Couverture de JDJ_350

Article de revue

Démocratiser les relations éducatives - « Bonnes feuilles »

Pages 25 à 37

Notes

  • [1]
    F. Jésu et J. Le gal, Démocratiser les relations éducatives, participation des enfants et des parents aux décisions familiales et collectives ; Chronique sociale, 2015, 512 p., 24,90 €. Voy. couv. et sommaire en fin d’article.
  • [2]
    Frédéric Jésu, médecin pédopsychiatre, il a exercé des missions auprès de ministères, de départements et d’une grande ville. Il est désormais consultant et formateur pour accompagner la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de politiques sociales, familiales ou éducatives locales. Il est également vice-président de Défense des Enfants International (DEI-France), cofondateur et coprésident d’un Centre social et culturel à Paris.
    Jean Le Gal, compagnon de Célestin Freinet, enseignant à l’IUFM de Nantes où il a mené des recherches sur l’organisation démocratique de la classe coopérative et sur l’autogestion ; il a soutenu les initiatives de participation des enfants, dont les Conseils d’enfant au départ d’écoles à Nantes. Militant actif de l’ICEM-Freinet, il anime des formations-actions pour la promotion du droit de participation démocratique des enfants.
  • [3]
    Frédéric Jésu, en collaboration avec Monique Denaux, Françoise Hary, Martine Lantheaume, « Coordinations autour des enfants de parents malades mentaux », L’Information Psychiatrique, janvier 1984, volume 60, n° 1.
  • [4]
    Daniel Clouet, « Faut-il parler droit dans les institutions médicales, éducatives et sociales ? », in Actes du Colloque 1789-1989, L’enfant, l’adolescent et les libertés, Rennes, ENSP, 1990.
  • [5]
    Alexander Sutherland Neill, Libres enfants de Summerhill, Paris, La Découverte, 1970.
  • [6]
    Laurent Fabius, président, Jean-Paul Bret, rapporteur, « Droits de l’enfant, de nouveaux espaces à conquérir », rapport n° 271, Commission d’enquête de l’Assemblée nationale, 1998.
  • [7]
    Première observation générale du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, op. cit.
  • [8]
    Voy. infra en encadré.
  • [9]
    En incluant donc, du moins potentiellement, toutes celles que nous avons citées ci-dessus et avec lesquelles nous avons eu l’occasion de travailler de façon plus ou moins soutenue depuis plusieurs décennies : familles (mais nous y reviendrons longuement au chapitre suivant), établissements et services d’accueil de la petite enfance, lieux d’accueil parents/enfants, ludothèques, bibliothèques et médiathèques dotées de projets pédagogiques, classes, écoles, collèges, lycées, centres de loisirs, espaces d’activités périscolaires, associations d’éducation populaire, établissements et services socioéducatifs et médico-éducatifs, etc.
  • [10]
    Fédération nationale des Francas, Encourager et soutenir les Associations temporaires d’Enfants Citoyens, http://atec.joueb.com/files/EncouragerEtSoutenir.pdf
  • [11]
    Daniel Clouet, Faut-il parler droit dans les institutions médicales, éducatives et sociales ?, op. cit.
  • [12]
    Règlement type des écoles maternelles et élémentaires - http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=81107
  • [13]
    Eirick Prairat, La sanction - Petites médiations à l’usage des éducateurs, Paris, L’Harmattan, 2000.
  • [14]
    Jean Le Gal, « Châtiments corporels ou intervention physique », Journal du Droit des Jeunes, n° 185, mai 1999.
  • [15]
    Lettre du 29 juin 2001.
  • [16]
    Jean Piaget, Le jugement moral chez l’enfant, Paris, P.U.F., 1975.
  • [17]
    Élaboration de la charte des droits de l’enfant de la circonscription de Nice VIII, op. cit.
  • [18]
    Francis Imbert, Si tu pouvais changer l’école – L’enfant stratège, op. cit.

1L’apprentissage du droit - et notamment des droits de l’enfant - ne serait que pure illusion s’il ne se développait pas dans un environnement démocratique. Au pire, on pourrait soupçonner que la connaissance par les plus jeunes de la Convention des droits de l’enfant (CIDE) puisse mener à la déconsidération des institutions destinées à les accueillir... et les éduquer. La limpidité du texte de la CIDE pourrait aussi inciter à des révoltes.

2L’ouvrage de Frédéric Jésu et de Jean Le Gal dont nous présentons ci-dessous les « bonne feuilles » éclaire sur la place de l’enfant, à commencer par la famille, pour se poursuivre dans les institutions destinées à son éducation, ses loisirs, à commencer par l’école, en passant également par les établissements chargés de les accueillir, notamment lorsqu’ils sont retirés de leur famille. Comment apprendre une citoyenneté dans une société qui se prétend démocratique si les conditions de son apprentissage ne respectent pas la prise en compte de la parole de l’enfant et sa participation aux décisions qui les concernent, voire sa codécision ?

3.3 – Les droits et les libertés dans les structures éducatives

L’importance et la nécessité de se référer à des principes de droit

3Au sein d’une structure éducative, qu’elle soit peu ou fortement institutionnalisée, la participation des enfants au processus décisionnel implique une organisation démocratique de cette structure. Celle-ci doit donc leur reconnaître des droits et des libertés et en garantir le respect.

4À travers nos diverses activités - d’instituteur pour l’un, de médecin de service public pour l’autre, mais aussi de formateur, de chargé de mission, de consultant, de militant associatif pour l’un et l’autre -, nous avons mené de nombreuses analyses sur le fonctionnement des diverses structures éducatives avec lesquelles nous travaillons, ou avons travaillé sur la participation démocratique des enfants : familles, établissements et services d’accueil de la petite enfance, lieux d’accueil parents/enfants, ludothèques, bibliothèques et médiathèques dotées de projets pédagogiques, classes, écoles, collèges, lycées, centres de loisirs, espaces d’activités périscolaires, associations d’éducation populaire, établissements et services socioéducatifs et médico-éducatifs, etc.

5Nos analyses montrent que les enfants y exercent souvent des droits et des libertés, comme, par exemple, la liberté d’expression, la liberté d’aller et venir, mais que ces droits, le périmètre et les limites d’exercice de ceux-ci, ne sont pas toujours inscrits dans un texte qui pourrait les garantir : Charte, Règlement intérieur…

6Des questions, on l’a dit, reviennent constamment :

  • quels sont les droits et libertés dont les enfants sont titulaires dans un État de droit et qui doivent donc être respectés dans toutes les structures qui les accueillent ?
  • quels sont les droits spécifiques qui pourraient être imprescriptibles dans l’école, dans un centre de loisirs, dans un restaurant scolaire, dans une famille, etc. ? Qui en décide ? Quel texte peut-il les garantir ?
  • comment organiser l’exercice d’un droit ou d’une liberté avec la participation des enfants ? Quelles limites et obligations doivent-elles être fixées ? Quelles seront les conséquences des transgressions ?
  • sur quoi pourra s’exercer le pouvoir collectif des enfants ? Doivent-ils participer aux actions menées pour faire respecter les règles de vie ? Doivent-ils participer à l’exercice du pouvoir disciplinaire ?

7Dans ce champ complexe, aux dimensions à la fois pédagogiques, éducatives, politiques et juridiques, la rencontre de l’un d’entre nous, en 1985, avec des juristes, des psychanalystes et des éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse dans un séminaire sur « les libertés publiques dans les institutions éducatives, médicales et sociales » nous a amené à jeter un nouveau regard sur la reconnaissance et l’exercice des droits de l’enfant dans la société et dans l’école.

8Pour eux, les libertés publiques ou libertés individuelles reconnues par les Déclarations des droits de l’Homme et par la Constitution s’appliquent aussi aux enfants. L’État de droit impose donc à tout professionnel de l’éducation – et, au-delà, à tout professionnel intervenant auprès d’enfants, de jeunes et de familles - de leur garantir la liberté d’expression, la liberté d’opinion, la liberté de pensée, la liberté d’aller et venir, le droit au respect de la personne, le droit à la sûreté…

9Dès 1979, l’un d’entre nous s’était référé à ces principes de respect des droits essentiels de tous les enfants pour motiver et structurer la coordination interinstitutionnelle qu’il avait initiée, à l’échelle de la ville de Soissons, afin de garantir aux enfants de parents malades mentaux, et repérés comme tels, un accès effectif et banalisé aux services d’accueil, aux prestations et aux services sociaux, aux soins et, bien entendu, à la scolarité [3].

10Les droits et les libertés individuelles ainsi conçus sont donc inaliénables. Mais au sein de la classe coopérative, de l’internat socio-éducatif ou du service médico-éducatif fonctionnant sur un mode démocratique, etc., les droits et libertés que nous avons reconnus aux enfants et inscrits dans la « Constitution » de la classe, celle de l’internat, celle du service… sont tout aussi inaliénables, même si ces « Constitutions » n’ont pas de valeur juridique.

11« La liberté est la règle, sa restriction ou sa réglementation l’exception » affirmait le magistrat Daniel Clouet[4]. La liberté est la règle, les droits reconnus doivent être garantis et ne peuvent plus être supprimés, mais ce n’est pas pour autant que les enfants pourront les exercer sans limites et sans obligations au sein de nos collectivités.

12Neill lui-même, dont on connaît le respect pour les libertés des enfants dans son école de Summerhill [5], affirmait que « quiconque permet à un enfant de faire tout ce qui lui plaît est sur une voie dangereuse. Personne ne peut avoir une liberté totale, car les droits des autres doivent être respectés… La liberté n’implique pas l’anarchie ».

13Nous utiliserons donc désormais les principes du droit pour fonder, guider et organiser l’exercice des droits et libertés, notamment au sein d’une classe coopérative :

  • au moment de leur organisation, il faudra déterminer les modalités d’exercice, les obligations, les limites et les interdits en prenant en compte l’intérêt et la protection de chaque enfant et de tous les enfants, ainsi que les contingences obligées des objectifs de l’école ;
  • au moment de l’examen des transgressions par le Conseil, il faudra éventuellement apporter des restrictions à leur exercice : « Tu ne respectes pas les règles que nous avons décidées pour l’exercice du droit à la parole, tu ne pourras donc plus t’exprimer pendant la suite de cette réunion du Conseil ».

L’application dans les structures éducatives des droits et libertés reconnus aux enfants par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE)

14En 1998, la Commission d’enquête, mise en place par l’Assemblée nationale, pour faire le point sur les droits de l’enfant en France, a précisé que « à la différence de la conception retenue jusqu’alors, (…) le texte [de la CIDE] ne définit plus seulement l’enfant par la seule nécessité d’une protection spécifique. Il pose en principe liminaire que l’enfant est une personne et, à ce titre, lui reconnaît non seulement des droits civils, sociaux ou culturels, mais aussi des libertés publiques, véritables « droits de l’homme de l’enfant » » [6].

15Ces libertés publiques doivent pouvoir s’exercer dans toutes les institutions éducatives. Rappelons qu’en 2001, le Comité des droits de l’enfant a ainsi rappelé à tous les États que « les enfants ne sont pas privés de leurs droits fondamentaux du seul fait qu’ils franchissent les portes de l’école »[7].

16À plusieurs reprises, déjà, nous avons mentionné et souligné l’importance de l’article 12 de la CIDE [8]. Mais il faut également citer et analyser plusieurs autres « droits de l’homme de l’enfant » décrits par la CIDE et les libertés qui en découlent en pratique dans les structures éducatives, au sens large du terme [9].

Liberté d’expression, droit d’exprimer son opinion, droit d’être informé,

Article 13 de la CIDE

1. L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.
2. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires :
  1. au respect des droits ou de la réputation d’autrui ;
  2. à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

17La liberté d’expression est un des fondements de l’éducation nouvelle et de la pédagogie Freinet. L’enfant a droit à la parole. Des moments institués permettent cette prise de parole : l’entretien du matin, encore appelé le « Quoi de neuf ? », les présentations de livres, d’objets, d’images, les conférences, les débats… La parole peut être parole intime et spontanée, parole d’expression et de création, parole citoyenne au Conseil.

18La libre expression peut prendre différentes formes - orales, écrites, graphiques, picturales, gestuelles, théâtrales… - et peut utiliser les technologies modernes.

19Mais avoir le droit d’exercer une liberté, comme, par exemple, dans la diffusion d’un journal scolaire, c’est devoir respecter des règles et assumer la responsabilité de ses actes. Liberté et responsabilité sont indissociables.

Article 17 de la CIDE

Les États parties reconnaissent l’importance de la fonction remplie par les médias et veillent à ce que l’enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale. À cette fin, les États parties :
  1. encouragent les médias à diffuser une information et des matériels qui présentent une utilité sociale et culturelle pour l’enfant et répondent à l’esprit de l’article 29 ;
  2. encouragent la coopération internationale en vue de produire, d’échanger et de diffuser une information et des matériels de ce type provenant de différentes sources culturelles, nationales et internationales ;
  3. encouragent la production et la diffusion de livres pour enfants ;
  4. encouragent les médias à tenir particulièrement compte des besoins linguistiques des enfants autochtones ou appartenant à un groupe minoritaire ;
  5. favorisent l’élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être, compte tenu des dispositions des articles 13 et 18.

20L’accès à des bibliothèques très documentées, la création de revues de presse pour les enfants, l’utilisation d’internet, ont fait entrer le droit à l’information dans la pratique courante des écoles. Pour préparer les exposés et les conférences qu’ils peuvent proposer au Conseil de la classe, les élèves disposent actuellement de moyens de recherche adaptés à leurs besoins.

21L’information étant plus accessible à tous, le débat en classe devient un moyen privilégié pour échanger des arguments sur les sujets de leur choix : le racisme, la faim dans le monde, le travail des enfants, le respect de l’environnement, l’amour, la mort… On y apprend à écouter l’autre, à le respecter en tant que personne, à contester éventuellement son opinion et à lui poser des questions pertinentes. On y apprend aussi à défendre son propre point de vue, à le soutenir avec des arguments solides et à accepter d’être remis en cause.

22Ainsi, chacun se prépare-t-il à être un participant actif aux débats publics dans la société.

Article 12 de la CIDE

Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.

23L’enfant doit donc pouvoir exprimer ses points de vue sur toute activité, procédure ou décision le concernant. Ce qui implique qu’il soit informé, eu égard à son âge et à son degré de maturité, sur les options possibles, les conséquences en découlant, le poids que jouera son opinion. Ceci implique aussi que, dans sa famille, dans son école et dans tous les autres lieux où il vit, on lui offre des espaces pour exprimer son opinion, dans une ambiance de respect, de confiance mutuelle et de liberté, et qu’il soit écouté.

24Plus précisément, ceci implique donc que son « opinion » ne fasse pas l’objet de pressions et de manipulations préalables ou concomitantes, et que celui, celle ou ceux qui la recueillent sachent ou puissent l’en préserver.

25En outre, les enfants sont souvent surpris qu’on leur propose d’exercer cette liberté, à laquelle ils ne sont pas toujours habitués ou qui leur a valu des déconvenues antérieures. Ils sont alors parfois tentés de n’en faire usage qu’avec prudence ou parcimonie, voire en affichant un certain conformisme des propos initialement tenus ou encore, s’ils sont exposés à un conflit de loyauté, en calquant leur point de vue sur celui dont ils pensent que leur interlocuteur est en attente. Autant dire que, lorsque l’environnement institutionnel et/ou familial de l’enfant ne peut lui garantir une vraie neutralité de réception, les conditions du recueil des opinions de l’enfant devront être soigneusement réfléchies.

26En accordant aux enfants le droit d’exprimer librement leur opinion sur toutes les affaires les concernant, la Convention leur reconnaît néanmoins un réel droit de participation, même si celui-ci requiert parfois des précautions éthiques et méthodologiques pour être mis en œuvre. C’est une première reconnaissance de leur citoyenneté, non pas seulement en construction, mais déjà en action.

Liberté d’association, liberté de réunion

Article 15 de la CIDE

1. Les États parties reconnaissent les droits de l’enfant à la liberté d’association et à la liberté de réunion pacifique.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui.

27Sans attendre que l’autorisation leur en soit accordée par leurs tuteurs ou par la loi, les enfants et les jeunes se sont souvent et spontanément auto-organisés, hors des structures instituées, pour réaliser leurs projets, parfois seuls, parfois avec l’aide des adultes, mais en général en disposant de peu de moyens.

28Il s’agit alors d’une association de fait qui ne jouit pas de capacité juridique. Mais ces petites associations, dans lesquelles tous les membres sont individuellement et collectivement responsables, permettent une créativité institutionnelle en matière d’organisation et de fonctionnement démocratiques. Elles sont adaptées à la liberté d’expression, à la circulation de la parole, à la prise collective d’initiative. Elles pourraient donc trouver place dans l’école à l’occasion de projets ponctuels à côté de structures participatives formelles et durables, comme les coopératives scolaires, qui ont une comptabilité légale permettant de recevoir des dons, des subventions, des cotisations et d’organiser des achats et des ventes.

29En 1923, en France, les instructions officielles ont préconisé qu’à l’école, « sous réserve de l’approbation du maître, les écoliers seront appelés à régler eux-mêmes par une entente concertée certains détails de leur vie commune : ils éliront ceux d’entre eux chargés de certaines fonctions, les dignitaires des « coopératives », des mutualités scolaires, des sociétés de gymnastique (…), de toutes les associations qui se constituent à l’école (…). On multipliera les circonstances où l’enfant aura l’occasion de prendre une décision soit par lui-même, soit de concert avec ses camarades ».

30Mais l’association étant un contrat, toute personne doit être dotée de la capacité juridique pour en créer, et notamment pour y exercer les fonctions de président et de trésorier. Or, en France, le mineur est juridiquement incapable de contracter. C’est pourquoi la Fédération nationale des Francas propose aux enfants et aux jeunes la possibilité de créer une Association temporaire d’enfants citoyens (ATEC) [10] qui, sur une durée limitée, leur offre la possibilité de réaliser un projet collectif. Une fois l’action réalisée, l’ATEC est dissoute. Cette participation, accompagnée par des adultes-tuteurs, favorise la réussite du projet, tout en permettant l’acquisition progressive de compétences démocratiques et citoyennes et l’expérience de la responsabilité avec une prise de risque minimale.

Liberté de pensée, de conscience et de religion

Article 14 de la CIDE

Les États parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Les États parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des responsables légaux de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités.
La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui.

31En décembre 1989, un proviseur lance la première « Affaire du voile » en refusant de scolariser deux jeunes lycéennes. D’autres jeunes filles sont exclues par le Conseil de discipline de leur établissement en application du Règlement intérieur. Des recours sont présentés devant des tribunaux administratifs afin que soit examinée la légalité du Règlement et des décisions prises. La liberté de manifester sa religion devient une affaire nationale.

32Le Conseil d’État est finalement saisi et rend, le 27 novembre 1989, un avis qui apporte des précisions importantes qui valent pour l’exercice de ce droit à l’école, mais aussi pour les libertés en général. Il en ressort que le port, par les élèves, de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses.

33Toutefois ce droit ne doit porter aucune atteinte ni à la liberté d’autrui, ni aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité. Les missions de l’école doivent être respectées. Celles-ci consistent à permettre à tous les enfants de développer leur personnalité, de se préparer à leur vie professionnelle et à leurs responsabilités d’homme ou de femme et de citoyen(ne), et d’apprendre le respect des droits de l’homme.

34La loi du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » a par la suite précisé que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».

35Un droit doit être respecté, mais son exercice a des limites qui ne sont pas négociables. Dans chaque établissement, son exercice doit faire l’objet d’une réglementation qui en fixe les modalités d’application. Celles-ci figurent dans le Règlement intérieur, voté par le Conseil d’administration dans les collèges et lycées et par le Conseil d’école dans les écoles primaires. Le Règlement intérieur devient donc à cet égard un texte juridique, la « loi de l’école », soumis au contrôle de légalité.

Protection de la vie privée

Article 16 de la CIDE

Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
L’enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

36L’enfant a droit au respect de sa vie privée et de celle de sa famille. Ce droit interroge l’éthique de l’enseignement et la déontologie de l’enseignant. Dans sa relation à l’enfant, celui-ci doit éviter de porter des avis négatifs sur sa famille, devant l’enfant comme devant sa classe. Or les remarques blessantes, que ni l’exaspération ni même le désarroi ne sauraient excuser, continuent trop souvent d’être formulées : « si tes parents t’aidaient pour tes devoirs au lieu d’aller se promener le dimanche (ou encore : s’ils t’envoyaient te coucher plus tôt, s’ils lisaient mes mots sur le carnet de correspondance et répondaient à mes convocations, etc.) ça marcherait mieux ! »

37Lors des entretiens du matin, les enfants peuvent s’exprimer librement. En ces circonstances, ou en d’autres de la vie de classe, il leur arrive de raconter en toute confiance des évènements de leur vie familiale et donc de les révéler à la connaissance de tous. Il faut alors faire preuve d’une grande attention pour que des jugements ne soient pas portés non seulement par l’enseignant, mais aussi par les autres enfants.

38Il existe cependant des limites à la protection de la vie privée au sein d’une structure éducative. Des limites relatives : parfois les faits librement exposés par les enfants touchent à des valeurs éducatives discutables ou aux préjugés préoccupants de la famille. C’est ainsi que, dans une classe « maternelle », un petit garçon rapporte : « Mon père m’a dit : tu ne te marieras pas avec Anissa, parce que c’est une arabe ! Il n’y aura pas de sale Arabe à la maison ».

39Le respect des différences culturelles se heurte ici à l’obligation de l’enseignant d’éduquer contre le racisme. Des limites absolues, aussi : il arrive parfois que des violences physiques ou sexuelles soient évoquées ou révélées. Le Code pénal fait alors obligation – civique, et pas seulement professionnelle – à tout adulte ayant recueilli ces propos d’en aviser sans délai le procureur de la République.

40Lorsque les enfants ont connaissance de leur droit à la protection de la vie privée, ils interrogent souvent les pratiques des adultes avec qui ils vivent ou qu’ils côtoient :

  • dans la famille : « Ma mère a-t-elle le droit d’ouvrir mes lettres ? » ;
  • à l’école : « Le maître a-t-il le droit de fouiller dans mon cartable quand quelqu’un a volé quelque chose ? » ;
  • dans les centres de vacances et les institutions éducatives avec internat : « L’animateur a-t-il le droit d’entrer dans ma chambre et de fouiller dans mes affaires quand je ne suis pas là ? ».

41Ce sont des questions qui, nous rappelle le magistrat Daniel Clouet, exigent une réponse en droit. « Qui songe, par respect pour le droit à l’intimité, à frapper avant d’entrer dans la chambre d’un adolescent ? Qui songe, en pénétrant dans une telle chambre en l’absence de son occupant, qu’il n’a théoriquement le droit de le faire et d’y inspecter que pour d’impérieuses raisons de sécurité des personnes ou des biens, ou de strictes raisons pédagogiques, car il entre dans un domicile dont le caractère inviolable est garanti constitutionnellement ? »[11].

42Les adultes doivent respecter les droits et libertés de l’enfant, faciliter leur mise en œuvre, mais ils ne sont pas pour autant exonérés, comme nous venons de le voir, de leur devoir de protection. Dès lors :

  • comment concilier ces deux exigences apparemment contradictoires ?
  • comment porter une grande attention à l’enfant au nom de sa fragilité et d’une protection nécessaire sans le maintenir dans une dépendance excessivement sécurisante ?
  • comment établir un équilibre entre la pratique de la liberté qui impose des limites et l’autorité nécessaire de l’éducateur pour les faire respecter ?

43Le problème qui se pose à l’éducateur n’est pas simple à résoudre, entre autorité/protection et liberté/autonomie (on retrouve ici le dilemme tenir la main, lâcher la main). Il aura donc à demeurer attentif et vigilant, « l’intérêt supérieur de l’enfant » étant la référence sur laquelle appuyer chacune de ses décisions.

L’exercice au quotidien des droits et des libertés

44Les observations que nous avons menées dans ou à propos de différentes classes montrent que, pour la plupart des enseignants, soucieux du bon fonctionnement des activités, ce sont les obligations et les interdits qui priment dans les règles qu’ils décident unilatéralement :

  • « Tu dois lever la main pour parler et attendre d’être interrogé » (cette obligation ne prend tout son sens que si elle est référée au respect de la parole de chacun) ;
  • « Tu ne dois pas parler à ton voisin pendant les exercices » (cet interdit est non seulement arbitraire, il est aussi pédagogiquement discutable dans la mesure où il est en réalité porteur d’un interdit plus général de coopération).

45Or, dans une démocratie, c’est le droit qui fonde le devoir ou l’obligation. Les lois ne précèdent pas les droits, elles en permettent l’exercice.

Respecter les principes du droit

46Au sein de l’État de droit, la liberté est définie, organisée et garantie par la loi. Elle peut faire l’objet d’un aménagement, être limitée, mais nul ne peut la supprimer.

47On distingue généralement trois régimes différents pour l’exercice des libertés.

48Le régime répressif : contrairement à ce que suggère sa terminologie, il est considéré comme le plus favorable aux libertés. Chaque individu peut exercer librement son activité, sans en informer les autorités administratives. Le contrôle s’exerce a posteriori, en application du principe selon lequel la liberté est la règle et l’interdiction l’exception. Mais les abus de la liberté, le non-respect des limites et restrictions prescrites par la loi peuvent entraîner une répression.

49Le régime préventif ou d’autorisation préalable : il confie à l’autorité administrative le soin d’autoriser ou de refuser la possibilité d’exercer une liberté, selon deux modes d’autorisation :

  • soit l’administration est tenue d’autoriser l’exercice du droit dès lors que la personne remplit les conditions fixées ;
  • soit elle a le choix, de manière discrétionnaire, d’accorder ou non l’autorisation demandée.

50Parfois cette autorisation est liée à l’attestation d’une compétence, d’une capacité à exercer un droit : c’est le cas, par exemple, de la conduite d’un véhicule.

51Le régime déclaratif : il implique l’obligation d’effectuer une démarche auprès de l’administration, mais celle-ci ne dispose pas du pouvoir de refuser la déclaration. Tel est le cas, par exemple, pour l’exercice de la liberté de la presse (loi du 29 juillet 1881) et pour le droit d’association (loi du 1er juillet 1901).

52En application de ce modèle, l’un d’entre nous a créé et expérimenté, avec les élèves de sa classe, puis avec des stagiaires de l’IUFM et des éducateurs spécialisés d’un Centre de formation, une grille d’élaboration des règles qui a ensuite été expérimentée dans des familles.

53Au cours de nos expérimentations, nous avons constaté que, en partant de la liberté et du droit et en définissant ensemble les modalités de son exercice, chacun - enfant et adulte - comprend mieux la réciprocité entre droits et devoirs, entre libertés et obligations, et les limites posées. La nécessité pour chacun de les respecter n’apparaît plus comme une contrainte imposée, mais comme la condition pour que chacun puisse exercer pleinement ses libertés individuelles, dans les limites imposées par la vie dans un groupe ou une collectivité.

figure im1

Faire fonctionner notre modèle : modalités générales

54Notre modèle peut fonctionner à chaque fois que dans la classe, l’école, la famille ou une autre structure, on affirme que chacun a le droit de… : droit d’être en sécurité, droit d’être respecté, droit de parler, droit de se déplacer, droit de s’instruire, droit d’être au calme, droit d’être aidé, droit de jouer…

Choisir un système d’exercice de la liberté

55Dans un premier temps, pour chaque liberté ou droit concerné, il est nécessaire de s’interroger sur le choix d’un système d’exercice de la liberté, en tenant compte de différents facteurs : âge des enfants, maturité sociale, contexte…

56Allons-nous permettre l’exercice libre de la liberté sans contrôle préalable des capacités des enfants à l’exercer ?

57Si nous lions l’exercice de la liberté à l’acquisition de la capacité à l’exercer, comment et par qui seront déterminés les critères pertinents permettant d’obtenir une attestation de capacité ? Selon quelles modalités sera-t-elle attribuée ? Comment sera-t-elle le cas échéant matérialisée : permis, brevets, ceintures… ?

58Par souci de sécurité et de contrôle, cette liberté ne pourra-t-elle s’exercer qu’avec l’autorisation de l’adulte ou d’un responsable choisi parmi les enfants ou les jeunes du groupe ? Si l’enfant peut exercer librement la liberté, devra-t-il cependant signaler qu’il va l’exercer, comme, par exemple, lorsqu’il sort du groupe pour aller dans un autre lieu ?

Fixer les obligations et les limites

59Entre autoritarisme et laxisme, nous préférons choisir la voie démocratique. Nous considérons qu’aucune liberté ne peut s’exercer de manière absolue. Les exigences de la vie en collectivité et le respect du droit des autres nous amènent à fixer des restrictions à son exercice, qui devront être respectées.

60En pratique, nous devons aussi tenir compte de ce qu’une liberté peut s’opposer à une autre. Ainsi, la liberté d’aller et venir s’oppose-t-elle dans certains cas au droit à la sûreté.

61Nous considérons donc comme nécessaire de fixer des limites, des repères, d’indiquer clairement ce qui est possible et ce qui est interdit. Mais il est parfois difficile de savoir où fixer la barrière entre le permis et l’interdit. D’autant que, par exemple, l’observation de l’exercice du droit à la parole ou encore de la liberté de circulation dans les classes coopératives et dans les écoles où fonctionnent ces classes montre que les premières autorisent souvent ce que les secondes interdisent. Or, pour être structurantes, les limites impliquent que les adultes soient persévérants et cohérents.

62Pour se construire, les enfants ont en effet besoin d’adultes référents, sur lesquels ils puissent s’appuyer, mais aussi de repères stables, pour savoir jusqu’où ils peuvent aller. Les enfants remarquent donc très vite, dans les lieux collectifs, si les adultes ont ou non la même appréciation et la même réaction lorsque les interdits sont transgressés.

63L’apprentissage de la limite est un impératif dans la construction sociale de l’enfant, dans sa compréhension du sens de la liberté. Mais selon quels critères justifier les restrictions apportées au libre exercice d’un droit ?

64Au cours des réflexions menées avec des enseignants, des éducateurs et des animateurs, nous avons repéré un certain nombre d’exigences liées à des principes, des lois, des obligations ainsi qu’aux finalités et aux objectifs des diverses structures.

651. Le respect de la loi : chacune des libertés accordées à l’enfant par la CIDE est accompagnée des restrictions qui sont prescrites par la loi et nécessaires dans une société démocratique : les droits et les libertés d’autrui, la sauvegarde de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, la protection de la santé ou de la moralité publiques. Elles s’appliquent évidemment à tous les autres droits reconnus aux enfants.

662. Le respect du droit des autres à exercer cette même liberté : l’obligation de réciprocité s’impose à tous. Je n’ai de droits que parce que les autres ont les mêmes.

673. Le droit à la sécurité de l’enfant et l’obligation de protection faite aux éducateurs : l’enfant doit être protégé contre les agressions et les risques qui peuvent mettre en danger sa personne. Nous avons vu qu’entre liberté et protection, deux impératifs apparemment contradictoires, le dilemme n’est pas simple à résoudre.

684. Le droit à l’enfance : l’enfant est un être en développement. Ses compétences cognitives et sociales, nécessaires pour exercer une liberté et en comprendre les limites, sont en construction. Il a droit au tâtonnement expérimental social et à l’erreur. Il a aussi droit à une certaine insouciance. Les responsabilités liées à l’exercice d’un droit, et dont il peut avoir à répondre devant le groupe, ne doivent pas être trop pesantes pour lui.

695. Les finalités et les objectifs de l’école engagent la responsabilité pédagogique et éducative de l’enseignant : l’adulte est le garant des droits reconnus à l’enfant, du respect de sa personne, des principes fondamentaux du droit, des valeurs qui fondent une relation de dialogue, de coopération, d’entraide, de solidarité. C’est le champ du non négociable.

706. Les exigences propres aux différentes activités : chaque activité, qu’elle soit d’apprentissage, d’expression libre, d’atelier…, implique des exigences particulières pour pouvoir bien se dérouler. Par exemple : le droit à la parole ne s’exercera pas selon les mêmes modalités, ni les mêmes limites, pour une activité collective et une activité en petits groupes.

Préciser les procédures disciplinaires et les sanctions

71Dans une école ayant décidé de mettre en place une participation démocratique des enfants ainsi que l’exercice de leurs droits et de leurs libertés, l’apprentissage des relations sociales démocratiques, du sens et des conséquences de leurs comportements ne peut être que progressif.

72Le « « Règlement type départemental des écoles maternelles et élémentaires publiques » [12] du 9 juillet 2014 indique qu’« il est particulièrement important d’encourager et de valoriser les comportements les mieux adaptés à l’activité scolaire : calme, attention, soin, entraide, respect d’autrui. La valorisation des élèves, leur responsabilisation dans la vie collective sont de nature à renforcer leur sentiment d’appartenance à l’école et à installer un climat scolaire serein ».

73Les comportements perturbateurs, l’atteinte à l’intégrité physique ou morale des autres enfants et des enseignants, les manquements aux limites et obligations que le Règlement intérieur a précisés doivent toutefois recevoir une réponse ayant pour objectif de permettre à l’enfant de prendre conscience de ses actes, de devenir plus responsable au sein de la collectivité, mais aussi d’apprendre que toute transgression sera sanctionnée afin d’assurer la pérennité de la loi.

74Le « Règlement type départemental » rappelle que, conformément à l’article 28 de la CIDE, la discipline scolaire doit être « appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention ». Le Règlement intérieur de l’école doit certes indiquer que « tout châtiment corporel ou traitement humiliant est strictement interdit » ; mais il devrait préciser aussi, selon notre conception d’une discipline éducative et participative, quelles procédures disciplinaires et quelles sanctions pourront être utilisées.

75En tout état de cause, un principe doit être retenu : nul - qu’il s’agisse de l’enseignant, du Conseil de la classe coopérative ou de toute autre instance - ne pourra prononcer de sanction non inscrite au Règlement intérieur. Ainsi, pourront être évités tant les actes arbitraires parfois imaginés et imposés par les adultes que les punitions expiatoires souvent proposées par les enfants. En cas de non-respect de ce principe, les enfants doivent pouvoir faire recours auprès d’une instance de médiation, personne ou Commission, prévue par le Règlement intérieur.

76Pour Eirick Prairat, quelques orientations générales peuvent permettre de dessiner une véritable sanction éducative [13] :

  • dans un espace éducatif, il n’y a de responsabilité qu’individuelle : des sanctions collectives ne pourront donc pas être prononcées ;
  • la sanction doit être individualisée et prendre en compte le cas particulier de l’élève incriminé : un même fait commis par deux élèves peut conduire à donner deux punitions distinctes ;
  • la sanction porte sur des actes : on sanctionne un coupable pour son acte et non la personne au motif et par le biais d’une infraction ;
  • la sanction elle doit rester proportionnelle au manquement constaté à la règle ;
  • la sanction peut être la privation de l’exercice d’un droit : privation d’usage, interdiction »d’activité, mise à l’écart temporaire. Mais cette sanction ne peut avoir de réalité que « dans un espace marqué au sceau de la loi, espace politique où les droits et les obligations sont publiquement énoncés » ;
  • la sanction ne doit pas être une pure passivité, elle doit comporter une part d’activité, être accompagnée d’une mesure de réparation. « Celui qui manifeste le désir de réparer est en position de responsabilité par rapport à ses actes. Il les reconnaît et les assume au point de vouloir les annuler ».

77À l’intérieur de la collectivité, chaque classe, chaque groupe, élabore aussi ses propres règles de vie. Décidées ensemble, elles constituent un contrat de vie commune dont les adultes sont garants.

78Toutes les formes de violence physique ou verbale, toute attitude humiliante, vexatoire ou dégradante à l’égard des enfants, toute sanction collective étant proscrites, le champ est ouvert pour organiser une discipline éducative, respectueuse de la dignité des enfants et de leurs droits, avec leur participation active.

Prévoir les modalités d’intervention en cas de transgression grave et/ou de violence

79Les enseignants se trouvent souvent confrontés à des faits perturbateurs (paroles, déplacements et comportements gênants, non-respect des règles de vie communes…) et à des actes de violence (agression contre les personnes et les biens) qui les mettent en situation de devoir intervenir.

80La plupart du temps, une intervention verbale, par exemple, le rappel de la règle, suffit pour amener le « transgresseur » à changer de comportement. Mais parfois il s’y refuse. Les enquêtes que nous avons menées et les récits qui nous été confiés témoignent de ce que la plupart des enseignants et des parents sont amenés, occasionnellement, à faire usage de la force, et qu’ils considèrent cette action comme parfois nécessaire : « Il est des moments où l’enfant a besoin d’être arrêté ou contenu physiquement parce qu’il franchit des limites inacceptables pour lui ou pour l’entourage et que les paroles s’avèrent sans effet sur lui ».

81Cependant, sur le plan éducatif, il peut paraître contradictoire d’user de la force pour faire respecter les limites posées et, dans le même temps, de tenter de faire naître un groupe fondé sur le respect de la personne, le dialogue, la compréhension, l’entraide et le droit. Mais comment faire ?

82L’étude de cette question à l’école [14] nous a permis de faire une distinction entre deux temps successifs, et donc deux situations et deux procédures distinctes :

  • la procédure d’arrêt d’une transgression, qui constitue un acte de police ;
  • la procédure de la sanction, conséquence de cette transgression, qui relève d’un acte de justice.

83Le « Règlement départemental des écoles élémentaires et maternelles publiques » du 9 juillet 2014 n’autorise pas les enseignants à user raisonnablement de la force pour faire cesser une bagarre, « éloigner » un élève perturbant sérieusement la classe ou arrêter des actes de vandalisme. L’intervention physique n’est pas prévue. Alors « comment agir en totale conformité avec le respect des droits de l’homme et agir efficacement pour résoudre des cas urgents » ? Cette question, qui est posée à la police, se pose aussi aux enseignants.

84La consultation des devoirs généraux qui s’imposent aux fonctionnaires de police amène à dégager quelques points qui pourraient constituer la base d’une déontologie des enseignants (et des éducateurs) en la matière :

  • l’enseignant (ou l’éducateur) doit agir en conformité avec le respect des droits de l’enfant dont l’intérêt supérieur doit être une considération primordiale (article 3 de la CIDE) ;
  • il doit intervenir pour porter assistance à toute personne en danger, pour prévenir ou faire arrêter tout acte de nature à troubler l’ordre nécessaire aux activités de l’école (ou de la structure éducative) et pour protéger les élèves et la collectivité des atteintes aux personnes et aux biens ;
  • lorsqu’il est autorisé par la loi à utiliser la force, il ne peut en faire qu’un usage raisonnable, strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre, les coups demeurant strictement interdits.

85Un professeur ayant fait l’objet de poursuites pénales, en 2001, pour être intervenu physiquement afin de protéger un élève et de maintenir l’ordre, l’un de nous a fait parvenir ces considérations à Jack Lang, alors ministre de l’Éducation nationale, assorties du « souhait qu’une réflexion soit menée afin de trouver des réponses respectueuses du droit dans le cadre d’une discipline éducative ».

86Dans sa réponse [15], le Ministre a reconnu qu’« il s’agit d’une question délicate qui met en évidence les difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants dans l’exercice de leurs fonctions, en particulier lorsqu’il s’agit de maîtriser des comportements violents, sans avoir soi-même recours à la violence ».

87Mais, tout en disant comprendre l’inquiétude des professeurs, il s’est contenté de rappeler « qu’il appartient au juge pénal d’interpréter et d’appliquer la loi » et que lui-même n’était pas « habilité à intervenir de quelque manière que ce soit pour limiter son pouvoir d’appréciation ». On ne peut que s’étonner de cette réponse ministérielle, et la considérer comme une fuite devant une situation fréquente à laquelle le ministre a le devoir d’apporter des solutions spécifiques.

88Confronté au même type de problème, un Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP, ex-Institut de rééducation psychothérapeutique) accueillant des enfants et des adolescents dans des classes et en internat, a inscrit dans son Règlement intérieur : « Les châtiments corporels sont interdits, mais il convient de ne pas confondre un châtiment corporel avec la nécessité d’intervenir exceptionnellement en empêchant physiquement un ou plusieurs enfants ou adolescents de se mettre en danger ou de poursuivre des actes de violence ou de vandalisme ».

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89Depuis le 13 juillet 2004, une circulaire du ministère de l’Éducation nationale, relative aux « risques particuliers à l’enseignement de l’EPS [éducation physique et sportive] et au sport scolaire » dans les établissements primaires et secondaires, a ouvert des perspectives, puisqu’elle précise en ce qui concerne les « contacts corporels » que, « lorsqu’il est confronté aux conflits au sein de la classe, l’enseignant doit intervenir, y compris si nécessaire en s’interposant physiquement, afin de préserver l’intégrité physique des élèves. Il doit pouvoir exercer sa responsabilité en veillant à éviter tous sévices corporels sur les élèves ».

90C’est là une avancée indéniable, mais elle n’a pas été généralisée à toutes les activités scolaires. On ne peut donc que conseiller aux Conseils d’école et aux Conseils d’administration des collèges et des lycées d’inscrire cette possibilité dans les Règlements intérieurs, en précisant les cas qui relèvent d’une intervention physique éventuelle et ses modalités d’application.

Faire fonctionner notre modèle : le cas du droit à la parole

91En nous appuyant sur notre modèle général d’élaboration des règles, l’un de nous a créé, avec des stagiaires d’IUFM, un modèle spécifique qui a pu être expérimenté durant les sessions de formation et dans les classes.

92Ce modèle nous a permis de fixer les modalités d’exercice du droit de chacun à s’exprimer, l’organisation de l’animation, les obligations, les limites et les procédures de traitement des transgressions, et ceci pour différents moments de parole : activité collective, travail de groupe, travail individuel.

93Nous avons constaté qu’il était nécessaire de :

  • fixer les obligations de celui qui parle et de ceux qui écoutent ;
  • déterminer les modalités concernant : les personnes ; la prise de parole (la durée de la prise de parole, la puissance de la voix …) ; l’animation et la régulation ; l’organisation matérielle ; l’organisation institutionnelle.

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Démarche utilisée

94Après une présentation des principes, de notre modèle et de la fiche, nous demandons aux enfants ou aux stagiaires et étudiants de réfléchir d’abord en petits groupes, afin de présenter au collectif une proposition sous forme d’affiche. Ensuite, en grand groupe, chaque équipe expose sa proposition, les difficultés rencontrées et les points de vue différents. Après un débat et le choix d’une procédure de décision, nous élaborons « notre loi » et des modalités d’application qui pourront évoluer au fil de nos analyses institutionnelles.

95Contrairement à ce qui se passe avec les enfants, deux questions suscitent presque toujours des confrontations animées entre les adultes :

  • faut-il mettre en place une modalité pour prendre la parole ?
  • les apartés seront-ils considérés comme des transgressions ? À titre indicatif, voici les modalités et règles d’exercice du droit à la parole instituées par un groupe d’étudiants éducateurs spécialisés.

En grand groupe

Celui qui parle a le droit de s’exprimer et d’être entendu.
L’intervenant précise les modalités d’organisation de son intervention.
Les membres du groupe qui désirent prendre la parole la demandent en levant la main et attendent que l’animateur leur donne son accord.
Ils ne monopolisent pas la parole.
Chacun doit être présent et participatif. Il fait preuve d’écoute. Il ne coupe pas la parole de l’autre et il respecte sa personne et ses opinions : pas de moqueries, pas de violences verbales.
Trangressions
Seront considérées comme transgressions le fait de ne pas respecter les obligations et les règles ci-dessus listées, et notamment :
  • prendre la parole de façon intempestive ;
  • couper la parole ;
  • monopoliser la parole ;
  • gêner l’intervenant ou ceux qui écoutent.
Interventions
Rappel de la règle par l’animateur ou un membre du groupe :
  • avertissement oral ;
  • l’animateur signale l’impossibilité de continuer.
Traitement de la transgression
En cas de perturbation ne pouvant être régulée par l’animateur, le problème est porté devant l’ensemble du groupe qui recherche une solution :
  • aide ;
  • avertissement ;
  • sanction.

96Au cours de nos travaux avec différents groupes de stagiaires et d’étudiants, avec des dispositifs pédagogiques diversifiés, nous avons constaté que le respect des modalités et des règles décidées ensemble n’a jamais posé d’importants problèmes. Un simple rappel des décisions communes a toujours suffi aux animateurs, enseignants ou étudiants, pour obtenir le calme et l’écoute.

Analyse de l’élaboration d’une règle dans une classe

97Au cours de son stage en responsabilité, une stagiaire, soucieuse de faire participer activement les enfants à la vie de la classe, leur a proposé d’élaborer ensemble un règlement, dont nous ne retiendrons que la partie consacrée à la parole. Les enfants travaillent en groupes, élaborent des propositions et les présentent ensuite au cours d’une mise en commun collective. Elles sont au nombre de quatre :

  • lever le doigt avant de prendre la parole ;
  • ne pas couper la parole ;
  • on lève le doigt pour prendre la parole ;
  • si on ne lève pas le doigt, on copie un texte de trois pages pendant la récréation.

98Ces propositions ne sont redondantes qu’en apparence, puisque, à les examiner de près, elles distinguent finement la réglementation (première et quatrième propositions) et l’intentionnalité (deuxième et, surtout, troisième propositions) de la prise de parole individuelle dans le groupe classe.

99L’enseignante a peut-être repéré la complémentarité et, au fond, la complexité de l’ensemble de ces formulations. Toujours est-il qu’elle ne semble pas les avoir relevées, ce qui lui aurait alors permis de les soumettre à la poursuite du débat et aux éclairages qu’elles auraient pourtant nécessitées avec et entre les enfants. Elle se concentre en revanche sur les seuls aspects réglementaires et propose de son côté : « lever le doigt pour prendre la parole et attendre d’être interrogé ».

100Après discussion, une décision est prise par vote : « Pour intervenir, je lève le doigt et j’attends d’être interrogé ». Lorsque le règlement est adopté, elle l’affiche et tous le signent. Mais, une fois le règlement signé, un enfant lui demande  : « Maîtresse, si tu signes le règlement, ça veut dire que tu vas devoir lever le doigt avant de parler ? ». Elle précise alors aux enfants que si elle a signé le règlement, c’est parce qu’elle s’engage à le faire appliquer et non à l’appliquer elle-même dans ses dispositions. Pour elle, « il est bien évident que le règlement s’impose à l’enseignant, non dans son contenu, mais pour en faire assurer le respect ».

101Cette tentative suscite plusieurs remarques. Nous sommes bien en présence, ici, d’une réelle démarche participative, puisque chaque enfant a pu émettre des propositions et participer au débat, même insuffisamment approfondi, et à la prise de décision collective.

102Or, comme le soulignait Jean Piaget, « en devenant législateur et souverain, l’enfant prend conscience de la raison d’être des lois. La règle devient pour lui condition nécessaire de l’entente »[16]. L’ensemble des règles constitue donc un contrat de vie commune qui engage chacun, y compris l’adulte. Par sa signature, chacun est devenu responsable de ses actes devant le groupe. Les règles discutées, élaborées et votées par tous sont devenues « les lois de la classe ». Affichées, connues de tous, elles doivent être respectées et l’enseignante s’en porte garante.

103Nous pouvons en revanche nous interroger sur la formulation, manifestement induite par l’enseignante, de la règle de prise de parole. Si « pour intervenir, je lève le doigt » est bien de l’ordre de l’exercice d’un droit, « j’attends d’être interrogé » renvoie à une pratique pédagogique classique où la prise de parole dépend moins d’une règle collective que de la seule décision de l’enseignante et où, le plus souvent, l’objectif essentiel de celle-ci visera le contrôle de la participation et, surtout, des connaissances de l’enfant.

104Les enfants avaient pourtant laissé entendre que l’intention, manifestée par le lever de doigt, de demander et de prendre la parole pouvait avoir des motivations et des significations plus complexes que la seule participation volontaire au contrôle des connaissances. Par exemple : faire une proposition, émettre une idée nouvelle, poser une question « hors programme », etc.

105Cet exemple montre que nous devons être très attentifs aux formulations retenues. Celles-ci doivent être conformes aux principes que nous voulons promouvoir. En l’occurrence, la décision prise par l’enseignante de ne pas s’appliquer à elle-même la règle votée – décision unilatérale dont l’explicitation a été provoquée par la… prise de parole, intelligente et audacieuse, d’un enfant - nous interroge aux niveaux juridique et éducatif.

106Au niveau juridique : l’école doit respecter les principes fondamentaux du droit. Même si une règle élaborée et adoptée par un Conseil d’enfants n’a pas un statut de loi qui s’impose à tous, l’enseignante, en décidant de se placer en situation d’ »autorité » seulement chargée de faire respecter le règlement, ne reconnaît pas la règle comme « générale et impersonnelle ».

107« La règle ne s’applique pas à l’autorité qui la fait appliquer » peut alors devenir un principe que les enfants finissent par intégrer. C’est ainsi que, lors de la Journée nationale des droits de l’enfant, en 1997, à Nantes, une commission de délégués de Conseils d’enfants a témoigné de ce que les élèves reconnaissaient aux enseignants la possibilité d’avoir des « droits » qui leur sont interdits à eux-mêmes :

  • arriver en retard sans punition ;
  • aller aux W.C. sans demander ;
  • boire dans la classe ;
  • se déplacer tout le temps dans la classe et dans d’autres salles ;
  • déchirer les feuilles ;
  • crier (quand quelqu’un les énerve) ;
  • boire du café.

108Se référant à leurs vécus et à leurs observations, les enfants accordent donc aux enseignants un statut particulier, une certaine toute-puissance qui leur confère des droits spécifiques.

109Au niveau éducatif : à l’école, les enseignants sont vécus par les enfants comme des modèles identificatoires. L’apprentissage de la citoyenneté passe donc par l’exemple. Leurs attitudes, même si elles semblent acceptées par les enfants, sont souvent pointées comme des modèles de non-exemplarité, notamment à leur égard : « on nous demande de respecter des principes, des lois et des règles que les adultes ne respectent pas toujours », font-ils remarquer lorsqu’ils se sentent en sécurité pour le faire.

110C’est ainsi que les enfants, délégués d’une école, qui avaient voté et faisaient appliquer une règle de propreté de la cour ont demandé lors d’un Conseil : « Est-ce qu’on doit aussi ramasser les mégots des maîtres ? »

111Nous pensons que le Règlement, adopté par tous, s’impose à tous. Tant que les enseignants ne s’appliqueront pas à eux-mêmes la discipline qu’ils demandent aux enfants de respecter, tous vivront dans la contradiction. Seule la rigueur avec laquelle les enseignants se plieront aux lois communes leur permettra d’être exigeants avec les enfants et légitimera qu’une réponse soit donnée à toutes les transgressions. Leur pratique doit être cohérente avec les valeurs et les principes qu’ils défendent, même si cette nécessité est parfois difficile à respecter.

112En toutes circonstances, l’écoute attentive de ce que veulent « vraiment » dire les enfants lorsqu’ils se sentent « vraiment » encouragés à s’exprimer est de nature à éclairer et à motiver les enseignants, les éducateurs, les parents et les autres adultes en cas de doute sur la nécessité de cette cohérence.

Les déclinaisons du droit à la parole

113Affirmer le droit à la parole est un acte fondateur. Il est ensuite important de faire préciser par les enfants les déclinaisons de ce droit fondamental.

114Dans le cadre de l’élaboration de la Charte des droits des écoliers de Nice VIII, initiée par Jacques Jourdanet, inspecteur de la circonscription, et déjà évoquée [17], les déclinaisons suivantes de ce droit à la parole, telles que proposées par les enfants, ont été retenues :

  • être écouté dans le silence, sans être interrompu, quand j’ai la parole ;
  • écouter dans le calme les enfants comme les adultes ;
  • répondre à l’adulte sans être considéré comme impertinent, si je reste poli ;
  • parler du travail avec mes camarades ;
  • chuchoter avec mes camarades, en particulier avant de passer à un autre travail ;
  • m’exprimer, donner mon avis librement ;
  • participer à des débats oraux en classe ;
  • parler à voix basse pendant le repas ;
  • être interrogé autant que chacun de mes camarades ;
  • manger sans être gêné par le bruit.

115Francis Imbert, dans un ouvrage déjà mentionné [18], a superbement analysé les enjeux pédagogiques, anthropologiques et politiques de la parole et de l’écoute de l’enfant, notamment à l’école, et donc du droit qui les institue. Nous souhaitons, avant de conclure ce chapitre, citer certains de ses propos. « Entendre la parole des enfants ? Ce n’est pas si simple. Le métier [d’enseignant] ne donne guère l’habitude de recevoir des messages issus de sources non habilitées à produire du sens. Il tendrait au contraire à exclure, comme par postulat, l’éventualité d’une équivoque et d’une confusion. Il est proprement stupéfiant de découvrir un jour que « nos petits écoliers » sont capables de parler, tels des « personnes »… ce qui est vrai de l’enfance l’étant par ailleurs de l’adulte dominé. » (…) « La difficulté, en ce qui concerne l’enfance, est qu’il ne s’agit pas de retrouver un pouvoir qu’elle aurait perdu mais plutôt de se demander si l’enfant d’aujourd’hui ne serait pas porteur d’une parole encore jamais entendue. » (…) « C’est à la condition de ne pas se couper de l’enfance et, pour commencer, de cesser de se défendre contre l’enfant en lui, que l’adulte peut se laisser atteindre par la parole des enfants et, en retour, lui répondre ».

116Dans des villes de plus en plus nombreuses, la démocratie participative se construit. Être citoyen, c’est y faire entendre son avis, proposer des projets et des solutions aux problèmes, s’associer aux débats et aux prises de décision et assumer des responsabilités dans leur mise en œuvre.

117La Charte-agenda mondiale des droits de l’Homme dans la Cité a su affirmer, pour la première fois dans un texte international, le droit à la démocratie participative.

118Dans les expériences mises en œuvre, les enfants devront être associés aux décisions qui les concernent. Mais le « métier de citoyen participatif » exige compétences, engagement, prise de conscience des responsabilités et de leurs implications, sens de l’action solidaire et coopérative, maîtrise des techniques qui concourent à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation d’un projet démocratique.

119Un apprentissage est donc nécessaire. Citoyen, l’enfant doit donc devenir citoyen par la pratique même de cette citoyenneté. En pariant sur les capacités des enfants, guidés et soutenus par les adultes, à organiser eux-mêmes leur vie et leur travail, à assumer des responsabilités, en leur permettant de donner leurs avis individuellement et collectivement au sein d’institutions démocratiques, en créant les conditions pour qu’ils puissent réellement exercer les libertés publiques qui leur sont reconnues, en les faisant participer à la mise en place d’une discipline éducative, les enseignants, mais aussi les parents et les autres éducateurs du quotidien, peuvent permettre à tous les enfants de devenir des citoyens libres, autonomes, responsables, capables d’être les membres actifs d’une société démocratique.

120La démocratie participative à l’école n’est plus une utopie, même si les interrogations et les controverses demeurent nombreuses. Cependant, les actions initiées et menées en ce sens ne peuvent pleinement réussir que si elles sont aussi mises en œuvre dans les familles, les centres de loisirs et les autres structures éducatives de proximité, et plus généralement dans la Cité, et si elles sont appuyées par un engagement confiant et déterminé des pouvoirs publics. Les chapitres qui suivent vont s’attacher à éclairer ces perspectives.


Démocratiser les relations éducatives La participation des enfants et des parents aux décisions familiales et collectives

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121Sommaire

122Introduction

1231 – Les évolutions de la place des enfants dans les familles et dans la société

1241.1 - La place des enfants dans des familles remaniées par les mutations de leurs structures, de leurs rôles et de leurs fonctionnements

125Les principales évolutions des structures familiales

126Les familles, plus petites collectivités locales de la République

127Protéger, socialiser, transmettre, instruire, former, émanciper : des missions partagées de fait entre les familles et les institutions éducatives

128La coéducation, une utopie nécessairement réaliste

1291.2 - Les droits de l’enfant

130Historique et spécificités de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE)

131L’accueil ambivalent, en France, de la CIDE

132La CIDE comme levier de la refondation, en cours, des relations éducatives

133La question de l’applicabilité de la CIDE en droit interne

134L’articulation des deux grandes catégories de droits identifiés par la CIDE

135Vers une approche nouvelle de l’éducation et de l’émancipation des enfants

136Les droits et les obligations des enfants et des adultes (parents, professionnels, élus…)

1371.3 - L’autorité en question

138Y a-t-il une crise de l’autorité éducative ?

139Une brève histoire des conceptions de l’autorité pensée par les adultes et pour les adultes

140Vers une autorité éducative émancipatrice : l’exemple de l’autorité parentale

141L’introduction de graves confusions sur le sens du mot « autorité » dans la notion légale d’« autorité parentale »

142L’autorité dans les pratiques familiales vis-à-vis des jeunes enfants

143L’autorité dans les pratiques professionnelles vis-à-vis des jeunes enfants

144L’autorité à l’école et dans les espaces « périscolaires »

1452 - Pourquoi faut-il faire le pari de la démocratisation des relations éducatives ?

1462.1 – Finalités, stimulante complexité et modalités de la coéducation

147Tenir la main, lâcher la main : une mission trop complexe pour ne pas être partagée

148La diversité des acteurs de l’éducation

149Les nouvelles occasions et les nouvelles caractéristiques de la mise en projet des acteurs locaux de l’éducation

150Les enjeux de la coéducation, notamment avec les familles, et notamment dans le cadre d’un Projet éducatif local

1512.2 - De quelques nouvelles perspectives politiques et institutionnelles en matière de coéducation démocratique

152Du côté des villes (et des intercommunalités) : des responsabilités partagées entre parents, professionnels et élus municipaux au projet local de coéducation

153Du côté des écoles : la coéducation en récent et discret filigrane des orientations de l’Education nationale

154Du côté des enfants : de la reconnaissance à la mise en œuvre de leurs droits politiques.

1553 – La participation démocratique des enfants dans les institutions éducatives

1563.1 - Une histoire marquée par l’engagement militant des pionniers et par la diversité de leurs expérimentations

157Les apports, en France et en Europe, des militants de l’École Moderne

158L’appui sur la Convention internationale des droits de l’enfant

159De quelques expériences, anciennes et récentes, et de leurs principaux enseignements

1603.2 - Les modalités de mise en œuvre et de développement de la participation démocratique dans la classe et dans l’école

161Les questions suscitées par la mise en œuvre du droit de participation démocratique

162Des principes fondamentaux à respecter

163Les structures participatives

1643.3 – Les droits et les libertés dans les structures éducatives

165L’importance et la nécessité de se référer à des principes de Droit

166L’application dans les structures éducatives des droits et libertés reconnus aux enfants par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE)

167L’exercice au quotidien des droits et libertés

1684 – Promouvoir et accompagner les processus de participation démocratique dans les familles

1694.1 – Pourquoi et comment promouvoir, aujourd’hui, la notion de « démocratie familiale » ?

170Continuer de faire le pari du développement de la « démocratie familiale »

171Créer et diffuser une ambiance démocratique au cœur de l’éducation et de la coéducation des enfants

172De la coéducation démocratique à la démocratie coéducative

173Un contexte sociologique propice à la réactualisation du concept et des pratiques de la « démocratie familiale »

174Décider des modalités de décisions : à propos des périmètres de la participation des enfants et des jeunes aux décisions familiales

175Le « mieux-vivre ensemble en famille » : une première finalité de la participation des enfants et des jeunes aux décisions familiales

176L’exercice de ses droits et libertés par l’enfant en famille vaut-il reconnaissance d’une égalité entre enfants et adultes ?

177Des convictions à la méthodologie, et réciproquement

178De la méthode à la mise en pratique

179Du principe de réalité… au principe de plaisir

180De la démocratie familiale à la démocratie coéducative

1814.2 - L’accompagnement des processus de participation démocratique dans les familles

182La nécessité et l’intérêt de mettre en place des « outils » propices à la « démocratie familiale »

183La création et le lancement d’ »ateliers de démocratie familiale »

184Le fonctionnement, les productions et le premier bilan des « ateliers de démocratie familiale »

185Le Conseil de famille, mise en place et mode d’emploi

186Les effets du Conseil de famille

187Quelques exemples de séquences de Conseils de famille

1885 – Pour de nouvelles perspectives démocratiques dans le champ des politiques familiales et éducatives publiques

1895.1 - Du « soutien à la parentalité » à la promotion de la condition parentale

190Étendre, approfondir et démocratiser le champ d’action des politiques familiales

191« Écoute, appui et accompagnement des parents » et/ou « soutien à la parentalité » ?

192Rapprocher ou éloigner parents et professionnels les uns des autres ?

193À quelles conditions les professionnels peuvent-ils aujourd’hui se mettre au service des projets des parents ?

1945.2 - La participation des parents, des enfants et des jeunes au Projet Éducatif Territorial : arguments et méthodes

195La dimension sociohistorique de l’émergence du Projet Educatif Territorial (PEdT)

196Les atouts potentiels du PEdT pour concrétiser les principes républicains et égalitaires de l’éducation

197Les bases politiques et juridiques de la participation des parents, des enfants et des jeunes à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation du PEdT

198Les modalités concrètes de la participation des parents, des enfants et des jeunes à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation du PEdT

199Conclusion

200Annexes

201Bibliographie

Notes

  • [1]
    F. Jésu et J. Le gal, Démocratiser les relations éducatives, participation des enfants et des parents aux décisions familiales et collectives ; Chronique sociale, 2015, 512 p., 24,90 €. Voy. couv. et sommaire en fin d’article.
  • [2]
    Frédéric Jésu, médecin pédopsychiatre, il a exercé des missions auprès de ministères, de départements et d’une grande ville. Il est désormais consultant et formateur pour accompagner la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de politiques sociales, familiales ou éducatives locales. Il est également vice-président de Défense des Enfants International (DEI-France), cofondateur et coprésident d’un Centre social et culturel à Paris.
    Jean Le Gal, compagnon de Célestin Freinet, enseignant à l’IUFM de Nantes où il a mené des recherches sur l’organisation démocratique de la classe coopérative et sur l’autogestion ; il a soutenu les initiatives de participation des enfants, dont les Conseils d’enfant au départ d’écoles à Nantes. Militant actif de l’ICEM-Freinet, il anime des formations-actions pour la promotion du droit de participation démocratique des enfants.
  • [3]
    Frédéric Jésu, en collaboration avec Monique Denaux, Françoise Hary, Martine Lantheaume, « Coordinations autour des enfants de parents malades mentaux », L’Information Psychiatrique, janvier 1984, volume 60, n° 1.
  • [4]
    Daniel Clouet, « Faut-il parler droit dans les institutions médicales, éducatives et sociales ? », in Actes du Colloque 1789-1989, L’enfant, l’adolescent et les libertés, Rennes, ENSP, 1990.
  • [5]
    Alexander Sutherland Neill, Libres enfants de Summerhill, Paris, La Découverte, 1970.
  • [6]
    Laurent Fabius, président, Jean-Paul Bret, rapporteur, « Droits de l’enfant, de nouveaux espaces à conquérir », rapport n° 271, Commission d’enquête de l’Assemblée nationale, 1998.
  • [7]
    Première observation générale du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, op. cit.
  • [8]
    Voy. infra en encadré.
  • [9]
    En incluant donc, du moins potentiellement, toutes celles que nous avons citées ci-dessus et avec lesquelles nous avons eu l’occasion de travailler de façon plus ou moins soutenue depuis plusieurs décennies : familles (mais nous y reviendrons longuement au chapitre suivant), établissements et services d’accueil de la petite enfance, lieux d’accueil parents/enfants, ludothèques, bibliothèques et médiathèques dotées de projets pédagogiques, classes, écoles, collèges, lycées, centres de loisirs, espaces d’activités périscolaires, associations d’éducation populaire, établissements et services socioéducatifs et médico-éducatifs, etc.
  • [10]
    Fédération nationale des Francas, Encourager et soutenir les Associations temporaires d’Enfants Citoyens, http://atec.joueb.com/files/EncouragerEtSoutenir.pdf
  • [11]
    Daniel Clouet, Faut-il parler droit dans les institutions médicales, éducatives et sociales ?, op. cit.
  • [12]
    Règlement type des écoles maternelles et élémentaires - http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=81107
  • [13]
    Eirick Prairat, La sanction - Petites médiations à l’usage des éducateurs, Paris, L’Harmattan, 2000.
  • [14]
    Jean Le Gal, « Châtiments corporels ou intervention physique », Journal du Droit des Jeunes, n° 185, mai 1999.
  • [15]
    Lettre du 29 juin 2001.
  • [16]
    Jean Piaget, Le jugement moral chez l’enfant, Paris, P.U.F., 1975.
  • [17]
    Élaboration de la charte des droits de l’enfant de la circonscription de Nice VIII, op. cit.
  • [18]
    Francis Imbert, Si tu pouvais changer l’école – L’enfant stratège, op. cit.
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