Couverture de JDP_283

Article de revue

Le travail, risque psychosocial ou facteur d'épanouissement ?

De la survie au bien-être

Pages 26 à 30

1Une recherche réalisée auprès d’enseignants français a permis de repérer les facteurs de risque et de bien-être psychologiques, discutés à partir de la littérature scientifique. Si des aspects individuels interviennent, les facteurs organisationnels jouent un grand rôle, tels le climat de travail, le sentiment de justice et les relations entre les salariés. Panorama des notions associées sous le vocable de « risques psychosociaux ».

2À l’heure où la réussite, la compétence et la satisfaction individuelles sont portées aux nues, le monde du travail connaît de profondes mutations et place paradoxalement les personnes en situation de souffrance au travail. Ces mutations sont liées à l’apparition simultanée de changements technologiques et communicationnels, de changements de fonctionnements sociétaux et à l’émergence de nouvelles valeurs individualistes. Contre toute attente, le progrès qui devrait normalement soulager les personnes les rend plus dépendantes, insatisfaites et souffrantes. Il suffit de mettre le focus sur quelques organisations typiques et d’observer les personnes travailler aujourd’hui pour poser un constat édifiant. Les temps s’accélèrent, les hommes courent pour suivre le rythme infernal des nouvelles technologies, des machines et des contraintes économiques. Les personnes au travail subissent non seulement la pression du temps rythmé sur les machines et le « tout tout de suite », mais aussi celles des évaluations omniprésentes, des contraintes de résultats et de profit et, enfin, la pression issue de la peur de perdre leur place devenue rare par les temps qui courent… Beaucoup de travailleurs, de professionnels, sont en souffrance, et la relation humaine connaît de véritables mutations dans le paysage du travail autrefois valorisé, source de dignité, et qui se transforme en jungle où tous les coups sont permis.

3Les expressions du mal-être au travail sont tellement variées que, récemment, les termes « risques psychosociaux » sont apparus comme l’expression clé rendant compte de tout, mais permettant, par sa technicité, de ne pas souffler trop fort les mots qui expriment les vérités : souffrance, mal-être, antisocialité, harcèlement, addiction, suicides…

Quels risques et quelles causes ?

4Bien sûr, la notion de risque n’est pas nouvelle et a longtemps été modelée par celle de stress, un mot suffisamment important pour évoquer les causes et les conséquences d’un mal-être courant au travail. Les premiers travaux sur le stress (Selye, 1936), inspirés des théories sur l’homéostasie, ont porté sur l’identification des agents stressants (physiques, chimiques ou psychologiques), le stress désignant « l’action de l’agent d’agression et la réaction du corps » et sur les réponses non spécifiques provoquées par tel ou tel agent agressif et ont conduit à élaborer le « syndrome général d’adaptation ». Par la suite, le modèle « demande-contrôle », inspiré des travaux sur la redéfinition du travail, propose une explication du stress au travail en croisant deux dimensions (les exigences du travail : job demands et la latitude décisionnelle : job decision latitude). Pour Robert Karasek (1979, p. 287), « la tension psychologique ne résulte pas d’un seul aspect de l’environnement de travail mais des effets réunis des exigences de la situation de travail et de la marge de décision dont dispose le travailleur concernant la manière de faire face à certaines exigences ». Ses travaux ont inspiré une longue tradition de recherches sur le stress et connaissent encore aujourd’hui des applications scientifiques intéressantes bien que le modèle soit considéré comme descriptif (Rolland, 2000). D’autres auteurs ont également développé des approches qui étendent la portée de ces travaux et proposent des outils de diagnostic, telles les recherches de Patrick Légeron (2001). Maurice Ferreri et Patrick Légeron (2002) soulignent d’ailleurs que les sources du stress ont évolué avec la fusion des technologies liées à l’informatique, à l’électronique et aux télécommunications, et invitent à prendre en considération la notion d’adaptation de la personne au travail, adaptation ou coping (émotionnel, mobilisation de processus comportementaux ou cognitifs) mise à rude épreuve par les changements environnementaux. D’autres modèles de renommée ont inspiré beaucoup de recherches tel le modèle transactionnel de Richard S. Lazarus et Susan Folkman (1984) présentant l’atout d’approcher les processus dans une perspective s’intéressant aux cognitions et aux émotions et celui de Nicole Rascle (2000) testant le rôle médiateur du stress et du coping sur l’ajustement. En résumé, beaucoup de modèles ont porté sur les conséquences psychologiques et physiques négatives résultant de la mise en œuvre de processus d’ajustement inefficaces. Au-delà du stress et des conduites antisociales au travail, un autre risque consécutif de la désadaptation au travail (Selye, 1936) concerne une étape ultime du syndrome général d’adaptation à la suite d’une exposition au stress : l’épuisement professionnel ou le burn-out. La personne va glisser lentement vers l’épuisement du fait des efforts menés pour le maintien de l’organisme. L’organisme ne sera plus en capacité de répondre aux exigences de la situation, et les organes vitaux et la santé physique, psychique, seront affectés, les conséquences pouvant aller jusqu’à la mort (Karoshi, suicide…). Selon Herbert Freudenberger (1974), le burn-out serait « un épuisement de nos ressources physiques, mentales et émotionnelles qui se manifesterait lorsque la personne lutte contre une fatigue professionnelle ». Le risque de burn-out serait plus important chez des personnes travaillant au contact d’autrui ; les professions les plus touchées recouvrant, entre autres, le domaine de la santé, le milieu éducatif, le milieu de l’aide social et l’enseignement.

Le poids de l’environnement

5Ces travaux montrent finalement comment l’homme réagit à son environnement. Cette centration sur les individus est retrouvée dans le rapport de l’Organisation internationale du travail de 2000, évoquant des interventions par rapport aux stress primaires (réduction des sources de stress), secondaires (aide des individus à développer leurs compétences pour faire face au stress) et tertiaires (prise en charge des individus affectés par le stress), mais ne semblant pas proposer de plans d’action concernant les causes organisationnelles, environnementales…

6En complément, les recherches évaluant les conséquences négatives d’un environnement de travail peu adéquat sur la santé psychologique sont nombreuses. Elles rapportent des symptômes de non-santé observables après que les personnes ont été soumises à des stimuli aversifs, d’où les constats de type post-mortem et les propositions d’intervention à caractère curatif dans l’immédiat ou préventif ultérieurement. Pourtant, la communauté des scientifiques et des professionnels aurait tout intérêt à anticiper l’évolution de l’état de santé psychologique des personnels de manière à prévenir l’apparition des problèmes psychologiques, donc à intervenir en amont plutôt qu’en aval.

7Nous savons, par exemple, qu’un climat de travail délétère peut occasionner des problèmes d’absentéisme des salariés, de productivité, ainsi que du stress au travail. Une étude auprès de salariés a aussi mis en évidence qu’un climat de travail rigide basé sur les règlements, les procédures, pouvait finalement légitimer des pratiques harcelantes (Desrumaux-Zagrodnicki, Lemoine et Mahon, 2004). Les attributions causales influencent également le traitement des risques. Par exemple, une victime de harcèlement tentant de se justifier au travail en évoquant des causes internes est finalement considérée comme responsable et moins aidée (Desrumaux, 2007).

8La justice organisationnelle, perception que les salariés ont concernant le traitement qu’ils reçoivent dans le milieu de travail, a aussi des effets sur le stress. En particulier, la justice distributive qui prend en compte les évaluations cognitives du ratio effectuées par l’individu entre ce qu’il apporte à son entreprise et ce qu’il en reçoit en retour constitue un facteur de stress. La justice procédurale qui correspond aux méthodes de prise de décision et à la manière dont elles sont présentées et, enfin, la justice interactionnelle qui concerne la perception qu’a un individu de la qualité de la communication et des échanges interindividuels dans son entreprise sont aussi des causes importantes d’insatisfaction, de stress et de comportements antisociaux au travail. Ainsi, bien des formes d’antisocialité, de violence, voire de prédation, se développent dans le monde du travail en raison des perceptions modifiées de la justice au sein des entreprises. De nombreux professionnels, intervenants et salariés éprouvent le besoin de comprendre ces nouvelles réalités et d’explorer les chemins possibles pour les endiguer. Le développement important et médiatisé, depuis les années 1990, des comportements de harcèlement moral au travail (isolement, médisance, critiques humiliation, agressions psychiques et physiques) en est une preuve.

Des constats chiffrés

9D’après l’Institut national de la recherche et de la sécurité (Inrs), 28 % des salariés européens déclarent que leur travail est source de stress et, selon une étude belge de 2005, le stress au travail est le second problème de santé le plus répandu ; il toucherait plus de trente millions de travailleurs en Europe. Selon le nouvel observateur de mars 2008, quatre cent mille maladies et trois millions à trois millions et demi de jours d’arrêt de travail sont provoqués par le stress professionnel. Sachant que le coût social lié à ce stress est estimé entre un milliard deux cents millions d’euros et deux milliards d’euros par an, nous comprenons mieux l’intérêt grandissant des entreprises et des chercheurs pour ce problème. Effectivement, lorsqu’un salarié se trouve en difficulté, sa productivité en est réduite. Cette souffrance au travail peut se manifester sous différentes formes telles que le stress, le burn-out, le harcèlement moral, les troubles musculo-squelettiques, etc.

10Parmi les risques qui connaissent une croissance impressionnante, on peut citer de nouvelles formes de violence, telles que le harcèlement moral au travail, les agressions physiques et les agressions à main armée. En témoignent les publications de nombreux rapports tentant de faire un état des lieux, que ce soit sur le plan international ou au niveau européen. D’après l’enquête réalisée en 1996 par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail, basée sur quinze mille huit cents interviews réalisées dans les quinze États membres, 16 % de la population active (cent quarante-sept millions de personnes) sont exposés à diverses formes de violence. Les actes de violence se manifestent principalement sous une forme psychologique (9 % de la population active), physique (4 %) ou, enfin, de harcèlement sexuel (2 %). Selon une nouvelle enquête européenne sur les conditions de travail, près d’un salarié européen sur dix semble avoir été victime d’intimidation (9 %) et 6 % de violences physiques. Pour l’Inrs, tous les pays de l’Union européenne se disent confrontés à l’accroissement des effets de la violence au travail.

11Parmi les professions à risques psychosociaux, outre celles concernant les emplois exposés (police, pompiers, agents de sécurité…) ou isolés (services de nuit, commerces, professionnels en libéral), les professions reconnues comme étant en souffrance sont celles qui impliquent une relation d’éducation, d’assistance, d’aide médicale ou sociale. Par exemple, il s’avère que la situation des enseignants est inquiétante : 25 % à 33 % de ces professionnels déclarent des niveaux élevés de stress au travail, quel que soit le niveau d’enseignement. Les taux élevés d’absentéisme, d’abandon de poste et de suicide sont importants, et la faiblesse des dispositifs mis en place pour gérer ces problèmes nous interpelle tout autant.

12Nous avons, avec une équipe canadienne de l’université de Montréal (Boudrias, Savoie et Brunet, 2007), participé à une étude visant à mesurer la santé psychologique des enseignants français et canadiens. Le modèle prévisionnel de la santé psychologique au travail a permis d’identifier les facteurs intervenant dans l’apparition du mal-être et de la mésadaptation dans le contexte professionnel. L’objectif était aussi de formuler des propositions pour gérer les problèmes de santé en amont plutôt qu’en aval. En d’autres termes, il s’agissait de trouver les moyens de prévenir plutôt que de guérir. Des études portant sur le mieux-être psychologique, le bien-être psychologique et la détresse mettent en évidence que le mieux-être au travail est fonction simultanée de la présence d’indices positifs, tels que le bien-être, et de l’absence d’indices négatifs, comme la détresse. À partir de cela, nous avons mesuré la détresse en termes d’anxiété, de dépression et d’irritabilité, le bien-être psychologique en cinq dimensions, à savoir le bonheur, l’équilibre, la relation positive avec autrui, le désir d’aller au travail et le bien-être par rapport à soi. S’inscrivant dans une approche prévisionnelle de la santé psychologique au travail, la recherche a eu pour objectif de tester les liens entre, d’une part, des inducteurs organisationnels (demandes et ressources liées à l’emploi), psychosociaux (climat de travail, justice organisationnelle) et personnels (optimisme, résilience) et, d’autre part, la santé psychologique mesurée en termes de bien-être et de détresse au travail. Nous avons, en outre, voulu tester le rôle intermédiaire de la satisfaction de trois besoins fondamentaux de compétence, d’affiliation et d’autonomie (théorie de l’autodétermination de E. L. Deci et R. M. Ryan). L’enquête française a concerné deux cent quatre-vingt-dix-huit enseignants d’écoles élémentaires, de collèges et de lycées. Un premier résultat marquant a montré le rôle décisif des demandes : les demandes augmentent directement la détresse et diminuent le bien-être, alors que les ressources n’influencent pas, dans cette étude, la santé psychologique. Des analyses de régression multiple ont confirmé que la satisfaction des trois besoins fondamentaux jouait un rôle important entre le climat de travail et le bien-être, d’une part, et entre le climat de travail et la détresse, d’autre part. Enfin, l’optimisme était bien en lien avec la santé psychologique, et son effet était en lien avec la satisfaction des besoins. Comme l’ont prouvé de nombreuses études, l’optimisme est un facteur de développement en lien direct avec la santé. Bien que cette caractéristique soit considérée comme stable chez les personnes, la considérer comme un processus permettant de s’acheminer vers la santé et de relativiser les situations et les demandes peut être un facteur de protection de la santé psychologique.

Quels sont les facteurs de bien-être au travail ?

13Tout d’abord, le bien-être pourrait se définir comme « un état agréable, équilibré et durable de l’esprit et du corps en notant l’absence de souffrance, troubles ou inquiétudes. » (Godefroid, 2001.) Dans le milieu du travail, les employeurs ont le devoir de garantir ce bien-être à leurs salariés. En effet, pour les entreprises, il y a une nécessité de promouvoir ce bien-être du fait qu’il touche à la productivité, donc à leur rentabilité. De ce fait, le bien-être aussi bien que le mal-être des salariés constituent des enjeux majeurs pour les entreprises.

14Deux courants opposés traitent du bien-être. Tout d’abord, certains auteurs comme Ed Diener, Norbert Schwartz, Daniel Kahneman, pensent que le bien-être peut se définir en termes d’acquisition de plaisir et de bonheur (courant hédoniste). Selon Ed Diener, le bien-être subjectif consisterait « à vivre beaucoup d’affects agréables et peu d’affects désagréables. Il y a atteinte d’un grand bien-être subjectif lorsqu’il y a atteinte des buts fixés ».

15Le deuxième courant, quant à lui, conçoit le bien-être comme plus complexe que la seule atteinte du bonheur. Il part du principe que le bien-être consiste en un fonctionnement psychologique en accord avec sa propre nature. La prise en considération des composantes comportementales, psychologiques et physiologiques dans la description du bien-être s’avère ici nécessaire. Le bien-être ne serait pas lié seulement à une absence de psychopathologie, mais aussi à la présence de manifestations positives d’un bon fonctionnement global. Pour arriver à un état de bien-être, l’individu doit, entre autres, créer autour de lui de bonnes relations d’attachement et évoluer dans des milieux favorisant le bien-être et le sentiment de maîtrise de sa vie.

16Le bien-être comprendrait six dimensions qui sont le contrôle de son milieu, les relations positives, l’autonomie, la croissance personnelle, l’acceptation de soi et le sens de la vie. Ed Diener (1994, 1996) et Jean-Pierre Rolland (2000) s’accordent à dire que le bien-être subjectif intègre deux types de composante, à savoir les composantes émotionnelles qui renvoient aux réactions émotionnelles résultant d’événements de la vie du sujet, et les composantes cognitives renvoyant au jugement global que l’individu porte sur sa vie. Certaines personnes ont tendance à évaluer positivement leur état de bien-être quoi qu’il arrive, tandis que d’autres manifestent la tendance inverse. Une explication possible est liée aux caractéristiques de stabilité temporelle et de consistance trans-situationnelle du bien-être.

Les facteurs individuels du bien-être

17• L’optimisme est une attitude qui consiste à prendre les choses du bon côté. L’Oms définit l’optimisme par les fonctions mentales qui produisent un tempérament enjoué, dynamique et plein d’espoir, par opposition à triste, sombre et sans espoir, qui correspondraient à la définition du terme « pessimiste ». À ce titre, Martin Seligman (2002) souligne qu’optimistes et pessimistes abordent l’existence de manière différente. L’optimiste aurait plutôt tendance à considérer les bonheurs durables et les malheurs temporaires. De plus, il élargirait la réussite personnelle à d’autres situations, alors que le pessimiste, lui, réagirait de manière totalement opposée. Autrement dit, l’optimiste ne se laisserait pas vaincre par l’échec et aurait tendance à considérer les situations difficiles comme des défis (proche de la résilience sur ce point). Au contraire, le pessimisme refléterait une « impuissance acquise » et se traduit, le plus souvent, par le sentiment que les actions sont inutiles et par un abandon.

18L’optimisme ou le fait d’avoir des croyances positives envers l’avenir est donc, au final, un véritable facteur de santé. Les effets incluent les maladies coronariennes et une plus longue espérance de vie. Les effets positifs de l’optimisme sur la santé, selon certaines études, pourraient cependant être aussi influencés par le névrosisme et la tendance à se plaindre de troubles somatiques.

19• L’estime de soi peut être définie comme la perception qu’une personne a de sa propre valeur. Selon Marshall B. Rosenberg (1965), l’estime de soi est « l’attitude positive ou négative à l’égard d’un objet particulier : le soi ». Une image de soi positive a longtemps été considérée comme une composante essentielle de la santé mentale. Les recherches empiriques montrent un lien fort entre l’estime de soi et le fonctionnement dans de multiples domaines. L’estime de soi est associée à la manière dont les personnes ressentent, pensent, et à la manière dont elles se comportent. Une estime de soi élevée est associée à un niveau élevé d’affects positifs et à un niveau faible d’affects négatifs et de dépression. Des études longitudinales montrent que l’estime de soi peut agir comme une ressource, permet de faire face aux événements (coping) et de se protéger. S. E. Hobfoll et J. R. Freddy (1993) suggèrent que des individus à haute estime (ressource) sont considérés comme moins happés par les stresseurs au travail et moins touchés par les conséquences liées à ces stresseurs. Christina Maslach (1993) a montré que la survenue du burn-out implique un processus d’autoévaluation et d’autoconceptualisation. Ces recherches suggèrent que les individus à faible estime de soi sont plus vulnérables et interagissent moins adéquatement avec d’autres personnes (clients, collègues). Deux études ont mis en évidence que l’estime de soi était significativement corrélée à l’épuisement émotionnel, à la dépersonnalisation et à un faible sentiment d’accomplissement personnel. Enfin, l’estime de soi a un impact sur la manière dont les personnes se comportent face aux évaluations.

figure im1
Pour les entreprises, il y a une nécessité de promouvoir le bien-être, du fait qu’il touche à la productivité, et donc à la rentabilité.

20Travailler sur l’estime de soi est, en quelque sorte, une manière de se protéger au travail, de se prémunir contre la dépression et le burn-out. Il est donc vital de préserver une image de soi comme capable, valable, importante aussi bien au travail que dans les sphères familiale ou sociale.

21• La résilience. Terme initialement utilisé en physique des matériaux, la résilience s’exprime en joule par centimètres carrés et caractérise la résistance des matériaux (rapport de l’énergie cinétique absorbée pour provoquer la rupture d’un métal à la surface de la section brisée). La résilience est définie couramment comme « la résistance d’une personne ou d’un groupe à des conditions d’existence difficiles, la capacité de vivre et de se développer en dépit de circonstances défavorables voire désastreuses » (Silamy, 2003). Un certain nombre d’auteurs s’accordent sur la nécessité de deux conditions pour admettre que l’on se trouve dans le cadre de la résilience. La première condition suppose l’exposition à un contexte d’adversité qui correspond à un stress significatif ou une menace. La deuxième condition repose sur le principe d’une adaptation positive de la personne résiliente reflétant une certaine évolution malgré les obstacles au développement et les risques encourus. Cette notion d’adaptation est importante pour Norman Garmezy qui définit la résilience comme « le processus, la capacité ou le résultat d’une bonne adaptation en dépit des circonstances, des défis ou des menaces ». Si la notion d’adaptation sociale est centrale, la résilience réfère aussi à la tendance à se ressaisir après des événements stressants et à reprendre ses activités habituelles avec succès. Certains considèrent comme importante l’idée de cette capacité de rebondir. La notion, plutôt considérée à l’origine comme un trait sinon un tempérament, donc une caractéristique relativement stable et acquise de la personnalité, est maintenant aussi analysée en tant que résultat ou en tant que processus. Joëlle Lighezzolo et Claude de Tychey (2004) invitent à considérer la résilience non plus seulement comme un trait, mais comme un résultat, comme un processus. Ce faisant, la résilience pourrait constituer une ressource à développer. La résilience en tant que trait a été définie comme reposant sur quatre composantes principales : 1) la possibilité d’être heureux et satisfait, en donnant une direction et un sens à sa vie, 2) la capacité de s’engager dans un travail productif, associant compétence et maîtrise de l’environnement, 3) une sécurité émotionnelle, liée à une perception réaliste favorisant l’acceptation de soi et celle d’autrui et 4) la capacité de nouer de bonnes relations avec les autres incluant cordialité, chaleur, respect… Les résilients se distinguaient par des traits : estime de soi, autonomie, orientation sociale positive. La résilience comme résultat réfère à une classe de phénomènes caractérisés par de bons résultats en dépit de menaces sérieuses pour l’adaptation ou le développement. La résilience peut aussi être envisagée comme un processus se poursuivant tout au long de la vie. Un large consensus se développe aujourd’hui autour de cette conception de la résilience en dépit des différences d’école (Boris Cyrulnik, Anne S. Masten, Joëlle Lighezzolo et Claude de Tychey). La pertinence de cette perspective tient non seulement dans la prise en compte du caractère dynamique et évolutif, mais aussi dans la perspective anachronique de la personne. Elle prend en compte les interactions entre le fonctionnement intrapsychique et la réalité d’un environnement en mouvance. Développer sa résilience permettrait de développer sa capacité de surmonter les situations de risques et de stress. D’après Manon Théorét (2003), un individu résilient a plus d’autonomie, plus de confiance en soi. Il est capable de faire face aux difficultés qui pourraient subvenir.

Les facteurs organisationnels du bien-être

Gérer les demandes et trouver des ressources en termes de soutiens sociaux

22La méta-analyse de Jonathon R. B. Halbesleben (2006) a mis en évidence que des ressources en termes de soutien social permettaient d’atténuer l’effet de demandes sur le burn-out. En particulier, des ressources en termes de soutien social au travail (en raison de leurs liens plus directs avec les demandes) modèrent l’effet des demandes sur l’épuisement, alors que le soutien social hors travail modère l’effet des demandes sur la dépersonnalisation et compense la réalisation personnelle. Une autre recherche auprès de huit cent cinq enseignants finlandais met en évidence l’effet positif des ressources (possibilité de contrôle, soutien de la hiérarchie, climat, innovation, information et appréciation) sur l’engagement dans le travail (vigueur ou énergie, implication enthousiaste au travail, capacité d’être absorbé). En outre, les ressources ont permis d’atténuer l’effet de conduites antisociales des élèves sur un éventuel désengagement dans le travail. Ces ressources ont joué un rôle tampon permettant aux enseignants de dépasser les problèmes liés à une demande trop lourde (les conduites difficiles des élèves) et de maintenir un engagement dans leurs activités.

23Cependant, des études complémentaires mettent également en évidence l’importance du besoin de récupération sur le bien-être. Sabine Sonnentag et Fred R. H. Zijlstra (2006) ont montré que des demandes lourdes associées à un faible contrôle et des activités hors travail inadaptées (défavorables) entraînaient un besoin de récupération élevé, ce besoin étant lui-même négativement associé au bien-être. Les deux recherches confirment que le besoin de récupération médiatise bien les effets du métier et d’activités hors travail inadaptées sur le bien-être.

Développer un climat de justice et la satisfaction dans l’organisation

24En milieu organisationnel, certaines si-tuations de justice peuvent augmenter ou altérer le bien-être des salariés, et celles-ci sont la justice procédurale, la justice distributive et la justice interactionnelle. Yochi Cohen-Charash et Paul Spector (2001) affirment que, pour maintenir la satisfaction des employés, les managers devraient faire en sorte que les distributions, les procédures et les interactions soient justes. La perception de justice est fortement reliée à la confiance. De plus, la perception d’injustice cause des réactions émotionnelles négatives, comme la mauvaise humeur et la colère. En dehors des déterminants organisationnels, certains facteurs psychosociaux participent à la perception du sentiment de justice, dans le sens où les relations que le salarié entretient avec ses collègues influencent ses perceptions de justice. La justice organisationnelle est un déterminant important de la relation entre les employés et l’organisation. Lorsqu’elle est perçue positivement, les salariés peuvent s’attacher à l’organisation en s’impliquant davantage dans leur travail. En revanche, si elle est perçue négativement, ils pourront développer des comportements contreproductifs faisant allusion à la destruction du matériel de travail, à l’absentéisme ou au vol. La perception de la justice contribue au bien-être en termes d’estime de soi et d’auto-efficacité. En effet, la perception de soi est influencée non seulement par l’évaluation d’autrui, mais, en plus, par la perception de la justice. Lorsqu’un individu s’aperçoit que l’organisation fait preuve d’équité, il se fait une idée de l’importance qu’elle lui accorde et se sent valorisé.

Conclusion

25On l’aura compris, les études portant sur le monde du travail montrent actuellement que le bien-être au travail ne relève pas que de l’individu. Le milieu professionnel incluant pour sa part le climat, la justice, les relations interpersonnelles entre les chefs hiérarchiques et les collègues, les outils de travail, etc., est important.

26Les problèmes de santé (stress, épuisement, harcèlement, etc.) ne sont plus méconnus des salariés qui y font face sans nécessairement détenir les moyens d’améliorer leurs conditions de travail. Les différents facteurs qui induisent les problèmes de santé au travail et sur lesquels il faudra agir concernent la charge de travail, l’organisation du travail et les pressions liées au temps, les conflits de rôle, les évaluations et, en particulier, le manque de soutien et de feed-back positifs. Ces éléments organisationnels et psychosociaux constituent autant de pistes d’action pour les organisations et les partenaires et les professionnels de la santé, dont les psychologues. Des plans de prévention des risques psychosociaux s’appuyant sur la législation peuvent donc être mis en place, tout en impliquant l’ensemble des partenaires œuvrant pour le développement d’une bonne santé psychologique dans les organisations.

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