1Patrick-Ange Raoult déploie ici la clinique de Monsieur G, accusé d’éphébophilie. S’ouvre ainsi une réflexion sur les enjeux de cette modalité de perversion et sur ce qu’elle vient dire de cette souffrance qui ne peut trouver d’autre mode d’expression que dans le passage par l’agir psychopathique ou l’agir pervers. Est-elle à entendre comme une impasse du passage adolescent ?
Le cadre des perversions
Le passage par l’acte, un concept mou
2La dramatisation dans la violence adolescente impose plusieurs regards. Il s’agit d’une mise en perspective de l’agir transgressif comme tentative de rendre l’impossible possible. Il s’agit alors de saisir l’agir comme une tentative de restitution mégalomaniaque d’une perte irrémédiable, traumatique, à partir d’une contestation radicale de l’interdit, en particulier œdipien. Le défléchissement défensif de l’agressivité sur autrui, concomitante à des processus de déliaison, signerait non seulement la viciation de la relation à autrui profondément carentielle, mais aussi la défaillance de la métaphore paternelle. L’agir est à la fois processus d’auto-engendrement et lutte contre l’effondrement dépressif. Mais il demeure le palimpseste d’une souffrance psychique majeure qui cherche à s’élaborer, sans y parvenir, dans une mise en acte violente, en particulier l’agir psychopathique et l’agir pervers. Pour autant, l’acte, au sens de mise en acte, a valeur de restitution, d’actualisation du désir. L’acte, dont le passage révèle la temporalité, présuppose l’opération fantasmatique, explicite dans l’acte pervers, réalisation d’un fantasme construit, implicite dans l’acte psychopathique, collapsé dans le raptus psychotique. On ne peut se contenter, dans une phraséologie issue des pratiques psychocorporelles, en particulier de la bioénergie, de parler de « passage par l’acte ». Cette notion apparaît faible dans sa conceptualisation, peu pertinente à l’épreuve des faits cliniques. C’est à ce titre un concept mou qui ne peut suffire à qualifier une clinique de l’acte. On pourrait, par jeu langagier, dériver autour des prépositions : passage à, vers, dans, par l’acte. Ce jeu n’aurait qu’une valeur exploratrice, mais ne pourrait qualifier conceptuellement un processus. La notion de passage par l’acte n’est, à ce titre, qu’une faible association qui n’apporte guère par rapport à ce qui a déjà été décrit sous l’expression « mise en acte ». Une clinique de l’acte dans laquelle se croisent et se succèdent des modalités hétérogènes.
3À la suite d’une réflexion générale sur l’agir criminel, résumée dans un article du Journal des psychologues (Raoult, 2008), il était proposé d’envisager l’acte selon une modalité processuelle dont quatre repères étaient dessinés : la mise en acte comme travail de figuration, l’acting out comme réponse en acte à la défaillance de l’autre, le passage à l’acte comme précipitation dans un espace psychique collapsé et le recours à l’acte comme défense contre un vécu d’anéantissement. Plus exactement, on peut saisir l’acte selon le registre de la figuration ou de la scénarisation, comme inscrit dans une relation d’objet, selon une topologie instancielle et selon une problématique identificatoire et identitaire. Cela signifie qu’il est aussi des actes qui ne font pas scène, qui ne portent pas d’adresse, qui se déploient dans un espace psychique collapsé et qui supportent un effondrement identitaire. On s’intéressera, dans ce cadre, à l’éphébophilie. Ce terme, quelque peu désuet, indique un choix d’objet spécifique qui se différencie d’autres formes pédophiliques.
Le champ conceptuel des perversions
4Nous avions déjà souligné, après d’autres, que les termes « perversion » et « pervers » s’ouvrent à une polysémie d’autant plus problématique qu’ils désignent tant des attitudes, des comportements, que des positions subjectives sur un mode souvent péjoratif (Raoult, 2002, 2008). Ainsi, la définition reste incertaine, idéologiquement précaire, conséquemment réductrice. Apparu au xve siècle au sens de « renverser de fond en comble », il dérive pour prendre une connotation négative sur le plan des mœurs. Valentin Magnan imposera, après sa communication de 1885, l’usage de l’expression « perversions sexuelles ». Une certaine doxa délimite le champ phénoménologique de ce que l’on nomme « perversion ». Se trouvaient amalgamés dans les rets du péché de fornication, dans le cadre de la tradition chrétienne, l’homosexualité, la sodomie, la simple fornication, le coït interrompu, la zoophilie, l’inceste, l’adultère et la masturbation. Le discours médical est venu occuper les fonctions morale et sociale laissées vacantes par le discrédit de la religion chrétienne. Cette appropriation a été principalement favorisée par les expertises judiciaires du xixe siècle. Mais elle hérite de fait du flou de la définition de perversion. On n’en trouve guère de définition, ce qui n’est pas sans donner lieu à une incohérence sémiologique et à une inconsistance clinique. L’enjeu pour les médecins aliénistes est d’établir la non-responsabilité des pervers, tout en les différenciant des déments. Jean-Étienne Esquirol (1838) parle de « monomanie instinctive ou impulsive » conduisant à des actes réprouvés par la conscience mais que la volonté ne réprime pas, ayant alors des retombées médico-légales ; Ulysse Trelat parle de « folie lucide », Philippe Pinel de « manie sans délire » dans laquelle le sujet se caractérise par une irritation, une violence et une malfaisance itérative.
5Ces traits, définissant surtout la perversité, trouvent leur aboutissement dans les travaux de Valentin Magnan qui propose une interprétation neurophysiologique de la perversion. L’analyse des perversions sert la conception de la classe des héréditaires-dégénérés, dans la suite de Bénédict-Augustin Morel, et se subdivise en quatre types. Elle se poursuivra dans les travaux de Paul Sérieux, de François Arnaud, de Benjamin Ball, de Richard Von Kraft-Ebing, avant le point d’orgue que seront les travaux d’Ernest Dupré (1909) dans le cadre d’une théorie constitutionnelle. Cette typologie déplace l’accent pathologique vers le champ social sur un plan normatif, attribuant une constitution perverse à tout déviant. Elle précise la distinction entre perversité et perversion. Cette distinction sera plus explicitement décrite par Henry Ey, en 1950. Il définit une perversité normale, indépendante de toute maladie mentale, qui suppose une conscience morale qu’elle transgresse. D’autre part existe une perversité pathologique secondaire à un trouble primordial du développement psychique. La conscience morale existe, mais elle est impuissante par immaturité ou faiblesse à lutter contre les instances pulsionnelles. Les perversions correspondent, quant à elles, à une fixation ou une régression à un stade archaïque.
L’approche psychanalytique
6Sigmund Freud va insérer les perversions dans un réseau conceptuel. Plutôt que de s’attacher aux déviations par rapport aux normes, il précise les perversions comme déviations par rapport à l’objet ou aux buts de la pulsion (1905). Plus exactement, il inscrit la perversion dans la norme en tant que le processus pulsionnel est soumis à variation. Les perversions sont alors conçues comme des réapparitions de composantes de la sexualité infantile en raison d’une régression à un stade libidinal antérieur. En 1915, dans Pulsions et destin des pulsions, il rappelle la plasticité des modes de satisfaction pulsionnelle, la diversité des sources organiques, la variation de l’objet en fonction de l’histoire, et la recherche d’obtention d’un plaisir d’organe. En 1923, il présente le déni comme processus de défense à l’égard de la castration, qu’il rapproche, en 1924 et en 1925, de ce qui opère dans la psychose. En 1927, il étend le processus de déni de la réalité à une perversion spécifique, soit le fétichisme, processus associé au clivage du moi. Ce déni porte électivement sur l’absence de pénis de la mère. Ce déni concerne le représentant-représentation de la pulsion et est un processus de défense à l’encontre de l’angoisse de castration consécutive à la perception de cette réalité. Le sujet perçoit une réalité qu’il nie, adoptant une attitude contradictoire. Cette notion de clivage du moi, reprise en 1937, tient compte de deux représentations inconciliables, une partie prenant en compte la réalité, l’autre la réfutant par la création d’un fétiche. La perversion est relative au maintien de ce paradoxe psychique. Dans la perspective structurale, la perversion se modélise sur le fétichisme. En regard de cette conception, le pervers tente de faire prévaloir sa solution à l’énigme de la différence des sexes en maintenant l’attribution phallique à la mère devant le constat traumatique d’une absence menaçant son intégrité. Il y a une identification au phallus de la mère dont il s’institue l’unique objet de désir. Le désaveu porte sur le désir de la mère à l’égard du père. La tentative de récusation du père se perpétue dans le défi à la loi avec son corrélat, la transgression. La construction du processus pervers s’entend comme résultante d’une ambiguïté parentale. Celle-ci opère sur un double versant : la complicité libidinale de la mère et la complaisance silencieuse du père. L’enfant est soumis à une authentique séduction réelle de la part de la mère. À cette dérision du père par la mère répond une complaisance de celui-ci à la fois inconsistant et fragile symboliquement. D’autres perspectives psychanalytiques vont porter insistance sur la notion d’aménagements pervers défensifs. La problématique est le plus fréquemment située dans le cadre de la relation mère-enfant : identification à la mère toute-puissante par désaveu de la castration (Piera Aulagnier), investissement trop massif de l’enfant en place de phallus (Janine Chasseguet-Smirgel), défense contre la mère orale et anale (André Lussier), déni de l’objet primaire avec désir et peur de tuer la mère symbiotique (Massimo Tomassini), peur d’une relation symbiotique (Robert J. Stoller). La perversion est comprise à la fois comme maîtrise de la scène primitive, par invention d’un scénario (Joyce Mac Dougall), irreprésentable et par trop excitante. L’affirmation phallique en acte dans l’agir pervers est initialement une défense contre l’angoisse de castration alors érotisée ou contre l’angoisse psychotique. De fait, ce n’est pas le plaisir qui est en jeu mais la violence, l’emprise. L’agir compulsif, ritualisé, reste en proie à la pulsion de mort, lui conférant un aspect contraignant. Claude Balier (1996) distingue une perversion au deuxième degré, liée à un défaut d’intériorisation du cadre maternel, dans laquelle persiste une capacité d’élaboration en relation avec une première construction d’un sentiment d’identité dû à l’existence d’un Soi permettant de se représenter tout en jouant le scénario, et une perversion au premier degré dans laquelle il y a prise totale dans le scénario reproduisant la scène primitive. Dans ce dernier cadre, proche de la psychose froide non délirante de Jean Kestemberg ou blanche de Jean-Luc Donnet et André Green, le pervers vit l’acte en dehors de lui-même (viols compulsifs, exhibitionnisme, meurtre à caractère sexuel, pédophilie et inceste vis-à-vis de jeunes enfants). L’hypothèse est celle de la disparition du préconscient, capable de gérer les représentations, laissant face à face les fantasmes venus de l’inconscient et la perception. L’enjeu est de dominer tout en s’absentant à soi-même : l’inexistence contre le danger d’inexistence. Le processus est celui d’une désubjectivation.
Perversité sexuelle et perversion sexuelle
7La notion ancienne de perversité, comme le rappelle Georges Lanteri-Laura (1995), réfère à la malfaisance et à la malignité. Elle concerne une tendance délibérée à accomplir des actes malveillants ou agressifs dans le seul but de nuire. Elle renvoie à une appréciation morale et constitue l’essence des perversions. Celles-ci sont une actualisation de comportements mal délimités. La perversité est décrite antérieurement dans le registre des déséquilibres psychopathiques. Elle se précise désormais comme une relation d’emprise, clivant les secteurs, déniant l’existence d’autrui, opérant à partir de la manipulation ou la mystification. Le pervers vise à asseoir son autorité en privilégiant les objectifs sur les méthodes, jouit du désarroi d’autrui, assouvit ses pulsions sadiques. La perversité peut alors se concevoir de manière autonome, en dehors de toute déviation sexuelle, et s’exercer dans tous les registres de la vie sociale, relationnelle ou professionnelle. En revanche, associée à la perversion, elle donne lieu à une absence de culpabilité, à un surcroît de rationalisation, à une absence d’angoisse et de manifestation dépressive. La notion de perversité est reprise par certains psychanalystes comme Francis Pasche pour décrire une attitude qui vise à détruire la réalité psychique de l’autre. Elle a valeur d’agir psychique. Paul-Claude Racamier décrit, dans le cadre de la perversion narcissique, la pensée perverse tout entière tournée vers la manipulation d’autrui, l’emprise narcissique et la prédation. Cette défense perverse est une forme de lutte contre l’angoisse catastrophique, l’angoisse paranoïde et l’angoisse de castration phallique. Évitant la position dépressive et le deuil, elle met en œuvre des stratégies perverses de domination-appropriation de l’objet, de déstabilisation narcissique de l’autre. Claude Balier (1996) et André Ciavaldini (1999) reprendront cette différenciation pour établir la distinction entre perversion sexuelle et perversité sexuelle. La perversion sexuelle implique la liaison de la violence avec l’érotisation, alors que la perversité sexuelle définira un lien d’emprise avec ce déni d’altérité (Roland Coutanceau). En ce dernier cas, s’il y a la même compulsivité, il y a recours à l’acte (et non passage à l’acte) par abolition du système de représentations, qui vise à la disparition du sujet en tant que tel. L’accent s’est déplacé sur la lutte contre des angoisses plus archaïques, dépressives, dans la perversion sexuelle, et narcissiques dans la perversité sexuelle.
Clinique
La place de l’incrimination médico-légale
8Dans L’Agir criminel adolescent (Raoult, 2008), une première approche de l’agir pédophile avait été avancée, il s’agit d’en poursuivre quelques aspects.
9Monsieur G. est mis en cause pour avoir, depuis un temps non prescrit, par contrainte, menace ou surprise, commis un acte de pénétration sexuelle sur les personnes d’adolescents de treize et quatorze ans, mineurs de moins de quinze ans, en abusant de l’autorité conférée par ses fonctions. Lors de l’enquête préliminaire, il reconnaît spontanément être l’auteur d’attouchements sexuels sur un adolescent. Il rappelle sa situation familiale (parents mariés, une fratrie plus âgée), son parcours scolaire (études universitaires, brevet d’État sportif) et professionnel (moniteur dans des colonies de vacances et animateur sportif). Il est célibataire. Il décrit plusieurs relations avec des adolescents. Celles-ci débutent à la fin de l’adolescence. Elles impliquent des caresses, des anulingus, des masturbations réciproques jusqu’à éjaculation, des fellations. Il dénie toute pénétration ou tentative. Les modes d’approche sont souvent similaires, souvent de séduction, puis de glissement progressif. Pour certains, il attribue à l’adolescent une attitude provocatrice et l’initiative de la sexualisation de la relation. Il se dit parfois « amoureux », parfois il soutient n’avoir ressenti aucune attirance, voire d’avoir considéré l’adolescent comme un petit frère. Il n’a jamais eu de relations homosexuelles avec un adulte. Il en éprouve plutôt du dégoût. Il reste attiré par les adolescents et ne se pense pas pédophile, ce qui ne concernerait que les enfants.
10Monsieur G. se présente comme un jeune adulte de contact assez aisé. Il se montre soucieux de s’expliciter. Il n’y a pas d’activités délirantes ni hallucinatoires. Il ne présente pas de signes de dépression majeure. Il apparaît comme une personnalité anxieuse avec des traits dépressifs. Il décrit un épisode dépressif avec idées suicidaires en lien avec des préoccupations narcissiques. On retrouve la présence de mouvements de culpabilité avec de l’autopunition, ainsi que des vécus de honte. Des conduites addictives ponctuelles sont évoquées, les aménagements pervers sont décrits. Les faits sont évoqués sans réelle élaboration et avec un discours type qui relève d’un déni partiel. Il porte insistance sur le fait qu’il n’a eu de relations qu’avec des adolescents, qu’il ne porte aucun intérêt aux enfants plus jeunes. Il ressent un malaise à la dénomination de « pédophile » auquel il ne veut pas être assimilé. D’une certaine manière, il préfère être nommé dans le champ des « éphébophiles » que dans celui des « pédophiles ». Cette reformulation participe aussi d’une volonté d’atténuation et de minimisation des actes.
11Il est peu prolixe sur son cadre familial qui présente une distanciation affective et une carence éducative liée aux absences parentales relatives à leurs activités professionnelles. Les enfants semblent avoir été laissés seuls, livrés à eux-mêmes. Les relations avec le père sont décrites comme façonnées dans la crainte et l’évitement identificatoire. Elles donnent lieu à des fantasmes masochiques et incestueux. Les relations avec la mère sont précisées comme des modalités de dépendance régressive. Il y a une identification à la position maternelle et une proximité affective vive. Celle-ci est surtout de l’ordre d’une attente et désigne l’importance de la problématique de séparation. L’évocation de la séparation potentielle d’avec sa mère ou de son absence provoque un débordement émotionnel.
Traumatisme et répétition
12Les relations avec un des frères évoquent des abus sexuels incestueux avec instrumentation et désobjectalisation. Ce frère a alors environ quatorze ans et lui à peine dix ans. Ces faits, dans le cadre d’une relation d’emprise, de violence et de peur, consistaient en fellations, mimes de pénétration anale et masturbations. Ce frère est décrit comme instable, inaffectif et sadique. Une forme de rivalité apparaît tisser le lien fraternel. La relation d’emprise avec exacerbation des craintes d’abandon, ainsi qu’avec menaces de rétorsion sont mises en avant. Il souligne la soumission et l’intimidation vécues, mais il n’évoque guère d’attitudes de révolte. Il laisse transparaître à la fois une situation de terreur et une certaine complaisance. Le soutien familial et la possibilité de s’appuyer sur les parents semblent inexistants dans ce domaine. Il n’y a pas de reconnaissance des faits ni prise en compte de ses états affectifs. Il est confronté à une grande solitude affective. Le contexte familial exprime une dimension incestuelle sans que l’on puisse saisir les caractéristiques de l’ambiance ni la réalité des faits. Les événements sont précisés comme des violences sexuelles subies dans un contexte de passivité et d’emprise. Ces abus sont décrits comme une homosexualité pédophile d’adolescence visant à confirmer narcissiquement sa sexualité et à l’exercer en instrumentalisant un tiers, en place d’objet masturbatoire. Ils cessent, de la part de son frère, dès lors que s’établit une relation hétérosexuelle normative. L’impact psychique n’est pas immédiat et n’est pas appréhendé en tant que traumatisme au moment des faits. Il s’articule sur des craintes d’abandon et de séparation. C’est dans un après-coup, en particulier lors de la période de la sexualisation adolescente, que le traumatisme fera retour sur le mode d’une répétition. Ce traumatisme s’inscrit au sein de fantasmes incestueux (abus sexuels par le père, identification à la mère subissant des agressions sexuelles).
13Après une scolarité sans particularité, il s’investit dans des activités d’animation qu’il exerce dès la fin de l’adolescence. Il changera plusieurs fois d’employeur, cela non sans lien avec les faits qui lui sont reprochés. Il rencontre des conflits avec ses collègues et change de région. Cela majore le sentiment d’isolement consécutif à son déménagement et répète le sentiment de rejet. Il traverse et vit une période apparemment de malaise avec des affects dépressifs. Il apparaît isolé et semble exprimer des difficultés à établir des relations avec des adultes. Il lui est difficile d’établir des relations matures et intimes avec des adultes. Les difficultés relationnelles qu’il éprouve à divers niveaux favorisent le recours aux plus jeunes. Son investissement reste centré et fixé sur les jeunes adolescents accueillis dans les structures associatives. Sur le plan professionnel, il s’oriente et choisit une activité qui lui permet d’avoir accès à la population d’enfants et de jeunes adolescents. La construction de scénarios de séduction et la mise en œuvre de ses fantasmes trouvent là un terrain d’élection. Cette modalité semble présente depuis l’adolescence et ne doit pas être étrangère à ce qui motive ses choix professionnels. Cela lui permet d’exercer une influence notable sur certains et d’abuser de leur naïveté. Son activité sexuelle avec des personnes plus jeunes débute avant l’obtention de sa fonction d’animateur.
Sexuation et sexualisation
14Il fait mention d’une sexualité qui semble s’étayer sur des identifications normatives avec des investissements hétérosexuels initiaux. La curiosité sexuelle est présente, l’attachement affectif est réalisé. Il apparaît cependant en mal d’identité et peu situé sur le plan sexuel. Ce trouble de l’identité sexuelle est accentué par le sentiment de marginalité de ses fantasmes. Il n’a pu trouver un appui suffisant auprès de son père qui ne s’incarne pas comme une figure identificatoire. Des fantasmes incestueux sont prégnants dans la relation avec cette figure paternelle dans lesquels il serait l’objet passif. Les rapports d’emprise avec son frère le situent aussi comme objet passif du désir ou des besoins de l’autre. Ce frère ne structure pas une figure de soutien ou identificatoire secondaire. C’est même plutôt l’inverse qui s’énonce : il est le contraire de ce frère agressif, sexuellement actif, détaché affectivement et terrorisant. L’activité masturbatoire a été et reste prégnante. Celle-ci s’alimente de fantasmes homosexuels, de souvenirs et de films pornographiques. Cette activité accompagnée de fantasmes est prégnante et en partiel décalage avec la réalité. Celle-ci lui apparaît à ce titre moins satisfaisante. La réalisation de ses fantasmes demeure partielle. Il crée cependant un climat dans lequel il dénie utiliser les films pornographiques et une relation qui lui permettent d’actualiser ses fantasmes. L’excitation produite est difficilement canalisable malgré les inhibitions internes. La sexualité agie mise en œuvre reste immature et proche de modalités de réassurances phalliques narcissiques.
15Le mouvement de bascule a lieu au décours de l’adolescence, avant sa quinzième année. Son activité fantasmatique se centre alors sur les jeunes hommes. Elle semble débuter sur le mode de l’activité homosexuelle de l’adolescence, visant à trouver réassurance dans son identité sexuée incertaine, avant de se figer sur des préférences homosexuelles pédophiles. Il aura cependant une activité hétérosexuelle vers l’âge de dix-sept ans à l’instigation d’une jeune fille. Ce rapport sexuel est consenti dans la perspective d’une rivalité phallique avec les autres garçons. Elle n’est pas source d’une grande satisfaction. Les premiers temps, son activité fantasmatique sera tournée vers les pairs de sa classe d’âge, sur un mode plus homosexuel que pédophile. Sa première expérience avec un plus jeune se situe avant son premier rapport hétérosexuel, puis se déploie à la fin de l’adolescence. Cette compulsion de répétition s’appuie sur la différence d’âge et sur un âge signifiant qui semble tourner autour de quatorze ans. Il fait de lui-même le lien entre l’âge de son frère au début des abus sexuels énoncés et l’âge des jeunes gens dont il abuse. Il est difficile de préciser s’il s’agit d’une fixation à une sexualité homosexuée adolescente par crainte d’un engagement dans une sexualité mature, d’une compulsion à répéter un éventuel traumatisme vécu dans la passivité ou de la recherche d’une figure narcissique et idéalisée de l’adolescence.
La relation éphébophile
16Les relations éphébophiles font l’objet d’un déni partiel. L’attribution du désir est volontiers faite à l’autre : il présuppose la séduction de la part de l’autre, il interprète la demande affective de l’adolescent. L’emprise par séduction est l’objet d’une minoration. La position d’ascendance tant par la différence d’âge que par la fonction professionnelle occupée est déniée. Il instaure une pseudo-mutualité qui entraîne une confusion des langues et une collusion des demandes affectives. Il répond à des demandes affectives dirigées vers l’image paternelle qu’il incarne par une sexualisation. Il ne se pose pas la question de la manière dont le très jeune adolescent vit et ressent la situation. Il annule l’interrogation en gommant la différence d’âge et de statut. Il instaure des relations dans lesquelles il montre une certaine habileté pour amener de manière progressive à une situation d’érotisation. La relation est pervertie par l’intentionnalité, plus fantasmée qu’affirmée, qui la guide. La relation est de manipulation, quoique non reconnue et non perçue comme étant de cet ordre. Les récits successifs font état d’une modalité souvent similaire d’approche progressive, source d’une excitation croissante et d’une fantasmatisation exacerbée. Cela peut laisser penser à une esquisse de scénario de séduction. Celui-ci est mis en œuvre après ou au cours d’une période subdépressive de malaise existentiel et de solitude affective.
La relation est pervertie par l’intentionnalité qui la guide
La relation est pervertie par l’intentionnalité qui la guide
17Il construit une relation affective idéalisée avec certains. Ils ont une fonction à la fois de réparation narcissique et d’objet fétiche. Il se prend d’affection, de sympathie, tombe amoureux. Il parle d’« amour fraternel », de « sentiment amoureux » et de « chagrin d’amour ». Il n’y a pas, à ce titre, répétition éventuelle d’un traumatisme subi, mais un choix narcissique d’objet affectif sur le modèle de ce qu’il a été. Le choix des jeunes adolescents comme objet érotique vise à compenser des carences. Avec l’un d’entre eux, il décrit la manière dont il recueillit le désarroi affectif de ce préadolescent pour s’instituer comme figure substitutive venant combler un manque. Sur ce quiproquo s’insinue l’érotisation. Par ce biais, il comble aussi ses propres manques affectifs et la carence parentale ressentie. Le choix éphébophile pallie ainsi un vécu dépressif. Il a conscience de l’écart d’âge et de l’emprise qu’il pouvait avoir. Il a conscience, a minima, de ce que cela peut produire chez ces jeunes adolescents. Il l’interprète non pas sur le mode d’une intrusion ou d’une agression sexuelle, mais dans le registre d’une déception et d’une trahison affective. La culpabilité survient plus dans l’après-coup face au risque d’une révélation.
18En conclusion, Monsieur G. se présente comme une personnalité anxieuse avec des traits dépressifs. Des troubles de la séparation, liés à une discontinuité du lien affectif et une insuffisance de la protection familiale, ont participé à une fragilisation sur le plan de l’identité et du narcissisme. Des situations ou vécus traumatiques de l’ordre de l’abus sexuel ont entravé les processus de maturation, en particulier au niveau de l’identité sexuelle. On retrouve un cadre familial présenté comme incestuel, voire incestueux, qui n’a pas permis de trouver les appuis identificatoires nécessaires. Des troubles de l’identification sont perçus : trouble de l’identification à l’image paternelle, persistance d’une identification à la position maternelle. Des expériences sexuelles précoces, décrites sur le mode de l’abus dans un contexte d’emprise et de terreur, ont induit une distorsion de l’investissement sexuel. La passivité ressentie et le malaise induit par le paradoxe entre le plaisir pris, la dépendance subie et le sentiment de transgression ont majoré cette distorsion et ont instauré la fixation de la sexualité en direction de très jeunes adolescents. Les agirs éphébophiles, sous-tendus par une activité fantasmatique, se sont déroulés dans le cadre d’une activité professionnelle choisie, dont les caractéristiques sont de faciliter le contact avec des jeunes adolescents. Ils procèdent sur le mode d’une séduction progressive et d’une manipulation de la demande affective. Ils s’appuient sur un déni partiel dans une confusion établie entre la sexualité adolescente et la sexualité adulte. La différence de génération fait aussi l’objet d’un déni partiel par la construction d’une pseudo-mutualité. Le choix des adolescents, affectivement motivé, est de nature narcissique. Il instaure un mode de compensation des blessures narcissiques et des carences affectives ressenties. La prise en compte de l’impact de ces agirs sur les jeunes adolescents reste relative, elle survient dans l’après-coup et sur le mode d’une trahison affective. Ces agirs sont à comprendre comme des aménagements pervers chez une personnalité immature souffrant de troubles narcissiques et de troubles de l’identité. Ils répondent à des vécus dépressifs qu’ils tentent de pallier.
Conclusion
Les conduites sexuelles déviantes
19La clinique reconnaît rapidement que nombre de comportements dits « pervers » ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une structure perverse, et la majorité sont le fait d’une dynamique psychique névrotique. Rares sont les organisations structurales perverses. Du côté de la nosographie, les classifications internationales ont éludé le terme de « perversions » au profit de « troubles de la préférence sexuelle » (fétichisme, exhibitionnisme, pédophilie, sadisme sexuel) dans la Cim 10, et de « paraphilies » dans le Dsm-iv. Mais la transformation descriptive fait l’économie des processus en jeu. L’exemple de la pédophilie illustre l’approche différenciée des processus. Denise Bouchet-Kervella (2001 ; Raoult, 2002) souligne la diversité clinique que masque la phénoménologie de la pédophilie. Une conduite pédophilique ne signe pas un fonctionnement pervers stabilisé. Diverses structures sont ainsi convoquées, par exemple des cas apparentés à une névrose mal organisée, inachevée, gelée par la survenue de deuils traumatiques précoces ; il s’agit dès lors de réminiscences de la fantasmatique mal élaborée de la scène primitive. Dans les situations de prépsychose, il est relevé un discours pauvre et factuel, un sentiment d’hostilité de l’ambiance, une identification massive aux imagos parentales. L’organe viril est utilisé pour une toute-puissance dans le but d’autoconservation défensive visant à annuler une crainte de pénétration passive. On note, en ce cas, la survie d’un moi idéal narcissique phallique. Trois éléments sont caractéristiques :
20• L’identification directe à l’agresseur parental mal différencié et doté d’une toute-puissance.
21• Le recours brut à la pulsion d’emprise dans sa forme la moins élaborée.
22• Le risque de confusion sujet / objet par la résurgence hallucinatoire de l’objet interne menaçant.
23Un second type de cas, limitrophe de la psychose, forme de perversion au premier degré, est fréquemment rencontré. Cette perversité sexuelle est caractérisée par la recherche compulsive d’une jouissance sexuelle selon un scénario, par un fantasme de séduction réciproque irrésistible, par une captation narcissique de l’autre. Le mécanisme pervers rend compte de la survenue d’une angoisse de castration inélaborable impliquant une menace d’effondrement. Il en résulte un clivage du moi et le surinvestissement d’un objet, substitut au pénis maternel manquant. La construction du fétiche protège de la désintrication pulsionnelle. Pour le pédophile pervers, c’est le corps tout entier qui a fonction de fétiche : il ne se perd pas dans l’objet miroir, il s’y trouve. La suridéalisation des deux protagonistes restaure une relation parfaite avec la mère. La mère, en fait, a gardé un statut archaïque d’objet tutélaire : c’est à la mère qu’est attribuée la menace de castration, le père n’étant pas instauré dans un rôle séparateur. La compulsion de l’acte vise à mobiliser l’érotisation pour lutter contre la désintrication. Le scénario pédophile tend à colmater les failles des relations précoces, la beauté (de l’enfant) invoquée renvoie au moi infantile, idéal aux yeux de la mère. Les formes cliniques peuvent être diverses avec, en particulier, deux qualités différentes de l’enfant utilisées comme fétiches :
24• Lors de brefs contacts fortement investis, sans lendemain, l’altérité est négligée. Le sujet a été soumis aux désirs imprévisibles de la mère. Il y a érotisation et idéalisation réciproque.
25• Lors de relations continues affectives, l’enfant tient une place de double idéalisé. Le sujet a eu une enfance marquée de graves discontinuités. Il recherche des enfants carencés, placés sur un piédestal. Il s’attribue un rôle parental idéal pour compenser les défaillances libidinales parentales. Est en jeu une sexualité plus maternelle que génitalisée, renvoyant à une homosexualité primaire. Une osmose affective est recherchée par le biais d’échanges de caresses et de regards, afin de démontrer les bons soins d’une mère dévouée pour dénier la mère persécutrice. En ce qui concerne les pédophiles, on peut noter la rareté des situations de viols subis dans l’enfance, il est plutôt question d’un vécu d’insuffisance, de discontinuité, de retraits d’investissements parentaux. On relève une carence de pédophilie parentale primaire (tendresse, érotisme) et une expérience trop massive de rejets des parents : expulsion traumatique de la scène primitive alors inélaborable. Il en résulte une disparition de la représentation de soi dans le regard de l’autre. Pour répondre à la défaillance des investissements narcissiques primaires, le sujet peut recourir à un autoérotisme exacerbé et l’enfant fétiche sert à retrouver une représentation de soi ; il s’agit d’une séduction perverse érotique. Si le sujet a été trop carencé en rapport avec un fantasme infanticide non liable s’opère alors une identification à l’agresseur parental, entraînant une violence mortifère.
L’éphébophile comme impasse du passage adolescent
26En ce qui concerne Monsieur G., on retrouve dans son histoire personnelle des distorsions dans les relations intrafamiliales : carences affectives ressenties, proximité anxieuse avec la mère, distance craintive avec le père, rapport d’emprise avec le frère et supposition d’abus sexuels. On remarque des impasses dans le développement : troubles des identifications, vulnérabilité narcissique, échec du passage pubertaire et de l’engagement dans la sexualité d’adulte. On ne relève pas de difficultés intellectuelles, au contraire une bonne intelligence sociale avec une anticipation rapide des conséquences de ses actions ; sur le plan de la sociabilité, s’il y a des capacités relationnelles, elles sont caractérisées par le faible investissement des relations adultes et leur éventuelle conflictualité. La personnalité se décrit comme anxieuse, la structure comme proche d’un fonctionnement limite avec des troubles narcissiques et de l’identité sexuée. Les aménagements pervers s’inscrivent dans le cadre de cette personnalité immature. Les conflits et les non-dits familiaux, les traumatismes évoqués ont pu se conjoindre à l’isolement consécutif au changement de région, lui-même déclenché par les avatars d’une relation pédophile. Les faits à caractère sexuel commis au sein de la fratrie sont envisageables et ont pu participer à l’orientation sexuelle. Ils ne sont pas les seuls facteurs qui ont déterminé l’apparition des agirs pédophiles ou éphébophiles. Les infractions commises s’inscrivent dans le cadre des aménagements pervers visant à lutter contre des mouvements dépressifs. Ceux-ci sont liés à des angoisses de perte et d’abandon ainsi qu’à l’impossibilité de se confronter à l’angoisse de castration. La solution perverse palliait le risque d’effondrement psychique et assurait le contrôle d’objets affectifs et sexuels perçus comme non dangereux. L’immaturité affective et sexuelle, les capacités manipulatoires et séductrices sur le plan relationnel, les distorsions cognitives avec minimisation des enjeux, ont favorisé le passage aux actes incriminés. La fixation depuis l’adolescence de cette orientation sexuelle, ainsi que l’organisation fantasmatique prépondérante et la progressivité de la mise en place des situations laissent des réserves.
27En dehors des points qui illustrent les caractéristiques habituelles, l’accent porte ici sur le choix d’objet. L’éphébophilie est perpétuation d’un processus adolescent qui ne s’achève pas. Elle est inachèvement de la sexuation. Il s’offre comme personnage tiers, interlocuteur, objet d’un transfert paternel, pour des adolescents qui recourent à l’aménagement transitoire de la perversion (Bonnet, 1984). Il répète le désaveu de ce personnage tiers qui, loin de se faire témoin symbolique, met en œuvre une scène primitive incestueuse. Le lien se dissout dans la sensorialité au sein d’une relation d’emprise dans sa forme séductrice. L’adolescent, dont le désir est dénié et instrumentalisé, est en place d’objet fétiche et de double narcissique. Mais la particularité de l’éphébophile est de retrouver l’émergence du langage de la passion et de répéter la découverte de la jouissance. Il bute sur l’énigme du sexuel, qui, en ce cas, a fait intrusion dans l’enfance, sans jamais pouvoir introjecter ce pouvoir jouir. Il quête non pas un sujet asexué, mais celui en proie au choix sexué, incertain et troublé, pris dans la confusion entre désir et jouissance. L’éphébophilie est une impasse des processus de subjectivation de l’adolescence qui ne permet pas l’intégration du sexe, maintient les homosexualités primaire et secondaire, soutient un déni de la différence des sexes et de la castration. Elle ne cesse de répéter le passage pubertaire et le travail d’acceptation de la complémentarité des sexes sans jamais en passer le cap.