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Article de revue

Les alternatives au placement en rétention d'enfants migrants

Rapport - Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées Rapporteure : Mme Tinatin BOKUCHAVA, Géorgie, Groupe du Parti populaire européen (Conseil de l'Europe, assemblée parlementaire, Doc. 13597, 15 septembre 2014)

Pages 109 à 116

Notes

  • [1]
    Renvoi en commission : Doc. 13050, Renvoi 3923 du 21 janvier 2013.
  • [2]
    Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 9 septembre 2014.
  • [3]
    Projet de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 9 septembre 2014.
  • [4]
    L’IDC est un réseau mondial comptant plus de 300 organisations de la société civile et particuliers dans plus de 70 pays qui fait des recherches, préconise et fournit des services directs aux réfugiés, aux demandeurs d’asile et aux migrants retenus pour limiter toute rétention inutile. L’IDC mène aussi une campagne pour mettre fin à la rétention des enfants dans le monde, à laquelle se sont notamment associés le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’UNICEF : http://endchilddetention.org/.
  • [5]
    Comité des droits de l’enfant, rapport de la journée de débat général de 2012 sur les droits de l’enfant dans le contexte des migrations internationales, paragraphe 78.
  • [6]
    Ibid., paragraphe 79.
  • [7]
    2 avril 2013.
  • [8]
    Département des affaires économiques et sociales de l’Onu, Division de la population, Migration internationale 2009 : www.un.org/esa/population/publications/2009Migration_Chart/ittmig_wallchart09.pdf.
  • [9]
    Eurostat (2011), Statistiques sur la mise en œuvre de la législation relative à l’immigration.
  • [10]
    « Les enfants migrants sans-papiers en situation irrégulière : une réelle cause d’inquiétude », Doc. 12718, paragraphe 9.
  • [11]
    N. SIGONA et V. HUGHES, « No way out, no way in Irregular migrant children and families in the UK », Université d’Oxford, COMPAS, mai 2012, pp. 6-8.
  • [12]
    Communication de la PICUM au Comité des Nations unies, 22 avril 2013 (paragraphe 6 ci-dessus).
  • [13]
  • [14]
    Conseil des droits de l’homme, 2010, A/HRC/RES/15/16, paragraphe 8.
  • [15]
    Houssein c. Grèce (2013), Rahimi c. Grèce (2013), Popov c. France (2012), Kanagaratnam c. Belgique (2011), Mushadzhiyeva et autres c. Belgique (2010), Mubilanzila et Kanigi Mitunga c. Belgique (2006).
  • [16]
    19e rapport général du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), paragraphe 97.
  • [17]
    Global Trends in Immigration Detention and Alternatives to Detention : Practical, Political and Symbolic Rationales, Journal on Migration and Human Security, Volume 1, n° 3(2013), Robin Sampson et Grant Mitchell.
  • [18]
    Croatie, Loi sur les étrangers, 1er janvier 2012, article 136.3.
  • [19]
    Chypre, Loi sur les étrangers et les migrations, 2011, article18.1.
  • [20]
    Slovaquie, Loi n° 404/2011 sur la Résidence des étrangers.
  • [21]
    Agence des droits fondamentaux (FRA), rapport annuel 2012, paragraphe 1.3.3.
  • [22]
    Edwards A., 2011, Back to basics : The right to liberty and security of person and alternatives to detention of asylum s eekers, stateless persons, and other migrants, UNHCR Legal and Protection Policy Research Series. Genève, HCR.
  • [23]
    V. Robinson et J. Segrott (2002), Understanding the decision making of asylum seekers, Londres, Home Office, dernière consultation : 16.06.2010 à l’adresse : http://rds.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs2/hors243.pdf.
  • [24]
    There are Alternatives, A handbook for preventing unnecessary immigration detention, International Detention Coalition, 2011, p. 9.
  • [25]
    Ibid., p. 002.
  • [26]
    C. Laban, I. Komproe, H. Gernaat et J. de Jong., 2008, The impact of a long asylum procedure on quality of life, disability and physical health in Iraqi asylum seekers in the Netherlands.
  • [27]
    There are Alternatives, A handbook for preventing unnecessary immigration detention, International Detention Coalition, 2011, p. 052.
  • [28]
    Ibid., p. 024.
  • [29]
    Ibid., p. 022.
  • [30]
    Article 56 de la loi II de 2007 sur l’admission et les droits de séjour des ressortissants de pays tiers.
  • [31]
    « Global Trends in Immigration Detention and Alternatives to Detention : Practical, Political and Symbolic Rationales », Journal on Migration and Human Security, vol. 1, Numéro 3(2013), Robin Sampson et Grant Mitchell.
  • [32]
    Ibid., p. 035.
  • [33]
    There are Alternatives, A handbook for preventing unnecessary immigration detention, International Detention Coalition, 2011, p. 034.
  • [34]
    Agence des droits fondamentaux (FRA), rapport annuel 2012, p. 60, tableau 1.6.
  • [35]
    Contribution de la PICUM au Rapporteur spécial de le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) sur les migrants, rapport thématique sur la rétention, 26 janvier 2012, p. 4.
  • [36]
    Loi du 13 juin 2003 sur l’octroi d’une protection aux étrangers.
  • [37]
    Idem, article 114, paragraphe 3.
  • [38]
    Idem, article 115, paragraphe 1.
  • [39]
    Contribution de la PICUM au Rapporteur spécial de l’OHCHR sur les migrants, op. cit.
  • [40]
    Ibid.
  • [41]
    Ibid.
  • [42]
    Impacts of Detention on Children, chapitre 5, p. 48.

1Résumé

2Le présent rapport se fonde sur le principe selon lequel les enfants sont avant tout des enfants et ne devraient en aucune circonstance être retenus pour des raisons d’immigration. La rétention d’enfants migrants a un effet préjudiciable sur leur santé physique et psychologique. Elle porte en effet atteinte à leurs droits et les empêche d’accéder notamment à l’éducation et à des soins de santé appropriés.

3Gardant à l’esprit la protection des droits de l’homme, ce rapport offre également un aperçu du rapport coûts-avantages des solutions de remplacement à la rétention et met en exergue d’autres modèles.

4Les États membres du Conseil de l’Europe n’ayant pas encore pris de mesures sont invités à mettre un terme à la rétention des enfants migrants et à encourager et faciliter l’application de solutions alternatives.

A – Projet de résolution [2]

51. L’Assemblée parlementaire est très préoccupée de constater que le placement en rétention d’enfants migrants est un phénomène croissant dans les États membres du Conseil de l’Europe. Malgré des améliorations dans la législation et la pratique de certains pays européens, des dizaines de milliers d’enfants migrants finissent encore chaque année en rétention. Cette pratique est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant et constitue une violation manifeste de ses droits.

62. Des enfants migrants sont fréquemment placés en rétention dans des États membres pour la simple raison qu’ils ne sont pas en possession des bons documents d’immigration. Ils n’ont commis aucun crime. Pourtant, ils encourent des sanctions pénales, risquent de se retrouver dans des conditions de type carcéral, d’être privés du soutien et de la protection de leurs familles et de se voir dénier plusieurs droits fondamentaux, comme l’accès à la santé et à l’éducation et le droit de jouer.

7L’Assemblée rappelle la position exprimée dans sa Résolution 1810 (2011) « Problèmes liés à l’arrivée, au séjour et au retour d’enfants non accompagnés en Europe » selon laquelle les mineurs non accompagnés ne devraient jamais être placés en rétention. Le placement d’enfants en rétention en raison de leur situation ou de celle de leurs parents au regard des règles d’immigration est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant et constitue une violation de ses droits tels que définis par la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant.

8L’Assemblée s’alarme en particulier des conséquences graves que la rétention, même de très courte durée et dans des conditions relativement humaines, peut avoir à plus ou moins long terme sur la santé physique et mentale des enfants. Les enfants migrants placés en rétention sont particulièrement exposés aux effets négatifs du placement en rétention et peuvent être gravement traumatisés. Il existe également un risque élevé que les enfants placés en rétention fassent l’objet de différentes formes de violences.

9En plus d’être privés de leur liberté, les enfants migrants en rétention sont fréquemment privés d’autres droits fondamentaux, comme le droit au regroupement familial, le droit d’accès à l’éducation et le droit à des soins de santé de qualité.

10L’Assemblée se félicite des solutions alternatives au placement en rétention d’enfants migrants promues par certains pays européens. Lorsqu’elles sont correctement appliquées, ces solutions sont plus efficaces, coûtent moins cher et protègent mieux les droits et la dignité des enfants ; elles privilégient la qualité des retombées en termes de santé et de bien-être pour les enfants migrants.

11L’Assemblée constate avec satisfaction que plusieurs États membres, dont la Belgique, le Danemark, la France, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ont pris des mesures pour mettre fin au placement d’enfants migrants en rétention. Dans ces pays, les enfants migrants ne sont pas placés en rétention ou, si cela se produit, des dispositions législatives, politiques ou pratiques prévoient leur remise en liberté.

12Cependant, bien que la législation de la plupart des États membres prévoie la mise en place de solutions alternatives à la rétention, la majorité d’entre eux ne les appliquent pas dans les faits.

13L’Assemblée considère qu’il est urgent de mettre fin au placement en rétention d’enfants migrants, ce qui nécessite des efforts concertés de la part des autorités nationales concernées. En conséquence, l’Assemblée appelle les États membres :

149.1. à reconnaître qu’il n’est jamais dans l’intérêt supérieur d’un enfant d’être placé en rétention en raison de son statut ou de celui de ses parents au regard de la législation sur l’immigration ;

159.2. à légiférer pour interdire le placement en rétention d’enfants pour des raisons relatives à l’immigration, lorsque cela n’a pas encore été fait, et à veiller à la pleine application de la législation dans les faits ;

169.3. à s’abstenir de placer en rétention administrative des mineurs non accompagnés ou séparés ;

179.4. à veiller à ce que les enfants soient traités avant tout comme des enfants et que les personnes qui se déclarent mineures soient traitées comme telles jusqu’à preuve du contraire ;

189.5. à développer des procédures d’évaluation de l’âge adaptées aux enfants migrants ;

199.6. à poursuivre leurs efforts pour mettre leur législation sur les étrangers en conformité avec les meilleures pratiques internationales, tout en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant tel que consacré par l’article 3 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et en favorisant diverses formes d’alternatives à la rétention reconnues au niveau international ;

209.7. à adopter des alternatives à la rétention qui répondent à l’intérêt supérieur de l’enfant et permettent aux enfants de rester avec leur famille et/ou tuteur dans un cadre non carcéral, au sein de la collectivité, en attendant que la question de leur statut au regard de la législation sur l’immigration soit résolue ;

219.8. à fournir les ressources nécessaires pour développer des alternatives au placement en rétention d’enfants migrants ;

229.9. à s’efforcer d’élaborer et de mettre en œuvre des programmes de rétention des enfants et de leurs familles non privatifs de liberté, au sein de la collectivité, en s’appuyant sur le « modèle d’évaluation de la communauté et de placement adapté à l’enfant » (CCAP) ;

239.10. à sensibiliser tous les agents publics, notamment la police et les procureurs et juges chargés des affaires d’immigration, aux normes internationales des droits de l’homme, en insistant sur les droits de l’enfant et les alternatives à la rétention ;

249.11. à diffuser les meilleures pratiques sur les alternatives à la rétention d’enfants migrants à tous les États membres ;

259.12. à encourager la collaboration entre les gouvernements des États membres, le Conseil de l’Europe, les agences des Nations unies, les organisations intergouvernementales et les organisations de la société civile pour mettre fin à la rétention d’enfants migrants et mettre en œuvre d’autres solutions non privatives de liberté, au sein de la collectivité, pour la rétention des enfants et de leurs familles.

B – Projet de recommandation [3]

261. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution… (2014) sur les alternatives au placement en rétention d’enfants migrants.

272. L’Assemblée souligne que les États qui pratiquent le placement en rétention d’enfants migrants contreviennent au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et portent atteinte à ses droits. Ils privent les enfants de leur droit fondamental à la liberté et les exposent à des risques de graves troubles physiques, psychiques et du développement pouvant les affecter tout au long de leur vie. Ils peuvent aussi porter atteinte à d’autres droits fondamentaux des enfants, comme le droit à la vie de famille, à la santé, à l’éducation ou encore le droit de jouer. L’Assemblée considère que le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer pour mettre fin à cette pratique inhumaine en favorisant les alternatives au placement en rétention d’enfants migrants.

283. En conséquence, l’Assemblée demande au Comité des Ministres :

293.1. de lancer une étude destinée à collecter des données quantitatives et qualitatives sur le placement en rétention d’enfants migrants et l’application de solutions non privatives de liberté au sein de la collectivité au lieu du placement en rétention des enfants et de leurs familles, et de promouvoir le partage de ces pratiques dans toute l’Europe ;

303.2. d’établir des lignes directrices pour l’application de procédures d’évaluation de l’âge qui soient adaptées aux enfants migrants.

C – Exposé des motifs, par Mme Bokuchava, rapporteure

1 – Introduction

311. Tous les jours, dans le monde entier, des millions d’enfants sont retenus faute de disposer des bons documents d’immigration. La rétention des mineurs migrants est un phénomène croissant également dans les États membres du Conseil de l’Europe. Le recours à la rétention se développe depuis vingt ans, car les pouvoirs publics essaient de contrôler l’entrée et le séjour de migrants.

322. Les enfants quittent leur région pour diverses raisons. Certains partent avec leur famille, mais d’autres fuient seuls en raison d’un conflit armé dans leur pays, de violations de leurs droits fondamentaux ou simplement parce qu’ils sont en quête d’une vie meilleure. Tous les enfants, accompagnés ou non, qui voyagent sans papiers, qu’ils cherchent à trouver asile ou qu’ils aient la qualité de réfugiés ou de migrants en situation irrégulière risquent d’être retenus.

333. Si la législation et la pratique d’un certain nombre de pays européens se sont améliorées, des centaines d’enfants migrants finissent toujours en rétention. Il est difficile d’obtenir des statistiques précises, notamment sur la rétention de mineurs, mais la tendance à la hausse est confirmée par les organismes des Nations unies ainsi que par des organisations non gouvernementales (ONG) comme l’International Detention Coalition (IDC), l’une des principales organisations dans ce domaine [4].

344. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a invité les États à mettre rapidement et définitivement fin à la rétention des enfants sur la base de leur statut d’immigré [5], car la rétention est une violation des droits de l’enfant. Il a aussi instamment invité les États à trouver des solutions de rechange à la rétention qui correspondent à l’intérêt supérieur de l’enfant [6]. Malgré ces appels sans ambiguïté, la rétention d’enfants migrants demeure une préoccupation réelle et grave dans les États membres du Conseil de l’Europe.

355. Dans le présent rapport, je soutiens l’idée selon laquelle les enfants sont avant tout des enfants et ne devraient jamais être retenus à des fins d’immigration. La rétention est une négation du droit fondamental de l’enfant à la liberté. Tout en s’opposant à la rétention d’enfants du point de vue des droits de l’homme, j’essaie de faire mieux comprendre les coûts-avantages des mesures pouvant remplacer la rétention en en mettant certaines en évidence afin de promouvoir et de faciliter leur usage dans tous les États membres du Conseil de l’Europe.

1.1 – Statistiques disponibles

366. Comme il est indiqué dans la communication de la PICUM (Plate-forme pour la coopération internationale sur les sans-papiers) au Comité des Nations unies pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, les données sur les enfants migrants sans-papiers demeurent rares. Cette rareté s’explique en partie pour ce qui est des enfants migrants à charge par le fait que leurs déplacements sont rarement dissociés de ceux de leurs parents [7]. La Division de la population du Département des affaires économiques et sociales des Nations unies indique qu’au niveau mondial, 16 % des migrants ont moins de 20 ans [8]. En Europe, il ressort des chiffres d’Eurostat que 41 455 migrants appréhendés en Europe en 2011 étaient des enfants. Ce chiffre se décompose comme suit : 16 250 enfants de moins de 14 ans et 25 205 enfants âgés de 14 à 17 ans [9].

377. L’Assemblée parlementaire a aussi mis en évidence la difficulté d’obtenir des statistiques sur le nombre d’enfants retenus. En 2011, M. Pedro Agramunt, rapporteur de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, indiquait dans son rapport être « incapable d’estimer le nombre d’enfants migrants sans-papiers en Europe » [10]. Certaines estimations nationales du nombre d’enfants sans-papiers en Europe illustrent cependant l’ampleur du phénomène. D’après les estimations du projet Clandestino, entre 44 000 et 144 000 enfants sans-papiers sont nés au Royaume-Uni sur un total de 417 000-863 000 migrants sans-papiers. Dans la suite des données réunies par Clandestino, le projet de recherche COMPAS de l’Université d’Oxford a relevé une estimation de 120 000 enfants sans-papiers au Royaume-Uni en 2011 dont plus de 85 000 seraient nés au Royaume-Uni [11]. D’après une étude de l’Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers, les enfants représentent au moins 10 % des migrants sans-papiers en Suisse [12].

1.2 – Conséquences négatives de la rétention pour les enfants

388. La rétention a de graves effets négatifs, à court et à long termes, sur la santé physique et mentale des enfants et est toujours contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’il est défini dans la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Si la rétention est, d’une manière générale, une expérience traumatisante, les enfants sont particulièrement mal armés face à ses effets négatifs et peuvent être très traumatisés. Il ressort de recherches que des périodes de rétention même courtes sont préjudiciables au développement cognitif et affectif de l’enfant ; ces conséquences désastreuses peuvent être à l’origine d’un traumatisme à vie et de troubles du développement chez l’enfant. Les enfants retenus risquent aussi de faire l’objet de différentes formes de violence et/ou d’être privés du droit d’accès à l’éducation et à la santé.

1.3 – Protection juridique des migrants contre la rétention à l’échelle internationale et européenne

399. Dans sa Résolution 63/184, l’Assemblée générale des Nations unies prie les États de « respecter les droits de l’homme et la dignité intrinsèque des migrants et de mettre un terme aux arrestations et détentions arbitraires ». Elle préconise l’adoption de mesures autres que la rétention et le réexamen des durées de rétention. Elle se félicite aussi des pratiques des États visant à réduire la rétention des migrants en situation irrégulière. Elle a adopté, en 2010, une Résolution sur la protection des migrants dans laquelle elle appelait de nouveau à réduire la durée de rétention des migrants en situation irrégulière. En octobre 2013, elle a tenu le deuxième dialogue à haut niveau sur les migrations internationales et le développement au cours duquel le Secrétaire Général a déclaré qu’il fallait créer davantage de canaux pour des migrations sûres et ordonnées et trouver d’autres solutions à la rétention administrative des migrants [13].

4010. En 2009, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a consacré une discussion spéciale aux droits de l’homme des migrants en rétention en raison des inquiétudes que suscitent le recours à la rétention de migrants et la durée et les conditions de rétention sous l’angle des droits de l’homme. Il a en outre reconnu le problème de la rétention des migrants dans la résolution sur les droits de l’homme des migrants dans laquelle les États sont priés « de mettre un terme aux arrestations et à la détention arbitraires et… lorsque c’est possible, d’adopter des mesures autres que la rétention » [14].

4111. En septembre 2009, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies a fait observer que le sort des migrants, et en particulier des migrants en situation irrégulière, était l’un des principaux défis actuels en matière de droits de l’homme. Plus récemment, elle a invité les États à étudier des solutions de remplacement efficaces à la rétention des migrants, en particulier des enfants et d’autres groupes vulnérables de migrants.

4212. L’Assemblée parlementaire a condamné la rétention des migrants mineurs, en particulier des mineurs non accompagnés. Elle indique clairement dans sa Résolution 1707 (2010) « Rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe » que « les mineurs non accompagnés ne sont jamais retenus ». La Cour européenne des droits de l’homme a aussi rendu un certain nombre d’arrêts dans lesquels elle insiste sur le caractère inadmissible de la rétention de mineurs [15] et préconise d’autres modes de prise en charge pour respecter l’intérêt supérieur de l’enfant. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) estime que tout devrait être fait pour éviter de recourir à la privation de liberté d’un étranger en situation irrégulière qui est mineur [16].

1.4 – Raisons pour lesquelles les enfants en sont les victimes

4313. Si d’autres modalités de placement existent dans la plupart des États membres, en particulier pour les enfants migrants non accompagnés, les États membres ont toujours recours à la rétention dans des cas trop nombreux. Les enfants sont retenus pour être soumis à un examen de santé et à un contrôle de sécurité, être identifiés et pour que leur statut soit déterminé. Certains enfants sont placés dans des établissements réservés aux mineurs exclusivement, mais d’autres sont placés avec des adultes avec lesquels ils n’ont aucun lien. Dans certains États membres, les mineurs finissent dans des établissements pénitentiaires tout à fait inadaptés à leurs besoins.

4414. Il arrive que des États retiennent des enfants par erreur, en raison des difficultés qu’ils ont à connaître leur âge. Trop souvent, les procédures de détermination de l’âge servent cependant de justification à l’État. Bien qu’il existe une norme imposant que les personnes qui affirment être mineures soient traitées en tant que telles jusqu’à preuve du contraire, à moins que cette affirmation ne soit manifestement infondée, plusieurs États les placent encore en rétention dans des institutions pour adultes. La procédure d’évaluation de l’âge, qui devrait être appliquée en dernier recours, est souvent retardée pour des raisons illégitimes.

4515. Il existe aussi un risque important que la procédure d’évaluation de l’âge porte atteinte à la dignité de la personne qui y est soumise, à moins qu’elle soit conduite selon des méthodes pluridisciplinaires (c’est-à-dire pas uniquement médicales) respectueuses de la dignité de la personne et qu’elle repose sur le consentement éclairé de l’intéressé. Les méthodes et les actes des personnes procédant à cette évaluation doivent être adaptés à l’âge, au sexe et à la culture des intéressés.

2 – Alternatives à la rétention : politique, législation et pratique

4616. Les États ont recours à toute une série de raisons pour justifier la rétention de migrants en situation irrégulière. Parallèlement, ils ont l’obligation d’établir le principe du maintien en liberté et de trouver d’autres solutions, en appliquant des mesures non privatives de liberté et moins restrictives.

2.1 – Politique

4717. Malgré l’essor des politiques de limitation et de contrôle, les pouvoirs publics sont depuis peu davantage intéressés par des mesures de substitution à la rétention. Ces dernières sont considérées comme un moyen de gérer efficacement les migrations tout en protégeant les droits et la dignité des migrants. Un nombre croissant de gouvernements prennent des mesures pour étudier et appliquer d’autres solutions allant d’études préliminaires et de projets pilotes à petite échelle à des mesures et des changements systémiques [17].

2.2 – Législation

4818. Les alternatives à la rétention que prévoit désormais la législation des États membres du Conseil de l’Europe et l’adoption de nouvelles politiques illustrent les efforts déployés pour réduire la rétention des enfants en Europe.

4919. Plusieurs États membres ont modifié leur législation en 2012. Plus précisément, la Croatie a adopté plusieurs mesures légales pouvant remplacer la rétention, à savoir l’obligation de remise des documents, le versement de cautions, la nécessité d’avoir une résidence fixe et de se signaler régulièrement [18]. À la fin de 2011, Chypre a aussi ajouté dans sa législation la possibilité d’appliquer d’autres mesures que la rétention sans toutefois les définir [19]. La nouvelle loi slovaque sur le séjour des étrangers, entrée en vigueur en janvier 2012, prévoit aussi des mesures autres que la rétention, à savoir l’assignation à résidence et la possibilité de garanties financières [20].

2.3 – Pratique

5020. Malte est le dernier État membre de l’Union européenne qui ne permet l’application d’autres solutions que lorsqu’une la libération est envisagée [21]. La non-application, dans la pratique, de mesures de remplacement demeure un grave motif d’inquiétude, car de nombreux États ont plus souvent recours à la rétention qu’aux différentes solutions possibles.

5121. Les pays européens et non-européens ont des pratiques différentes qui autorisent les enfants migrants en situation irrégulière à rester dans le pays en jouissant d’une certaine liberté de circulation. Cette période dure tant que leur statut n’a pas été défini ou tant qu’ils n’ont pas été éloignés. Les mesures de remplacement de la rétention, qui réduisent l’application de mesures privatives de liberté, sont nombreuses : obligation de se présenter régulièrement à la police, restrictions en matière de résidence et accompagnement, obligation de remettre ses papiers, garanties financières/ cautions, surveillance électronique.

5222. Certains États ont choisi des modèles différents mis au point par les principales organisations œuvrant dans ce domaine, comme l’IDC, plus précisément le modèle d’évaluation et de placement dans la communauté (CAP). Ce modèle repose sur quelques principes que les autorités doivent appliquer :

  • présomption de l’inutilité de la rétention ;
  • examen et évaluation au cas par cas ;
  • évaluation du cadre local ;
  • imposition, au besoin, de conditions de séjour dans la collectivité ;
  • rétention uniquement en dernier recours, dans des circonstances exceptionnelles.

5323. Quelques États, dont l’Argentine, l’Australie, le Canada, l’Espagne, les États-Unis, Hong-Kong, la Hongrie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, le Royaume-Uni, la Suède et le Venezuela, ont commencé à appliquer certains de ces principes, ce qui a entraîné une baisse du taux de rétention de migrants.

5424. Malgré des changements importants dans la législation et des tentatives pour modifier les pratiques, le fait que des enfants migrants continuent d’être placés en rétention dans la majorité des États membres reste une source de graves préoccupations. Si quelques États considèrent la rétention comme une mesure de dernier recours et optent, dans la plupart des cas, pour d’autres solutions, dans d’autres elle continue d’être appliquée comme une mesure de routine, ce qui fait que des enfants se retrouvent derrière les barreaux dans différents types d’institutions, notamment dans des locaux de police et des centres spéciaux, qui ne se préoccupent pas du tout de leurs besoins et portent atteinte à leurs droits fondamentaux.

3 – Quelles solutions de rechange ?

5525. Les recherches commanditées par l’ONG International Detention Coalition (IDC) ont permis de recenser les quelques avantages retirés par les autorités qui recourent à des solutions de rechange permettant d’éviter la rétention.

  • assurer un niveau élevé de respect des mesures imposées aux demandeurs d’asile ;
  • coûter moins cher que la rétention ;
  • réduire les cas de placement en rétention à tort et les recours ;
  • réduire la surpopulation carcérale ;
  • protéger et promouvoir les droits de l’homme ;
  • améliorer l’état de santé et le bien-être des intéressés.
  • augmenter le nombre de rapatriements et de départs volontaires.

3.1 – Absence d’effet dissuasif réel de la rétention

5626. Le problème des migrations illégales est assurément une question que les autorités doivent suivre au quotidien. Les éléments disponibles et les déclarations des autorités montrent une fois encore qu’une politique de rétention n’est pas dissuasive pour les demandeurs d’asile, les réfugiés et les migrants en situation irrégulière. En dépit du durcissement incessant des politiques de rétention observé ces vingt dernières années, le nombre d’arrivées clandestines n’a pas diminué [22].

5727. Plusieurs études ont été réalisées pour déterminer les facteurs qui influencent le plus la destination choisie par les demandeurs d’asile et les migrants en situation irrégulière. Selon de nombreux travaux réalisés dans ce domaine, les demandeurs d’asile et les réfugiés cherchent avant tout à trouver un lieu où ils soient en sécurité [23]. Avant d’arriver, les demandeurs d’asile n’ont qu’une vague idée des politiques menées par les pays de destination en matière de migration. Ils s’en remettent souvent aux passeurs pour choisir leur destination. Au lieu d’être influencés avant tout par des mesures de traitement des migrations comme la rétention, la plupart des réfugiés optent pour des destinations où ils retrouveront des proches ou des amis ou encore des pays qu’ils considèrent comme sûrs, tolérants et démocratiques.

3.2 – Réduction des coûts

5828. Il est incontestable que grâce à des lois et des politiques efficaces, à des systèmes clairs et à une bonne mise en œuvre, la gestion des demandeurs d’asile, des réfugiés et des migrants en situation irrégulière peut se faire dans la plupart des cas au sein de la société. Pour peu qu’elles apprennent à trier et à évaluer les différentes personnes placées en rétention ou susceptibles de l’être et qu’elles mettent en place les aides et les conditions appropriées pour vivre comme il convient au sein de la société, les autorités peuvent apprendre à gérer dans la plupart des cas ces personnes au sein de la société sans supporter le coût humain et financier lié au maintien en rétention.

5929. Le coût de la rétention et le nombre de migrants susceptibles d’être placés en rétention sont trop importants. Les recherches commanditées par IDC montrent que des solutions de rechange à la rétention fiables et économiques sont employées actuellement dans une série de cadres et semblent avoir été utiles à tout un éventail de parties prenantes concernées [24].

6030. Quelques pays ont réussi à faire baisser considérablement les coûts des migrations par des changements de politique et de pratique. Une réduction notable du nombre de rétentions, l’adoption d’outils de gestion individuelle des dossiers et le placement au sein de la société ont permis aux États-Unis, au Canada et à l’Australie de réduire de 60 % à 90 % leur budget dans ce domaine par rapport au budget nécessaire pour des migrants placés en rétention.

3.3 – Degré élevé de respect des mesures

6131. Les avantages que procure le recours à des solutions de rechange à la rétention ne se limitent pas aux économies réalisées. Selon les données disponibles, le taux de respect des mesures décidées est lui aussi élevé. Seul un faible pourcentage de migrants et de demandeurs d’asile ne les respectent pas. Une étude récente portant sur le bilan de 13 programmes a montré que le taux de respect des mesures allait de 80 % à 99,9 %. Ainsi, Hong Kong parvient à un taux de 97 % avec les demandeurs d’asile ou les victimes de la torture autorisés à rester au sein de la société. En Belgique, un programme pilote applicable à des familles susceptibles d’être éloignées a obtenu un taux de 82 % de respect des mesures. Les recherches menées par l’IDC ont montré que les demandeurs d’asile et les migrants en situation irrégulière s’enfuient rarement pendant qu’ils attendent le résultat de l’examen de leur demande ou d’un autre processus judiciaire. Ils s’adaptent mieux à une situation de liberté ou de remise en liberté conditionnelle, ou à une décision finale négative s’ils peuvent satisfaire leurs besoins de base au sein de la société, s’ils sont passés par un processus d’examen équitable et efficace au cours duquel ils ont bénéficié d’une assistance juridictionnelle et s’ils ont reçu des avis juridiques et autres conseils sur toutes les solutions qui leur permettraient de rester légalement dans le pays et, le cas échéant, si on leur offre une assistance pour envisager des formules de départ durables [25].

3.4 – Amélioration des conditions de protection sanitaire et sociale

6232. Le troisième avantage est la protection de la santé et du bien-être des migrants, enfants et adultes. Il y a plusieurs raisons de croire que les solutions de rechange à la rétention favorisent davantage la santé et le bien-être que la rétention au titre de l’immigration. Il est évident que tous ceux qui attendent le résultat d’une procédure liée à l’immigration peuvent éprouver du stress et de l’angoisse face à un avenir incertain [26], mais l’état de santé physique et mentale des personnes retenues est bien plus mauvais que celui des personnes qui n’ont jamais été mises en rétention [27].

3.5 – Avantages combinés des solutions de rechange

6333. Il est évident que pour que les États arrivent à gérer les migrations, à réduire les risques au minimum et à abaisser véritablement les coûts en économisant des ressources, il faut qu’ils optent pour des solutions de rechange et qu’ils arrêtent de recourir à la rétention des migrants. Il apparaît que quand on évite la rétention, le risque que les migrants s’enfuient est plutôt faible, et qu’inversement ils ont beaucoup plus de chances de rester en bonne santé et de connaître un certain bien-être. De plus, les autorités parviennent ainsi à mieux se conformer à leurs obligations internationales et internes en matière de droits de l’homme, à éviter la critique de l’opinion publique et à donner à d’autres États un exemple de bonnes pratiques.

6434. En dépit des nombreuses études et recommandations faites par des organisations internationales, des groupes de défense des droits de l’homme et des rapporteurs spéciaux, il reste énormément à faire pour parvenir au but et faire diminuer le nombre d’enfants placés en rétention. Il est évident qu’il faut faire beaucoup plus pour persuader les gouvernements des avantages des solutions alternatives et des effets négatifs produits par toute forme de rétention. Des ressources beaucoup plus importantes sont nécessaires pour promouvoir des réformes et former les fonctionnaires concernés aux meilleures pratiques quant à la manière de gérer les problèmes relatifs aux migrations. Ces formations devraient s’adresser aux personnels des services des migrations, à la police, aux autorités judiciaires et de poursuite, ainsi qu’aux services sociaux qui ont affaire à cette question.

4 – Politique et pratique des États membres

4.1 – Pratiques positives

6536. Certains États membres ont cessé de placer en rétention les enfants, y compris les mineurs non accompagnés. Soit les mineurs ne sont pas placés en rétention, soit une disposition légale ou la pratique entraînent leur remise en liberté (Belgique, Danemark, France, Hongrie, Irlande, Italie, Pays-Bas et Royaume Uni) [28].

6637. L’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas, le Royaume Uni et la Slovénie ont également opté pour le principe d’exclure a priori la rétention en droit ou en pratique. Ce principe est appliqué quand il repose sur une base légale. Il a d’autant plus de force que des solutions de rechange à la rétention sont prévues par la loi. L’efficacité de la loi dépend de leur bonne application. La législation peut aussi prévoir des mécanismes pour vérifier le recours aux solutions de rechange et veiller à éviter les restrictions superflues [29].

6737. Plusieurs États prennent des mesures déterminantes pour éviter la rétention en ouvrant des foyers spéciaux ou en lançant des projets spéciaux ciblés afin de mettre en œuvre des solutions de rechange. Ils définissent des normes appropriées et encouragent les bonnes pratiques dans la région. Leur approche est loin d’être homogène, car les modèles ont tous des avantages et des inconvénients. Ils présentent pourtant des éléments communs :

  • la rétention est évitée ;
  • les coûts sont considérablement réduits ;
  • les migrants sont en meilleure santé et leur bien-être est assuré ;
  • le taux de respect des mesures imposées reste élevé.

6838. La Hongrie a interdit la rétention de migrants mineurs [30] et avec l’aide d’ONG locales, les autorités ont ouvert un foyer pour mineurs non accompagnés. Les Pays-Bas expérimentent quatre solutions de rechange à la rétention. L’un des programmes porte sur les migrants qui sont contraints de quitter le pays [31]. En Suède, les demandeurs d’asile sont enregistrés à leur arrivée et après avoir reçu une pièce d’identité et avoir passé une semaine dans un centre de transit, ils entament un programme d’accueil. Les autorités assurent l’hébergement de ceux qui ne peuvent couvrir eux-mêmes leurs frais de logement. En général, ils sont logés dans un appartement privé loué à leur intention par les autorités. Les enfants bénéficient des mêmes soins médicaux que les petits Suédois. Le dossier des migrants est confié à un responsable précis. Les migrants bénéficient d’une aide juridictionnelle gratuite et participent à des cours spéciaux de suédois. Ils touchent une allocation journalière et dans certains cas, ils sont même autorisés à travailler [32]. La Belgique a élaboré des mesures pour ne pas placer les enfants en rétention. Le projet, qui intéresse directement les familles de migrants, permet d’assurer leur hébergement dans un immeuble d’habitation qui leur est réservé. En Espagne, les migrants qui engagent la procédure d’attribution du statut de réfugié ne peuvent être hébergés dans un centre d’accueil ouvert que s’ils n’ont pas les moyens de louer un logement à titre privé. Certains centres ouverts sont gérés par les autorités, d’autres dépendent d’organisations non gouvernementales. La capacité de ces centres est relativement limitée, si bien que la priorité est donnée aux personnes vulnérables, y compris les familles avec enfants. Les résidents sont confiés à un travailleur social qui les aide à traiter leur dossier et leur facilite l’accès à l’éducation, aux soins de santé et à d’autres systèmes sociaux du pays [33].

4.2 – Sources de préoccupation

6939. Malheureusement, il ne suffit pas de déterminer légalement des solutions de rechange à la rétention pour appliquer ces solutions. Comme indiqué auparavant, la plupart des États membres n’établissent pas de statistiques appropriées sur les solutions de rechange à la rétention. Il est donc difficile d’en évaluer la mise en œuvre.

7040. Selon les statistiques disponibles de neuf États membres, certains États recourent régulièrement à des solutions de rechange (Autriche, Roumanie et République tchèque), tandis qu’il ne semble que ce soit le cas en Bulgarie, en Croatie, en Lettonie, en Lituanie, en Slovénie et en Slovaquie [34]. Dans ces pays, les autorités optent dans la plupart des cas pour la rétention des migrants.

7141. La loi italienne n’interdit pas la rétention des enfants accompagnés de leurs parents dans les centres de rétention pour migrants, mais le placement de mineurs non accompagnés dans ces centres est interdit [35]. En Pologne, les enfants sont retenus avec leurs parents, d’ordinaire dans des locaux familiaux distincts aménagés dans le centre de rétention [36]. En Lituanie, la loi sur les étrangers prévoit qu’un étranger âgé de moins de 18 ans peut être retenu uniquement dans des cas extrêmes, compte tenu de son intérêt supérieur [37]. La loi dresse une liste de solutions de rechange qui peuvent s’appliquer quand l’identité de l’étranger a été établie et que celui-ci ne constitue pas une menace pour la sécurité nationale ou pour une politique publique, et qu’il collabore avec la justice pour la détermination de son statut en Lituanie [38].

7242. Le Gouvernement du Royaume-Uni s’est engagé à mettre fin à la rétention des enfants au titre de l’immigration avant mai 2011. Cependant, une demande formulée au titre de la Freedom of Information Act par la Children’s Society a permis de découvrir qu’en quatre mois, de mai à août 2011, près de 700 enfants ont été retenus au Royaume Uni. La Children’s Society a aussi établi que le ministère de l’Intérieur du Royaume Uni ne suit guère la question, car il ne collecte pas d’informations sur la durée de la rétention de ces enfants ni sur les motifs justifiant en premier lieu leur placement en rétention [39].

7343. De plus, les autorités ont proposé de remplacer la rétention par un « hébergement avant éloignement » (pre-deportation accommodation), qui demeure aussi très contestée. Les familles qui refusent de quitter le Royaume-Uni peuvent être retenues jusqu’à 72 heures, ou dans des « cas exceptionnels », jusqu’à une semaine, dans un « centre de pré-départ » (predeparture accommodation). Les autorités ont affirmé que le centre, une ancienne école spéciale proche de Gatwick, serait adapté aux besoins des familles et ne servirait qu’en dernier ressort, ainsi que l’a recommandé un comité indépendant sur l’éloignement des familles, pour tenir compte du bien-être des enfants. Cependant, les familles ne pourront aller et venir et le centre sera surveillé 24 heures sur 24 et entouré d’une clôture de 2,3 mètres de haut. Le centre de pré-départ conserve donc bien des caractéristiques de la rétention et la PICUM et beaucoup d’organisations de la société civile sont préoccupées à l’idée qu’il puisse avoir des effets néfastes notables sur les enfants [40].

7444. La Grèce accueille toujours un grand nombre de migrants chaque année, mais le système d’accueil est mal organisé. Bien que la rétention ne doive être utilisée qu’en dernier ressort, l’ensemble des migrants, y compris les mineurs accompagnés et non accompagnés appréhendés par la police grecque, sont toujours placés systématiquement en rétention pendant une durée pouvant aller jusqu’à plusieurs mois [41].

7545. Dans beaucoup de d’États membres, la loi permet à l’évidence d’appliquer d’autres solutions mais, pour diverses raisons, la rétention est toujours pratiquée et reste, dans certains États, la solution la plus fréquente. Il ne sera pas possible de parvenir à des résultats positifs sans un changement dans les esprits et l’affectation des ressources et sans un personnel formé à cet effet. Les États devraient mettre en place des systèmes efficaces reposant sur d’autres solutions, commencer à établir de vraies statistiques nationales sur la question et former leurs agents à l’application d’alternatives à la rétention. Les fonctionnaires concernés devraient être encouragés à appliquer des solutions alternatives et à éviter le placement d’enfants en rétention.

5 – Observations et recommandations finales

7646. Des éléments probants indiquent que la rétention des enfants au titre de l’immigration nuit à leur santé physique et mentale. La rétention des mineurs est une atteinte à leurs droits, elle les prive de l’accès à l’enseignement général et à des soins de santé appropriés. La rétention produit les mêmes effets sur les enfants que sur les adultes. Cependant, en raison de la vulnérabilité particulière des enfants, elle peut entraîner des problèmes supplémentaires pour leur développement et leur santé physique. Le milieu fermé de la rétention lui-même est dommageable pour l’état de santé et le développement psychosocial des enfants. L’environnement de type pénitentiaire, le manque de liberté, la surveillance permanente et les contrôles incessants ont des effets déstabilisants [42].

7747. Les données montrent que la situation diffère d’un pays à l’autre et qu’aucune approche uniforme n’a été élaborée jusqu’ici. Alors que peu d’États prennent des mesures pour éviter la rétention superflue de mineurs et optent pour des solutions de rechange, la plupart des pays recourent toujours à la rétention tout en mettant en œuvre diverses mesures et en faisant appel à des institutions spécialisées.

7848. La législation de la plupart des États membres interdit la rétention de mineurs et prévoit la possibilité de recourir à des solutions de rechange. En pratique toutefois, la plupart des États ne recourent pas à ces mesures ou ils ne le font que rarement. Dans certains États, les lacunes législatives sont aggravées par des politiques et des pratiques erronées. Il faudrait que les autorités mènent une action concertée pour mettre fin à la rétention des enfants migrants et qu’elles entreprennent d’élaborer des modèles efficaces d’application des solutions de rechange à la rétention en se fondant sur les bonnes pratiques décrites dans le présent rapport.


Date de mise en ligne : 10/12/2014.

https://doi.org/10.3917/jdj.338.0109

Notes

  • [1]
    Renvoi en commission : Doc. 13050, Renvoi 3923 du 21 janvier 2013.
  • [2]
    Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 9 septembre 2014.
  • [3]
    Projet de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 9 septembre 2014.
  • [4]
    L’IDC est un réseau mondial comptant plus de 300 organisations de la société civile et particuliers dans plus de 70 pays qui fait des recherches, préconise et fournit des services directs aux réfugiés, aux demandeurs d’asile et aux migrants retenus pour limiter toute rétention inutile. L’IDC mène aussi une campagne pour mettre fin à la rétention des enfants dans le monde, à laquelle se sont notamment associés le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’UNICEF : http://endchilddetention.org/.
  • [5]
    Comité des droits de l’enfant, rapport de la journée de débat général de 2012 sur les droits de l’enfant dans le contexte des migrations internationales, paragraphe 78.
  • [6]
    Ibid., paragraphe 79.
  • [7]
    2 avril 2013.
  • [8]
    Département des affaires économiques et sociales de l’Onu, Division de la population, Migration internationale 2009 : www.un.org/esa/population/publications/2009Migration_Chart/ittmig_wallchart09.pdf.
  • [9]
    Eurostat (2011), Statistiques sur la mise en œuvre de la législation relative à l’immigration.
  • [10]
    « Les enfants migrants sans-papiers en situation irrégulière : une réelle cause d’inquiétude », Doc. 12718, paragraphe 9.
  • [11]
    N. SIGONA et V. HUGHES, « No way out, no way in Irregular migrant children and families in the UK », Université d’Oxford, COMPAS, mai 2012, pp. 6-8.
  • [12]
    Communication de la PICUM au Comité des Nations unies, 22 avril 2013 (paragraphe 6 ci-dessus).
  • [13]
  • [14]
    Conseil des droits de l’homme, 2010, A/HRC/RES/15/16, paragraphe 8.
  • [15]
    Houssein c. Grèce (2013), Rahimi c. Grèce (2013), Popov c. France (2012), Kanagaratnam c. Belgique (2011), Mushadzhiyeva et autres c. Belgique (2010), Mubilanzila et Kanigi Mitunga c. Belgique (2006).
  • [16]
    19e rapport général du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), paragraphe 97.
  • [17]
    Global Trends in Immigration Detention and Alternatives to Detention : Practical, Political and Symbolic Rationales, Journal on Migration and Human Security, Volume 1, n° 3(2013), Robin Sampson et Grant Mitchell.
  • [18]
    Croatie, Loi sur les étrangers, 1er janvier 2012, article 136.3.
  • [19]
    Chypre, Loi sur les étrangers et les migrations, 2011, article18.1.
  • [20]
    Slovaquie, Loi n° 404/2011 sur la Résidence des étrangers.
  • [21]
    Agence des droits fondamentaux (FRA), rapport annuel 2012, paragraphe 1.3.3.
  • [22]
    Edwards A., 2011, Back to basics : The right to liberty and security of person and alternatives to detention of asylum s eekers, stateless persons, and other migrants, UNHCR Legal and Protection Policy Research Series. Genève, HCR.
  • [23]
    V. Robinson et J. Segrott (2002), Understanding the decision making of asylum seekers, Londres, Home Office, dernière consultation : 16.06.2010 à l’adresse : http://rds.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs2/hors243.pdf.
  • [24]
    There are Alternatives, A handbook for preventing unnecessary immigration detention, International Detention Coalition, 2011, p. 9.
  • [25]
    Ibid., p. 002.
  • [26]
    C. Laban, I. Komproe, H. Gernaat et J. de Jong., 2008, The impact of a long asylum procedure on quality of life, disability and physical health in Iraqi asylum seekers in the Netherlands.
  • [27]
    There are Alternatives, A handbook for preventing unnecessary immigration detention, International Detention Coalition, 2011, p. 052.
  • [28]
    Ibid., p. 024.
  • [29]
    Ibid., p. 022.
  • [30]
    Article 56 de la loi II de 2007 sur l’admission et les droits de séjour des ressortissants de pays tiers.
  • [31]
    « Global Trends in Immigration Detention and Alternatives to Detention : Practical, Political and Symbolic Rationales », Journal on Migration and Human Security, vol. 1, Numéro 3(2013), Robin Sampson et Grant Mitchell.
  • [32]
    Ibid., p. 035.
  • [33]
    There are Alternatives, A handbook for preventing unnecessary immigration detention, International Detention Coalition, 2011, p. 034.
  • [34]
    Agence des droits fondamentaux (FRA), rapport annuel 2012, p. 60, tableau 1.6.
  • [35]
    Contribution de la PICUM au Rapporteur spécial de le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) sur les migrants, rapport thématique sur la rétention, 26 janvier 2012, p. 4.
  • [36]
    Loi du 13 juin 2003 sur l’octroi d’une protection aux étrangers.
  • [37]
    Idem, article 114, paragraphe 3.
  • [38]
    Idem, article 115, paragraphe 1.
  • [39]
    Contribution de la PICUM au Rapporteur spécial de l’OHCHR sur les migrants, op. cit.
  • [40]
    Ibid.
  • [41]
    Ibid.
  • [42]
    Impacts of Detention on Children, chapitre 5, p. 48.
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