pourraient s’y confronter seuls. La sortie se fait en dehors des murs, mais l’institution reste présente de façon latente, par l’accompagnement des soignants et la préparation préalable de la sortie. Une fois la culture rendue accessible par ce cadre particulier, le patient va pouvoir s’effacer le temps d’une visite et laisser apparaître le sujet, modifiant ainsi les rapports interpersonnels.

16L’éloignement des murs de l’institution apporte un contexte de démédicalisation de la relation soignants-soignés. Les échanges se font de façon bien plus informelle. Lors du transport, autour du repas ou d’un café, les sujets de discussion abordés sont différents. Le discours des patients fait référence à leurs loisirs ou à leur vie familiale, d’une manière plus individuelle et moins factuelle que d’habitude. Il ne s’agit pas de fournir une information nécessaire à la prise en charge, comme ce peut être le cas lors d’un entretien au cattp, mais simplement d’échanger, et ce, dans un registre plus émotionnel. Ils évoquent des éléments de vie qui leur tiennent à cœur. De même, en retour, les soignants se livrent parfois un peu sur leur vie personnelle. Cela serait inadapté dans l’institution, mais ne l’est plus dans le contexte de la sortie. Au niveau psychique, l’échange relève davantage d’une discussion entre sujets, car les limites imposées par le cadre institutionnel sont assouplies. Les étiquettes, omniprésentes dans les rapports soignants-soignés habituels, c’est-à-dire celles du diagnostic et de la maladie pour le patient, et celle de la fonction institutionnelle pour le soignant, s’estompent dans ce contexte.

17Par ailleurs, lors de la sortie, et surtout lors de la visite, l’art sert de médiateur sur le plan psychologique et joue sur la limite soignant-soigné, qui s’assouplit. Face à l’art, les étiquettes disparaissent également. Les œuvres appellent à découvrir, à se laisser surprendre, à être touché, à s’émouvoir. Un échange se crée spontanément au sein du groupe, autour des expériences antérieures et souvenirs, à propos des émotions ressenties ou des connaissances plus académiques sur les œuvres. Chacun peut apporter à l’autre, peu importe son statut. Le soignant n’est plus le seul à détenir un savoir, au niveau psychique, cela participe au processus de revalorisation narcissique sollicité par les sorties. Le soignant découvre en son patient un sujet, et le patient voit également en son soignant un sujet. Les représentations des uns sur les autres se modifient et un mécanisme de consolidation de l’identité se met en place. Certains sont amateurs d’art, d’autres non. Certains possèdent un savoir encyclopédique sur l’artiste, d’autres n’y connaissent rien et veulent apprendre. Certains sont touchés, les autres restent de marbre. Les échanges dans le discours des uns et des autres laissent apparaître les sujets. Nous pouvons supposer que ces échanges sont sous-tendus sur le plan psychologique par la création d’un véritable espace transitionnel, tel que l’a conceptualisé Donald W. Winnicott en 1971. L’espace-temps, construit lors des sorties, semble offrir un lieu où les patients trouvent le soutien nécessaire pour mettre en place un début de processus d’individuation. Ils peuvent accéder à la verbalisation et à la symbolisation de leurs pensées sans craindre d’être menacés par celles-ci. Cette possibilité est présente lors de la visite, mais d’autant plus lors de la discussion postérieure.

Woman suffering manic depression

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Woman suffering manic depression

Un temps d’élaboration

18Les sorties culturelles sont organisées pour solliciter le discours du patient. Les soignants sont présents et encouragent à l’élaboration. Ils sont là pour aider à la mise en mots. La culture et l’art réveillent des souvenirs, des émotions, et incitent des processus psychiques de projection et d’identification. Ceux-ci peuvent être menaçants, s’ils ne sont pas mis en paroles. Le travail du soignant est de susciter le lien entre ces processus inconscients et la représentation de mot, de donner du sens au vécu face aux œuvres d’art, de permettre une symbolisation. C’est ce qui est particulièrement mis en œuvre lors du moment d’échange de la fin de la journée, tous les participants se retrouvant autour d’un café pour clore la sortie.

19Le discours du soignant tente d’inviter celui du patient, de l’autoriser et de l’aider. Nous observons alors, sur le plan psychologique, l’expression des angoisses suscitées par les œuvres d’art, les patients déposant tout ce qui a pu les perturber auprès des soignants pour s’en défendre et se libérer. C’est également un moment de plaisir, où chacun partage ce qu’il a apprécié.

20La difficulté pour le soignant est alors de rester neutre dans son discours, sans laisser deviner le désir de ce qu’il aimerait entendre du patient, car ce dernier va s’y confondre. Il s’agit bien de donner au patient un accès à son propre discours. Au niveau psychique, la symbolisation, le sens, vont lui permettre de s’éloigner de sa pathologie et de prendre sa place de sujet. Le discours au patient permet le discours du sujet.

21De retour dans l’institution, l’équipe dispose d’une connaissance modifiée de ses patients. Les soignants échangent sur ce qu’ils ont partagé avec des sujets et non plus avec des patients. L’objectif de soins est bien sûr toujours présent. Cette rencontre avec le « sujet » permet une meilleure compréhension du « patient », envisagé dans sa globalité et non plus seulement dans sa pathologie. On peut alors mettre en avant le fait que ces activités sollicitent sur le plan psychologique une unification de la personne, à l’encontre du processus de morcellement psychotique.

Présentation d’un cycle de sorties

22Le thème d’un cycle de sorties n’est jamais pensé au hasard. À titre d’exemple, nous exposerons ici le contenu d’un cycle mis en place récemment, en détaillant les éléments intervenant dans le choix du thème. Ce cycle s’intitule « Fiction et quotidien », et se propose d’explorer le monde de l’imaginaire et son articulation à la réalité.

23En psychologie, le registre de l’imaginaire renvoie, par l’intermédiaire de la représentation, au domaine du rêve, à la capacité imaginative et à la créativité. Le registre de la réalité renvoie, quant à lui, à la notion d’adaptation à la société. Les deux sont constamment en lien. En effet, l’environnement et le quotidien interagissent avec le monde imaginaire, lui apportant des objets à mettre en pensée. Il nous a semblé particulièrement intéressant d’investiguer le domaine de l’imaginaire, car il est en lien direct avec le concept de créativité. Donald W. Winnicott (1975) souligne que « vivre créativement témoigne d’une bonne santé ».

24Il met en lien la capacité de créativité et la notion d’aire transitionnelle, qu’il a développée. Celle-ci désigne une aire d’entre-deux, à mi-chemin entre le réel et l’imaginaire. La capacité de jouer au niveau psychique dans cet espace intermédiaire et de s’inscrire dans une aire d’illusion fonde paradoxalement la différenciation entre réel et imaginaire, entre dedans et dehors, entre monde interne et monde externe. Cette capacité va permettre la reconnaissance et le déploiement d’un espace psychique propre, constitutif du sentiment de continuité d’être.

25D’autre part, l’accès à la créativité dans un espace interne offre une meilleure prise sur l’environnement externe. Puisque celui-ci peut être mis en pensée, il devient moins menaçant. L’angoisse psychotique peut ainsi se trouver diminuée, ainsi que la dépression associée.

26Nous avons donc postulé qu’un travail autour de l’imaginaire pourrait permettre aux patients de se situer dans une aire transitionnelle, permettant un jeu potentiel entre réalité et imaginaire sur le plan psychologique. En effet, dans le cadre de la psychose, on observe un « défaut » transitionnel, lié à la confusion et à l’interpénétration des espaces internes et externes. Les processus de transitionnalité sont partiellement inopérants dans la mesure où le sujet ne peut s’appuyer sur une suffisante stabilité de son environnement. L’accès à la transitionnalité permettant l’individuation du sujet, le cycle de sorties tente d’y faire appel pour limiter les effets du morcellement psychotique chez les patients.

27De plus, ce thème nous intéressait particulièrement, ce qui, par le processus de contre-transfert sur le médiateur, ne pouvait que solliciter un bon investissement des patients. Les visites effectuées sont choisies comme pouvant solliciter chez les patients des conduites impliquant un fonctionnement transitionnel du psychisme, dans la mesure où les soignants sont là pour faire appel à l’imaginaire et le contenir. Un appui est pris sur une référence matérielle, via les objets artistiques dans leur réalité physique. Dans cet objectif, les expositions proposées ont un thème susceptible d’éveiller particulièrement l’imaginaire, expérience que nous leur demandons par la suite de relier à la réalité de leur quotidien. Pour cela, un discours simple est utilisé, soulevant leurs souvenirs et préférences artistiques, amenant une réflexion avec et sur leur monde imaginaire et leur quotidien. D’autre part, l’équipe dispose d’une formation, d’une fonction et d’une expérience la rendant apte à recueillir et à contenir d’éventuels éléments délirants du discours qui pourraient émerger. Tout le travail d’élaboration par la parole ne pourrait être mis en œuvre sans cela.

Exemples cliniques

Madame A : une présence à long terme

28Madame A est l’une des plus anciennes patientes du cattp. L’exemple de Madame A et de sa participation aux sorties culturelles démontre un bon investissement du lieu de soins. Elle est présente régulièrement à de nombreuses activités et ne manque jamais la sortie mensuelle. Malgré une apparente absence d’évolution, ces activités maintiennent un certain niveau de socialisation pour cette patiente, lui évitant de rester seule à son domicile. Les sorties culturelles ont visiblement permis de lutter contre l’apragmatisme et l’isolement social. On observe, en parallèle, qu’elle prend l’initiative d’organiser ses propres sorties culturelles, en dehors de son temps de présence sur le lieu de soins. Elle les effectue seule ou avec d’autres patients dont elle est proche. On peut poser l’hypothèse que les sorties encadrées soutiennent le maintien d’intérêts et d’activités en autonomie, ainsi que les contacts sociaux.

29Avec le temps, elle est devenue une sorte de référente en ce qui concerne les visites, elle connaît tous les musées de la région, se souvient des expositions vues et peut indiquer à chaque soignant devant organiser une sortie si celle-ci a déjà été faite ou non. Elle occupe une position de « pilier » face aux autres participants. Elle adopte souvent un comportement maternant. On peut émettre l’hypothèse que sa présence est un soutien pour les autres, elle est une sorte de « pair-aidant » informel, terme utilisé pour désigner les malades qui aident d’autres malades (concept développé aux États-Unis par les mouvements d’usagers du type Alcooliques Anonymes). Ainsi, elle prend une place bien à elle dans le centre, les activités lui offrent la structure nécessaire pour lutter contre une éventuelle désorganisation.

30Si elle montre un plaisir à évoquer les visites passées, Madame A occupe pourtant une position très passive lors des visites, décourageant parfois l’équipe soignante. Pour elle, la sortie culturelle mensuelle a fini par devenir un élément stable de son quotidien, auquel elle est si bien adaptée qu’il semblerait qu’on ne puisse plus en espérer une quelconque influence sur l’évolution de ses troubles psychiques. La chronicisation caractéristique de la pathologie psychotique révèle ici une limite de l’action thérapeutique des sorties culturelles.

31Toutefois, durant la visite d’un musée de sculptures, qu’elle avait déjà effectuée quelques années auparavant, Madame A nous a particulièrement surpris. Elle nous a en effet entraînés vers une sculpture de son choix, « sa préférée » depuis qu’elle connaît ce musée. C’est effectivement l’une des pièces maîtresses de l’exposition, mais que nous n’avions pas remarquée avant son intervention. Elle nous a, à cette occasion, apporté de la satisfaction, en tant que sujet visitant l’exposition, mais également en tant que soignant, de voir émerger un sujet doté de souvenirs et de représentations individuelles, derrière son apparence de patiente passive.

32Malgré la ritualisation et la chronicisation des sorties, le cas de Madame A illustre des effets et bénéfices que l’on peut attendre de ce type d’activités : lutte contre l’apragmatisme, l’isolement et les processus psychotiques, maintien de l’autonomie.

Monsieur B : masqué par son discours

33Monsieur B a intégré depuis quelques mois seulement le centre. Il accorde beaucoup d’importance à son image non pas sur le plan corporel, mais dans le domaine intellectuel. Il dit faire partie d’un milieu où évoluent des artistes et, lors des différents ateliers thérapeutiques à médiation, il n’hésite pas à mettre en avant ses connaissances, en art dramatique par exemple. Connaissances que nous observons toutefois comme relativement limitées et qui relèvent davantage d’un discours plaqué que d’une volonté d’apprendre et de transmettre. Les sorties culturelles sont pour lui l’occasion de montrer qu’il est initié à l’art et lui permettent d’entretenir l’image de celui qui a un savoir auquel il tient tant.

34Dans son fonctionnement général, Monsieur B cherche à réduire au maximum la distance le séparant des soignants. Le savoir qu’il prétend posséder lui sert à instaurer une distance par rapport aux autres patients, dans un désir de supériorité marqué. Certaines patientes du groupe montrent une franche admiration pour lui, dont il semble se satisfaire et qu’il n’hésite pas à stimuler lors des sorties, par des processus malsains, voire de perversion. Il suscite par ailleurs un contre-transfert négatif de l’équipe. Cette position qu’il recherche est pour lui un moyen de se défendre contre sa pathologie et de maintenir un semblant d’apparence la plus « normale » possible.

35Nous sommes confrontés à un patient qui utilise les sorties culturelles pour mettre en œuvre les mouvements défensifs de son fonctionnement. En choisissant le domaine artistique pour nos visites, nous entrons dans les connaissances qu’il possède, lui permettant de maintenir son fonctionnement pathologique habituel, au détriment du processus de subjectivation. Nous sommes face à un sujet qui reste caché derrière son discours, que nous ne pouvons voir que comme celui d’un patient. Ce cas souligne la nécessité de nuancer nos propos sur l’efficacité des sorties. Ce dispositif mérite sans aucun doute d’être maintenu, mais, dans certains cas, les bénéfices thérapeutiques sont plus longs à apparaître. Le temps et une meilleure connaissance de Monsieur B permettront peut-être de laisser émerger une évolution de son comportement lors des sorties.

Conclusion

36Une réflexion autour des effets thérapeutiques observés montre les bienfaits que l’on peut attendre des sorties, mais également les difficultés rencontrées. L’objectif premier est le soutien du processus de socialisation. Mais de nombreux autres bénéfices sur le plan psychologique peuvent être obtenus : restauration narcissique, processus d’individuation, lutte contre le morcellement psychotique, diminution des symptômes. Selon la pathologie et la personnalité du malade, tel ou tel effet sera plus recherché ou attendu. Il apparaît également que le travail de pensée des soignants autour des sorties est l’élément essentiel et indispensable à la création d’un espace transitionnel nécessaire pour l’accès aux bénéfices cités. Le choix des visites, l’élaboration du discours et l’investissement de l’équipe soignante permettent aux sorties de se dérouler dans un cadre adéquat, sollicitant la subjectivation des patients et laissant émerger les effets thérapeutiques. Ce sont les conditions pour que le dispositif puisse continuer d’exister et d’offrir de nouveaux souvenirs à notre groupe.

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