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Entretien réalisé dans le cadre de la parution de l’ouvrage de Serge Tisseron, L’Empathie, au cœur du jeu social, chez Albin Michel (2010).
1L’être humain peut être doté d’une incroyable capacité d’empathie, tout aussi grande que sa faculté à la mettre en sommeil. Dans quel cadre un individu prive-t-il un autre du bénéfice de son empathie ?
2Serge Tisseron passe en revue les situations dans lesquelles une personne est tentée, pour se protéger, de limiter son degré d’empathie et révèle, entre autres, le rôle crucial joué par la petite enfance et l’organisation de la vie sociale dans l’apparition ou l’absence de ce ressenti.
3Henri-Pierre Bass : Comment comprenez-vous l’empathie ?
4Serge Tisseron : La notion d’empathie a fait son entrée en psychologie avec Théodore Lipps (1903), qui la pensait destinée à devenir un concept essentiel. Selon lui, le support de l’empathie était la motricité. Ses analyses ont été oubliées pendant plusieurs dizaines d’années, bien que Sigmund Freud l’ait considéré comme un précurseur. Le mot est actuellement relancé par les découvertes en sciences cognitives et sa mise en évidence dans les relations entre la mère et son bébé. Il a aussi une place en éthologie ; je pense au dernier livre du spécialiste Frans de Waal (2010) qui montre que l’empathie est essentielle dans le monde animal, notamment chez les mammifères. Mais toutes ces études laissent un point essentiel en suspens : comment se fait-il que l’être humain soit capable de retirer si facilement certains de ses semblables du bénéfice de son empathie ? Pour répondre à cette question, j’ai d’abord essayé de comprendre comment l’empathie fonctionnait, puis ce qui pouvait s’opposer à elle.
5Commençons d’abord par dire ce qu’elle n’est pas.
6L’empathie est souvent confondue avec la sympathie, la compassion et l’identification, alors qu’elle en est différente. Dans la sympathie, on partage non seulement les mêmes émotions, mais aussi les mêmes valeurs, ce à quoi renvoie le mot « sympathisant ». Un sympathisant adhère aux objectifs et idéaux d’une cause ou d’un parti. Dans la sympathie, on partage les objectifs et les buts de l’autre, ce qui n’est pas le cas dans l’empathie.
7La compassion, elle, met l’accent sur la souffrance. Elle est inséparable de l’idée d’une victime et du fait de prendre sa défense contre une force hostile, voire une agression humaine. Son principal danger est qu’elle fait peu de place à la réciprocité, et s’accompagne même parfois d’un sentiment de supériorité.
8Quant à l’identification, elle n’est que le premier degré de l’empathie, qui en comporte trois. L’empathie peut en effet être représentée sous la forme d’une pyramide constituée de trois étages superposés, correspondant à des relations de plus en plus riches, partagées avec un nombre de plus en plus réduit de gens.
9L’identification est donc le premier étage. Elle consiste à comprendre le point de vue de l’autre (c’est l’empathie cognitive) et ce qu’il ressent (c’est l’empathie émotionnelle). « S’identifier » ne signifie pas que l’on se mette totalement à la place de l’autre, mais qu’une résonance s’établit entre ce que l’autre éprouve et pense, et ce que l’on éprouve et pense soi-même. L’identification ne nécessite pas de reconnaître à l’autre la qualité d’être humain. On peut s’identifier à un héros de dessin animé ou de roman que l’on ne fait qu’imaginer. On peut s’identifier à quelqu’un sans le regarder, et sans même qu’il s’en aperçoive. Je peux, par exemple, me mettre à la place du serveur qui m’apporte mon repas au restaurant et lui donner un pourboire parce que je pense que, à sa place, cela m’apparaîtrait normal, sans pour autant le regarder ni rien lui manifester. La première marche de l’empathie est unilatérale.
10Le deuxième étage de l’empathie est la reconnaissance mutuelle. Elle fonde la réciprocité. Non seulement je m’identifie à l’autre, mais je lui accorde le droit de s’identifier à moi, autrement dit de se mettre à ma place et, ainsi, d’avoir accès à ma réalité psychique, de comprendre ce que je comprends et de ressentir ce que je ressens.
11Cette reconnaissance renvoie à l’expérience du miroir. Elle implique un contact direct ainsi que tous les gestes expressifs, tels que le sourire, le regard croisé et les expressions faciales, par lesquels j’atteste accepter de faire de l’autre un partenaire d’interactions émotionnelles et motrices. Inversement, l’absence de cette médiation expressive revient à nier l’existence de l’autre.
12La reconnaissance mutuelle a trois facettes : reconnaître à l’autre la possibilité de s’estimer lui-même comme je le fais pour moi (c’est la composante du narcissisme) ; lui reconnaître la possibilité d’aimer et d’être aimé (c’est la composante des relations d’objet) ; lui reconnaître la qualité de sujet du droit (c’est la composante de la relation au groupe).
13Cette acceptation de la réciprocité peut évidemment mobiliser d’importantes angoisses liées aux premières années de la vie : angoisses d’intrusion, de manipulation et de contrôle par autrui. En outre, l’empathie est menacée par le désir d’emprise. Ces deux raisons peuvent nous amener à retirer certains de nos semblables du bénéfice de notre empathie. Seul subsiste alors, avec eux, le fait que nous puissions nous identifier à eux, éventuellement pour les manipuler.
14Enfin, le troisième étage de l’empathie est l’intersubjectivité. Elle consiste à reconnaître à l’autre la possibilité de m’éclairer sur des parties de moi-même que j’ignore. C’est, bien sûr, le cas de celui qui consulte un thérapeute, mais c’est heureusement une situation que l’on peut rencontrer dans une relation amicale ou amoureuse. Alors les barrières tombent… C’est ce que je nomme l’« empathie extimisante », pour la rapprocher de la notion d’extimité que j’ai développée depuis 2001. Dans l’empathie extimisante, il ne s’agit plus seulement de s’identifier à l’autre, ni même de reconnaître à l’autre la capacité de s’identifier à soi en acceptant de lui ouvrir ses territoires intérieurs, mais de se découvrir à travers lui différent de ce que l’on croyait être et de se laisser transformer par cette découverte.
15Cette empathie complète nécessite d’être capable d’entrer en résonance avec un autre sans s’en sentir menacé. En effet, admettre que l’autre a la capacité de m’informer sur moi-même, c’est lui reconnaître la possibilité d’établir sur moi une emprise. Évidemment, seules les personnes capables de faire confiance et de s’imaginer changer vivront cette forme complète d’empathie. Les autres en auront peur et se replieront sur les formes d’empathie moins complètes, ne mobilisant aucune menace et, surtout, sur la première, n’impliquant que l’identification, parce qu’elle autorise toutes les formes de manipulation. Aussitôt que quelqu’un craint d’être manipulé par autrui, il a une propension à le manipuler pour éviter de l’être lui-même.
Toute personne ne faisant pas partie de mon groupe d’appartenance est susceptible d’être un jour privée du bénéfice de mon empathie
Toute personne ne faisant pas partie de mon groupe d’appartenance est susceptible d’être un jour privée du bénéfice de mon empathie
16Voici quel a été le premier point de mon travail : identifier ces trois étages de l’empathie, et comprendre à quelles conditions ils fonctionnent. Le second point de mon travail porte sur le désir d’emprise comme principal ennemi de l’empathie. L’emprise exclut toute possibilité de réciprocité, alors que l’empathie complète se définit justement par la réciprocité. Et pourquoi sommes-nous condamnés à osciller sans cesse de l’une à l’autre ? C’est le troisième point de mon travail. Parce que les désirs d’empathie et d’emprise se constituent en même temps durant la petite enfance. Les chercheurs, spécialistes de la petite enfance, sont formidables pour décrire les résonances entre un bébé et sa mère. Mais ils oublient que, à certains moments, le bébé se ferme. Toutes les mamans le savent : parfois, le bébé oppose un visage figé. Parfois, aussi, il essaie de les manipuler, ne soyons pas candides. Les bébés ont un désir de manipuler. Pourquoi ? Parce que c’est une manière de mesurer leur pouvoir, mais aussi de répondre à leur crainte d’être manipulés. En fait, l’extraordinaire proximité qui s’établit entre une mère et son bébé est sans nuage jusqu’au moment où le bébé commence à se percevoir comme différent. Pour Daniel Stern et Colwyn Trevarthen, cela arrive dès la naissance, pour Donald W. Winnicott, cela vient plus tard, à un moment identifié comme étant celui de l’objet transitionnel. Dans tous les cas, dès que le bébé est capable de faire la distinction entre sa mère et lui, la grande proximité empathique qu’il a avec elle le confronte à l’angoisse d’être manipulé.
17Alors, qu’est-ce qui fait qu’un enfant bascule du côté de l’empathie et pas de l’emprise ? De mon point de vue, c’est le fait de pouvoir vivre l’illusion de toute-puissance, de constituer son territoire d’intimité, d’avoir des secrets. Si le jeune enfant se voit reconnaître très tôt son intimité et ses goûts, il aura moins l’angoisse d’être manipulé. À l’inverse, plus son entourage multiplie les tentatives de contrôle, plus il risque de développer, par la suite, l’angoisse d’être manipulé et, de fait, le désir de manipuler autrui pour s’en protéger. À la limite, il deviendra un adulte qui se méfiera de tout le monde, parce qu’il craindra que l’on veuille le contrôler comme il craignait que sa mère le fît. Ce processus permet d’expliquer comment l’être humain peut être doté d’une extraordinaire capacité d’empathie, comme le montrent les études sur le bébé et les explorations des sciences cognitives, mais, en même temps, se comporter sans aucune empathie. Cela se produit quand il craint, à tort ou à raison, d’être manipulé. On quitte ici le domaine de l’évolution psychique personnelle pour aborder une réflexion politique. C’est le quatrième point de mon travail. Les individus qui retirent leur empathie le font par crainte d’être manipulés du fait de leur relation précoce avec leur environnement, mais aussi parce qu’un régime ou une situation les insécurise. Les organisations sociales et politiques qui prônent la surveillance, l’évaluation, le contrôle, dissuadent l’empathie ; à l’inverse, celles qui favorisent la confiance et la sécurité psychologique l’encouragent.
18Ainsi, mon travail suit quatre fils rouges : comprendre les trois étages de l’empathie ; identifier son principal ennemi – le désir d’emprise – ; repérer comment ils se construisent en parallèle durant les premiers mois de la vie ; et poser le rôle de l’organisation sociale comme condition de la construction et de l’expression de l’empathie.
19H.-P. B. : À partir de ce développement, que pouvez-vous nous dire sur l’envers de l’empathie, c’est-à-dire sur les personnes qui ne peuvent en éprouver ?
20S. T. : Pour Frans de Waal, les psychopathes pervers en seraient congénitalement dépourvus. Bien sûr, un psychopathe tente de manipuler. Mais encore faut-il que ses interlocuteurs aient envie de se laisser faire. Et quand beaucoup font du zèle, comme dans l’Allemagne nazie, on voit bien que pointer le rôle des « psychopathes pervers » ne suffit pas. Selon moi, il est bien plus intéressant d’essayer de comprendre comment nous sommes tous capables de retirer un jour notre empathie, plutôt que de stigmatiser une partie de la population.
21H.-P. B : Je pensais aux systèmes concentrationnaires, dans leur volonté d’éradiquer la dimension humaine (par exemple, la Shoah). Relèvent-ils encore du registre de l’empathie ou d’une réaction radicale contre l’empathie, du non-humain ?
22S. T : Tout d’abord, les nazis n’avaient pas renoncé, vis-à-vis des Juifs, au premier niveau de l’empathie, soit la capacité d’identification. Prenons l’exemple du film Inglourious Basterds de Quentin Tarentino (2009), qui le fait bien comprendre. Le nazi, capable de s’identifier aux Juifs, comprend où ces derniers se cachent, les trouve et les fait exécuter sans aucun état d’âme, car il ne les reconnaît pas comme des êtres humains semblables à lui. Face à eux, il se trouve dans l’empathie du premier niveau, sans éprouver celle du deuxième (empathie réciproque) et encore moins du troisième niveau (empathie extimisante).
23Le film de Steven Spielberg, La Liste de Schindler (1993), donne un autre exemple. Une architecte juive explique à un nazi que les baraquements pour les déportés sont mal construits et vont s’effondrer. Le nazi appelle alors ses subordonnés et leur ordonne : « Vous avez bien compris ce qu’elle a dit. Faites-le, reconstruisez ces baraquements ! », puis il la tue d’une balle en pleine tête. Il ne veut pas imaginer qu’une relation de réciprocité puisse exister entre elle et lui. Il accepte de bénéficier de son savoir, mais exclut toute communication humaine avec elle. Dans le nazisme, ce qui est en cause, c’est une empathie de premier niveau (celui de l’identification) et une lutte contre la tentation de l’empathie de deuxième et troisième niveaux. Pour quelles raisons ? Parce que le nazi pense que les Juifs le menacent, lui et ses proches. On ne peut comprendre le nazisme sans avoir à l’esprit le fait que les Juifs étaient constamment présentés comme des ennemis : « Il faut les supprimer, car, sinon, ce sont eux qui nous élimineront. » C’est aujourd’hui le discours de l’extrême droite, la fameuse « menace islamiste ». Mais, dès qu’un groupe ou un dirigeant stigmatise une partie de l’humanité, il faut toujours avoir conscience que c’est une manière de nous faire oublier que c’est lui qui veut nous contrôler et nous manipuler.
24H.-P. B : Il s’agirait d’une manipulation perverse des liens sociaux…
25S. T : Oui, exactement. Il y a quelque chose de très intéressant dans les études sur la résilience collective. Au moment des attentats de Londres, les victimes ont oublié les différences de couleur de peau, de groupes d’appartenance, d’âge. Les gens se venaient en aide sans faire de distinction. Ainsi, lorsque l’empathie n’est pas menacée par l’inquiétude d’être manipulé, elle fonctionne librement, c’est-à-dire avec toutes les personnes par lesquelles on ne se sent pas menacé, et encore plus avec celles que l’on estime menacées par les mêmes dangers que nous. À l’inverse, les personnes que nous ressentons comme un danger possible pour notre indépendance, notre autonomie ou notre liberté, sont facilement exclues de notre empathie. Dans une situation d’insécurité, l’absence d’empathie et la nécessité de contrôler absolument une partie de la population sont présentées comme des moyens de retrouver la sécurité pour soi et ses proches.
26C’est pourquoi, la question principale est, à mes yeux, de déterminer les limites de son groupe d’appartenance. S’il comprend les personnes parlant la même langue que moi, ou ayant la même religion, ou bien si c’est la communauté humaine dans son ensemble. Si mon groupe d’appartenance n’englobe qu’une partie de l’humanité, alors je suis menacé d’ôter le bénéfice de mon empathie à ceux qui n’en font pas partie. Pas forcément tout de suite, mais dès que je ne me sentirai plus en sécurité. Alors je pourrai être cruel, par insécurité. Je pense plus en termes d’attachement sécure ou insécure que de libidinalisation. On a trop cru, au xxe siècle, à l’esthétique de l’horreur. Pour les nazis, les Juifs étaient des objets menaçants. Bien sûr, quelques-uns d’entre eux étaient sadiques à leur égard, et ce sont évidemment les situations qui frappent l’imagination. Mais la plupart étaient avant tout d’une extrême cruauté, sans plaisir, et même sans état d’âme. Le sadisme est chaud. Il est une tentative de « libidinaliser » la violence. La cruauté est froide. Elle est une violence instrumentale, comme on l’a vu chez Adolf Eichmann. La cruauté, c’est de traiter d’autres humains de façon abstraite, comme des objets, des numéros. C’est pourquoi l’absence d’empathie vis-à-vis d’une partie de l’humanité ne s’accompagne pas forcément de perversité. Celui qui se trouve dans cette situation peut tout à fait être empathique avec ceux qu’il reconnaît comme faisant partie de son groupe. On peut dire que son groupe est identifié à celui des « humains » (par leurs mœurs, leur morale, leurs technologies…), et les autres à celui des « non-humains ». La seule façon d’échapper à cela, c’est de suivre Emmanuel Levinas et de faire du visage le représentant de l’humain, ce qui nécessite de bénéficier d’une sécurité intérieure. La cruauté commence quand je refuse de me laisser attendrir par la souffrance de certains, car je pense qu’ils vont en profiter pour me nuire ou nuire ou à mes proches. Ici se pose la question à la fois de l’éducation et de l’organisation sociale.
27H.-P. B : Quelle est l’origine des insécurités évoquées précédemment ?
28S. T : Elle est double. D’abord, lors de la petite enfance. Il faut que les parents laissent vivre à leur enfant l’illusion de toute-puissance avant de l’obliger à y renoncer, et que eux-mêmes renoncent à être intrusifs. En déniant au tout-petit le désir de se construire son intimité, on court le risque de le rendre extrêmement craintif et, plus tard, inquiet de la possibilité d’être manipulé par autrui.
29Ensuite, avec l’organisation de la vie sociale. Il faut éviter tout ce qui nous amène à considérer nos semblables comme des gens n’ayant pas de point commun avec nous. En ce sens, les procédures d’évaluation sont extrêmement préoccupantes. Elles séparent les individus en deux camps : celui des « évaluateurs » et celui des « évalués », ruinant ainsi l’empathie.
30H.-P. B : L’ambiance groupale facilite-t-elle le fait de retirer son empathie ?
31S. T : Oui, la grande menace, c’est la conjonction d’une insécurité psychologique, enracinée dans la psyché de certains individus, avec un pouvoir politique et social qui joue sur elle pour mieux pointer un adversaire. En cela, la petite enfance est pour moi un problème politique. C’est aussi, je crois, la raison du succès du livre de Stéphane Hessel sur l’indignation (2010). Le premier moment est de s’indigner, mais il est possible d’être rejeté par le groupe. Si son ouvrage est autant plébiscité, c’est pour le message qu’il transmet : « Vous n’êtes pas seul. »
32H.-P. B : La menace existe-t-elle toujours ?
33S. T : Oui, et elle existera jusqu’à la fin du monde. Rien ne nous met à l’abri du risque de retirer leur qualité humaine à certaines personnes. Il faut être modeste, car cela nous rend vigilants. Personne ne peut affirmer : « Non, je ne le ferai jamais. » Retirer son empathie n’est pas de l’ordre du sadisme, mais de la cruauté. Peu de gens ont envie d’être sadiques, mais bon nombre sont capables de cruauté. La cruauté, c’est seulement penser que son groupe est menacé, qu’il faut se protéger et que la fin justifie les moyens.
34H.-P. B : Vos recherches sur l’empathie s’inscrivent donc dans la continuité de vos précédents travaux.
35S. T : En effet, elles poursuivent mon ouvrage sur la honte publié en 1992. La honte, c’est le fait d’être retranché du genre humain. Quand j’ai commencé à travailler sur la marginalisation, à la fin des années 1980, je me suis aperçu que la psychanalyse freudienne ne me permettait pas de la comprendre. Les travaux de John Bowlby m’ont donné la clef. En 1992, j’ai attribué à mon livre, La Honte, le sous-titre : « Psychanalyse d’un lien social. » À l’époque, il était rare d’évoquer le lien social. Aujourd’hui, travailler sur l’empathie est pour moi une autre manière de considérer la question de l’exclusion du lien social. Je n’adopte plus le point de vue de la personne exclue, mais celui de la personne qui en rejette une autre, par manque d’empathie. En ce sens, La Honte (1992) étudiait ce qui se passe pour quelqu’un qui exprime l’angoisse d’être privée de sa qualité d’être humain, et L’Empathie au cœur du jeu social (2010) questionne la raison qui nous permet de nous comporter de telle façon que cela soit possible.
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Entretien réalisé dans le cadre de la parution de l’ouvrage de Serge Tisseron, L’Empathie, au cœur du jeu social, chez Albin Michel (2010).