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Article réalisé sur la base de la communication « Guide pratique à l’usage des non-médecins quant aux drogues chez les adolescents : le produit, les effets, les usages, les propositions de traitement », proposée au colloque Mineurs et dépendance(s) du 17 décembre 2015 à Tournai (Belgique).
Introduction
1 Notre thème du jour dit : « Mineurs et dépendance ».
2 Commençons par rappeler ce qu’est la dépendance. La dépendance n’est pas l’addiction.
3 L’addiction est un besoin irrépressible (craving) de consommer une substance, en dépit des conséquences possibles sur sa santé mais aussi sa vie sociale. Le but recherché est d’éprouver des sensations particulières (plaisir, hallucinations, sédation…) L’addiction peut donc concerner le tabac, certains médicaments, le jeu pathologique, etc.
4 La dépendance est un mécanisme par lequel la consommation régulière a engendré un déséquilibre du fonctionnement neurobiologique. Ce déséquilibre engendre un malaise physique et psychique, qui pousse à consommer pour éviter de ressentir les effets du manque. Longtemps, on a différencié les drogues dites « dures » comme l’héroïne ou l’alcool, qui engendrent des dépendances, des drogues dites « douces » comme le cannabis. Ces dernières années, l’usage « dur » du cannabis, et la mise en circulation de produits de plus en plus riches en principe actif, fait que certains jeunes deviennent aussi dépendants au cannabis : l’arrêt brutal du produit leur occasionne un syndrome de manque, et leur bonne volonté d’arrêter ne suffira pas, ils auront besoin d’une aide médicale, comme pour l’héroïne ou l’alcool.
5 Que dire des mineurs, terme juridique, alors que pour nous, médecins et psy, c’est le terme adolescents qui est la base de notre clinique. Depuis l’invention des neurosciences, et de l’imagerie fine du cerveau, on sait que le cerveau n’atteint sa croissance définitive que vers l’âge de 26 ans. On peut en gros diviser le cerveau en deux zones. Premièrement, une zone centrale, archaïque, qu’on appelle aussi cerveau reptilien, où se situe le circuit de la récompense, lié à la dopamine. La dopamine est libérée par le cerveau lorsqu’un comportement aboutit à une expérience positive et inattendue : c’est un véritable signal d’apprentissage qui amènera la personne à tenter de renouveler l’expérience. Deuxièmement, une zone corticale, zone noble du cerveau, et notamment le cortex préfrontal qui est impliqué dans les fonctions cognitives, la planification et la prise de décision. Et c’est le cortex préfrontal qui est le denier à achever sa maturation.
6 On comprend donc que l’adolescent sera particulièrement fragile sur le plan de l’impulsivité. Il aura tendance à rechercher des sensations nouvelles, à prendre des risques en dépit des conséquences ultérieures. Enfin, le cerveau de l’adolescent est encore immature et se caractérise par un remodelage important, en termes de croissance et d’établissement de nouvelles connexions) Certains éléments, comme le corps calleux, sorte de pont qui relie les deux hémisphères, et qui est hypertrophié chez les musiciens virtuoses, par exemple, se développent particulièrement à l’adolescence. Cela implique aussi que l’usage abusif de certaines substances va abîmer ce cerveau fragile. À chaque coma éthylique, ce sont des neurones qui sont perdus.
7 Je me propose de vous décrire les deux produits les plus couramment utilisés chez les jeunes : le cannabis et l’alcool. Je vous décrirai aussi, moins en détails, d’autres produits rencontrés.
Le cannabis
8 Le cannabis est une plante annuelle à croissance rapide ; le principe actif est le THC (delta 9 TétraHydroCannabinol), surtout présent dans les têtes des fleurs femelles. On peut l’utiliser sous forme d’herbe ou de marijuana, qui est un mélange de feuilles et de têtes sèches dont la teneur en THC est de 1 à 3 %. Une autre forme est la barrette de résine, ou haschisch, contenant des quantités plus importantes de THC, entre 10 et 15 %. Il existe enfin l’huile de cannabis, extrait alcoolique de résine, très concentré en THC, de 20 à 60%.
9 Cette grande variabilité de la concentration en THC (de 1 à 60 % !) suivant la préparation, le type de plante, les conditions de culture, pose de sérieux problème, dans la mesure où le consommateur possède peu d’indications sur la teneur effective en THC du produit qu’il s’apprête à consommer. C’est un premier trait qui distingue le cannabis comme produit illégal, de l’alcool dont la teneur est toujours rigoureusement notée sur l’étiquette.
10 La manière la plus fréquente de l’utiliser est de fumer le cannabis, seul ou mélangé à du tabac, c’est le fameux joint. On peut aussi le fumer dans d’autres dispositifs qui en augmentent l’effet : les pipes, les bouteilles, les seaux. Il peut aussi être ingéré, sous forme de « space cake » ou de tisanes, et son usage en devient alors encore plus aléatoire, puisque sa concentration est très variable, et que son absorption se poursuit dans l’estomac même si l’usager commence à se sentir mal. Cet effet décalé de la prise orale dure d’une heure à six heures, voire plus. Le THC, une fois fumé, a des effets rapides (en quelques secondes, il traverse les membranes du poumon et par le biais de la circulation sanguine, pénètre dans le cerveau) et de courte durée, d’une à deux heures.
11 S’il disparaît rapidement de la circulation sanguine, il se concentre dans les tissus graisseux, ce qui est le cas du cerveau ; c’est pareil pour les solvants, par exemple. Son élimination par l’organisme est ensuite très lente, ce qui fait que sa détection urinaire peut se révéler positive durant les 2 ou 3 semaines qui suivent sa consommation (les conséquences que cela entraîne pour les écoles ou le monde sportif se laissent deviner). Son élimination lente explique aussi que pour les consommateurs réguliers, il peut y avoir des expériences de « flash back » en dehors de toute consommation immédiate.
12 Dans le cerveau, le THC se fixe sur les zones du cerveau qui sont riches en récepteurs cannabinoïdes. Ces récepteurs sont présents un peu partout dans le cerveau, et on a identifié la molécule endogène qui s’y fixe naturellement, comme les endorphines au récepteurs morphiniques : l’anandamide. L’anandamide participe à la régulation de l’humeur, de la mémoire, de l’appétit, de la douleur, de la cognition et des émotions. Le THC peut donc perturber toutes ces fonctions. Sans être trop pointu du côté des neurosciences, retenons pour la clinique :
- il se fixe dans les zones cérébrales profondes, le fameux cerveau reptilien, où se situe le circuit de la récompense, lié à la dopamine. Cette région cérébrale ne possède pas de récepteurs cannabinoïdes, mais le THC, indirectement, active la dopamine (une dose de cannabis aurait ainsi l’effet neurologique de 30 kg de chocolat !)
- dans les zones plus corticales, qui possèdent des récepteurs cannabinoïdes, le THC va perturber le cervelet, le cortex frontal droit, interférant gravement avec la mémoire à court terme qui est la base de la mémoire de travail.
- il y a très peu de récepteurs cannabinoïdes dans les zones cérébrales contrôlant les fonctions vitales essentielles. Le cannabis utilisé seul n’occasionne pas de décès par overdose, comme l’héroïne ou l’alcool peuvent le faire.
13 Une dernière remarque concernant la tératogénicité du cannabis. Le cannabis est la substance illicite la plus souvent consommée pendant la grossesse… et l’adolescence est le moment où peuvent survenir des « grossesses surprise »… On sait maintenant de manière certaine que l’exposition prénatale au cannabis altère le développement cognitif, le rendement scolaire, l’attention de l’enfant futur, et le rend statistiquement plus fragile en matière de tabagisme, d’abus de substances et de délinquance.
Les effets du cannabis sur le consommateur
14 Les effets dépendent du type de produit, de la structure psychique de l’usager, et des circonstances de la consommation. Schématiquement, on distingue trois phases : la montée, le plateau, la descente. Durant la montée, l’individu ressent une impression de chaleur, une sensation de bien-être physique, d’euphorie, et une envie de communiquer. Ses pensées s’accélèrent, son sens de l’humour et ses associations d’idées s’accentuent. Il y a aussi un aspect d’hallucination, d’accentuation, de mélange des perceptions. Dans un deuxième temps, s’installe un sentiment de paix, et surtout de perte de conscience du temps qui passe. L’élan vers autrui fait place à un repli, et les pensées se morcellent, s’égarent, stagnent et tournent en rond. La troisième phase est celle de la descente, qui s’accompagne souvent d’une augmentation de l’appétit. Certains usages tournent au « bad trip » avec nausées, maux de tête, et surtout accès de panique ou accès paranoïdes. Au total, le cannabis est donc à classer dans les drogues « psychodysleptiques », comme le LSD, par exemple.
15 C’est une drogue qui modifie les sensations, mais surtout les sensations de soi-même, de son humeur, et de son inscription dans le temps. Ce sont ces effets qui sont recherchés par l’adolescent. Il recherche l’euphorie, et il recherche l’accélération de la sensation du temps qui passe. Il cherche à lutter contre l’ennui, le sentiment dépressif, la conviction d’avoir décroché des contenus scolaires, et ceci bien avant d’avoir décroché de l’école au sens physique du terme. Il cherche souvent aussi à gérer son agressivité, et c’est particulièrement frappant dans les familles où le père est alcoolique ou violent, ou remplacé par un beau-père qui a moins de souplesse et de bienveillance qu’un père… Le contexte familial est central dans ces questions, puisque dans toute existence, l’adolescence est une période de réactivation œdipienne : le jeune doit remettre en jeu les choix qui ont été les siens jusqu’ici, le désir que les parents ont projeté sur lui, son positionnement sexuel, ses choix d’études et de vie. Il doit se distancer des parents, les désidéaliser, et cela met toujours en jeu une certaine agressivité.
16 Le jeune fume pour se calmer, s’euphoriser, se désinhiber, se désangoisser, trouver le sommeil, arrêter de penser… Mais dans le même temps, on constate, à la simple lecture de ses effets, que le cannabis est totalement incompatible avec l’apprentissage (il perturbe la mémoire de travail), voire même avec la conduite automobile. Fort heureusement, la mémoire à long terme, ou mémoire de stockage est peu perturbée par l’usage du cannabis, et son arrêt permet une bonne récupération des capacités neurologiques, sauf bien sûr lorsque s’y greffe l’émergence d’une pathologie mentale plus grave, ou si son usage a été particulièrement précoce et intensif.
17 Il est aussi peu compatible avec tout ce travail de pensée que requiert l’adolescence : quand on prend en charge des jeunes dépendants au cannabis, on observe lors de la psychothérapie un véritable dégel de la pensée, et la remise en route des interrogations douloureuses dont le cannabis les avait jusqu’ici protégés. Car il peut y avoir nécessité de traitement. Au-delà de cinq joints par jour, et surtout si l’usage est quotidien depuis un certain temps et survient dès le matin, on estime que la question d’une médication se posera en plus de l’accompagnement psychothérapeutique. Plutôt que des benzodiazépines anxiolytiques ou somnifères, elles-mêmes génératrices de dépendance, deux molécules semblent faire consensus chez les psychiatres spécialisés dans ces prises en charge.
18 La diminution, voire l’arrêt du cannabis entraîne avant tout des insomnies. Si en plus le jeune ressent une agressivité ingérable (des « pétages de plombs »), ou des angoisses envahissantes, on peut proposer de petites doses de Quetiapine (Seroquel) durant quelques semaines. Si, en plus des insomnies, le jeune apparaît surtout déprimé, on peut donner de petites doses de Doc Trazodone (Trazolan), là aussi durant de courtes périodes. L’intérêt est que ces deux molécules n’entraînent aucune dépendance même s’il faut les stopper progressivement. Aucune ne se retrouve au marché noir. Si l’arrêt brutal est impossible pour le jeune, on l’encourage à reprendre pied dans sa consommation, à supprimer les joints de la journée, en supprimant en dernier ceux du soir. L’avantage de la diminution progressive est que les parents avertis peuvent retrouver leur rôle de soutien du jeune et abandonner celui du « flicage » auquel on comprend bien qu’ils se sentent assignés.
L’alcool
19 L’alcool est mieux connu, car c’est un produit inscrit dans nos rites, notre économie, voire notre culture gastronomique. Pourtant, les jeunes en ont un usage souvent illégal, puisque qu’ils le consomment alors que les alcools fermentés sont interdits aux moins de 16 ans, et les alcools distillés aux moins de 18 ans. Ils en ont parfois aussi un usage de « défonce » : c’est le binge drinking, ou biture expresse. C’est une pratique qui consiste à boire une grande quantité (plus de 6 verres) en une seule occasion. Comportement que peuvent avoir des adultes aussi en certaines occasions, pour les jeunes c’est lors de toutes leurs sorties. Les toutes premières prises d’alcool chez les très jeunes qui ne connaissent ni le produit ni leur capacité de résistance les amène parfois en coma éthylique aux urgences ou en pédiatrie.
20 Les risques de la consommation d’alcool chez le jeune sont souvent minimisés par les parents, dans la mesure où ils connaissent culturellement le produit. Le parent panique plus pour l’usage de cannabis qu’il range dans les « drogues », inconnues et maléfiques. À l’heure actuelle on n’a pas encore découvert de récepteur à l’éthanol, qui est le principe actif de l’alcool. Mais on sait que l’alcool interfère avec le circuit de la récompense, et aussi avec les neurones inhibiteurs et activateurs du cerveau.
21 Ainsi, dans un premier temps, l’alcool désinhibe : c’est l’effet que l’on attend de lui quand on sert un verre au vin d’honneur des cérémonies : cela facilité l’entrée en contact avec l’autre… Ensuite, à fortes doses, l’alcool inhibe le fonctionnement cérébral, en provoquant de la somnolence pouvant aller jusqu’au véritable « trou noir », perte de souvenirs de la soirée écoulée, le cerveau n’ayant pu encoder les événements tant son imprégnation alcoolique était forte… Enfin, l’alcool est très tératogène, donnant lieu au syndrome d’alcoolisation fœtale (retard de croissance, malformations multiples, faciès particulier). Là aussi, les jeunes filles fragiles, vivant une « grossesse surprise », sont particulièrement à risques.
L’héroïne
22 La consommation d’héroïne par les mineurs est relativement rare, et survient chez des jeunes particulièrement fragilisés et qui sont en contact avec des réseaux de deal. Probablement que pour les mineurs qui ont affaire à la justice, cette proportion est relativement plus importante.
23 L’héroïne est un opiacé puissant, qui amène des effets redoutablement efficaces de plaisir (« tu prends un orgasme et tu le multiplies par 10 » disent les junkies), mais aussi d’apaisement des souffrances tant physiques que psychiques. En cas d’overdose, l’héroïne peut conduire au décès de la personne.
24 L’héroïne vient occuper, dans le cerveau mais aussi dans beaucoup d’autres organes du corps, la place des endorphines qui sont une sorte d’analgésique naturel que le corps produit dans une régulation très subtile. Par exemple, juste avant un accouchement, ou juste après un jogging, ou la vision d’un film d’horreur, le corps produit des endorphines. L’héroïne, il y a 30 ans, s’injectait principalement et a été liée aux épidémies du sida et des hépatites B et C. Actuellement elle se consomme plutôt en fumette, en inhalant les vapeurs lorsqu’elle est chauffée sur du papier d’aluminium. Au bout d’un temps de consommation régulière, l’héroïne vient prendre la place des endorphines qui ne sont donc plus produites par le corps, et si la drogue vient à manquer la personne se retrouve « en manque » : larmoiements, éternuements, crampes abdominales, douleurs musculaires, insomnies, angoisses.
25 Le traitement médical est un traitement de substitution : on redonne des opiacés à plus longue durée d’action que l’héroïne, et on en diminue progressivement le dosage. Ces longs accompagnements permettent la mise en place des suivis psychosociaux qui constituent l’essentiel de l’aide à apporter. Jusqu’il y a peu la méthadone était le traitement le plus prescrit. Mais chez les jeunes, dont la durée de consommation est souvent courte, on préfère la Suboxone, médication plus maniable et surtout évitant les risques d’overdose. N.B. la prise de cocaïne concerne rarement les mineurs, mais plutôt les jeunes adultes.
Les hallucinogènes, et les drogues de synthèse
26 Les hallucinogènes, et les drogues de synthèse sont également souvent consommés par les mineurs.
27 Les hallucinogènes sont des substances chimiques (psychédéliques) qui modifient la perception sensorielle, la pensée et l’humeur tout en maintenant la vigilance. La plus connue est le LSD, consommé sous forme de petits buvards imprégnés, ou de petites pastilles (micro pointes) qui ressemblent à des mines de crayon. Plus récemment on entend aussi parler de consommation de champignons hallucinogènes, avalés frais ou séchés, ou dans des préparations culinaires. Deux heures environ après la prise du produit apparaissent les hallucinations visuelles ou auditives, les stimulations sensorielles sont augmentées, modifiées et la personne a une perception bizarre d’elle-même et de son environnement.
28 Le principal risque est le « bad trip », assez fréquent, pendant lequel le sujet vit une expérience d’angoisse majeure face à des hallucinations cauchemardesques dont il ne peut sortir. La descente se fait au bout de 6 à 12 heures. Il y a eu des cas de décès, liée à un accident ou à un suicide, et la mise en place des « relax zones » lors des festivals de musique tente d’y remédier.
29 Les drogues de synthèse sont des stimulants qui ne sont pas issus de la nature, mais synthétisés en laboratoire. Depuis les armées 1980 leur développement est considérable et leur consommation est désormais la plus répandue après le cannabis. Leur usage est lié au milieu festif, dans les boîtes techno et les rave-parties. Parlons des plus courantes : l’ecstasy et les amphétamines. Ces produits font rarement l’objet d’une demande de soins, mais on peut les retrouver dans l’anamnèse des jeunes qui les ont expérimentées à la recherche de sensations, fortes. Chez ces jeunes, l’héroïne arrive parfois pour « gérer la descente ».
30 L’ecstasy est conditionné sous forme de comprimés d’apparence variée. Le principe actif est le MDMA, et son dosage est aléatoire au milieu des produits de coupe (sucre, craie, talc, caféine, médicaments). Certaines associations de réduction des risques prônent le testing des pilules, mais on voit qu’on arrive là aux limites de la légalité. Les effets recherchés sont l’énergie, la désinhibition, le bien-être, l’euphorie, la facilitation des relations sociales et de l’entrée en contact (c’est une drogue « empathogène » et « entractogène » : elle donne l’illusion de communiquer avec l’autre de façon très intime et sans devoir recourir à la parole).
31 L’effet commence trente minutes après la prise et dure de deux à quatre heures, suivie d’une période de descente caractérisée par l’ennui, voire la dépression, et l’angoisse. Les risques principaux sont l’hyperthermie et la déshydratation chez des consommateurs dansant pendant des heures dans des salles surchauffées. Les associations de réduction des risques tentent d’avertir les consommateurs, et prônent l’installation de fontaines d’eau gratuite et de salles de refroidissement.
32 Les amphétamines sont des psychostimulants et anorexigènes puissants longtemps prescrits en pharmacie (le Captagon, par exemple) avant d’être rigoureusement encadrés par la législation. Jusque dans les années 1980, des étudiants, des conducteurs de poids lourds les utilisaient pour diminuer la fatigue et augmenter leurs performances. Leur toxicité, et l’induction d’une forte dépendance psychique les amène à être classés comme stupéfiants. La seule indication médicale restante est la Rilatine (ou Concerta) dans le traitement de l’hyperactivité de l’enfant.
33 À forte dose, la complication majeure est la mort par arrêt cardiaque ou par accident vasculaire cérébral. Sa consommation au long cours peut entraîner une détérioration cérébrale, une altération de l’état général, de la dépression, des épisodes paranoïaques et des suicides. Un dernier mot sur la Kétamine, plus connue sous le nom de « drogue du viol ». Liée aussi aux milieux festifs, mais utilisée aussi en soirées privées, elle est censée procurer empathie et hallucinations. Mais elle provoque aussi un état d’inconscience durant deux à quatre heures, dont la personne ressort avec un sentiment d’extracorporalité, de désorientation et surtout de panique en constatant qu’il manque des souvenirs alors qu’il n’y a pas de « gueule de bois » expliquant le trou noir.
34 C’est parfois un motif de consultation où seule l’expérience du médecin consulté peur aider à guider la personne : la demi-vie du produit est courte et quand la personne est en état de consulter, les traces chimiques sont devenues indétectables dans les urines.
L’adolescence : découvertes de nouveaux produits, risques de dépendance
35 Les premiers usages du cannabis ont souvent lieu au début de l’adolescence, sont initiés par des copains ou des jeunes aînés, dans le cadre de ce qu’on décrit généralement à cette période-là : l’envie de découverte, de transgression, l’identification à d’autres jeunes… Pour beaucoup, le produit gardera une valeur récréative, ils apprendront à le gérer, dans le cadre général de leur vie familiale, sociale, et amoureuse. Si certains en arrivent à une consommation régulière et importante, génératrice de véritable dépendance, c’est en raison de la fragilité du vécu à l’adolescence.
Réactivation de l’Œdipe
36 L’adolescence est une période de crise et de constitution de la subjectivité adulte liée à la réactivation de l’Œdipe. L’Œdipe, c’est le début de l’histoire de l’enfant qui naît d’un désir, d’un couple, et qui se repère dans un premier triangle, se situant dans son sexe et dans sa génération. Au moment œdipien, l’enfant « intuitionne » que sa mère est manquante, qu’elle désire quelque chose qui lui manque, et que ce qu’elle désire, ce n’est pas lui, l’enfant. Il imagine alors que le phallus (cet objet imaginaire qui rend compte du désir de la mère), c’est le père qui le possède. Il intègre donc la différence des sexes, et prête au père cet objet imaginaire, mais il espère bien que lorsqu’il accédera lui-même à l’âge adulte, il y accédera. C’est la promesse œdipienne, qui permet à l’enfant de traverser les années plus paisibles de la période de latence, et d’acquérir tout un potentiel de compétences et de socialisation.
37 Mais à l’adolescence, cette promesse s’effondre. Être adulte, ce n’est pas du tout ce dont il avait rêvé enfant : finalement, personne ne possède la toute-puissance. Il y a toujours un phénomène de deuil : deuil de l’image idéale des parents, deuil de la toute-puissance rêvée par l’enfant. Cette période est néanmoins nécessaire, puisqu’elle permettra au jeune de formuler ses propres choix pour lui-même, après une période de trouble et de chaos accentuée bien sûr par notre modernité (familles recomposées, crise économique, complexification et fragilisation des trajectoires professionnelles, révolution virtuelle, etc.).
Remaniement pulsionnel
38 L’adolescence se caractérise aussi par un remaniement pulsionnel : la pulsion représente l’interface entre le corps et le psychisme, ou plus exactement, le travail qu’impose au psychisme la question du corps. Là où l’animal répond de manière simple à ses besoins par les objets qui y correspondent, l’humain voit tout ce processus modifié : dès sa naissance, il est pris dans le langage et dans le lien à l’autre. Le lait est bien plus qu’un aliment : il est aussi présence de l’autre, chaleur, tendresse, paroles mises sur les interactions.
39 Les bébés humains sont les seuls de la planète qui peuvent refuser le nourrissage s’il n’est pas accompagné d’un lien humanisant (hospitalisme). Le bouleversement pulsionnel désorganise chaque registre pulsionnel. Dans le champ de la pulsion orale vont arriver les premiers baisers amoureux, mais aussi les soucis d’anorexie, de boulimie, les premières prises d’alcool, de tabac et d’autres produits. J’insiste un peu sur cette introduction aux tumultes de l’adolescence parce que nous devons tous bien garder en mémoire qu’il est de « bonne guerre » qu’un adolescent se démarque de sa famille, devienne parfois agressif avec des parents qu’il aime pourtant, prenne des risques dont rationnellement il sait qu’il devrait plutôt les éviter. Parler de tout cela avec lui va l’aider, mais « un homme averti en vaut deux…, mais il reste divisé »…
Interférences avec la socialisation et la scolarisation
40 Quelle place, quelle fonction le cannabis peut-il donc prendre dans la vie de l’adolescent ?
Un but de désinhibition
41 Le passage au secondaire demande progressivement au jeune des tâches de compréhension, d’abstraction, de réflexion personnelle. Les parents doivent progressivement lâcher le contrôle direct sur les apprentissages, et un certain nombre de jeunes, surtout les garçons, peuvent présenter une inhibition importante devant les tâches scolaires. Il s’agit de s’y mettre en gérant son angoisse (vais-je comprendre ?), ses difficultés de repères (ai-je assez étudié ?), son intérêt (il faut étudier pour soi, et non plus pour l’autre, et la question du sens se pose : à quoi ça sert ?), sa concentration (et les idées parasites sont légion). On les retrouve donc en train de glander, de retarder le moment de s’y mettre.
42 Parfois, la prise de cannabis déstresse… mais c’est à double tranchant, puisque cela entrave aussi la mémorisation. Récemment, deux jeunes ont décrit un traitement à la Rilatine dans l’enfance, son arrêt à un moment donné, et la prise d’un joint le matin uniquement pour pouvoir mieux se concentrer.
Un but de somnifère
43 L’adolescence est source d’insomnie. La quantité de remaniements psychiques nécessaires à cette période entraîne de longues heures de rêveries, de ruminations. Dans la plupart des cas, c’est structurant. On pense à soi, à sa vie, à ses potes, à ses premières amours, à ses choix d’avenir. Parfois l’angoisse empêche de trouver le sommeil. Parfois le sommeil est peuplé de cauchemars. Le joint du soir aide à l’endormissement. Mais fumé en quantités croissantes, parfois dans un accrochage télévisuel ou cybernétique de plus en plus tardif, cela rend le réveil difficile. Notons que nous vivons en pleine actualité les changements de rites d’endormissement : dans les familles, les parents lisent, les jeunes regardent des séries.
Un but de calmant
44 L’adolescent est envahi de pensées agressives, sur lui-même ou sur autrui. Certains jeunes reconnaissent qu’ils fument pour ne pas « pêter un cable » : sur un professeur qui les cherche, sur un parent qui les houspille. Parfois, ils ont déjà eu de vrais soucis de comportement à l’école et il faut absolument qu’ils se calment. Parfois, ils vivent avec un parent déprimé qui ne supporterait aucune confrontation un peu vive. Ou un parent consommateur d’alcool qui renvoie l’agressivité en retour… dans tous les cas, ça va mieux pour lui quand il a fumé. Lorsqu’il se retrouve sans produit, l’agressivité revient en force et le parent aura tendance à tout mettre sur le compte de la consommation, mais c’est souvent plus complexe que cela…
45 Le conflit est structurant, tant dans la famille qu’à l’école, à condition de le contenir, de le verbaliser, de le nuancer, de dialoguer. Dire à un jeune : « pas d’histoire ! », c’est parfois l’empêcher de démarrer la sienne. Le cannabis sert parfois aussi à temporiser les pulsions sexuelles, et particulièrement chez ceux qui se posent des choix identitaires (l’homosexualité, par exemple).
Un but de socialisation
46 Être adolescent, c’est se préparer à partir. C’est gérer l’ambivalence de la séparation, l’angoisse d’affronter de nouveaux repères… Le groupe des pairs prend une importance particulière et si les autres consomment, il est de bon ton de suivre le mouvement. C’est un point délicat, parce que le groupe, la bande, a un effet de socialisation, mais si le groupe fonctionne uniquement autour du produit (dans ses projets, son discours, son occupation du temps), il peut devenir source de désocialisation. Certains jeunes disent que changer d’école, ne plus traîner avec les mêmes, ça les a aidés. De façon générale, la meilleure prévention est de permettre au jeune de s’appuyer sur plusieurs réseaux identitaires.
Un but d’appel
47 Fumer du cannabis alerte l’entourage. Les parents remarquent les changements d’humeur, les changements de rythme de vie, les yeux rouges (Minhavez). Il est étonnant de voir qu’on insiste pour que le jeune consulte parce qu’il fume, mais qu’il a derrière lui parfois des fugues ou des TS pour lesquelles on ne lui a jamais conseillé de consulter. Dans les récits de vie de ces jeunes, une thématique apparaît et insiste : comment, au nom de quoi, et avec quelle stratégie tenter de mettre des limites ?
48 Beaucoup de jeunes insistent sur la nécessité d’avoir autour d’eux des parents qui s’inquiètent sans les persécuter, qui dialoguent même lorsqu’ils s’y refusent, qui ne les laissent pas tomber, continuant à donner leur opinion même si les jeunes n’en font rien à ce moment. Les positions parentales ne sont pas celles des jeunes. C’est à l’adulte à insister pour maintenir le lien même lorsque le jeune le rejette.
49 Si la situation familiale se dégrade il faut l’affronter ensemble (avec le père si possible, trop de mères surprotègent leur progéniture), et si le parent est seul, avec l’aide de tiers (AMO, PMS, SAJ, SPJ). Tout vaut mieux que de laisser tomber. Il n’y a que peu de lien entre consommation de drogues douces et de drogues dures, sauf dans ce cas précis : la « clinique du laisser-tomber ».
Notes
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Article réalisé sur la base de la communication « Guide pratique à l’usage des non-médecins quant aux drogues chez les adolescents : le produit, les effets, les usages, les propositions de traitement », proposée au colloque Mineurs et dépendance(s) du 17 décembre 2015 à Tournai (Belgique).