Notes
-
[1]
Code civil, art. 375, al. 1 : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. (…) ».
-
[2]
Code de l’action sociale et des familles, art. L223-2.
-
[3]
Art. 375-5 du Code civil.
-
[4]
Selon le texte adopté par l’Assemblée nationale, l’article 388 du Code civil est complété par trois alinéas ainsi rédigés : « Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé.
Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé.
En cas de doute sur la minorité de l’intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires ».
Tribunal pour enfants de Paris - 16 avril 2015 - N˚ I 15/0031 / Assistance éducative - Étranger - Mineur isolé - Compétence - Absence des représentants légaux - Juge aux affaires familiales
L’absurdité du déni
1Les services sociaux doivent s’occuper des mineurs isolés familialement et en situation précaire et peuvent le faire sans le Juge des enfants qui ne doit être saisi qu’exceptionnellement, dans le cadre d’une procédure contradictoire, lorsque des titulaires de l’autorité parentale, dûment identifiés et convoqués, font un mauvais usage de leurs prérogatives et mettent leur enfant en danger. Le Juge des enfants est alors seul compétent pour imposer des mesures éducatives et notamment un placement.
2Lorsqu’il s’agit d’aider un mineur isolé familialement, dont aucun adulte ne se soucie, et dont la prise en charge par les services sociaux n’est donc contestée par personne, le Juge des enfants n’est pas compétent pour intervenir.
Vu la requête de X se disant (…) présentée par l’ADJIE le 21 février 2015 ; X se disant (…) demande son placement au service de l’Aide sociale à l’enfance.
Il fait état d’éléments invérifiables sur sa situation personnelle, affirme être mineur et produit une décision de l’Aide sociale à l’enfance de Paris refusant une admission dans leur service.
Il convient de constater que X se disant (…) a, à juste titre, saisi l’Aide sociale à l’enfance, service effectivement compétent pour prendre en charge les mineurs sans logement, sans ressources, sans famille sur le territoire français, que ce service a refusé de le prendre en charge tout en mentionnant la possibilité de contester cette décision mais que X se disant (…) n’a apparemment pas utilisé cette voie de recours mais a saisi le Juge des enfants.
Il convient cependant de rappeler que le Juge des enfants n’est pas compétent dans toutes les situations concernant des mineurs et qu’il n’est notamment pas compétent s’agissant des mineurs sans représentants légaux sur le territoire français qui relèvent du Juge aux affaires familiales qui peut organiser leur représentation et des services sociaux qui peuvent pourvoir à leurs besoins.
Les services sociaux doivent s’occuper des mineurs isolés familialement et en situation précaire et peuvent le faire sans le Juge des enfants qui ne doit être saisi qu’exceptionnellement, dans le cadre d’une procédure contradictoire, lorsque des titulaires de l’autorité parentale, dûment identifiés et convoqués, font un mauvais usage de leurs prérogatives et mettent leur enfant en danger. Le Juge des enfants est alors seul compétent pour imposer des mesures éducatives et notamment un placement.
Lorsqu’il s’agit d’aider un mineur isolé familialement, dont aucun adulte ne se soucie, et dont la prise en charge par les services sociaux n’est donc contestée par personne, le Juge des enfants n’est pas compétent pour intervenir.
Il convient de rendre une décision de non lieu à assistance éducative.
Par ces motifs
Dit n’y avoir lieu à mesures d’assistance éducative à l’égard de X se disant (…) ;
Prononce la clôture de la procédure (…)
Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision
Juge des enfants : Mme S. Huet.
Commentaire de Jean-Luc Rongé
3Cette décision, allant à l’encontre de la jurisprudence dominante (cass. crim. 4 novembre 1992, n° 91-86938 ; cass. civ. 1, 25 mars 2009, n° 08-14125 ; CA Paris, 16 mai 2000, RG 99/16403), constitue une forme de déni de justice en ce que la juge des enfants refuse d’examiner la situation de danger qui lui est dénoncée qui constitue le ciment de sa compétence en assistance éducative.
4Cette jurisprudence reconnaît les dispositions des articles 375 et suivants du Code civil comme étant des lois de police applicables à tout enfant se trouvant sur le territoire (art. 3 du Code civil).
5La décision est d’autant plus choquante en ce qu’elle s’appuie sur un motif hors la loi, selon lequel « la prise en charge par les services sociaux n’est donc contestée par personne » alors que c’est justement parce que cette prise en charge « provisoire » lui a été refusée que le jeune s’est adressé au Tribunal pour enfants.
6Si l’accueil provisoire d’urgence lui avait été accordée par le service de l’ASE, ce jeune aurait été obligatoirement orienté vers la juridiction des enfants en exécution des dispositions du Code de l’action sociale et des familles afin que le Juge des enfants aménage la situation provisoire (art. L223-2, selon lequel « En cas d’urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l’impossibilité de donner son accord, l’enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République.
7Si le représentant légal est en mesure de donner son accord mais le refuse, le service saisit l’autorité judiciaire en vue de l’application de l’article 375-5 du code civil.
8Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l’enfant n’a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n’a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l’autorité judiciaire en vue de l’application de l’article 375-5 du code civil ».
9Voy. notre article « Mineurs isolés étranger : méthodes de dingues… ou de voyous ? », p. 29.
Tribunal pour enfants de Paris - 29 janvier 2015 - n° 115/0016 / Assistance éducative - Aide sociale à l’enfance - Étranger - Mineur isolé - Incompétence
Incompétent, vous avez dit incompétent ?
10Le requérant s’est adressé aux services du département pour bénéficier de protection, en l’espèce l’accueil provisoire d’urgence. Il n’a pas obtenu satisfaction mais dispose d’une voie de recours contre la décision qui lui a été notifiée.
11Le Juge des enfants n’est pas compétent dans la situation décrite et ce magistrat n’est bien évidemment pas la juridiction d’appel de la décision rendue par l’Aide sociale à l’enfance. Il convient de rendre une décision de non-lieu et de clôturer cette procédure
Vu la procédure d’assistance éducative concernant X se disant B.I. : né le 21 Mai 1998 qui serait sans représentants légaux sur le territoire français
Vu le courrier de X se disant B.I. en date du 14 janvier 2015 ; X se disant I.B. a saisi le Tribunal pour enfants et demande son placement au service de l’Aide Sociale à l’Enfance. Il indique être dans une situation d’isolement absolu en France et n’avoir ni hébergement ni de quoi se nourrir. Il produit par ailleurs une décision de la DASES en date du 7 janvier 2015 refusant son admission « au bénéfice de l’Aide Sociale à l’enfance » et qui lui a été notifiée le 8 janvier 2015.
Il convient de rappeler que le Juge des enfants n’est pas nécessairement compètent dès lors que la situation d’un mineur est évoquée et que l’intervention de ce magistrat, qui doit rester exceptionnelle, est justifiée par des dysfonctionnements de l’autorité parentale que les mesures d’assistance éducative essaient de corriger en travaillant avec les parents ou tout autre détenteur de l’autorité parentale. Cette intervention est également subsidiaire à celle des départements qui ont pour mission d’assurer la protection de l’enfance.
Les personnes mineures et sans famille sur le territoire français ont besoin d’une part d’être logées, nourries et éduquées, ce qui relève de la protection assurée par I’Aide Sociale à l’enfance, et d’autre part que leur soit désigné un représentant légal, ce qui relève de la compétence du Juge aux affaires familiales.
En l’espèce X se disant B.I. s’est adressé à juste titre aux services du département pour bénéficier de protection. Il n’a pas obtenu satisfaction mais dispose d’une voie de recours contre la décision qui lui a été notifiée.
Alors que le Juge des enfants n’est pas compétent dans la situation décrite par X se disant B.I. et que ce magistrat n’est bien évidemment pas la juridiction d’appel de la décision rendue le 7 janvier 2015, il convient de rendre une décision de non-lieu el de clôturer cette procédure.
Juge des enfants : S. Huet.
Commentaire de Jean-Luc Rongé
12On serait tenté de s’interroger sur quelle incompétence cette juge a statué. Serait-ce celle du Tribunal pour enfants ou la sienne ?
13Lorsqu’il a saisi le juge des enfants, le 14 janvier 2015, le jeune écrivait en substance : « Je suis arrivé en France, me suis présenté à la PAOMIE le 1er décembre ; j’ai passé l’entretien le 06 janvier 2015 mais on m’a refusé la mise à l’abri malgré l’extrait de naissance que j’ai présenté (PJ n° 1).
14Depuis lors, n’ayant nulle part où me réfugier, je suis sans hébergement fixe et toujours dans l’errance le jour à la recherche de quoi me nourrir. Je ne connais personne en France et je n’ai absolument rien.
15Je me trouve dans une situation d’isolement absolu et je suis épuisé tant d’un point de vue physique que psychologique avec le froid qui me transperce.
16C’est pourquoi je saisis, par la présente, votre tribunal afin que celui-ci constate que je me trouve dans une situation de danger au sens de l’article 375 du Code civil et ordonne mon placement à l’ASE.
17Je souhaite bénéficier également de l’assistance d’un avocat ». Il est bien clair que le jeune décrit dans ce courrier une situation qui constitue une vraisemblance du danger qu’il encourt, élément essentiel de la compétence du Juge des enfants en matière d’assistance éducative, si l’on s’en tient au texte de l’article 375 du Code civil [1].
18Un gamin d’un âge prétendu de 16 ans qui déclare n’avoir nulle part où se loger et avoir froid, souffrir d’épuisement physique et psychologique mérite que l’on s’attarde quelque peu sur son sort. C’est le rôle de la justice des mineurs…depuis l’ordonnance du 23 décembre 1958.
19L’enfant joint à ce courrier les éléments qui sont susceptibles de fonder la décision du juge, parmi lesquels l’évaluation de la PAOMIE, chargée par l’ASE de Paris de faire le premier accueil des mineurs isolés et « d’en faire le tri », et la décision de ne pas l’accueillir, qui ne lui sont pas favorables.
20Si, effectivement, la décision de l’ASE de Paris de ne pas avoir organisé un accueil provisoire d’urgence [2] - d’ailleurs préconisé par le protocole entre l’État et l’Assemblée des départements de France du 31 mai 2013, sous le vocable de « mise à l’abri » - constitue une décision administrative, il n’empêche que la situation de danger décrite par l’enfant est l’élément essentiel de la saisine de la juridiction de l’enfance dont elle ne peut se défausser en renvoyant à mieux se pourvoir.
21D’ailleurs, cet accueil provisoire d’urgence, lorsqu’il a lieu, doit être aussitôt suivi par un signalement à l’autorité judiciaire susceptible d’ordonner une mesure provisoire confiant l’enfant, notamment à l’Aide sociale à l’enfance [3]. Comme quoi l’interdépendance entre « l’accueil administratif » et l’assistance éducative existe à suffisance pour que les deux institutions agissent de concert… ou que l’une relaye l’autre en cas de déficience.
22Envoyer l’enfant s’adresser à la juridiction administrative, c’est l’envoyer au casse-pipe, puisque, pour agir devant ces juridictions, il faut disposer de la capacité d’exercice… qui ne s’acquiert qu’à 18 ans. Et le jeune, sans parents, sans tuteur, ne peut se faire représenter dans cette procédure.
23Cette décision est bien sûr scandaleuse. Elle peut être bien entendu réformée en appel. Il n’empêche qu’elle constitue une faute volontaire d’une juge qui ne peut ignorer les règles fixant sa compétence. Et c’est grave !
24De surcroît, autre règle violée, la juge n’a pas cru bon d’inviter l’enfant à être entendu, ni de faire le nécessaire pour qu’il soit assisté d’un avocat, comme il le demandait dans sa requête.
25Dans une prochaine décision, lira-t-on « allez voir ailleurs si je n’y suis pas » ?
C.A. Paris - Spéc. mineurs - 26 mars 2015 - RG n°114/0014 / Assistance éducative - Étranger - Mineur isolé - Détermination de l’âge - Apparence - Non lieu
L’âge de déraison d’une Cour d’appel
26L’appelant produit un extrait d’acte de naissance et une carte nationale d’identité. Ces deux documents, établis en pays étranger et rédigés dans les formes usitées dans ce pays, sont considérés comme authentiques par le bureau de la fraude documentaire.
27La mesure d’instruction, consistant en une analyse médicale de l’âge osseux, n’est pas réalisée, faute d’accompagnement par un membre de l’association qui le soutient, sans qu’il puisse légitimement dans ce contexte, se prétendre étranger à ce défaut d’exécution.
28Enfin, son allure et son attitude, telles que constatées par la Cour à l’audience, ne corroborent pas sa minorité.
29En conséquence, des éléments extérieurs viennent contredire les documents d’état civil produits, de sorte que la minorité de l’appelant n’est pas établie. Dès lors, il n’y a pas lieu à assistance éducative à son égard.
30Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2014 - Juge des enfants de Paris
La Cour est saisie d’un appel régulièrement interjeté par X se disant M. S. né le 10 août 1997, contre un jugement rendu le 27 mai 2014 par le juge des enfants de Paris qui a notamment :
- dit qu’il n’y avait pas lieu à mesures d’assistance éducative à son égard ;
- prononcé la clôture de la procédure ;
- ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.
Pour l’exposé de la situation, du litige, des moyens et prétentions des parties, la cour se rapporte à l’arrêt du 19 décembre 2014, précédemment intervenu dans le cadre de la présente procédure.
Il suffira de rappeler qu’à l’audience du 21 novembre 2014, M. S., assisté d’un interprète et de son conseil, a expressément consenti à se rendre à l’expertise médicale si une telle mesure était ordonnée, ce que son conseil a également confirmé.
Dans son arrêt du 19 décembre 2014, la cour d’appel a notamment :
- reçu l’appel de M. S. ;
- statuant avant dire droit, ordonné une expertise médicale, comportant un examen physique externe, un examen dentaire et osseux par radiographie, aux fins d’estimation de l’âge physiologique de M. S., qui se dit né le 10 août 1997, et de se prononcer sur la compatibilité de cet âge avec l’âge allégué, désigné pour y procéder le docteur Caroline Rey Salmon, médecin responsable des urgences médico-judiciaires de l’Hôtel Dieu, dit que M. S. devra être accompagné d’un professionnel de l’ADJIE le connaissant ou de son conseil, garantissant son identité durant les opérations d’expertise ;
- renvoyé l’examen de l’affaire à l’audience du Jeudi 26 février 2015 à 10 h 30.
Devant la Cour
Monsieur M. S. comparaît, assisté d’un interprète, serment prêté, et de son conseil qui dépose des conclusions qu’il soutient oralement à l’audience et auxquelles la cour se réfère aux termes desquelles il invoque à l’ouverture des débats la nullité du jugement pour non respect du contradictoire, en l’absence d’audience préalable, insuffisance de motivation, et défaut de motivation concernant l’exécution provisoire. Il estime les exceptions recevables, le jugement avant dire -droit ne tranchant pas le fond du litige.
Le ministère public conclut au rejet des exceptions, soulevées après le rendu d’un arrêt avant dire droit de sorte que le fond du litige a déjà été abordé.
La cour joint l’incident au fond.
Monsieur M. S. indique qu’une personne de l’ADJIE lui a dit de se présenter à l’expertise et de remettre le courrier au médecin.
Son conseil, aux termes de ses conclusions reprises à l’audience et auxquelles la cour se réfère, sollicite le placement de M. S. à l’ASE. Elle expose que son client s’exprime très mal en français et qu’il est un peu victime de la position de principe de l’ADJIE par rapport aux expertises, elle-même n’ayant pas été informée de la convocation et son client ne l’ayant pas sollicitée pour s’y rendre. Aucune instruction n’ayant par ailleurs été donnée au médecin à la suite de son courrier de carence, il ne peut être reproché à Monsieur S. l’absence d’examen.
Le ministère public s’en rapporte soulignant que l’arrêt précédent n’a pas été suivi d’effet
Sur ce, la Cour,
Sur l’exception de nullité tirée du non du non respect du principe du contradictoire
Le moyen de nullité évoqué tiré du non respect du contradictoire, touche à une formalité substantielle et à l’ordre public de sorte qu’il peut être invoqué en tout état de cause. Un arrêt avant-dire-droit ne tranche pas le fond du droit et ne dessaisit pas le juge du litige, lequel reste en cours. Dès lors l’exception est recevable.
Le principe de la contradiction, résultant des articles 14, 16 du code de procédure civile, rappelé en matière d’assistance éducative dans les articles 1182 et 1184 du même code, impose que nulle partie ne puisse être jugée sans avoir été entendue ou appelée.
En l’espèce, les pièces du dossier n’établissent pas que M. S. ait été convoqué ni entendu lors de la décision déférée.
Il convient en conséquence d’annuler en toutes ses dispositions le jugement entrepris, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres motifs de nullité évoqués.
En application des dispositions de l’article 562 du code de procédure civile, la cour est tenue de statuer sur l’entier litige par l’effet dévolutif de l’appel.
Au fond
La procédure d’assistance éducative est applicable à tous les mineurs non émancipés qui se trouvent sur le territoire français quelque soit leur nationalité, si leur santé, leur moralité, leur sécurité sont en danger ou si les conditions de leur éducation ou de leur développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises. La charge de la preuve incombe au demandeur.
Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes en usage dans ce pays, fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenues, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles que cet acte est irrégulier ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
Au vu des pièces du dossier, telles que rapportées ci-dessus et débattues contradictoirement, M. S. produit un extrait d’acte de naissance et une carte nationale d’identité. Ces deux documents, établis en pays étranger et rédigés dans les formes usitées dans ce pays, sont considérés comme authentiques par le bureau de la fraude documentaire.
Néanmoins, les éléments sociaux communiqués par l’appelant suscitent des interrogations alors notamment que ses déclarations concernant son parcours pour se rendre en France sont floues et que celles selon lesquelles il serait arrivé en France en janvier 2014, ayant quitté son oncle en 2013 après être resté chez lui 4 années, celui-ci l’ayant recueilli à l’âge de 9 ans, sont contredites par la date de naissance qu’il allègue.
Par ailleurs, si M. S. ne s’est pas présenté à l’expertise d’âge physiologique ordonnée par le juge des enfants, sans qu’il puisse être déduit des pièces du dossier une volonté délibérée de sa part de s’y soustraire, la cour a ordonné une nouvelle expertise à laquelle lors des débats initiaux, M. S. assisté de son conseil, a expressément consenti, la nécessité de son accompagnement ayant été stipulée dans l’arrêt susvisé. Il s’est pourtant rendu seul à l’examen en présentant un courrier de l’ADJIE sollicitant du médecin une attestation selon laquelle il se présente seul de sorte que l’expertise ne peut être réalisée, l’ADJIE précisant ne pas être en mesure de l’accompagner, sans plus de précisions.
M. S, assisté d’un conseil dans le cadre de la procédure, n’a pas sollicité ce dernier pour l’y accompagner, de sorte que la mesure d’instruction n’est pas réalisée, sans qu’il puisse légitimement dans ce contexte, se prétendre étranger à ce défaut d’exécution.
Enfin, son allure et son attitude, telles que constatées par la cour à l’audience, ne corroborent pas sa minorité.
En conséquence, des éléments extérieurs viennent contredire les documents d’état civil produits, de sorte que la minorité de M. S. n’est pas établie. Dès lors, il n’y a pas lieu à assistance éducative à son égard.
Il convient d’ordonner la restitution à M. S. des documents qu’il produit.
Par ces motifs,
La Cour,
Statuant en chambre du conseil et par arrêt contradictoire,
Vu l’arrêt du 19 décembre 2014,
Annule le jugement déféré du 27 mai 2014 ;
Statuant par l’effet dévolutif de l’appel ;
Dit n’y avoir lieu à assistance éducative à l’égard de M. S. ;
Ordonne l a restitution à M. S. de l’acte de naissance et de la carte nationale d’identité de la République du Mali qu’il produit,
Prés. : Mme. M.-D. Vergez ;
Cons. : M. D. Mulliez ;
Cons. chargée d’instruire : Mme. A. de Lacaussade ;
Av. gén. : M. P. Madranges ;
Plaid. : Me M.-L. Mancipoz.
Commentaire du GISTI
Mineurs isolés étrangers : les apparences pour preuve
31À un adolescent malien seul en France, porteur d’un acte de naissance et d’une carte d’identité établissant sa minorité, la Cour d’appel de Paris rétorque que « son allure et son attitude ne corroborent pas sa minorité. Une affirmation lourde de conséquence puisque la Cour laisse ce jeune à la rue en refusant sa prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance.
32Pour rendre cette invraisemblable décision, la Cour n’a pas seulement renié toute humanité, elle a dû, aussi, tordre le droit. C’est l’article 47 du Code civil qui a fait les frais de l’opération.
33L’article prévoit que tout acte d’état civil étranger fait foi sauf si d’autres éléments établissent qu’il est irrégulier ou falsifié. En l’espèce, aucune preuve ni aucun indice d’irrégularité ou de falsification des actes d’état civil du mineur n’étaient joints au dossier : au contraire, le service chargé de traquer la fraude documentaire les avait jugés authentiques. Peu importe : le récit qu’il a fait de sa vie leur ayant semblé peu cohérent, les magistrats ont imaginé de soumettre cet enfant à une expertise osseuse.
34Non contents de lui infliger cette épreuve injustifiée, ils ont prévu qu’il devrait être assisté de son avocat ou « d’un professionnel » d’une association d’aide aux mineurs. Peu importe, encore, que l’ADJIE (Accompagnement et défense des jeunes étrangers isolés qui est en fait un collectif d’associations) ait toujours refusé de cautionner ces examens osseux dont la fiabilité est déniée par les plus hautes autorités médicales.
35L’enfant s’étant rendu chez le médecin muni d’un courrier de l’ADJIE disant ne pouvoir être présente, les examens n’ont pas été réalisés. Les juges en ont pris prétexte pour le rendre responsable du « défaut d’exécution » de l’expertise.
36Le raisonnement est doublement fallacieux. D’abord parce qu’il impose à un jeune en détresse, qui ne parle ni ne lit le français, de coopérer à la démonstration d’une minorité que les juges devaient tenir pour acquise. Ensuite parce qu’il le rend comptable du refus légitime d’un collectif associations de s’associer à cet acharnement dans la suspicion. Et ce, pour conclure sans trembler que, quoi qu’en disent ses actes d’état civil, ce jeune aura l’âge qu’il a l’air d’avoir.
37« La chronique quotidienne de l’enfance malheureuse rappelle aux pouvoirs publics l’urgente nécessité de renforcer la protection civile des mineurs » affirme le préambule de l’ordonnance de 1958 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger.
38Aujourd’hui, parce qu’ils sont étrangers, certains enfants sont à ce point indésirables que la justice en vient, pour leur refuser cette protection, à dénier leur minorité en utilisant les expédients de pseudo-expertises ou en tenant les apparences pour preuve.
39Alors que la communauté scientifique s’accorde pour dénier toute force probante aux tests osseux et dentaires, que les documents d’identité font foi, l’administration et la justice persistent à recourir à cette technique inepte. Il est plus que temps d’y renoncer.
C.A. Versailles - Spéc. mineurs - 20 février 2015 - RG n° 14/00052 / Assistance éducative - Étranger - Mineur isolé - Détermination de l’âge - Examens osseux - Documents d’état civil - Authenticité - Doute - Admission à l’assistance éducative
Un peu plus raisonnable
40Il résulte de l’analyse documentaire des documents d’identité et d’état civil que ceux ci présentent toutes les caractéristiques techniques de documents authentiques, l’analyse ne portant pas sur les conditions de délivrance des documents.
41Il n’existe aucune méthode médicale sûre de détermination de l’âge d’un individu notamment entre 16 et 18 ans tant les maturations sont différentes. Il en résulte en l’espèce que les examens dentaire et osseux pratiqués sont imprécis.
42En l’absence d’autres éléments ils ne suffisent donc pas à faire tomber la présomption simple attachée à la détention par l’appelant des documents d’état civil et d’identité, le doute devant faire prévaloir la minorité.
43Monsieur A. S., né le 15 aout 1997 c/o ADJIE (…)c/ ASE Hauts-de-Seine
(…)
Après délibération, la Cour,
La cour est saisie de l’appel interjeté par M. A. S. par lettre recommandée en date du 3 mars 2014, reçue au greffe le 4 mars 2014, à l’encontre du jugement du Juge des enfants de Nanterre en date du 17 février 2014, qui a : « dit n’y avoir lieu à instituer une mesure de protection à l’égard du mineur susnommé, et ordonné le classement de la procédure ».
Cet appel, interjeté dans les formes et délai fixés par le code de procédure civile, est recevable.
Rappel des faits et de la procédure.
Par courrier du 9 décembre 2013, l’Aide sociale à l’enfance des Hauts-de-Seine saisissait le procureur de la République de Nanterre de la situation d’A. S., de nationalité malienne, présentant un extrait d’acte de naissance et une pièce d’identité faisant état d ‘une naissance le 15 août 1997. Il ne parlait pas français, et était en précarité sociale depuis son arrivée en Île-de-France au début du mois de novembre 2013. Accueilli en urgence le 4 décembre 2013, l’évaluation effectuée concluait à une apparence physique en décalage avec l’âge prétendu, à une maturité. Il ne pouvait donner de précision sur son village.
Le jour même, le procureur de la République par requête demandait l’ouverture d’une procédure d’assistance éducative à l’égard d’A. S. et faisait procéder à un examen médical de ce dernier afin de déterminer son âge réel.
Le procureur de la République or donnait le placement en urgence d’A. S. à l’Aide sociale à l’enfance des Hauts-de-Seine le 20 décembre 2013.
Le 8 janvier 2014 l’ASE notait qu’A. S. serait arrivé en France au début du mois de novembre 2013 après avoir quitté le Mali seul, avec une participation financière de son oncle pour payer son voyage ; qu’il paraissait très mature et posé dans sa façon de s’exprimer et qu’il n’avait pas été repéré de danger ou de vulnérabilité particulière mis à part une détresse sociale (sans hébergement, sans scolarité et sans travail).
Le rapport médical de l’examen d’âge dentaire et osseux effectué par un médecin de l’Unité médico- judiciaire de Garches sur A. S. le 7 janvier 2014 concluait à un âge estimé supérieur à 18 ans.
A. S. était convoqué le 10 janvier 2014. L’audience était renvoyée au 17 février date à laquelle il était entendu en présence d’un interprète. Au vu de l’examen médical, dans le jugement du 17 février 2014 attaqué le juge des enfants qui constatait qu’A. S. était majeur, disait n’y avoir plus lieu à instituer une mesure d’assistance éducative à son égard et ordonnait le classement de la procédure.
Devant la cour,
M. S., assisté de son conseil comparaissait. Il déclarait résider dans un foyer à Pierrefite, y recevoir son courrier. Il précisait être venu en France pour faire des études et il était scolarisé en lycée professionnel à Paris.
Son conseil développait ses écritures tendant à :
- constater la nullité du jugement entrepris.
- le réformer et dire que :
- sa carte d’identité et son extrait de naissance justifient de sa date de naissance le 15 août 1997 ;
- l’examen médical auquel il a été procédé est dépourvu d’objet.
- constater l’inopposabilité du rapport d’expertise aux parties ;
- l’écarter des débats comme ne pouvant constituer une donnée extérieure à l’acte d’état civil ;
- ordonner le placement d’A. auprès de l’Aide sociale à l’enfance ;
- autoriser l’ASE à établir et signer tous actes utiles aux mineurs placés dans l’attente de la désignation d’un tuteur.
La cour, par arrêt contradictoire du 14 novembre 2014, rejetait les exceptions de nullités du jugement et
Avant dire droit au fond :
Ordonnait une mesure d’instruction avec commission rogatoire pour que la direction de la police des frontières des Yvelines vérifie l’authenticité de la copie de l’extrait d’acte de naissance, des pièces d’identité délivrées au Mali et par le consulat Malien.
Il résulte d’un rapport d’analyse documentaire du 21 novembre 2014 que la copie d’extrait d’acte de naissance malien, la carte nationale d’identité malienne et la carte d’identité consulaire malienne présentées par A. S. présentent les caractéristiques techniques de documents maliens authentiques, l’analyse documentaire ne portant pas sur les conditions de délivrance de ces documents.
À l’audience de renvoi m SISSOKO comparaît assisté il déclare qu’il est scolarisé. Il est hébergé.
Son conseil plaide l’infirmation du jugement, soutient qu’il dispose de documents d’état civil et d’identité maliens authentiques ; que l’examen dentaire et osseux imprécis n’apporte pas la preuve de la majorité de son client, mineur étranger isolé.
Mme l’avocat général conclut à la confirmation du jugement entrepris au regard des conclusions de l’expertise médicale.
Sur ce la Cour,
Qu’aux termes de l’article 47 du Code civil, « tout acte d’état civil d’un étranger fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte établissent le cas échéant après toutes vérifications utiles que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont établis ne correspondent pas à la réalité » ;
Que s’il y a doute le juge en présence d’un document qui fait foi, le juge peut chercher d’autres éléments ;
Qu’en l’espèce A. S. est détenteur d’une copie d’extrait d’acte de naissance à son nom né le 15 août 1997 à (…) établie le 22 avril 2011, d’une carte d’identité malienne avec une photographie faisant état d’une même date de naissance et d’une carte d’identité délivrée par le consulat malien en France le 26 mai 2014 ;
Qu’il résulte de l’analyse documentaire de ces documents que ceux ci présentent toutes les caractéristiques techniques de documents authentiques, l’analyse ne portant pas sur les conditions de délivrance des documents ;
Que la Commission nationale consultative des droits de l’homme recommande que le principe soit celui de la présomption de minorité fondée sur des présomptions d’authenticité des documents produits et de légitimité de leur détenteur, cette présomption simple pouvant tomber en présence de faisceaux d’éléments pluri-disciplinaires ;
Qu’à la suite de l’évaluation sommaire initiale faite le jeune S. ayant une apparence physique en d é calage avec l’âge prétendu, il avait été ordonné des examens osseux et dentaires de l’intéressé
Qu’il était conclu le 7 janvier 2014 par le docteur Nacer Bourokba médecin à l’unité médico-légale de l’hôpital Raymond Poincaré que l’âge dentaire et l’âge osseux d’A. S. étaient supérieur à 18 ans ;
Qu’il n’existe toutefois aucune méthode médicale sûre de détermination de l’âge d’un individu notamment entre 16 et 18 ans tant les maturations sont différentes ; qu’il en résulte en l’espèce que les examens dentaire et osseux pratiqués sont imprécis ;
Qu’en l’absence d’autres éléments ils ne suffisent donc pas à faire tomber la présomption simple attachée à la détention par A. S. des documents d’état civil et d’identité, le doute devant faire prévaloir la minorité ;
Que dès lors le jugement entrepris sera infirmé ; qu’A. S. sera confié à l’Aide sociale à l’enfance jusqu’au 15 août 2015 ;
Par ces motifs,
La Cour, statuant en chambre du conseil et par arrêt réputé contradictoire,
Reçoit l’appel de monsieur a. S. ;
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau ;
Confie a. S. À l’aide sociale à l’enfance jusqu’au 15 août 2015 ;
(…)
Prés. : M. Osmont ;
Cons. : Mmes. Favereau, Langlois ;
Av. gén. : Mme. Quemener ;
Plaid. : Mes Martine Peron, Oughchia.
Commentaire de Jean-Luc Rongé
44Versailles et Paris sont si proches et on a l’impression déplorable que leurs Cours d’appel n’appliquent pas le même droit (voir l’arrêt du 26 mars 2015 précédemment commenté).
45Paris se fait une religion de l’expertise osseuse, quoique disent les documents d’état civil et d’identité considérés comme authentiques. Dès lors que la radiologie osseuse et dentaire conclut à un âge supérieur à 18 ans, cette soi-disant « expertise » apparaît comme l’élément extérieur venant contredire la foi due aux actes, quand ce n’est pas la physionomie ou le comportement du comparant qui emporte la conviction des magistrats.
46L’adoption par l’Assemblée nationale d’un article modificatif de l’article 388 du Code civil [4] ne devrait pas changer la donne, sachant que les juridictions qui ne jurent que par cette « expertise » pourront continuer à y recourir en s’appuyant sur l’ambigüité du texte en ajoutant au résultat de l’examen toutes les considérations d’apparence que les « experts » voudront bien y ajouter pour ne pas conclure que « le doute profite à l’intéressé ».
Notes
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[1]
Code civil, art. 375, al. 1 : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. (…) ».
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[2]
Code de l’action sociale et des familles, art. L223-2.
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[3]
Art. 375-5 du Code civil.
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[4]
Selon le texte adopté par l’Assemblée nationale, l’article 388 du Code civil est complété par trois alinéas ainsi rédigés : « Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé.
Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé.
En cas de doute sur la minorité de l’intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires ».