1 Réalité ou culture de la culpabilité ? Le buzz médiatique relatif à la lutte contre la fraude aux prestations sociales bat son plein. Et pas dans un contexte anodin. Ainsi, a-t on vu à plusieurs reprises « les braves gens qui n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux », refuser l’implantation de centres d’hébergement dans leur quartier (le XVIe arrondissement de Paris), réfugiés et « Gaulois » confondus.
2 Les institutions emboîteraient-elles le pas à des tendances qui consistent à punir les précaires et ethniciser les rapports sociaux ? Regard et analyse du Défenseur des droits.
3 Depuis 2014, celui-ci a relevé une augmentation significative du nombre de réclamations liées au durcissement de la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Cette dernière est d’abord à examiner à partir de contradictions.
4 Ainsi, le législateur a simplifié les procédures afin d’accélérer le traitement : certains mécanismes permettent l’ouverture des droits sur le fondement des déclarations des usagers. En même temps, les larges pouvoirs accordés aux organismes ont entraîné des dérives dans les processus de contrôle, bien que la fraude apparaisse moins importante que ne l’est le recours aux droits.
5 Néanmoins, un dispositif d’envergure est mis en place à plusieurs niveaux depuis la loi du 13 août 2014 sur la réforme de l’assurance maladie. Ainsi, le décret du 18 avril 2008 a institué un comité, une délégation nationale à la lutte contre la fraude (D.N.L.F.) ainsi que des comités départementaux qui œuvrent dans la même visée.
6 Personne bien évidemment ne conteste la nécessité de maîtriser les défenses publiques ! Mais la forme peut dénaturer le fond. Ainsi, la fraude intentionnelle et son contraire ne font pas l’objet d’un traitement foncièrement différent.
7 Dans le même ordre d’idée le pouvoir de sanction est également dévolu lorsque la déclaration s’avère seulement incomplète. Dans cette logique l’article L114.17 du Code de la sécurité sociale assimile les erreurs et les oublis à la fraude sans préciser la nécessité de rapporter la preuve de leur caractère intentionnel.
8 Par exemple, Mme V a demandé une allocation de veuvage auprès de l’organisme de retraite compétent. Celui-ci a rejeté sa demande au motif qu’elle aurait été déposée hors des délais. Pourtant, Mme V détenait une copie de sa demande formulée avant l’expiration de la date butoir, sur laquelle avaient été déposés les tampons de l’organisme. Doutant de l’authenticité de ceux-ci, l’institution a suspecté une fraude sans pour autant en établir l’existence, ce qui a conduit au rejet.
9 C’est l’intervention du Défenseur des droits qui a permis de renverser la tendance. Cet exemple montre qu’une appréciation purement subjective d’une institution ne peut constituer un fondement à une qualification de fraude.
10 C’est pourquoi le Défenseur met en exergue une dérive qui consiste à interpréter d’une manière extensive la notion de fraude. Pour la contrer, il préconise, entre autres, une obligation d’information accessible face à la complexité des dispositifs applicables.
11 Il s’insurge également contre « le ciblage des suspects ». Ainsi, une étude de la CNAF publiée en septembre 2003 montre que les contrôlés ne sont pas traités de la même manière selon leur appartenance sociale ! Les visites chez ceux bénéficiant d’un bon niveau socioéconomique sont mieux préparées par crainte d’une plus grande résistance, voire d’une plainte relative à un contrôle jugé trop inquisitorial.
12 Les contrôleurs prennent le soin d’expliquer précisément le cadre de leur intervention, ses limites et ses possibilités contrairement à ce qu’ils font d’ordinaire ! A contrario, certaines directives telles que la lettre circulaire interne à la CNAF du 31 août 2012 recommande notamment, « de cibler les personnes nées hors de l’Union européenne !
13 Le Défenseur est également dubitatif face aux initiatives de certains Conseils départementaux qui réalisent des contrôles à grande échelle directement auprès des bénéficiaires, sur fond de soupçon de fraude généralisée de la part des allocataires des minimums sociaux.
14 Pourtant, le Code de l’action sociale et des familles circonscrit ce contrôle à des demandes auprès des administrations et non des bénéficiaires.
15 Enfin, ces collectivités ne sont pas chargées du RSA, ce sont les CAF et les MSA qui le versent. Il convient donc de revisiter la formation des contrôleurs, même si la CNAF a déjà fait des efforts dans ce domaine, d’abord sur le respect de la vie privée. L’extrait suivant de la prose d’un contrôleur en dit long sur l’interprétation : « Son état de santé (surcharge pondérale) pourrait prouver l’absence de relations amoureuses, mais pas la vie commune ».
16 Autre point : la formation des agents sur les textes. En effet, plusieurs dossiers ont montré que certains opérateurs s’obstinent à rejeter arbitrairement les pièces utiles à l’ouverture ou au maintien des prestations. Enfin, des exercices pratiques de simulations de contrôle et de rédaction de procès-verbaux pourraient éviter les dérives qu’elles soient Inhérentes au jugement de valeur ou à l’appartenance sociale.
17 Le Défenseur suggère aussi que l’interruption du versement des prestations durant l’enquête soit limitée dans le temps.
18 Ces préconisations sont d’autant plus justifiées que la mutualisation des données informatiques entre organismes constitue un outil conséquent en termes de renseignements.
19 Le Défenseur a aussi constaté que l’on fait fi du principe du contradictoire. Or la légalité des sanctions est conditionnée au respect de celui-ci. Cet objectif suppose un rappel ferme de cette obligation.
20 Dans le même état d’esprit, le Défenseur remet au goût du jour les garanties procédurales encadrant le recouvrement comme l’exercice des voies de recours.
« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendrons blancs ou noirs ».