1Il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour que l’être humain écrive, au sens où il a pu « écrire avec sa main ». Pour que l’enfant acquière cette capacité, il lui faut aussi beaucoup de temps et les « outils » nécessaires pour accéder à la forme la plus évoluée de symbolisation.
2Écrire « manuscritement », c’est tracer des lettres sur une feuille de papier. Chaque lettre a sa morphologie. Notre alphabet en comporte vingt-six. Les alphabets ont débuté leur histoire aux environs du xve siècle avant notre ère. L’alphabet gréco-latin, duquel le nôtre est issu, a acquis sa forme définitive au viiie siècle de notre ère. Il se définit comme la transcription phonologique du discours, s’opposant en cela aux écritures plus idéographiques, tel le chinois par exemple. Pour beaucoup de paléographes, l’alphabet gréco-latin serait le plus raffiné et le plus analytique des systèmes à base phonique, le point culminant de l’évolution de l’écriture dans la civilisation humaine. Il a l’avantage de présenter un petit nombre de signes.
3Chaque alphabet correspond à une langue. Il existe des alphabets très différents du nôtre, et le sens de l’écriture est également variable. Certaines écritures se tracent de gauche à droite, d’autres de droite à gauche, d’autres verticalement. En général selon une progression linéaire. En France et en Europe, les modèles alphabétiques ont varié selon les époques. Notre modèle actuel nous est venu d’Angleterre, au xviiie siècle, et a été institué écriture nationale par Jules Ferry à la fin du xixe siècle, avec l’école obligatoire. Son usage s’est maintenu, sans doute du fait de sa simplicité, qui rend l’écriture facilement lisible, et de sa légère ovalisation, qui favorise la vitesse. Elle s’écrit de gauche à droite.
4Pour écrire, il faut commencer par apprendre l’alphabet, apprendre à reproduire la forme des lettres. Il faut aussi, pour les tracer, apprendre à tenir son stylo et à progresser sur la ligne.
5L’enfant est capable, relativement tôt, de reproduire des formes. Tant que le « a » consiste, pour lui, à tracer un rond auquel on attache un bâton incurvé, ou le « m » une série de trois petits ponts, il en est capable. Pour lui, c’est comme un dessin. De même, il est tout à fait capable de tracer une ligne de boucles horizontales sur une feuille, dès quatre ou cinq ans. Tout cela paraît bien simple. D’où, peut-être, les errances actuelles dans les institutions éducatives nationales qui demandent aux enfants d’écrire de plus en plus tôt. Ce qui est une aberration.
6En effet, écrire un « a », ce n’est pas seulement reproduire une forme. Quand on demande à un enfant de faire un « a », on ne lui demande pas de faire un dessin. On lui demande de faire une lettre, et une lettre, c’est un symbole. Le « a » est un signe phonologique qui correspond à un son, un son de la langue. Dans le petit tracé qui est figuré là, on convoque du son. Le « vu » de la forme renvoie à l’« entendu » du verbe. Quand on inscrit un signe phonétique, on quitte le champ du figuratif pour entrer dans celui du symbolique, le champ du langage. Savoir faire une lettre, c’est, tout en en traçant la forme, savoir que ce n’est pas une forme mais un symbole.
7Cette dimension symbolique confère à la trace, quand elle devient du langage écrit, une indéniable appartenance psychique. Si cette appartenance n’est pas toujours prise en compte, c’est que sa complexité en favorise le déni. Dans l’écriture manuscrite, le langage retourne au corps par la main qui trace. Le corps, investi de la parole, renvoie alors la langue à ses racines corporelles, celles des premiers échanges corps à corps, ce langage préverbal entre la mère et l’enfant, qui fut l’originaire de la relation et dont le corps garde la mémoire sous forme de traces mémorielles inconscientes. L’écriture raconte toujours dans son tracé plusieurs histoires : à travers les lettres qui la composent, elle raconte l’histoire de son invention qui remonte à plusieurs milliers d’années ; par son lien au processus de symbolisation qu’implique son statut de langage, elle raconte l’évolution psychique de l’enfant ; elle raconte aussi l’histoire de la culture et de la société où elle a pris place et continue de s’élaborer.
8L’écriture est une acquisition de l’homme relativement récente, puisque ses premières manifestations remontent à environ 4 000 ans avant notre ère. Les premières traces que l’homme a laissées de lui sont beaucoup plus anciennes ; il s’agit de signes découverts, par exemple, sur des objets ou des outils, et qui sont pour nous incompréhensibles. D’autres traces, tel les dessins et peintures rupestres, nous parlent un peu plus, car nous sommes sensibles à leur beauté, mais leur sens reste encore énigmatique. C’est avec l’écriture que l’homme a commencé à se raconter.
9L’invention de l’écriture fut une invention humaine extraordinaire. Elle fut l’œuvre d’opérations mentales extrêmement complexes menées par le besoin de l’homme de transcrire son langage en signes visibles, et donc transmissibles et pérennes. Elle se développa par une succession de transformations des signes, devenant de plus en plus simples, de plus en plus épurés et allant toujours dans le sens d’une symbolisation de plus en plus élaborée.
10L’écriture commença à naître lorsque l’homme inventa le moyen de représenter des quantités (d’objets, de nourriture, d’animaux, etc.) dans le cadre d’échanges commerciaux. Puis, à ces signes quantitatifs s’adjoignirent des dessins de choses faisant l’objet de transactions : jarres, épis, cornes des bétails… Ces représentations de choses, de plus en plus stylisées, devinrent des « pictogrammes », dont la fonction s’étendit au-delà du registre commercial pour devenir une sorte « d’écriture de choses ». À ce stade, l’écriture restait encore une écriture en images. Le son fut introduit par les Sumériens qui constatèrent que certains mots de leur langue, des mots monosyllabiques, pouvaient représenter un son utilisable pour transcrire d’autres mots. Les signes, dès lors, représentaient des sons du langage et non plus seulement des images. Le son était introduit dans l’écriture, et l’écriture devenait apte à représenter la langue. Elle devenait un langage graphique, autre que l’oral, tout en se référant à l’oral. Les premières écritures phonologiques étaient syllabiques, un signe représentant une syllabe, ce qui maintenait encore un lien à la langue, car la syllabe est un morceau de mot et, pour lire, le recours intérieur à l’oralisation était nécessaire. Ce fut l’invention de la lettre qui opéra la coupure définitive de l’écriture avec l’oral. Avec l’invention de la lettre, l’écriture est devenue un système de langage fonctionnant tout seul, sans plus avoir recours nécessairement à la langue. Ainsi, pour parvenir à l’étonnante invention de la lettre, l’homme a dû avoir recours à des transformations successives de systèmes de pensée qui l’ont amené à transformer du concret en abstrait, de l’image en signe, du visuel en auditif, du multiple en singulier. Ces opérations mentales allaient toujours dans le sens de plus de simplification en se détournant de la représentation des choses au profit de la représentation du mot. La lettre qui ne représente plus rien, qu’une partie d’un son de la langue, mais qui permet par son association à d’autres lettres de représenter tous les mots de la langue, pourrait être considérée comme le symbole absolu.
Ces capacités de transformation menées par une manœuvre symbolisante de plus en plus poussée, c’est ce qui est demandé à l’enfant qui s’engage dans l’apprentissage de l’écriture. Il en est capable, mais il lui faut du temps, à peu près tout le temps de la scolarité primaire. Ce n’est qu’aux environs de dix ans qu’un enfant sait vraiment écrire, c’est-à-dire parler avec sa main sans plus s’occuper d’autre chose que de ce qu’il dit. Et le tracé de son écriture révèle très visiblement les transformations qui en font progressivement un langage écrit.
Le corps et l’écriture
11L’écriture est l’ultime forme de langage qu’acquiert le sujet. Elle s’inscrit donc dans la lignée de tous les langages qui l’ont précédée. Son caractère de trace visuelle symbolique, son appartenance langagière qui doit se combiner avec un acte manuel, en font une activité d’une immense complexité, car elle doit opérer dans sa réalisation le nouage du corporel et du symbolique. L’écriture, par la main qui trace du langage, draine dans son tracé le processus de symbolisation parvenu à son point culminant étayé sur le corporel de la relation, et renvoie donc à ces moments originaires où, dans le langage des corps et des regards entre mère et enfant, s’initient les premiers échanges fondateurs de l’organisation du moi et de la distinction sujet-objet. Ces échanges s’organisent à partir de la « fonction symbolisante » de la mère, cette mise en sens par la mère des manifestations corporelles que son enfant lui envoie de ses besoins. Il revient à la mère de savoir les interpréter et de répondre à l’enfant avec des mots, ou des actes signifiants : tu as faim, tu as mal, tu as envie de dormir, etc., ou elle le prend dans ses bras. Et sa réponse ne doit pas trop tarder pour ne pas effracter les capacités d’attente de l’enfant, ce qui le livrerait à l’effroi, à la désespérance. Elle ne doit pas pour autant s’imposer et prévenir répétitivement le besoin de l’enfant en excluant l’attente, le travail de l’hallucination du désir qui introduit à la représentation, particulièrement celle de l’absence.
12La capacité de l’enfant de se représenter l’autre, c’est-à-dire de l’« absenter » et de l’intérioriser en son absence, s’étaye sur la capacité de la mère de se représenter l’enfant différent d’elle, autre qu’elle. La mère fournit à l’enfant un objet à symboliser, mais aussi un objet pour symboliser par déplacement de l’investissement sur d’autres objets. Il existe dans tout le travail de symbolisation qui sous-tend l’évolution psychique, une fonction tiercéisante. L’absence introduit le tiers, introduit au tiers. On sait combien la relation symbiotique est désubjectivante. La capacité d’absenter l’autre en en maintenant la présence intériorisée renvoie, en écho, à la capacité d’être seul, sur quoi prend ancrage le sentiment de sécurité intérieure. C’est avec la perception de ce sentiment de sécurité interne que se construit la confiance en soi, l’estime de soi. Pour y accéder, il est nécessaire que l’enfant ait pu élaborer et dépasser suffisamment les peurs et les angoisses primitives, liées aux expériences de perte et de séparation qu’il a pu vivre dans les premiers temps de sa vie.
L’écriture, plus encore que le langage oral, absente l’autre. Si parler consiste à s’adresser à quelqu’un qui est présent physiquement, écrire implique que l’autre est absent, et sa présence intériorisée. Tout écrit, si solitaire soit-il, a toujours un destinataire. Aussi la page écrite est-elle toujours un miroir où se projettent les regards croisés, et de celui qui écrit, et de cet autre intériorisé, ce censeur, forgé par des attentes qui sont moins de l’ordre du Surmoi que de l’Idéal du moi. Tout enfant qui s’aventure dans l’écrit doit donc être capable d’articuler ce qu’il a intégré à la fois de son rapport à l’autre, à qui il doit pouvoir parler de façon distanciée, c’est ce que porte la lettre et sa symbolique langagière ; de son rapport à soi, à son identité, à son image, c’est-à-dire à toute sa construction narcissique primaire – c’est ce que porte la trace dans son lien visible au corps ; de son rapport à la loi, à travers les règles qu’impose la transcription écrite. Le rapport aisé et confiant à l’écriture est à ce prix.
Comment l’écriture vient-elle à l’enfant ?
13L’écriture ne naît pas d’un terrain vierge. Avant d’écrire, l’enfant s’est exprimé graphiquement, il a griffonné, gribouillé, dessiné. Déjà, dans le courant de sa deuxième année, un enfant est capable de tenir un crayon et de faire des traces sur une feuille. Il est intéressant de constater que les premières traces signifiantes, les premières ébauches de dessin de l’enfant qui apparaissent dans sa deuxième année, sont contemporaines de ses premiers mots, ce qui illustre bien la concomitance dans le processus de symbolisation de l’investissement de la bouche engagée dans l’oral et de la main engagée dans la trace.
14Les premiers tracés de l’enfant sont de simples jeux sensori-moteurs dont le résultat est une trace visible. Il y trouve le plaisir tonico-moteur du mouvement, associé à toute sorte d’expériences sensorielles liées au contact, aux appuis, au rythme, qui s’associent au plaisir de laisser une trace visible. À ce niveau, l’objectif pour l’enfant n’est pas de représenter quelque chose. C’est plus tard qu’il découvrira les qualités figuratives de ses productions. Cette découverte se fait avec l’aide de l’adulte, car c’est l’adulte qui voit quelque chose dans les tracés de l’enfant et l’identifie avec un nom (« Oh ! le beau rond, le beau bonhomme ! »). Les projections de l’adulte participent donc à un travail de mise en sens des productions insensées de l’enfant, et donc à leur symbolisation, à l’instar de la mère qui « interprète » les manifestations corporelles de son enfant. Tant que l’enfant est dans le dessin, les tracés qu’il produit s’élaborent en termes de figuration, d’images, donnant la primauté au visuel. Lorsqu’il aborde l’écriture, l’enfant doit prendre de la distance avec le figuratif pour introduire dans ses tracés la dimension symbolique du langage. Cette importante transformation s’étaye essentiellement sur un travail de liaison. La liaison est ce processus psychique qui sous-tend le travail de la psyché dans son organisation symbolique. Et l’écriture de l’enfant montre dans son tracé les signes révélateurs de ce travail psychique.
15En effet, quand le petit débutant aborde le tracé des lettres, il les dessine. Il s’applique à reproduire une forme. L’attention portée au figuré reste dominante. Les lettres qu’il trace sont constituées de parties accolées les unes aux autres, sans continuité, sans lien (le « a » comme un rond suivi d’un bâton incurvé). Peu à peu, ces parties de la lettre vont se lier et la lettre est tracée comme un tout. Les lettres ont acquis leur statut de signes. Elles sont prêtes, dès lors, à se lier les unes aux autres pour former des mots, et il est intéressant de noter que, dans le même temps que la liaison s’installe dans l’écriture, les lettres se « déforment ». Elles s’affranchissent du modèle figuratif et prennent le caractère « personnel » du corps qui les produit. Tout corps est unique et il n’existe pas deux écritures identiques. C’est donc en s’affranchissant de son appartenance formelle par un travail de liaison que la lettre fait advenir le mot. Et le mot « dit » quelque chose. C’est avec l’inscription des mots que la trace devient langage. La phrase est un ensemble de mots qui se succèdent sur la ligne, et les mots sont « reliés » par des écarts qui sont des blancs. Ce sont ces écarts, une autre forme de liaison, qui fondent l’identité de chaque mot, sans quoi la phrase serait illisible. Les blancs – une ponctuation d’absence – structurent le déroulement de l’inscription de l’écriture et y introduisent une temporalité, un rythme sans lequel la confusion des espaces rendrait l’écriture illisible.
Le rythme de l’écriture est celui du corps qui imprime le tracé. Il existe quasiment un rapport de consubstantialité entre le corps et la trace ; et le geste qui produit la trace se transforme lui aussi. Les fonctions des différentes parties du bras, engagées dans l’inscription des lettres, dans leur liaison, dans la progression sur la ligne, se coordonnent et s’associent pour un optimum de fonctionnalité du geste. L’aisance du mouvement est assurée par des liaisons qui sont ici les liaisons articulaires. Et ces liaisons corporelles, au service de l’inscription symbolique, sont essentielles à la bonne réalisation de l’écriture.
Être mal avec l’écriture
16En effet, que se passe-t-il pour ces enfants qui sont en difficulté avec l’écriture et qui viennent consulter parce qu’ils « écrivent mal », leur écriture étant illisible, ou trop lente, ou encore brouillonne, sale, etc. ? Le travail clinique et thérapeutique pratiqué avec eux depuis de longues années nous a appris que leur difficulté n’est pas due, comme on le croit encore trop souvent, à une déficience de la motricité fine, à une dyspraxie ou à des difficultés spatio-temporelles, à un mauvais apprentissage ou encore à une désinvolture coupable, un manque de concentration, c’est-à-dire à une cause instrumentale ou d’ordre « caractériel ». La mise en avant de ces causes n’a pour but que de renvoyer l’écriture dans le champ instrumental, et de l’exclure du champ de la psyché.
17Ces enfants sont souvent intelligents, sans trouble névrotique notoire, plutôt bien adaptés socialement. Ils suivent une scolarité souvent normale, et parfois même brillante. Mais, dans cette présentation de bon aloi, s’inscrivent toujours des attitudes et des comportements déconcertants, contradictoires, paradoxaux. Ceux-ci sont l’expression d’un fonctionnement psychique obéissant à une logique de clivage par défaut de liaisons internes et qui posent la question du lien à l’objet primaire. L’insuffisance du sentiment de sécurité intérieure se traduit chez eux par une particulière sensibilité à la séparation et à la perte, préjudiciable à leur individuation, à leur autonomisation qui sont toujours problématiques. Leur estime de soi oscille entre des postures d’allure « mégalomaniaque » et des effondrements d’allure dépressive. Ces enfants, malgré les apparences, sont toujours en grande souffrance.
18Leur écriture révèle un défaut dans le passage à la symbolisation. Le travail de liaison ne s’est pas bien réalisé. L’écriture de ces enfants est fragmentée, coupée. La liaison des lettres et des mots est inachevée, d’où le désordre apparent de leur écriture. Et leur corps, dans le geste d’inscription, montre également un défaut dans le travail de liaison et de différenciation. Le bras est crispé, les articulations sont rigidifiées, avec par fois des allures de crampe. Des manifestations neurovégétatives, respiratoires, douloureuses, accompagnent souvent l’acte d’écrire. Mais le malaise corporel est en général estompé par l’enfant qui n’en a pas toujours une perception claire, tant ses sensations sont pour lui confuses, embrouillées. En conséquence, il n’en parle pas, si bien que son malaise et sa souffrance peuvent passer inaperçus.
19Notre expérience thérapeutique (dans l’ancien service du Pr Julian De Ajuriaguerra, à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris) nous a montré que les difficultés de ces enfants étaient liées à une défaillance dans l’élaboration du processus primaire de symbolisation, à ce niveau très archaïque des premières relations hors langage entre mère et enfant. Quelque chose d’un travail de lien a manqué, et c’est avec l’écriture – ce second langage qui opère un retour au corps par le truchement de la main – que ce manque se révèle. C’est la raison pour laquelle le travail thérapeutique que nous proposons à ces enfants est un travail psychanalytique mais à médiation corporelle. René Diatkine, qui travaillait avec Julian De Ajuriaguerra dans les années 1960, a proposé de lui donner le nom de « graphothérapie ».
20Savoir écrire est un impératif que toute société tend à imposer aux individus qui la composent. C’est avec l’écrit que la société se structure. C’est avec l’écrit aussi qu’elle tente de s’organiser, légiférer, régenter, maintenir en elle la cohérence, la cohésion, l’ordre. L’écrit régule les rapports sociaux, régule la place de l’individu dans le social. C’est avec l’écriture que l’homme est entré dans l’Histoire. C’est aussi avec son nom, et l’inscription de son nom sur les registres de l’État civil, que l’enfant naît à son histoire individuelle. C’est avec sa « signature » qu’il s’inscrit, à son tour, dans le corpus social.
21Les enjeux que mobilise en elle l’écriture ne sont pas minces ! Et si l’écriture est si souvent frappée d’un discrédit qui l’assigne aux marges de la psyché, avec en corollaire un médiocre intérêt apporté à penser ses dysfonctionnements (on veut encore souvent la « rééduquer »), n’est-ce pas parce que, outre sa fonction de langage, elle porte en elle, par l’action de la main qui l’inscrit, l’histoire intime du sujet, son histoire familiale et ses éventuels non-dits, l’histoire culturelle et sociale qui continue à la faire vivre, et qu’en définitive ce qu’elle dit au moyen de sa trace est bien peu au regard de ce qui s’y inscrit.