Couverture de JDJ_338

Article de revue

Protéger un enfant en accompagnant la construction de son parcours de vie. Les récents rapports « Enfance/Famille » en perspective

Pages 47 à 63

Notes

  • [1]
    Sociologue, directeur de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) et rédacteur en chef de la revue Recherches familiales.
    L’article se divise en deux parties : la première traite des limites des politiques fondées sur des statuts et de l’intérêt d’une approche par le parcours. Dans la seconde partie - à paraître dans le prochain numéro - l’auteur aborde les propositions tendant à mieux considérer le parcours des enfants dans les rapports des groupes de travail mis en place en 2013 par la ministre déléguée à la famille.
  • [2]
    Gilles Séraphin, Comprendre la politique familiale, Dunod, 2013.
  • [3]
    Voir le dossier thématique « Parcours de vie » de Recherches Familiales, UNAF, n° 10, 2013.
  • [4]
    « L’intérêt supérieur de l’enfant » (la notion anglaise est plus précise : « the best interest »), notion juridique issue de la Convention internationale des droits de l’enfant (1989) est aujourd’hui, malgré des critiques et analyses sur l’applicabilité en droit (notamment quand cette notion d’intérêt qui s’applique aux enfants collectivement peut heurter ce qui serait de son intérêt pour un enfant singulier dans une situation précise), un principe quasiment unanimement partagé. Dans une situation où les intérêts de plusieurs acteurs divergent et se confrontent (ex : ceux de la mère, du père et de l’enfant), ceux de l’enfant priment. Il ne s’agit pas de négliger les autres intérêts en jeu, mais d’équilibrer les intérêts et surtout, in fine, de faire primer celui de l’enfant quand l’intérêt des autres acteurs risque de mettre en danger son développement.
    Pour l’ensemble des références juridiques sur le droit des mineurs actuellement applicable, voir Philippe Bonfils, Adeline Gouttenoire, Droit des mineurs, Dalloz, coll. Précis/Droit privé, 2014.
  • [5]
    En ce qui concerne la transition à l’âge adulte, voir les documents de l’ONED suivants (www.oned.gouv.fr) : « Entrer dans l’âge adulte. La préparation et l’accompagnement des jeunes en fin de mesure de protection », 2009 ; « Les recherches francophones sur les parcours de placement, la transition à l’âge adulte et le devenir des enfants placés (Sarra Chaïeb) », 2013 (http://www.oned.gouv.fr/publications/recherches-francophones-surparcours-placement-transition-lage-adulte-et-devenir) ainsi que les présentations effectuées par les chercheurs du réseau INTRAC lors de la journée organisée par l’ONED et l’INED le 10 octobre 2013, « La transition à l’âge adulte après une mesure de protection : journée d’étude internationale » (http://www.oned.gouv.fr/actualite/transition-lage-adulte-apres-une-mesure-protection-journee-detude-internationale ; voir le compte rendu de Clémence Helfter dans Politique sociales et familiales, CNAF, n°115, mars 2014) et l’article rédigé par Anne Oui, « Le soutien aux jeunes sortant du système de protection de l’enfance : entre droit commun et prise en compte des besoins particulier », JDJ n° 333, mars 2014, pp. 18 et s..
  • [6]
    Nathalie Guimard, Juliette Petits-Gars, « Écrits de jeunes en quête de statut », Recherches Familiales, UNAF, n° 7, 2010.
  • [7]
    Gilles Séraphin, « L’accès aux origines : les ressorts d’un débat passionné », Esprit, n° 5, mai 2009.
  • [8]
    Par facilité de rédaction, nous parlons toujours dans ce texte des parents, alors que nombre de situations n’impliquent qu’un seul parent.
  • [9]
    Notons que la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État, permettant notamment la création du CNAOP, introduit d’éventuelles possibilités de connaissance de quelques éléments du parcours pour ces enfants ayant le statut de « né sous X », auparavant confrontés au secret total, juridiquement organisé, de l’histoire de leur naissance.
  • [10]
    Voir Séverine Euillet, Le PPE : état des lieux dans 35 départements au premier semestre 2009, ONED, 2009 ; « Travailler l’accord avec les familles », 9ème rapport au Gouvernement et au Parlement, ONED, mai 2014.
  • [11]
    Voir Martine Lamour et Marceline Gabel, Enfants en danger, professionnels en souffrance, Érès, 2011, p. 213.
  • [12]
    15 % des enfants nés sous le secret (628 en 2011, 579 en 2012) sont en effet ensuite de retour dans la famille de naissance, la mère de naissance bénéficiant de la période de rétractation de deux mois. Cf. Les pupilles de l’État : situation au 31 décembre 2012, ONED, décembre 2013.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Pourtant, cette recherche est conforme à la logique des textes législatifs. L’article 375-3 du CC stipule que si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier tout d’abord à l’autre parent, puis à un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance, enfin à un service départemental de l’aide sociale à l’enfance ; à un service ou à un établissement habilité pour l’accueil de mineurs à la journée ou suivant toute autre modalité de prise en charge ; ou à un service ou à un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé.
  • [15]
    Voir sur le sujet le dossier thématique de l’ONED coordonné par Xavier Charlet, « Famille, parenté, parentalité et protection de l’enfance », ONED, La documentation française, 2013.
  • [16]
    Emilie Potin, Enfants placés, déplacés, replacés : parcours en protection de l’enfance, Érès, 2012.
  • [17]
    Voir Isabelle Corpart, « Quels accompagnements dans l’aventure vers d’adoption ? », Recherches Familiales, UNAF, n° 10, 2013.
  • [18]
    Voir Catherine Sellenet, Souffrances dans l’adoption. Pistes pour accompagner les adoptés et les adoptants, De Boeck, 2011.
  • [19]
    Certains, par exemple, ayant vécu une ou des expériences familiales douloureuses ne veulent surtout pas être adoptés. Mais rappelons qu’il peut selon la loi, à partir de 13 ans, refuser un projet d’adoption (art. 345 et 360 CC)..
  • [20]
    Voir Pierrine Robin, L’évaluation de la maltraitance. Comment tenir compte de la perspective de l’enfant, PUR, 2013.
  • [21]
    L’auteur du présent texte a été membre de ce groupe de travail.
  • [22]
    Il est à noter que le rapport regroupe un ensemble d’analyses très fines sur l’ensemble des questions qui traversent le débat public actuel (accès à son histoire, origine, distinction entre parenté et parentalité, etc.) mais se refuse à se pencher sur un point pourtant primordial : le sens que chacun accorde du biologique (notamment génétique et génésique) dans l’identité et la filiation. La question est plus large que celle de la filiation par procréation charnelle, sujet plus restreint, sur lequel déjà le rapport ne s’est pas senti autorisé à faire des propositions de réforme [78].
  • [23]
    Tous les nombres entre crochets renvoient, au rapport référencé, au numéro de la proposition (Gouttenoire, Juston, Rosenczveig) ou de la page correspondante (Théry).
  • [24]
    L’organisation pratique de ce droit à l’information et à l’assistance fait l’objet d’une revue détaillée dans les propositions 105 à 120.
  • [25]
    Rappelons que le rapport Rosenczveig préconise également, de façon générale, de reconnaître la capacité procédurale pénale à l’enfant de 16 ans victime d’infraction pénale [69].
  • [26]
    Les mesures d’assistance éducative sont, dans le cadre du dispositif de protection de l’enfance, les mesures judiciaires d’assistance aux parents qui exercent toujours leur autorité parentale, soit par une assistance directement à domicile, soit par un placement en établissement ou en famille d’accueil, soit dans le cadre de dispositifs mixtes domicile/placement.
  • [27]
    Le rapport Rosenczveig préconise que l’enfant ait le droit de saisir le juge administratif quand une décision lui fait grief [74].
  • [28]
    Certes, le rapport affirme dans ce chapitre portant sur ce principe général du droit à l’établissement d’une double filiation biologique, au détour d’un paragraphe que « la filiation biologique ne doit pas être absolue. Il existe des situations où cette filiation n’est pas souhaitable ou impossible. Il est important que l’enfant ait une filiation artificielle, mais que son droit à la connaissance de ses origines lui soit reconnu » [p. 58], sans pour autant préciser la nature de ces « situations » en question.
    Au développement du rapport, dans les chapitres suivants, nous comprenons que ce serait le cas de l’AMP avec donneur ou de l’accouchement dit « sous X » ou même de l’adoption. D’ailleurs, les propositions 17 à 21 visent à « respecter les différents liens ou « affiliations » de l’enfant, fruit des pratiques des autres ». « Le fait d’établir la filiation biologique de l’enfant ne doit pas avoir pour conséquence une rupture systématique des liens entretenus avec ceux qui lui sont chers pour avoir joué un rôle dans son quotidien ». Les principes énumérés successivement ne semblent pas toujours articulés entre eux, notamment lorsqu’il s’agit de faire des propositions pratiques concrètes.
  • [29]
    Le rapport Théry propose en outre que l’AMP avec tiers donneur soit ouverte aux couples de femmes, dans les mêmes conditions que pour les couples de sexe différent [166]. Il serait également établi auprès du juge ou d’un notaire une déclaration anticipée de filiation qui serait portée sur l’acte de naissance [178].
  • [30]
    Toutefois, dans la pratique, il n’est pas précisé comment elle pourrait s’opposer à ce désir de rencontre si l’enfant effectue des recherches plus précises et prend connaissance du domicile une fois en possession de l’identité.
  • [31]
    De façon plus générale, le rapport Rosenczveig propose que l’État prenne l’initiative, en lien avec l’ADF, d’engager un travail garantissant un accompagnement social et psychologique des jeunes femmes enceintes en situation fragile [18].
  • [32]
    Cf. note 12.
  • [33]
    Ces divergences semblent provenir également de la conception différente de l’équilibre qu’il est nécessaire de trouver entre plusieurs principes : droits de l’enfant, droits de la femme, droits des parents, protection de l’enfance…
  • [34]
    Il propose également des clarifications de certains points de droits concernant la remise d’un parent à l’ASE par un seul parent [22] et la question du recours contre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État exercé après le placement en vue d’adoption [23].
  • [35]
    L’intérêt est que cette délégation peut être provisoire et rétractée alors qu’une déclaration judicaire d’abandon conduisant au statut de pupille de l’État est définitive.
  • [36]
    Le rapport propose de surcroît toute une série de mesure visant à instaurer la possibilité de léguer des biens à son bel enfant avec la même fiscalité que pour un enfant.
  • [37]
    Toutefois, il n’est pas prévu l’obligation d’informer l’autre parent si un tel mandat est rédigé.
  • [38]
    Commission des affaires sociales, n° 655, 2013-2014, enregistré le 25 juin 2014.
  • [39]
    La proposition de loi des sénatrices Meunier et Dini a été déposée le 11 septembre 2014 au Sénat (texte n° 799). Elle fait l’objet de l’article de Pierre Verdier, « Protection de l’enfance : faut-il réformer la réforme ? », page 64.

1Dans le champ de la politique familiale et de l’enfance, l’une des difficultés majeures est de concevoir des politiques publiques qui, dans leur mise en œuvre, considèrent l’ensemble du parcours d’une famille ou d’une personne.

2En effet, jusqu’à maintenant, la principale porte d’entrée pour bénéficier d’un soutien et d’une protection est le statut. Plus précisément, une personne ou un ménage ne bénéficient directement des apports de l’une de ces politiques publiques, notamment lorsqu’il s’agit de percevoir une allocation ou de bénéficier d’une prestation, que s’ils peuvent faire valoir un statut judiciaire ou administratif précis, eux-mêmes répondant à des critères légaux, démographiques, sociaux… clairement posés.

3Par exemple, si cette personne entre dans telle classe d’âge, peut antérieurement faire valoir tel statut administratif ou judiciaire, dispose de tel niveau de revenu ou encore s’inscrit dans telle composition familiale, elle peut bénéficier d’un soutien lui aussi précis, bien cadré, juridiquement défini. Le statut est donc entendu comme une catégorie d’action publique qui permet à une personne ainsi catégorisée et « labellisée » de bénéficier d’une politique publique déterminée.

4Ces politiques publiques qui reposent sur des statuts se sont avérées - et s’avèrent toujours-utiles et efficaces [2].

5Citons quelques exemples. Le statut d’« ayant droit » est l’un des fondements de la sécurité sociale, y compris quand il s’agit de prestations universelles. C’est notamment lorsque le foyer allocataire est composé d’un certain nombre d’enfants à charge qu’il perçoit l’allocation familiale correspondante ; ou alors c’est lorsque le ménage vit en deçà d’un seuil de revenus défini qu’il bénéficie de certains minima sociaux ; c’est aussi parce que tel mineur est en risque de danger ou en danger, avec ce constat posé lors d’une évaluation au processus cadré, qu’il bénéficie d’une protection administrative ou judiciaire…

6Dans tous les cas, les politiques publiques reposant sur des statuts répondent au principe républicain de l’égalité de traitement. Tout citoyen bénéficiant d’un statut bien distinct a droit - et il peut faire valoir ce droit par un recours - aux bénéfices de la politique publique correspondant. Enfin, le statut permet également d’identifier avec précision la population des ayant droit : il favorise donc l’évaluation des effets de la politique menée.

7Malgré ces avantages - à ne pas négliger - les politiques qui reposent sur un statut révèlent des limites qui deviennent aujourd’hui flagrantes. Plus précisément, elles présentent des insuffisances qu’il s’agit de combler. Ainsi, il ne s’agit pas de les supprimer, mais plutôt de les compléter par d’autres dispositifs qui reposent sur de nouveaux principes.

8Le nouvel angle d’approche dans la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques serait, à l’égard de chaque bénéficiaire, la prise en compte de l’ensemble du parcours singulier [3]. En dépassant l’approche statutaire - le statut figeant la situation à un moment « t » -, il s’agit dorénavant de considérer l’ensemble d’une personne, avec son histoire, son parcours de vie et ses projets, et d’élaborer à cette fin de nouveaux cadres juridiques et outils professionnels.

9Ce nouvel enjeu est flagrant lorsque nous étudions la politique de l’enfance. Cette approche fut tout d’abord sous-jacente dans la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, par la valorisation notamment du droit de l’usager, puis prégnante dans la loi du 5 mars 2007 portant sur la réforme de la protection de l’enfance, par l’affirmation de la volonté de créer et de soutenir des dispositifs qui permettent de mieux s’adapter à chaque situation singulière.

10Depuis, les acteurs se mobilisent progressivement pour que de nouvelles politiques qui reposent sur la prise en compte des parcours soient mises en œuvre et plus fortement développées, dans l’intérêt même de l’enfant [4].

11Les derniers rapports portant sur les enfants et la famille parus en mars et avril, initialement commandés à l’automne 2013 par la ministre déléguée à la famille à Adeline Gouttenoire, Marc Juston, Jean-Pierre Rosenczveig et Irène Théry, en vue de préparer ce qui était encore appelé le projet de loi « Famille/Enfance », en sont une illustration frappante.

12Dans un premier temps, en nous fondant plus spécifiquement sur l’ensemble des politiques de l’enfance, nous étudierons les insuffisances et limites des politiques publiques qui reposent sur des statuts.

13Puis nous analyserons les quatre rapports suscités qui illustrent de façon frappante l’intérêt croissant porté à la question parcours de l’enfant (histoire et projet). Ces rapports se concluent par des propositions de réformes, tant sur le plan législatif et réglementaire que sur le plan des dispositifs et des pratiques institutionnelles.

14Certes, un grand nombre de propositions sont souvent identiques mais, sur certains thèmes et, selon la perception de ce qu’est un parcours ou un projet, les objectifs suivis et les dispositifs proposés, des différences apparaissent. Les options envisagées ne sont pas toujours complémentaires.

15Se dessinent alors plusieurs nouvelles politiques publiques prenant en compte le parcours, tout aussi idéologiquement marquées que celles qui reposent sur le statut.

I – Des limites des politiques fondées sur des statuts à l’intérêt d’une approche par le parcours

16Les politiques publiques qui reposent sur le statut - avoir un statut judiciairement ou administrativement déterminé pour en être bénéficiaire - présentent plusieurs insuffisances marquées. En prenant comme exemple le domaine de la politique de l’enfance, énumérons les principales.

a – L’effet de seuil

17L’une des limites les plus connues est ce qu’il est couramment appelé « l’effet de seuil ».

18L’effet de seuil est le chiffre (revenus, dépenses, âge…) au-delà ou en deçà duquel l’ayant droit ne bénéficie plus de la prestation, du service ou de l’allocation. L’effet de seuil est binaire : il divise la population entre les « ayants droit » et les « non ayants droit » ; surtout il scande le parcours de vie entre les périodes où l’ayant droit bénéficie de cette politique et celle(s) durant laquelle il ne peut y avoir recours. Les transitions sont au mieux envisagées comme une période intermédiaire délimitée, impliquant un nouveau statut déterminé.

19Par exemple, un mineur en risque de danger ou en danger est en droit de bénéficier d’une protection administrative ou judiciaire si, après évaluation, elle s’avère nécessaire. Il peut notamment être placé en établissement ou en famille d’accueil. Toutefois, le jour de sa majorité, cette protection de droit cesse.

20Alors que n’importe quel jeune, en bénéficiant de l’aide de ses proches, notamment de sa famille, a besoin de quelques années pour construire progressivement son autonomie, par étapes (études ou formation, emploi, indépendance financière, décohabitation du foyer familial…), un jeune placé pris en charge au titre de la protection de l’enfance - et qui a donc souvent connu un parcours personnel et familial assez difficile - est sommé d’être autonome dès l’anniversaire de ses 18 ans. Certes, il peut bénéficier d’un soutien supplémentaire, mais ce n’est plus un droit [5].

21En outre, cet accompagnement est principalement cadré par un statut transitoire, porte d’entrée à l’obtention d’un « contrat jeune majeur ». Pour l’obtenir, le jeune doit écrire une lettre motivée au Président du Conseil général [6].

22Selon les possibilités règlementaires (inscrites notamment dans le réglement départemental de l’action social) et les ressources disponibles, ce dernier accorde au jeune demandeur ce statut pour une période qu’il détermine et qui peut être renouvelée sur la base d’une nouvelle demande. Toutefois, dans tous les cas, s’il obtient ce contrat, ce jeune majeur sera tout de même frappé par l’effet d’un second seuil : selon la loi, tout soutien dans le cadre d’un contrat jeune majeur prend fin le jour des 21 ans.

b – L’effet de l’effacement et de la négation de l’histoire

23Lorsqu’une personne est considérée selon son statut, son histoire n’est pas appréhendée dans sa globalité. Quel que soit son passé et ses aspirations, elle bénéficie d’une prestation uniquement parce qu’à un moment donné, à un instant « t », elle bénéficie d’un statut qui y donne droit.

24Certains statuts, dans le domaine de la protection de l’enfance, sont même, par nature, une négation de cette dimension historique. Ainsi, l’enjeu serait aujourd’hui de réintroduire des éléments du parcours historique dans l’accompagnement et le soutien, y compris par l’aménagement de politiques qui se sont bâties sur des statuts.

25L’exemple le plus flagrant, à la limite du caricatural, est ce qu’il est appelé aujourd’hui « la reconnaissance » ou « l’accès aux origines ». L’accès aux origines est avant tout la connaissance de sa propre histoire. Avec cette revendication, il s’agit pour les enfants issus d’une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur et pour les enfants nés d’un accouchement sous le secret de connaître, d’une part, les conditions de leur naissance, d’autre part, l’histoire de cette naissance. Cette histoire peut éventuellement inclure la connaissance de l’histoire voire de l’identité des personnes qui ont contribué à cette naissance [7].

26Aujourd’hui, ces enfants sont quasiment définitivement condamnés à ne pas connaître ces éléments. Dans le cadre d’une AMP avec tiers donneur, l’enfant né peut rester à jamais dans l’ignorance des modalités de sa conception (si ses parents [8] ne le lui révèlent jamais) et, dans tous les cas, le donneur est définitivement couvert par l’anonymat.

27À sa majorité (ou s’il est discernant et accompagné de ses parents), un enfant issu d’un accouchement sous le secret peut éventuellement avoir connaissance de l’histoire de sa naissance ou de l’identité de sa mère de naissance si cette dernière a laissé des informations lorsqu’elle était à la maternité ou si elle autorise le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP) à révéler son identité [9]. Encore faut-il que le CNAOP la connaisse ou puisse en avoir connaissance après une enquête administrative approfondie.

28Notons que dans les deux situations cette connaissance des origines (histoire ou identité) ne s’oppose en aucun cas aux statuts accordés : le statut protecteur de pupille de l’État - statut le plus souvent transitoire entre l’accouchement sous le secret et l’adoption -, voire l’établissement de la filiation, ne peuvent être remis en cause si l’enfant a connaissance - y compris à sa majorité - des éléments de sa propre histoire.

29Au-delà de cette situation très caricaturale et polémique - nous y reviendrons -, la connaissance de l’histoire et la prise en compte du parcours de l’enfant est un enjeu récurrent en protection de l’enfance.

30En ce qui concerne la connaissance de son histoire, un enfant peut avoir accès à ses dossiers ASE (depuis la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et celle du 2 janvier 2002 relative aux droits des usagers) et d’assistance éducative conservés aux greffes du tribunal pour enfant (art. 1187 du Code de procédure civile).

31Mais comme ceux-ci sont parfois peu informés et comme ils sont dispersés entre plusieurs services, ce droit théorique est d’application pratique peu efficiente. En outre, certains services, dans une interprétation très restrictive de la loi, sans tenir compte de la jurisprudence, refusent de communiquer les pièces judiciaires insérées dans les dossiers administratifs au motif que ce ne sont pas des documents administratifs.

32Plus globalement, l’enjeu est de considérer le parcours et les aspirations dans le cadre même des mesures de protection, lorsqu’il s’agit de prendre des décisions. Elles peuvent concerner des domaines variés : par exemple, le mode de placement, les liens à maintenir avec des membres de la famille ou des tiers, la continuité d’une pratique sportive, culturelle ou de loisir, l’orientation scolaire, le choix d’une nouvelle formation, etc.

33Il est alors impératif de ne pas considérer uniquement le mineur selon son statut à un moment donné (ex : placé en établissement), mais comme un être en devenir, produit et acteur de son histoire. D’ailleurs, en amont d’une mesure, lors de l’évaluation, il est demandé de considérer ce parcours et ces aspirations. C’est ce parcours qui peut donner sens au vécu, selon un statut, à un moment donné.

34Cet impératif a bien été identifié dans la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Cette loi impose à tous les départements, pilotes de la protection de l’enfance donc garants de la continuité et de l’adaptabilité des parcours, de construire avec le mineur et ses parents un Projet pour l’enfant (PPE)[10]. Non seulement ce projet doit retracer le parcours avant la mesure, mais il doit en outre rassembler un ensemble d’informations tout le long du parcours de protection afin d’en assurer la cohérence. Parmi ces informations, l’évolution du projet de vie pour l’enfant, établi entre les services, l’enfant et ses parents, doit figurer. Il sert à fixer les objectifs. Aujourd’hui, cet impératif légal, le PPE, est malheureusement encore peu mis en œuvre dans les départements.

35Une expérience menée dans certains départements serait également à développer : l’album de vie. Il s’agit de constituer pour et avec l’enfant un album, dans lequel seront insérés toutes sortes de témoignages qui ponctuent son existence (photos, petit objets, textes…) [11]. Cet album l’accompagnera tout au long de son enfance.

36Les pouponnières qui accueillent, par exemple, des enfants nés sous le secret en attente d’un placement en vue d’une adoption (ou d’une rétractation de la mère de naissance et le « retour » dans la famille de naissance [12]) ont fortement développé cet outil, en y insérant un compte rendu quotidien des puéricultrices et de l’ensemble du personnel de l’institution. Cet outil est fortement apprécié par les enfants adoptés et les parents adoptants qui le reçoivent en même temps que l’arrivée de l’enfant.

c – L’effet de la non-anticipation ou de la non-projection

37La cohérence du parcours est devenue le mot d’ordre en protection de l’enfance. Elle impose également de prendre en compte, en plus de l’histoire, les projets de l’enfant et de ses parents. Le document unique sur lequel repose le suivi du parcours s’appelle d’ailleurs, comme nous l’avons déjà rappelé, « Projet pour l’enfant ».

38Toutefois, de façon générale, lorsqu’une personne bénéficie d’un statut, la mission première et urgente de l’institution qui assure l’accompagnement est déjà de lui apporter les prestations auxquelles elle a droit et non pas de projeter cette personne dans un futur. Non pas que les deux démarches soient antinomiques, puisque l’une de ces prestations peut être justement la construction d’un projet, mais le contenu de la prestation, les outils mis en œuvre, le temps accordé à accompagnement personnalisé, etc., en bref toutes sortes de contraintes font passer cette considération du parcours et ce projet au second plan. En outre, cette projection est parfois crainte, puisqu’elle ouvre des perspectives peu sécurisées, aussi bien pour le bénéficiaire que pour le professionnel.

39Prenons comme exemple les derniers chiffres issus du focus « Les pupilles de l’État orphelins » publié en conclusion du rapport annuel « Les Pupilles de l’État » de l’ONED [13].

40Ces chiffres portent sur l’ensemble des pupilles de l’État en France. Parmi les enfants pupilles au 31 décembre 2011, 221 ont acquis ce statut à la suite d’un « orphelinage » (rappelons que la plupart des orphelins ne deviennent pas pupilles mais bénéficient de la protection d’un conseil de famille).

4182 % des mineurs qui sont devenus pupilles à la suite d’un « orphelinage » avaient connu un accompagnement en protection de l’enfance (6 ans en moyenne) par les services d’aide sociale à l’enfance avant d’être orphelins.

42Souvent ce sont des enfants qui n’avaient qu’un seul parent (enfant né avec un seul parent ou décès du second), ce dernier vivant une situation sanitaire délicate (problèmes de santé, addictions…). C’est pour cela que ces enfants d’ailleurs étaient connus des services ASE : soit ils bénéficiaient d’une aide ou d’un accompagnement à domicile, administratif ou judiciaire, soit ils étaient déjà placés en famille d’accueil ou en établissement.

43Puisqu’ils sont pupilles à la suite de « l’orphelinage », cela signifie que durant toutes ces années antérieures, il ne s’est pas noué un réseau d’appui autour de cet enfant, qui aurait éventuellement pu être mobilisé lors de l’événement du décès du ou des parents, pour instaurer un conseil de famille.

44Pour forcer le trait, ces enfants sont suivis par des services sociaux, protégés, et pourtant peu d’actions ont été engagées pour rechercher les proches qui pourraient constituer des références et supports pour l’enfant lorsque le parent est vivant, mais surtout en cas de dégradation de l’état de santé ou de décès [14].

45Certes, dans certaines situations, notamment en cas de conflit entre le(s) parent(s) et son entourage, la constitution de ce réseau peut être compliquée ; certes, il est difficile pour tout professionnel d’envisager un décès ; mais dans le cadre d’une protection, il est sans doute du devoir des institutions d’envisager à un moment donné tous les futurs possibles, y compris les plus douloureux. Une réelle protection peut difficilement se mettre en œuvre et ne peut perdurer si elle ne s’accompagne pas de projection et de prospective.

d – L’effet de rupture dans le parcours : passage d’un statut à l’autre sans passerelle, sans transition

46L’un des effets d’une politique strictement statutaire, non accompagnée d’actions portant sur les parcours, est qu’elle est fortement susceptible d’engendrer des ruptures.

47Encore une fois, l’exemple des enfants qui bénéficient de mesures de protection est malheureusement significatif. Régulièrement, un enfant change de famille d’accueil ou d’établissement pour des raisons qui ne sont pas liées à sa propre situation ou à ses projets.

48Par exemple, le parent de la famille d’accueil fait valoir ses droits à la retraite, le département n’a plus de place dans un service ou un établissement adaptés, le personnel ne bénéficie pas des compétences nécessaires à l’accompagnement d’un parcours singulier ponctué de situations psychiques dégradées ou d’actes peu compréhensibles…

49Ces ruptures de milieu de vie conduisent à des ruptures scolaires et de formation, de réseau social parfois difficilement élaboré, de pratiques sportives, culturelles, artistiques ou associatives. Autant de déchirures dans un parcours qui minent l’étayage propice au bon développement psychique et mental.

50En outre, des personnes de référence n’ont pas toujours le même statut administratif ou judiciaire (éducateur spécialisé, famille d’accueil, tiers digne de confiance…) et ne peuvent exercer l’accompagnement sur les mêmes fondements, notamment juridiques.

51Des familles ou des responsables d’établissement d’accueil peuvent éprouver de fortes difficultés pour l’accomplissement d’actes non usuels, puisqu’il n’est pas de leur compétence de les accomplir. Autoriser un enfant placé à passer la nuit chez un copain de collège par exemple, acte très courant chez toute famille « lambda », peut devenir un véritable parcours du combattant, lorsqu’un enfant est placé [15].

52Ces enfants, d’autant plus « trimbalés » qu’ils éprouvent eux-mêmes des difficultés d’adaptation aux nouveaux cadres et que l’on tente de nouveaux types de prise en charge, connaissent donc des ruptures successives dans leurs parcours, ne serait-ce que dans le cadre de vie et dans les conditions d’accompagnement quotidien par les personnes en charge aussi de leur éducation : parent(s), proches, familles d’accueil, éducateurs dans des établissements…

53Il n’y a donc pas de continuité des personnes de référence, voire des figures d’attachement. Les ruptures de cadre de vie provoquent des ruptures psychologiques, ou, tout le moins, une grande difficulté de construction psychique sereine [16].

54Cet effet de rupture est aussi bien connu par les enfants adoptés. Aujourd’hui, peu de passerelles entre les lieux de vie et les personnes assurant les soins parentaux sont mises en œuvre. Certes, les pouponnières ont développé l’outil de l’album de vie, fil d’Ariane qui relie les événements dans l’histoire de l’enfant, notamment ceux relatifs aux premiers mois de l’existence. Toutefois, les carences des dispositifs sont flagrantes : une fois adopté, l’enfant et la famille ne bénéficient pas (il est plus exact de dire « peu », puisque certains départements ou associations développent ce type de prestation) d’un accompagnement adapté [17].

55Cette particularité liée à l’adoption est très peu prise en compte tout au long du parcours de vie de l’enfant et de sa famille, ne serait-ce que par le droit à un recours à des prestations spécifiques. Parfois, l’adoption devient a posteriori un élément explicatif dans un parcours psychique « curatif », lors de l’adolescence, par exemple.

56La situation extrême est ce que l’on nomme « échec à l’adoption » [18] : puisque la situation s’est fortement dégradée, ou que la relation ne s’est pas créée, l’enfant est placé, voire est définitivement séparé de sa famille adoptive.

57L’adoption est donc accompagnée uniquement lors de l’arrivée de l’enfant, en amont (avec quelques séances d’information et parfois de préparation, la procédure de l’agrément…), mais très peu en aval.

58L’adoption n’est pas ou peu pensée comme un parcours, une transition avec des passerelles. Elle est encore en pratique vécue comme une rupture, le passage brusque d’une famille à l’autre, un changement radical et immédiat de statut. Même si les familles adoptantes tentent souvent de réinscrire l’enfant dans une histoire longue, elles bénéficient de peu de soutien des pouvoirs publics.

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e – L’effet d’automaticité et parfois d’irréversibilité

59Des politiques qui reposent sur des statuts engendrent comme effet pervers l’automaticité, voire l’irréversibilité. Fréquemment, pour changer le type d’accompagnement, voire pour envisager une modification dans la forme de cet accompagnement, la première étape est de modifier le statut. Or ces changements de statuts peuvent s’avérer irréversibles.

60Le mineur protégé connaît bien ce type de processus. Les institutions et personnes qui assurent l’accompagnement envisagent régulièrement de construire des parcours et projettent un avenir, en considérant comme porte d’entrée ou événement déclencheur une modification du statut.

61Par exemple, de façon récurrente, il est affirmé dans le débat public que trop d’enfants placés connaissent une situation de délaissement parental. Beaucoup d’experts émettent alors la préconisation suivante : il faudrait judiciairement constater le « désintérêt manifeste » de façon simplifiée et prononcer une déclaration judiciaire d’abandon. Cette dernière permettrait que l’enfant devienne dans un premier temps pupille de l’État, puis soit adopté. Il suffirait de bien huiler la mécanique et d’accélérer le mouvement.

62Par des actes judiciaires, des nouveaux statuts, l’idée est de construire un parcours et de formuler un projet d’avenir. Or rappelons que les démarches sont longues et parfois semées de recours, que certains actes tels que la déclaration judiciaire d’abandon et l’adoption sont définitifs et irréversibles… Les professionnels hésitent à engager les démarches qui aboutiraient à des décisions irrévocables.

63Ainsi, pour envisager un nouveau projet pour l’enfant, on passe parfois par une décision irréversible qui modifie son statut juridique. Dans cette pratique institutionnelle et professionnelle, on tente de construire des parcours sur la base d’une modification du statut. Or ce devraient être sans doute les statuts qui s’adaptent au parcours et aux projets. En effet, il serait impératif d’avoir la démarche exactement inverse : étudier avec le mineur son parcours, construire un projet, en délibérer collectivement… pour enfin engager des procédures judiciaires qui permettront, sur la base d’un nouveau statut mieux adapté, de formaliser, de structurer, d’étayer ce parcours et ce projet.

64À cette fin, il serait nécessaire non seulement de se fonder sur le PPE, déjà mentionné, de se concerter avec l’enfant [19], de considérer la situation collectivement au sein d’instances dédiées et enfin d’engager des procédures en fonction des choix de statuts ou de nouvel accompagnement dans un statut existant qui sont proposés : déclaration judicaire d’abandon certes, mais aussi délégation de l’autorité parentale au Conseil général, tutelle d’État, placement chez un tiers digne de confiance, recherche de figures de référence (qui pourraient éventuellement devenir des figures d’attachement) par la mise en place de relations privilégiées avec des membres de la famille ou la mise en œuvre d’un parrainage…

65Encore faudrait-il que le PPE, pourtant obligatoire, soit mis en place et que l’expérience de quelques départements qui ont créé ces instances de concertation permettant le questionnement collectif, soit généralisée. Cet exemple illustre parfaitement le fait que les politiques en termes de parcours et celles qui reposent sur des statuts ne s’opposent pas, mais qu’elles peuvent se compléter.

66Pour que les statuts soient des éléments d’étayage des parcours, il est toutefois nécessaire que des outils juridiques, administratifs et pratiques permettent d’avoir une connaissance précise de l’histoire de l’enfant en dehors ou au sein des institutions.

67Une autre situation - concernant beaucoup d’enfants, puisqu’un quart des mineurs sont concernés - peut également servir d’illustration : celle des enfants ne vivant plus avec leurs deux parents.

68Lorsque les parents se séparent, la résidence de l’enfant est fixée. Cette décision, découlant d’un accord verbal ou acté - et parfois imposé - par le juge en cas de divorce ou de recours judiciaire en cas de séparation en dehors du cadre du mariage, est prise au moment même de la séparation.

69Parfois elle est reconsidérée, notamment si l’un des parents saisit la justice. Or le parcours de l’enfant évolue : il grandit, change d’environnement scolaire et amical, parfois l’un des parents connaît une nouvelle vie de couple, voire une recomposition familiale par l’arrivée d’un nouvel enfant…

70Très souvent pourtant, l’enfant réside selon ce choix initial. Certes, en théorie, dans certaines situations précises, il a le droit d’être entendu par le juge. Toutefois, à l’heure actuelle, de façon générale, pour échanger sur son parcours, ses besoins, souhaits et projets, le mineur ne bénéficie d’aucun droit d’être entendu de façon régulière, par des tiers, sur le plan judiciaire ou de l’accompagnement social, de la médiation, par exemple. Les Pouvoirs publics n’agissent qu’en cas de saisine ou de conflits, souvent exprimés par l’un des parents, mais n’ont aucune action préventive. Encore une fois, il est considéré que le parcours se construit sur des statuts quasi irréversibles, alors que ce sont ces statuts qui devraient étayer in fine ces parcours et projets, une fois qu’ils ont été exprimés.

f – L’effet d’individualisation dans l’uniformisation

71Les politiques publiques qui reposent sur des statuts sont in fine très individualistes et individualisantes.

72Par exemple, en ce qui concerne les jeunes majeurs en voie d’autonomisation, la seule solution souvent envisagée pour les soutenir et les accompagner dans cette période de transition est le contrat jeune majeur, individuellement attribué.

73Pourtant, d’autres dispositifs émergent, souvent à l’initiative associative et parfois avec le soutien de conseils généraux. Il s’agit d’un accompagnement par une équipe de façon collective (création d’un site internet ou d’une documentation d’information) ou individualisée, mais qui ne repose pas sur un statut administratif attribué.

74Tout jeune qui en éprouve le besoin, notamment tout jeune qui a vécu dans son enfance un placement, peut s’adresser à ces associations et structures et trouver des soutiens par une information précise et adaptée, une aide administrative pour l’accès aux droits, une aide matérielle et parfois pécuniaire sur un projet…

75Ces accompagnements réinsèrent de facto l’individu dans son environnement, avec son histoire et ses projets, et s’inscrivent dans la durée, n’étant pas bornés par des critères prédéfinis, tels que des dates anniversaires ou des durées de prestation.

76Toutefois, ce qui peut sembler paradoxal, cette individualisation uniformise. En effet, ce n’est pas un individu singulier, avec son propre parcours, qui est considéré, mais un ensemble d’unités individualisées auxquelles il a été attribué le même statut, donc les mêmes caractéristiques. Le statut, tout en individualisant le regard porté sur le sujet, uniformise la qualité de ce regard. À statut identique, considération et possibilités d’action identiques.

g – De l’assignation d’un statut à la construction, en tant qu’acteur, d’un parcours

77Enfin, le propre d’un statut est d’être assigné selon des critères juridiques objectifs, communs et préalablement déterminés, alors que les politiques en termes de parcours considèrent le bénéficiaire comme un acteur dans ce parcours. Afin que ce bénéficiaire soit en condition d’agir et devienne un acteur, il doit tout d’abord être informé, voire éduqué et accompagné.

78Ensuite, en interprétant son histoire et en formulant des projets, il construit, tant bien que mal son parcours. En aucun cas il n’est représenté ; au mieux, il est accompagné, voire assisté. Le cœur de l’action vient du bénéficiaire.

79Cette volonté de transformer le bénéficiaire en acteur, que l’on retrouve dans les théories de l’empowerment, irradie progressivement l’ensemble des politiques publiques, notamment celles portant sur la protection de l’enfance. Les bénéficiaires de cette nouvelle orientation ont tout d’abord été les parents, mais de plus en plus ce sont les enfants, y compris dès leur plus jeune âge.

80L’objectif serait de les associer au déroulement de la mesure, mais aussi à la construction du projet (notamment dans le cadre du projet pour l’enfant), voire, dès la phase initiale de l’évaluation [20].

81Ainsi, la prise en compte des parcours et des projets de l’enfant sont un nouvel enjeu des politiques de l’enfance. Elles ne s’opposent pas aux politiques qui reposent sur des statuts. Ces statuts, judiciaires ou administratifs, permettent aussi d’étayer les parcours et assurent une égalité de traitement. La prise en compte du parcours, voire la coconstruction, est un complément, un nouvel enjeu des politiques publiques en faveur de l’enfant.

82Alors, lorsque la ministre déléguée à la famille demande à huit experts (quatre présidents et quatre rapporteurs) de constituer des groupes de travail afin d’émettre des propositions pour un nouveau projet de loi « Enfance/famille », ce nouvel enjeu transparaît dans l’ensemble des analyses. Certes, lorsqu’il s’agit d’effectuer des propositions, quelques orientations peuvent diverger.

83En effet, au-delà de l’idée générale selon laquelle il est nécessaire de (mieux) prendre en compte des parcours, la conception de ce qu’est un parcours, le cadre juridique proposé, les outils décrits, et surtout les autres principes fondamentaux qui sont mis en exergue, conduisent parfois à des propositions divergentes. Toutefois, la lecture des rapports révèle un substrat commun - l’accompagnement du parcours et du projet de l’enfant - et les propositions émises sont en très grandes partie complémentaires.

II – Comment mieux considérer le parcours et les projets de l’enfant ? Des propositions, souvent complémentaires, qui répondent au même objectif

84Alors qu’ils ont été finalisés et remis à la ministre déléguée à la famille dès décembre 2013, les quatre rapports ont été rendus publics en mars et avril 2014. Ils ont comme point commun de vouloir considérer l’enfant dans son parcours, notamment dans son environnement familial et social.

85En outre, comme les champs étudiés se recouvrent (protection de l’enfance ; filiation, origines et parentalité, droits de l’enfant, médiation), les propositions portent parfois sur les mêmes sujets. Finalement, puisque la plupart des analyses et propositions sont complémentaires, chaque rapport se distingue plus par la personnalité des auteurs et des membres des groupes de travail, notamment quant à leurs disciplines, leur expérience, leurs intérêts et parfois aussi leurs engagements.

86Le rapport Gouttenoire/Corpart[21] (présidente : Adeline Gouttenoire, rapporteure : Isabelle Corpart), intitulé « 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui » est fortement inspiré par la question des pratiques (des juges, des institutions, des professionnels du travail social…) dans l’accompagnement du parcours.

87Rien d’étonnant, puisqu’il porte sur la protection de l’enfance et l’adoption, les deux domaines qui ces dernières années ont permis d’analyser les carences en ce domaine. Ce rapport dénote un regard extrêmement inspiré sur les pratiques.

88Les pilotes sont spécialistes du droit de la famille et de l’enfant, matière qui donne lieu à une lourde jurisprudence ; le groupe de travail est composé de magistrats, fortement sensibilisés aux questions d’application du droit et des potentiels conflits, de chercheurs de différentes disciplines et des praticiens institutionnels. Ainsi, au-delà de l’énonciation de grands principes généraux, ce rapport est une analyse fine des possibilités d’application, des contraintes et des équilibres.

89Ce rapport présente également, sur des points qui ont fait débat au sein du groupe de travail, des opinions et propositions divergentes. Il émet des propositions afin d’« optimiser le dispositif de protection de l’enfance », d’« articuler les parcours et les statuts de l’enfant protégé » et d’« accompagner l’adoption et la recherche des origines personnelles » (titre des trois grandes parties).

90Finalement, ce rapport ne préconise en rien un bouleversement de notre droit et surtout de nos principes ; il vise l’amélioration de notre droit et surtout de son application, en proposant une série d’aménagements législatifs, dans le Code civil, mais surtout dans d’autres code tels que le Code de l’action sociale et des familles (ce qui démontre ce souci constant de l’application pratique) et de nouvelles réformes qui se posent comme des compléments. À cette fin, il tire parti des expériences concluantes (de nouveaux dispositifs, de nouveaux outils…) pour en proposer la généralisation.

91Le rapport Juston/Gargoullaud (président : Marc Juston, rapporteure : Stéphanie Gargoullaud), intitulé : « Médiation familiale et contrats de coparentalité », est fortement centré sur l’accompagnement des parcours personnels et collectifs par un processus de médiation. Tirant partie des expériences de médiation, notamment familiale, qui s’est fortement développée en France, le rapport émet une série de propositions pour la réformer sur des points pratiques, mais surtout pour la consolider, afin qu’elle devienne la clé de voûte des relations apaisées au sein de la famille et dans les relations de parentalité.

92Le rapport Rosenczveig/Youf/Capelier (président : Jean-Pierre Rosenczveig, rapporteur : Dominique Youf, rapporteure-adjointe : Flore Capelier), intitulé « De nouveaux droits pour les enfants ? Oui… dans l’intérêt même des adultes et de la démocratie », émane d’un président qui s’est fait connaître par des prises de position tranchées, toujours guidées par la défense de tous les mineurs, plus particulièrement les plus vulnérables (ex : mineurs isolés étrangers).

93Ce rapport émet donc une série de propositions pour défendre les droits, tous les droits, de l’enfant, de tous les enfants. Elles reposent sur le principe de l’accompagnement des parcours de ces mineurs, en tant que sujets de droit.

94Le rapport est construit sur l’idée qu’un parcours s’élabore par étapes, progressivement. Il s’oppose à toute idée de statut dichotomique. Ainsi, sur la question de l’opposition minorité/majorité, il émet une série de proposition pour que ce processus de « majorisation » s’effectue par étapes. Il distingue finalement, dans toutes ses propositions, des classes d’âge, correspondant à autant de droits.

95Le rapport Théry/Leroyer (présidente : Irène Théry, rapporteure : Anne-Marie Leroyer), intitulé « Filiation, origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de solidarité générationnelle », met en avant, tant dans les analyses que dans les propositions, le principe de « responsabilité ».

96Les principaux écrits de la présidente, socle de la réflexion, sont résumés dans les premiers chapitres. Ensuite, la question du parcours est abordée d’entrée de jeu par la question des origines, plus largement de l’histoire de la conception et de la naissance. Les origines marquent l’inscription d’un être dans un parcours plus large, le parcours des générations, de la filiation.

97Enfin, sur la question de la parentalité, le rapport évite le « piège » du statut du tiers et propose de nouveaux outils juridiques pour mieux soutenir la place du tiers dans l’exercice de l’accompagnement quotidien de son bel-enfant.

98Ce rapport s’inscrit dans l’actualité : inspiré par l’idée sous-jacente que le progrès découle d’une lutte contre les préjugés et se construit par l’octroi de droits supplémentaires, il est une réponse aux multiples revendications qui ont cours dans le débat public (accès aux origines et statut du tiers principalement), en réaffirmant les principes de base (connaissance de son histoire, distinction origine/filiation…) [22], en apportant de nouvelles analyses pour éclairer le débat et en émettant de nouvelles préconisations [23].

a – Renforcer les droits du mineur comme acteur

99Deux des rapports, Gouttenoire et Rosenczveig, abordent plus spécifiquement la question des droits du mineur. L’objectif est de renforcer ses droits effectifs afin qu’il puisse se construire un parcours de vie serein et devienne un futur citoyen responsable.

100Pour introduire le propos, exposons le second chapitre du rapport Rosenczveig.

101Sans doute cette analyse aurait été mieux placée en introduction, tant elle structure l’ensemble des analyses et propositions contenues dans le rapport. Le cœur de ce texte est la promotion d’un exercice progressif de ses droits par l’enfant.

102Le principe qui guide toutes les propositions est que les droits des personnes, notamment ceux liés à la majorité, ne peuvent se résumer à un acquis « brusque » à l’âge de 18 ans. Afin de remplacer les statuts binaires mineur/ majeur, il s’agit de construire un ensemble de statuts, liés à l’âge, auxquels correspondraient des droits spécifiques. La majorité serait donc un processus.

103Avec le souci d’assurer une meilleure cohérence et de justice dans le « statut » de l’enfant et de faire de l’enfant un acteur de son parcours, gage d’un devenir adulte pleinement responsable, le rapport souhaite que l’on associe plus clairement les futures responsabilités pénales et civiles de l’enfant selon son âge, selon qu’il appartienne à l’une de ces classes d’âges qui correspondent à autant de séquences : avant 7-8 ans, 7-8 ans, 13 ans, 16 ans, majorité. Il préconise notamment que l’enfant soit systématiquement réputé doué de discernement dès 13 ans [100]. À partir de 16 ans, le rapport propose de réfléchir à un statut d’assistance, qui serait similaire à celui de la curatelle pour les majeurs [p. 154].

104Le rapport Rosencsveig aborde tout d’abord les droits que devrait exercer tout mineur. Il préconise notamment que la loi pose un principe général, selon lequel dans toute la mesure du possible, un mineur devrait être mis au courant d’un projet formé pour lui, entendu sur ce projet, informé éventuellement des recours qui doivent lui être ouvert.

105Ce rapport consacre également un autre principe : l’enfant aurait le droit d’être entendu en justice, à sa demande, par le juge, quel que soit son âge [75]. Le juge devrait en outre vérifier qu’il a bien été informé de ce droit [77]. Il pourrait être assisté par un représentant spécial, par exemple, un administrateur ad hoc, ou un avocat dans la procédure de contestation de libertés essentielles s’il y a potentiel conflit avec ses parents [13] [24].

106Selon les propositions, le mineur doué de discernement, dès 13 ans, devrait donner son accord pour toute orientation scolaire [101], disposerait pleinement de sa liberté de conscience et de religion [54 et 102], bénéficierait du droit de se réunir, de manifester, de s’exprimer dans les médias [56 à 61], d’être membre d’une association [65]. Il pourrait saisir toute autorité administrative ou judiciaire sur toute question l’intéressant [103] et engager une action en justice pour la protection de son patrimoine [70]. Il aurait le droit de se voir délivrer, à sa seule demande, une carte nationale d’identité [47].

107Dès l’âge de 16 ans, le mineur serait doté de la capacité procédurale pénale s’il est victime d’infraction pénale [69], donnerait son accord en ce qui concerne sa résidence [76], pourrait obtenir le permis de conduire [86] et bénéficierait d’un droit social universel à la formation pour son obtention [87].

108En ce qui concerne les mineurs isolés étrangers, le rapport rappelle les positions déjà exprimées par le président du groupe de travail. C’est conjointement à l’État et aux conseils généraux qu’incombe la responsabilité de la protection. Il est nécessaire de respecter l’ensemble des droits du mineur, par notamment la mise en application d’un droit à recevoir des décisions motivées de refus de prise en charge dans une langue qui lui est compréhensible, à être systématiquement informé des possibilités de recours, à bénéficier de la mobilisation d’un représentant spécial ou d’un avocat, à exercer lui-même la demande d’asile s’il est doué de discernement [90 à 95].

109Le droit de vote serait également accordé à 16 ans pour les élections municipales, si jamais il était mis en œuvre une véritable démarche d’apprentissage à la citoyenneté, découlant notamment d’un engagement associatif [62]. Cette démarche passerait également par la désignation par tirage au sort, puis une formation des délégués de classe et le développement des conseils municipaux des enfants [63].

110Une réelle liberté d’association devrait également être reconnue à tout mineur doué de discernement, sachant que seul le mineur de plus de 16 ans pourrait exercer la fonction de président ou de trésorier [65 à 67].

111Ce rapport Rosenczveig a également abordé la délicate question du droit au respect de la personne physique et à l’intégrité physique.

112En ce qui concerne les châtiments corporels, il préconise d’inscrire dans le Code civil que les parents doivent veiller, dans le dialogue et le respect des convictions, à l’intégrité physique de leur enfant [48] ; en outre, il demande l’organisation d’un débat national sur la violence [49].

113En ce qui concerne l’intégrité physique, il préconise que l’excision et l’infibulation soient explicitement condamnés par le Code pénal [51] et que les pratiques sur le corps (piercing, tatouage…) soient interdites avant l’âge de 16 ans sans le consentement écrit d’une personne titulaire de l’autorité parentale, puis autorisées à partir de cet âge si le mineur effectue une demande expresse [52].

114Le rapport Gouttenoire quant à lui, se penche sur des situations plus précises relatives à la question de la protection de l’enfance, notamment en ce qui concerne l’exercice effectif pour un mineur de ses droits en cas d’infraction pénale [25].

115Les propositions sont plus détaillées, puisqu’elles prennent la forme de nouvelles rédactions d’articles. Dans certaines situations, le constat est que le mineur ne peut compter - voire même les intérêts peuvent être divergents - sur ses représentants légaux pour l’exercice de ses droits et la défense de ses intérêts.

116Le rapport préconise dès lors de rappeler par voie de circulaire que tout service de police ne peut refuser l’enregistrement d’une plainte d’un mineur victime d’infraction pénale et d’instaurer le droit pour un mineur de plus de 16 ans de se constituer partie civile sans être assisté d’un administrateur ad hoc, mais avec l’assistance d’un avocat commis d’office [10].

117Plus largement, ce même groupe de travail a débattu sur les droits de l’enfant protégé dans la procédure d’assistance éducative[26].

118Certains membres souhaitaient qu’un avocat soit systématiquement désigné pour assister un mineur discernant faisant l’objet d’une mesure d’assistance éducative ou, au moins, dès que l’enfant est placé ou alors dès le renouvellement d’une mesure [27]. Le consensus s’est finalement établi sur le fait de laisser au juge le soin d’apprécier la nécessité, lors de la prononciation de la mesure, de la présence d’un avocat aux côtés du mineur, systématiquement informé de ce droit. Cette présence serait en revanche systématique lors d’un renouvellement.

119Parallèlement, les débats ont porté sur la présence systématique d’un avocat aux côtés des parents. La majorité du groupe a écarté cette proposition. Du côté de l’enfant non discernant, le groupe s’est prononcé pour le renforcement du dispositif des administrateurs ad hoc (formation, statut spécifique, autonomie vis-à-vis du service gardien) qui représentent le mineur dès que ses intérêts semblent diverger de ceux de ses parents.

120Enfin, ce rapport détaille les débats internes au groupe de travail portant sur le sujet de l’association du mineur placé à toutes les décisions le concernant.

121L’article L. 223-4 du CASF dispose que « le service examine avec le mineur toute décision le concernant et recueille son avis ». Certains membres du groupe préconisent que le service recherche, voire recueille l’adhésion ou le consentement du mineur, et surtout que ce dernier soit associé tout au long du processus de la décision. Il propose une réforme législative en ce sens [13].

122D’autres estiment que le texte actuel est suffisant, puisqu’il associe déjà le mineur dans le cadre d’un travail éducatif et que toute réforme risquerait d’assigner des responsabilités au mineur qui ne le désire peut-être pas, d’autant plus que toute participation active aux décisions, surtout s’il y a demande d’adhésion, risque de le placer dans un conflit de loyauté avec les personnes de références, surtout avec les personnes détentrices de l’autorité parentale.

123Tous les protagonistes semblent d’accord pour mieux associer l’enfant aux décisions qui le concernent donc à la construction de son propre parcours ; toutefois, les débats ont porté sur les modalités d’association et les degrés : information, accompagnement, adhésion, consentement…

b – L’état-civil comme mémoire de son histoire et comme support de son parcours

124Le rapport Théry aborde de façon très didactique la question complexe de l’état civil [chapitre 3]. L’état civil est tout d’abord la mémoire et le support de son histoire. Il est également le registre fondateur, le « grand livre de la vie privée » - comportant toutefois des éléments d’intérêt public - qui permet de construire son parcours et son identité, selon les informations (sexe, date de naissance, actes judiciaires…) qui y sont retranscrits.

125Tout d’abord, le groupe de travail établit une distinction (qui sera développée dans la seconde partie), qui semble devoir être clarifiée dans le droit, entre :

  • la filiation unique comme lien de parenté défini par le droit, reposant sur des droits, devoirs, attentes et interdits ;
  • et les modalités plurielles d’établissement de la filiation, par engendrement par procréation charnelle, par adoption ou par engendrement avec tiers donneur.

126La filiation serait établie dans le premier cas par une reconnaissance, dans le deuxième par un jugement d’adoption et dans le troisième par une déclaration commune anticipée de filiation.

127Fruit de différentes réformes connexes (concernant les grands événements du parcours de vie : naissance, inscription de la filiation, mariage, divorce…), l’état civil est complexe et semble manquer, sur certains aspects, de cohérence. Ainsi, le rapport énumère les informations contenues dans l’état-civil, la façon dont elles sont intégrées et les personnes et institutions qui peuvent en avoir connaissance, selon quelles modalités (copie intégrale ou extrait).

128Le groupe de travail émet alors des propositions. Il préconise [72-73] de concevoir la copie intégrale de l’acte de naissance comme le conservatoire de l’identité civile des personnes. Il indiquerait le mode d’établissement de la filiation.

129En cas d’adoption, il serait conservé l’acte de naissance originel, et ajouté des noms des parents adoptants. La copie intégrale serait inaccessible aux tiers, sauf exception dûment justifiée. L’état civil serait ainsi le support de l’identité, comme construction dans un parcours de vie, accessible au sujet dans une version intégrale et, afin de respecter la vie privée, aux administrations et tiers sous forme d’extrait.

c – L’accès à son histoire et aux origines : de l’unanimité quant à l’accès à son histoire aux divergences quant à l’accès à l’identité de son/ses géniteur(s)

130L’accès aux origines est l’un des thèmes sur lesquels les groupes de travail expriment le plus de divergences. Pour introduire les analyses, il est nécessaire de distinguer, avec l’expression « accès aux origines », trois éléments qui ne sont pas identiques.

131Par cette expression, on peut signifier :

  • soit l’accès à la connaissance du mode de sa conception (technique de l’AMP avec tiers donneur, accouchement sous le secret…), ;
  • soit l’accès à l’histoire de sa conception (posséder des éléments pour se constituer un récit de son histoire : lettre, rencontre, information administrative, objet relatif au jour de sa naissance ou à l’un de ses parents de naissance…) ;
  • soit l’identité du donneur.

132Les rapports Théry et Rosencszveig dressent le même constat : le secret est d’autant plus intolérable qu’il est sciemment organisé : « Nous n’évoquons pas ici les aléas de la vie des gens ou leurs conflits privés. Non, si ces personnages sont privés d’existence, c’est au sein de nos institutions, par le droit, par l’État » [Théry : 14].

133Ils divergent toutefois assez fondamentalement sur les principes :

  • pour le groupe de travail d’Irène Théry, la recherche des origines n’est en aucun cas à confondre avec l’établissement d’une filiation ;
  • tandis que pour le groupe de travail de Jean-Pierre Rosenczveig - il semblerait qu’il y ait eu toutefois des divergences - il est nécessaire d’inscrire et de faire prévaloir le lien génétique dans la filiation : « Qu’on le veuille ou non, le biologique reste fondateur de l’humanité, même si aujourd’hui l’affectif et le social peuvent conduire à des liens juridiques » [58]. Ce dernier préconise d’ériger donc en principe général un droit à une double filiation biologique[28], avec pour obligation pour la mère de reconnaître sa maternité, et pour le père de reconnaître sa paternité [14 à 16]. Il souhaite également consacrer le droit à la recherche de ses origines (sans établissement de filiation), en cas d’AMP avec donneur, d’accouchement sous le secret et d’adoption.

134En ce qui concerne l’AMP avec tiers donneur, les propositions des rapports Rosenczveig et Théry convergent [29] : ils préconisent qu’à partir de la promulgation d’une nouvelle loi (il n’y aurait pas rétroactivité), le don ne serait plus anonyme. La personne issue de ce don, une fois devenue majeure, pourrait, si elle le désire, prendre connaissance de l’identité du donneur.

135Le rapport Théry préconise également que des renseignements non identifiants puissent être collectés lors du don et transmis à l’enfant, lors de sa minorité s’il est accompagné de ses représentants légaux, ou dès sa majorité s’il en fait la demande [228]. Dans sa démarche, la personne serait accompagnée par du personnel du CNAOP, habilité à faire la recherche et à accompagner les personnes lors de la délivrance de l’information, voire d’une éventuelle rencontre [228 et 233].

136Toujours selon le groupe de travail présidé par Irène Théry, le droit à l’information n’implique pas un droit à la rencontre [231]. Enfin, dès la promulgation de la loi, il serait possible pour des personnes nées d’une AMP avec donneur de savoir si elles sont issues du même donneur, sans pour autant que l’anonymat de ce dernier soit levé [235].

137En ce qui concerne l’accouchement sous le secret, les propositions des groupes de travail Rosenczveig, Théry et Gouttenoire divergent. Au nom de la nécessaire connaissance de tous les aspects personnels qui concernent son histoire, afin d’établir de bonnes bases psychiques pour se construire une identité et un parcours de vie stable, le rapport Rosenczveig préconise que l’identité de la mère de naissance soit de facto révélée à l’enfant devenu majeur, s’il en fait la demande [17].

138Le rapport Théry rentre plus dans les détails [chapitre 9]. Il distingue plus fortement la connaissance de l’identité de la connaissance de l’histoire. C’est pourquoi il préconise de renforcer les compétences du CNAOP afin que tout soit mis en œuvre pour collecter des informations et des éléments relatifs à l’histoire de la naissance, la connaissance systématique de l’identité de la mère de naissance, voire du père de naissance s’il se manifeste, et surtout pour renforcer la possibilité d’accompagnement de l’enfant qui demandera à connaître l’identité de sa mère de naissance, une fois devenu majeur [265].

139En effet, le secret pourrait de droit être systématiquement levé, à la demande de la personne majeure. La loi ne serait pas rétroactive et ne concernerait que les enfants nés à partir de la date de promulgation. Ce droit à la connaissance de l’identité ne serait pas pour autant un droit à la rencontre. La mère de naissance ne serait pas obligée de rencontrer son enfant né sous le secret [30].

140Ce rapport réinsère cette problématique de connaissance des origines dans un souci permanent d’accompagnement des parcours. Il insiste sur le fait que cette connaissance ne doit pas être la délivrance d’une information, sur le mode administratif, mais devrait revêtir la forme d’un accompagnent de la recherche de son histoire par des professionnels du CNAOP.

141Le groupe de travail présidé par Adeline Gouttenoire, qui étudie la question de l’accouchement sous le secret sous le prisme de la protection de l’enfance, vise une meilleure application effective des droits de l’enfant né sous le secret à connaître ses origines et milite pour des réformes [31].

142Il préconise ainsi de passer d’un accouchement anonyme à un accouchement sous le secret. L’identité de la mère de naissance serait systématiquement collectée, lors de la naissance, afin que le CNAOP puisse - si l’enfant devenu majeur (ou dès 13 ans, selon une proposition, s’il est accompagné de ses parents) demande à la connaître - relayer cette demande auprès de la mère de naissance et lui demander d’autoriser cette révélation.

143En effet, aujourd’hui, près de la moitié des demandes ne peuvent même pas être relayées, puisque le CNAOP n’arrive pas à prendre connaissance de cette identité de la mère de naissance. Cette préconisation vise à rendre effectif ce droit d’être assuré que toute demande effectuée par un enfant né sous le secret puisse être effectivement présentée à la mère de naissance.

144Toutefois, la connaissance de l’identité de la mère de naissance ne serait pas un droit, même à la majorité. En effet, le rapport propose de ne faire aucune modification législative sur ce sujet. La mère de naissance, contactée, peut refuser la révélation de son identité. L’argument principal du rapport est que si l’on supprimait ce droit de la femme à préserver à vie son anonymat, il serait probable qu’il y ait moins d’accouchements à la maternité, avec des risques sanitaires élevés pour la mère comme pour l’enfant.

145Surtout, in fine, cet enfant qui serait finalement abandonné en dehors de tout cadre légal, serait face à l’impossibilité totale de connaître, une fois devenu majeur, son identité ou quelques éléments de son histoire, détenus pas le CNAOP.

146En bref, ce rapport tente d’être pragmatique dans l’application des principes : il considère qu’une application trop rigide (la révélation systématique de l’identité à la demande de l’enfant) produirait des conditions de naissance (« accouchement sauvage », puis abandon) qui rendraient impossible cette connaissance de cette identité et de l’histoire.

147Le rapport Gouttenoire propose également que l’accompagnement spécifique des mères de naissance qui accouchent dans le secret soit renforcé [31], notamment durant les mois suivant l’accouchement pour les mères de naissance mineures et les mères de naissance qui reconnaissent finalement l’enfant durant la période de rétractation de deux mois qui suivent l’accouchement.

148Rappelons qu’en 2012, 15 % des enfants accouchés sous le secret sont finalement reconnus durant cette période [32]. On peut penser qu’une femme qui dans un premier temps demande le secret se pose beaucoup de questions, au moins à ce moment-là, sur son désir, ses capacités ou ses possibilités d’assumer une maternité. Dans tous les cas, il peut sembler nécessaire qu’elle puisse, pour son propre bien-être et celui de l’enfant, être accompagnée au moins durant les premiers mois.

149Enfin, ce même groupe de travail préconise que les compétences du CNAOP soient élargies aux situations d’adoption internationale (le rapport Théry émet la même préconisation) et qu’il ait accès à de nouveaux outils pour faciliter ses recherches, tel que le Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP).

150Malgré les divergences sur le maintien de l’anonymat [33], notons qu’un impératif semble partagé : il est nécessaire que les pouvoirs publics accompagnent au mieux l’ensemble du parcours d’un enfant, dès sa naissance, voire avant même sa naissance. L’histoire ne peut être tronquée, elle fait partie intégrante de l’identité.

151Les questions posées au sujet de l’accès aux origines dévoilent finalement une question plus large, qui porte sur le secret entretenu par les pouvoirs publics sur l’ensemble du parcours de l’enfant à l’Aide sociale à l’enfance.

152Le groupe de travail présidé par Adeline Gouttenoire préconise alors de renforcer systématiquement tous les droits de l’usager, y compris mineur, d’accès à toute information ou document administratif et judiciaire relatif à sa prise en charge, sauf dispositions législatives contraires [13] ; le groupe présidé par Jean-Pierre Rosenczveig entend quant à lui consacrer ce droit à tout enfant capable de discernement [28].

153A contrario, le groupe présidé par Jean-Pierre Rosenczveig aborde la question du droit à l’oubli, notamment sur les sites internet et les réseaux sociaux, ainsi que dans les mémoires « classiques » que sont les casiers judiciaires et les fichiers de police qui doivent être plus régulièrement et efficacement expurgés. Il en appelle à une réflexion collective sur le sujet [80 à 84]. Dans l’esprit, il s’agit bien, également, d’être un acteur qui a le droit de construire son histoire, ou, tout du moins, le récit de sa propre histoire.

d – Accompagner les parcours spécifiques en protection de l’enfance

154Au sujet plus spécifique de la protection de l’enfance, l’ensemble des rapports émettent des propositions qui sont complémentaires.

155Le rapport Gouttenoire fixe son objectif dès l’introduction : « Il convient de rendre le dispositif de protection de l’enfance plus évolutif, d’inciter les acteurs à ne pas « enfermer » l’enfant dans le statut qui lui a été assigné au départ afin que ce statut puisse être adapté à l’évolution de ses besoins et projets » [p. 16].

156À cette fin, il propose d’instaurer un comité de veille et d’orientation pluridisciplinaire, chargé de questionner le statut du mineur, en fonction de son parcours, besoins et projets [19].

157Le principe est de n’instaurer aucune automaticité : ce n’est pas, par exemple, parce que les liens semblent rompus avec la famille depuis une période de X mois ou années qu’il est automatiquement nécessaire d’enclencher une procédure de déclaration judiciaire d’abandon.

158Au contraire, il faudrait systématiquement étudier la situation (tous les semestres pour l’enfant de moins de deux ans, toutes les années pour l’enfant âgé de deux à six ans, tous les deux ans pour l’enfant âgé de plus de six ans ou lors d’un renouvellement), pour éventuellement envisager, au vu du parcours, des besoins, des projets, un statut mieux adapté, en faisant le choix dans la large palette existante : poursuite de l’assistance éducative, délégation par les parents de l’autorité parentale de façon volontaire ou imposée (voir infra), procédure de tutelle ou de déclaration judiciaire d’abandon (qui deviendrait une déclaration judiciaire de délaissement avec obligation pour le juge de se prononcer dans les six mois qui suivent la saisine [21]), etc..

159Cet enfant pourrait continuer à bénéficier d’une prise en charge dans les dispositifs qu’il connait déjà, ou être adopté, confié à un tiers digne de confiance, connaître un dispositif de parrainage… Ce même rapport propose d’ailleurs d’étoffer la palette des possibilités [34].

160En effet, la délégation de l’autorité parentale[35] [18] pourrait advenir, partiellement ou totalement, non seulement, comme c’est le cas actuellement, en cas de désintérêt des parents et lorsque les parents sont dans l’impossibilité d’exercer leur autorité parentale mais aussi, pour des raisons de non-suivi parental, quand il est constaté une fréquence élevée de demandes d’autorisation pour effectuer des actes non usuels formulées au juge dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative.

161Le procureur de la République pourrait également directement saisir le juge aux affaires familiales. Lorsque la délégation serait envisagée, les services devraient tout d’abord rechercher l’adhésion des parents - même si finalement cette délégation est imposée - faire participer l’enfant discernant et désigner un administrateur ad hoc pour représenter l’enfant non discernant.

162Le rapport Gouttenoire propose également de favoriser l’adoption simple comme une mesure de protection de l’enfance, en facilitant cette forme d’adoption par un tiers accueillant [28]. Comme l’adoption simple a l’avantage de maintenir les liens avec la famille d’origine, le juge pourrait édicter les conditions et modalités de maintien.

163Ce processus se ferait en plusieurs étapes. Après étude d’un bilan médico-psycho-social d’adoptabilité de l’enfant par un comité de veille et d’orientation qui auditionnerait les parents (cf. infra), le service ASE proposerait le placement en assistance éducative en vue d’une éventuelle adoption à une famille du département disposant d’un agrément spécifique. Au bout d’une année, si la prise en charge se révèle positive, et après nouvelle audition des parents assistés d’un avocat, le comité pourrait donner un avis quant à l’engagement d’une procédure d’adoption.

164Le groupe de travail a été divisé sur une question centrale : pour certains, cette procédure se ferait avec l’accord express des parents ; pour d’autres, il serait possible de s’en passer.

165Dans tous les cas, les liens seraient maintenus avec cette famille d’origine : le juge pourrait accorder un droit à l’information des décisions importantes concernant l’enfant, de surveillance, voire de visite.

166Cette proposition a suscité des réserves de la part de la moitié du groupe de travail : sur le plan juridique, le processus qui ne repose pas sur des statuts judiciaires déterminés ne leur semble pas robuste ; sur le plan psychique, il leur semble également que, aussi bien l’enfant que la famille qui l’accueille sont placés dans un parcours « insécure », puisque le placement pourrait éventuellement ne pas déboucher sur une adoption.

167En ce qui concerne les jeunes majeurs, le rapport Gouttenoire propose d’instaurer des passerelles [16] : tout d’abord, le contrat jeune majeur devrait être un droit pour tout enfant qui a été placé. Ensuite, ce jeune adulte pourrait, de droit, rencontrer un référent du service ASE un an après la sortie de la mesure d’accompagnement, y compris s’il est lui-même à l’origine de la sortie du dispositif. Cette rencontre permettrait de faire le point, et de réintégrer dans le dispositif de soutien un jeune qui en éprouverait le besoin.

168Pour les jeunes les plus exclus du principe du soutien familial (faisant l’objet d’une délégation de l’autorité parentale, d’une tutelle d’État ou pupille d’État), le rapport préconise un droit d’obligation alimentaire de la part du Conseil général, au-delà de 21 ans, afin de permettre le suivi d’études.

169Afin de mieux suivre ces parcours et de mieux les considérer dans la pratique, les rapports analysent certains outils mis en œuvre. En effet, ces parcours s’inscrivent dans des documents, qui représentent aussi bien une mémoire du parcours qu’un étayage dans la construction de ce parcours, donc de l’identité.

170Le rapport Gouttenoire, tout d’abord, analyse quelques outils dans le cadre de la protection. Ceux qui semblent les plus importants sont le rapport d’évaluation, le projet pour l’enfant et l’album de vie.

171La loi du 5 mars 2007 a prévu, une fois par an et après une évaluation pluridisciplinaire, l’obligation pour le service d’Aide sociale à l’enfance d’élaborer un rapport sur la situation de tout enfant accueilli ou faisant l’objet d’une mesure éducative. Ces rapports prennent à l’heure actuelle une forme très diverse et plusieurs champs de la vie de l’enfant, comme la scolarité ou la santé, sont souvent peu abordés.

172Le rapport Gouttenoire propose ainsi une précision législative, afin que ce rapport annuel (et semestriel pour l’enfant de moins de deux ans) contienne des informations sur la santé physique et psychologique, la scolarité, les liens, notamment d’attachement, tissés avec la famille ou des tiers, les modalités et les effets de la mesure [15].

173En ce qui concerne l’album de vie, le rapport Gouttenoire préconise une autre réforme législative afin qu’il soit élaboré durant tout accueil et soit remis à la fin de la prise en charge [13]. D’ailleurs, la constitution de cet album serait une obligation incluse dans le contrat d’accueil signé avec les familles d’accueil.

174Les rapports Gouttenoire et Rosenczveig semblent consacrer le Projet pour l’enfant (PPE) comme épine dorsale du suivi et d’étayage du parcours. Ce projet pour l’enfant, pourtant obligatoire depuis la loi du 5 mars 2007, est encore dans les faits peu mis en œuvre.

175Le rapport Gouttenoire l’évoque à maintes reprises, en partant du principe que les conseils généraux rendent rapidement cette obligation effective. Le rapport Rosenczveig consacre un développement à ce sujet, et propose pour que le projet pour l’enfant soit consacré dans les faits [p. 84], de créer avec l’Assemblée des départements de France (ADF) et les organisations professionnelles une « dynamique sur la concrétisation du projet pour l’enfant » [45].

176Enfin, dans le rapport Gouttenoire, outre les outils déjà exposés, des préconisations détaillées et concrètes, visent à améliorer les dispositifs de suivi des parcours.

177Certaines visent à renforcer la formation des professionnels [4], d’autres à systématiser et améliorer la circulation d’information, surtout en ce qui concerne les situations de danger et de risque de danger [5].

178Un point particulier est consacré à la question du repérage du danger : des propositions pratiques sont émises pour renforcer l’enregistrement de tous les enfants reçus dans les services d’urgence [6], et pour rompre l’isolement du médecin libéral qui, dans les faits, émet peu d’informations préoccupantes ou de signalements [7].

179Un focus porte sur la question de la protection des nouveau-nés. L’objectif est d’améliorer la lutte contre le syndrome du bébé secoué [8] et d’améliorer la prise en charge de la mort inattendue du nourrisson [9].

180Une dernière proposition porte sur le renforcement du dispositif d’observation longitudinale de l’ensemble des parcours des enfants qui bénéficient d’une mesure de protection [3]. Ce n’est pas un outil au service du parcours d’un enfant singulier, mais un outil qui permettra de mieux adapter les dispositifs de suivi de parcours. Il s’agit, en pratique, d’adapter et de renforcer le cadre juridique du dispositif d’observation longitudinale et exhaustive de l’ensemble des données concernant les enfants suivis, à chaque observatoire départemental de la protection de l’enfance (ODPE) et à l’ONED.

e – Étayer les parcours par la reconnaissance et le renforcement du rôle des adultes de référence

181Une question très médiatisée a été celle du statut du tiers, notamment du beau-parent. Aucun rapport ne le préconise. Tous ont évité le piège de la création d’un statut uniforme et rigide, pour plutôt analyser les possibilités, y compris juridiques, d’accompagnement du parcours de l’enfant par des tiers qui sont devenus des références.

182Le rapport Rosenczveig reste très général : il préconise de clarifier dans la loi les responsabilités des adultes sur l’enfant dans l’intérêt de l’enfant, mais aussi dans l’intérêt des adultes sinon des institutions (école, crèche, etc.) [29]. Dans ce cadre d’ailleurs, il préconise de remplacer le principe d’ « autorité parentale » par celui de « responsabilité parentale » [31], puis, pour clarifier le rôle attendu de chacun, d’indiquer que la personne qui a légitimement en charge l’enfant, c’est-à-dire celle qui vit avec lui au quotidien, est en droit et devoir d’exercer à son égard les responsabilités liées aux actes usuels [33].

183En revanche rien n’est dit sur une éventuelle délégation de certains actes dits « importants ». En parallèle, il propose d’introduire dans le Code civil un principe selon lequel l’enfant a le droit d’entretenir des relations avec ceux qui lui sont chers [46].

184Le rapport Théry développe plus largement cette proposition. D’emblée, il prévient : « Il convient de ne pas créer de « statut » des beaux-parents au sens de corps de règles plus ou moins impératives qui s’imposent à eux. Le rejet d’un statut impératif est lié à la nécessaire considération de la diversité des situations, de la diversité des attentes, et du respect de la place que chacun souhaite jouer dans la situation de vie familiale. Les propositions doivent être souples, réversibles, non impératives et fondées sur la recherche du consensus, le juge restant in fine gardien de l’intérêt de l’enfant » [285].

185Pour soutenir la place du beau-parent, il propose que ces derniers se saisissent, s’ils le désirent, de nouveaux outils juridiques qui leur seraient proposés (un mandat d’éducation quotidienne, un certificat de recomposition familiale), ou précisés (délégation-partage ou délégation-transfert de l’autorité parentale) [36].

186Afin de traduire l’autorisation donnée par un parent à un beau-parent d’accomplir les actes usuels concernant le bel-enfant, le rapport propose de créer un mandat dénommé « mandat d’éducation quotidienne » [289]. Ce mandat, passé sous seing privé ou devant notaire, ne requerrait pas de recueillir l’accord de l’autre parent, car celui-ci est présumé entre les cotitulaires de l’autorité parentale. En revanche, en cas de conflit, le parent pourrait saisir le juge [37]. Un modèle d’acte pourrait être proposé en ligne.

187Ensuite, le rapport préconise de créer un « certificat de recomposition familiale » délivré en mairie du lieu du domicile de la famille recomposée [294]. Ce certificat serait délivré sur présentation des mandats d’éducation consentis au sein de la famille recomposée et d’une preuve de résidence. Il attesterait simultanément de la cohabitation du parent et du beau-parent, et de l’existence d’un mandat d’éducation quotidienne. Il aurait également vocation à faire état des différents mandats d’éducation de manière à faciliter la vie des familles.

188Enfin, le rapport préconise de clarifier les notions de délégation de l’autorité parentale en distinguant la délégationpartage de la délégation-transfert.

189Dans les deux cas, il s’agit de donner au beau-parent qui le souhaite la possibilité de prendre en charge en totalité ou en partie l’enfant, dans le respect des responsabilités qui appartiennent aux parents, au nom de l’intérêt de l’enfant et sous le contrôle du juge.

190En ce qui concerne la première [296], il serait stipulé que les deux parents ou l’un d’eux peuvent, pour les besoins d’éducation de l’enfant, saisir le juge aux affaires familiales afin de faire homologuer la convention par laquelle ils partagent en tout ou partie l’exercice de l’autorité parentale avec un ou deux tiers délégataires.

191Le partage nécessite l’accord du ou des parents en tant qu’ils exercent l’autorité parentale. En cas de désaccord ou d’absence de consentement de l’autre parent dans le cadre d’un exercice en commun de l’autorité parentale, un seul parent, en considération de circonstances exceptionnelles, pourrait saisir le juge aux fins de voir partager son autorité avec un tiers délégataire. Le juge ne peut passer outre le refus de l’autre parent ou son abstention, que si tel est l’intérêt de l’enfant.

192Dans le cas de la délégation-transfert [297], qui serait utile, par exemple, quand le parent avec lequel vit l’enfant est malade et peut difficilement exercer cette autorité, un des parents, ou les deux, transférerait tout ou partie de l’exercice des droits et devoirs de l’autorité parentale au beau-parent qui en a désormais l’exercice, à la place du délégant. Il y a donc répartition des responsabilités entre délégant et délégataire ou exercice exclusif par le délégataire.

193En cas de décès d’un parent, ou de séparation du couple recomposé, le rapport préconise toute une série de mesures afin que ces actes soient mieux pris en considération par le juge, notamment lorsqu’il s’agit de confier l’enfant à un tiers ou d’homologuer une délégationpartage ou une délégation transfert de l’autorité parentale [300]. De même, le droit à maintenir des relations personnelles entre l’enfant et un tiers qui a contribué à son éducation serait précisé par, notamment, un droit de correspondance, de visite, ou d’hébergement [303].

194Alors que le rapport Rosenczveig est peu détaillé sur cette question du rôle des tiers, il apporte toutefois une précision de taille, en préconisant qu’un enfant doué de discernement ait le droit de saisir le juge aux affaires familiales de toute question le concernant, notamment lorsqu’il s’agit de se prononcer sur sa résidence [73].

195Le rapport Théry, beaucoup plus détaillé et précis dans les propositions, aurait pu également, dans une partie spécifique, faire le lien avec le droit des enfants dans chaque type de situation et d’actes envisagés, afin que ces « arrangements » ne s’effectuent pas qu’entre adultes ou adultes et institutions.

196Aucune proposition de ce rapport, en ce qui concerne les réformes proposées, n’est, en soi, incompatible avec les droits de l’enfant à s’exprimer, donner avis ou donner accord. Parfois, pourtant, le rapport n’aborde pas ce point. Il aurait sans doute été utile de rappeler pour quel type d’acte et selon quelles modalités il serait avisé, auditionné, et lorsqu’on solliciterait son avis ou son accord.

197Le tiers n’est pas uniquement le beau-parent. Dans le cadre de la protection de l’enfance, la question du tiers, en général, devient prégnante. Un parcours, même s’il est singulier, n’est pas pour autant solitaire. Le parcours d’un enfant a besoin d’être étayé par des adultes de référence. L’impératif est alors d’assurer la place de ses adultes, afin qu’ils puissent être présents lorsque l’enfant en a besoin.

198La stabilité du parcours impose une stabilité de l’étayage et des références. « Dans le cadre d’un dispositif plural de protection de l’enfance, l’enfant peut en effet être soutenu et accompagné par plusieurs adultes, à des titres différents. La loi doit alors conférer à chacun de ces adultes un ensemble de prérogatives lui permettant de jouer pleinement son rôle auprès de l’enfant avec le soutien des professionnels. L’enfant doit, dans la mesure du possible, être assuré de voir les liens qu’il a tissés pendant tout son parcours perdurer dans le temps, y compris lorsqu’il accède à la majorité » [Gouttenoire : p. 16].

199Tout d’abord, toujours en cas de placement en famille d’accueil, le groupe de travail présidé par Adeline Gouttenoire constate des difficultés dans l’exercice des quelques actes non usuels.

200Il propose, dans des cadres précis, des modalités d’autorisation, afin d’offrir des garanties à l’égard de l’enfant placé et des adultes qui l’entourent [11] : il préconise notamment quelques modifications législatives afin que l’assistant familial puisse mettre en œuvre des actes usuels quotidiens, sans devoir en référer au service gardien (Conseil général ou association habilitée), tout en respectant les droits parentaux et l’autorité du service gardien. Cette autorisation d’exercice de quelques actes usuels serait définie dans le cadre du contrat d’accueil et surtout du projet pour l’enfant.

201De façon plus générale, ce même rapport consacre, dans le cadre de l’assistance éducative en protection de l’enfance, un chapitre à la question du maintien, voire du renforcement des liens entre l’enfant protégé et les tiers.

202Il consacre tout d’abord le droit de l’enfant à maintenir des liens noués avec des tiers (avec extension du droit de visite et d’hébergement accordé à des tiers [24]), vise le renforcement des droits du tiers à qui l’enfant a été confié [25], puisque ce dernier pourrait, avec l’autorisation argumentée du juge, exercer des actes non usuels, voire l’adopter (sans agrément ou avec un agrément spécifique) [26 et 27].

203Ainsi, ce rapport s’interroge finalement sur les situations de rupture de parcours pour les enfants placés en famille d’accueil et sur la meilleure façon, non pas de les éviter systématiquement, puisque certaines sont légitimes et répondent à un besoin, mais tout au moins pour qu’elles se déroulent dans une cohérence de parcours, en fonction du projet pour l’enfant placé.

204Ainsi, il préconise des modifications législatives pour que, face à une décision unilatérale du service d’Aide sociale à l’enfance, alors que l’enfant est accueilli depuis plus de trois ans, le mineur et les personnes concernées soient entendus par le juge des enfants ou le juge aux affaires familiales s’il est concerné, ces derniers devant obligatoirement émettre un avis [12].

f – Faire de la médiation un outil d’accompagnement et d’apaisement des parcours

205Dans un premier temps, que ce soit dans les analyses ou les propositions, le rapport Juston aborde peu la question de l’enfant et de son intérêt. Il préconise toute une série de réformes des modalités de la médiation, portant sur la formation, les procédures, le financement ; la médiation est ensuite abordée comme si elle ne concernait en premier lieu et quasi exclusivement que les adultes, en l’occurrence les parents : « La médiation familiale repose sur la participation active des parents, ainsi que sur la reconnaissance et la valorisation de leurs compétences. Elle vise à restaurer la communication et à préserver les liens entre les personnes, plus particulièrement les membres de la famille » [p. 5].

206Puis, dans un second temps (à partir de la 5ème section), sans que finalement cette transition soit exposée, l’enfant arrive au cœur des analyses et propositions.

207La médiation, si elle était renforcée, est alors exposée comme le possible outil d’étayage des parcours de l’enfant, dans un monde potentiellement conflictuel. En se référant à la Convention internationale des droits de l’enfant, et à la notion centrale de l’intérêt de l’enfant, le rapport préconise de nouvelles modalités d’élaboration, d’actualisation et de statut de ce qui est appelé des « contrats de coparentalité ».

208Il serait ainsi nécessaire de définir plus précisément la notion d’exercice en commun de l’autorité parentale [18]. L’enfant bénéficierait d’une double-domiciliation, quelle que soit sa résidence, indiquée sur sa carte d’identité [19]. Tout parent pourrait également bénéficier d’un livret de parentalité décerné à la naissance, qui valoriserait les informations pratiques portant sur la période de grossesse et de naissance et surtout rappellerait l’ensemble du rôle, droits et devoirs, de tout parent, y compris en cas de séparation [20]. De même, le livret de famille serait solennellement remis lors de l’établissement de la déclaration de naissance avec une lecture des articles clés relatifs aux droits et devoirs de chacun des parents et à la médiation familiale [21].

209La sixième section aborde finalement la question de l’articulation entre les services d’accompagnement des parents pendant et après la séparation

210Le groupe de travail préconise alors que le juge aux affaires familiales puisse avoir recours à la médiation comme mesure d’accompagnement de l’exercice en commun de l’autorité parentale, et non seulement comme mesure avant dire droit, comme c’est le cas actuellement [22].

211Le juge aurait alors la possibilité d’assurer le suivi de certaines de ses décisions, en cas de difficultés aiguës et graves, par l’instauration d’une mesure d’accompagnement à la décision et à la restauration de liens [23].

212Toutefois, alors que dans l’esprit il semblerait que cette mesure serait un des outils de la protection de l’enfance, au titre de la prévention ou du risque de danger, le rapport n’évoque ensuite que les ateliers de la coparentalité, qu’il faudrait développer [24].

213Une autre mesure de médiation pourrait également être ordonnée en cas de résidence alternée (qui serait la règle selon une majorité du groupe, mais la proposition fait débat [27] et dont les conditions de mise en place seraient définies par le Code civil [28]), afin que les parents vérifient par eux-mêmes l’adéquation de ce type de résidence à la personnalité de l’enfant, celui-ci pouvant participer au débat le concernant, en fin de processus [26].

214Il est toutefois à noter que le rapport n’intègre guère de propositions qui placent l’enfant au cœur du processus, en tant que personne en droit de demander une médiation.

215La médiation familiale est surtout appréhendée comme une médiation parentale. Le rapport aurait pu définir les éventuelles conditions et modalités d’exercice de ce droit, pour cet acteur, l’enfant, ou de ces acteurs, les enfants en fratrie, dans un processus de médiation familiale.

216Par exemple, il n’est question de la participation de l’enfant que dans le cadre d’une médiation ordonnée en parallèle à une décision d’une résidence alternée, mais uniquement « en fin de processus », sans que cette limitation de la temporalité soit argumentée.

217Les propositions permettent de renforcer ce dispositif de prise en compte et d’accompagnement des parcours, notamment celui de l’enfant, sans toutefois placer l’enfant comme acteur dans ce processus.

g – Réformer l’adoption

218Les rapports Gouttenoire et Théry suggèrent tous les deux de réformer l’adoption.

219Dans le rapport Gouttenoire, outre la proposition visant à faciliter l’adoption simple de l’enfant protégé [proposition n° 28 déjà exposée], il est préconisé de réduire les possibilités de révocation de l’adoption simple [29], d’ouvrir la possibilité d’une nouvelle adoption après l’échec d’une nouvelle adoption (la loi actuelle ne le permet qu’en cas de décès de l’un des parents) [40] ainsi que d’améliorer le statut de l’enfant recueilli dont la loi personnelle interdit l’adoption (ex : kafala).

220Un mineur étranger pourrait ainsi être adopté sous le régime de l’adoption simple s’il réside habituellement en France ; en outre, un enfant recueilli depuis au moins trois ans en France, par une personne de nationalité française, pourrait réclamer la nationalité française.

221De surcroît, ce rapport préconise de renforcer les droits de l’enfant dans la procédure d’adoption : faire état de l’adhésion de l’enfant à un projet lors du bilan médico-psycho-social, audition de l’enfant capable de discernement lors de la procédure d’adoption, désignation d’un administrateur ad hoc pour représenter l’enfant en cas de refus des parents ou du conseil de famille jugé abusif [35].

222Enfin, ce même rapport propose d’étendre les expériences très concluantes menées dans certains départements pour mieux préparer les adoptants aux réalités de l’adoption.

223Il s’agit tout d’abord, en amont, d’informer durant deux séances de trois heures chacune minimum, les personnes candidates à l’agrément, sur les aspects psychologiques, éducatifs et culturels de l’adoption pour l’enfant et les parents et de fournir les coordonnées des organismes aptes à proposer un soutien spécifique [37].

224Ensuite, avant, pendant et après l’adoption, l’objectif est de maintenir cet accompagnement, en créant une consultation d’orientation et de conseils en adoption (COCA) par région, dont les modalités d’organisation et de financement par l’ARS seraient fixées par voie règlementaire [38].

225Enfin, le mineur adopté et ses parents, pourraient de droit bénéficier, à leur demande, d’un accompagnement d’une année par les services d’Aide sociale à l’enfance, quelle que soit la période de la demande (durant les premiers mois d’accueil, l’enfance, l’adolescence…) [39].

226Enfin, notons qu’en ce qui concerne les outils à mettre en œuvre, le rapport Gouttenoire propose d’instaurer systématiquement un bilan d’adoptabilité médico-psycho-social de l’enfant. Il devra déterminer si l’adoption est la solution adéquate pour l’enfant et quelles sont les caractéristiques et les aptitudes que devra présenter la famille à qui l’enfant est confié [32].

227De surcroît, ce même rapport préconise de redéfinir l’agrément à l’adoption pour qu’il réponde au principe de l’intérêt de l’enfant, c’est-à-dire de définir si la personne ou le couple candidat est en capacité de répondre aux besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs des enfants en attente d’adoption [33]. À cette fin, il conviendrait de redéfinir l’agrément en y apportant des points d’évaluation complémentaires, de permettre une révision annuelle ainsi que d’améliorer l’évaluation et l’information des candidats.

228Tout en préservant la dualité des formes d’adoption, simple et plénière, le rapport Théry vise quant à lui à « moderniser » la forme plénière et à valoriser la forme simple. La finalité de l’adoption est de créer un lien de filiation, dans l’intérêt de l’adopté [106]. Elle pourrait être prononcée pour tout couple, quel que soit son lien matrimonial [105].

229Les propositions concernant la réforme de l’adoption simple sont similaires à celles contenues dans le rapport Gouttenoire. Il est en outre préconisé que l’enfant adopté ait la possibilité de garder son nom d’origine [116]. En ce qui concerne l’adoption plénière, il est préconisé d’abandonner « la logique d’imitation de la procréation charnelle » : l’acte de naissance originel, avec renseignement du jugement d’adoption par l’ajout d’une mention « subséquente » ainsi que le prénom de l’adopté subsisteraient [121].

230Enfin, le rapport Théry consacre un chapitre à la question de l’adoption de l’enfant du conjoint [chapitre 6]. Quel que soit le statut matrimonial du couple, il serait possible d’adopter, sous la forme plénière, un enfant qui n’a pas une seconde filiation établie et, sous la forme simple, un enfant ayant déjà deux parents établis [137].

231Dans le second cas, un père biologique aurait ensuite la possibilité d’établir sa paternité, par adjonction d’un lien de filiation, sans pour autant remettre en cause l’adoption plénière antérieurement établie, dans un délai de six mois ou, ensuite, par une action en justice pour dol ou fraude, s’il n’avait pas été informé de l’existence de l’enfant [139]. De surcroît, si l’enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard d’un seul parent et que ce dernier décède, son conjoint pourrait établir une requête en adoption [142].

232Ainsi, ces propositions suivent un objectif commun : passer de l’acte judiciaire d’adoption à la construction d’un parcours d’adoption, avec une évaluation, préparation, accompagnement et soutien tout au long de ce parcours, en amont et en aval de l’acte judiciaire.

Des rapports aux réformes : les propositions de loi

233Lors de la commande de ces rapports, l’objectif était de préparer un projet de loi transversal, qui porterait à la fois sur l’enfance et les familles. Puis, le gouvernement a renoncé à ce projet global. Alors, des députés et sénateurs annoncent qu’ils ont l’intention de déposer des propositions de loi.

234À ce jour, une seule, la proposition de loi n° 1856 relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, a été déposée à l’Assemblée nationale le 1er avril 2014, puis discutée au début du mois de mai. Elle a été transmise en juin au Sénat. Les thèmes abordés, et fortement débattus, sont l’exercice conjoint de l’autorité parentale ; la reconnaissance de la place croissante prise par les tiers qui concourent à l’éducation des enfants ; la définition du périmètre et du champ d’action de la médiation familiale ; la prise en compte la parole de l’enfant dans le cadre de toute procédure le concernant…

235Entre-temps, en ce qui concerne plus spécifiquement la protection de l’enfance, les sénatrices, Muguette Dini et Michelle Meunier, ont rédigé un rapport d’information intitulé « Protection de l’enfance : améliorer le dispositif dans l’intérêt de l’enfant » [38], qui reprend un grand nombre des propositions émises dans le rapport Gouttenoire. Selon leurs déclarations, elles préparent une nouvelle proposition de loi « Protection de l’enfance ». À la lecture du rapport, la rédaction semble déjà bien avancée [39].

236Quand d’autres propositions de loi seront-elles déposées ? Au lieu de plusieurs propositions qui se superposeraient, ne serait-il pas plus utile d’élaborer un véritable projet de loi qui permettrait de mieux assurer la cohérence entre les réformes, surtout lorsqu’il s’agira de défendre une position du gouvernement face aux amendements qui seraient déposés ?

237Adopter une logique de prise en compte des parcours exigerait l’élaboration d’une loi unique qui porte sur la globalité du parcours de l’enfant, qu’il vive avec ses deux parents ou au sein d’une famille monoparentale ou recomposée, qu’il se développe dans un climat apaisé ou conflictuel, qu’il habite chez ses parents ou qu’il soit placé, qu’il bénéficie d’une mesure de protection ou non…

238Ce projet pourrait alors s’appuyer sur l’ensemble des rapports et prendre comme fil directeur la défense de l’intérêt de l’enfant, notamment des enfants les plus vulnérables, en lui assurant constamment un cadre adapté et une meilleure considération, en tant qu’acteur, de son parcours et de ses projets.

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Notes

  • [1]
    Sociologue, directeur de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) et rédacteur en chef de la revue Recherches familiales.
    L’article se divise en deux parties : la première traite des limites des politiques fondées sur des statuts et de l’intérêt d’une approche par le parcours. Dans la seconde partie - à paraître dans le prochain numéro - l’auteur aborde les propositions tendant à mieux considérer le parcours des enfants dans les rapports des groupes de travail mis en place en 2013 par la ministre déléguée à la famille.
  • [2]
    Gilles Séraphin, Comprendre la politique familiale, Dunod, 2013.
  • [3]
    Voir le dossier thématique « Parcours de vie » de Recherches Familiales, UNAF, n° 10, 2013.
  • [4]
    « L’intérêt supérieur de l’enfant » (la notion anglaise est plus précise : « the best interest »), notion juridique issue de la Convention internationale des droits de l’enfant (1989) est aujourd’hui, malgré des critiques et analyses sur l’applicabilité en droit (notamment quand cette notion d’intérêt qui s’applique aux enfants collectivement peut heurter ce qui serait de son intérêt pour un enfant singulier dans une situation précise), un principe quasiment unanimement partagé. Dans une situation où les intérêts de plusieurs acteurs divergent et se confrontent (ex : ceux de la mère, du père et de l’enfant), ceux de l’enfant priment. Il ne s’agit pas de négliger les autres intérêts en jeu, mais d’équilibrer les intérêts et surtout, in fine, de faire primer celui de l’enfant quand l’intérêt des autres acteurs risque de mettre en danger son développement.
    Pour l’ensemble des références juridiques sur le droit des mineurs actuellement applicable, voir Philippe Bonfils, Adeline Gouttenoire, Droit des mineurs, Dalloz, coll. Précis/Droit privé, 2014.
  • [5]
    En ce qui concerne la transition à l’âge adulte, voir les documents de l’ONED suivants (www.oned.gouv.fr) : « Entrer dans l’âge adulte. La préparation et l’accompagnement des jeunes en fin de mesure de protection », 2009 ; « Les recherches francophones sur les parcours de placement, la transition à l’âge adulte et le devenir des enfants placés (Sarra Chaïeb) », 2013 (http://www.oned.gouv.fr/publications/recherches-francophones-surparcours-placement-transition-lage-adulte-et-devenir) ainsi que les présentations effectuées par les chercheurs du réseau INTRAC lors de la journée organisée par l’ONED et l’INED le 10 octobre 2013, « La transition à l’âge adulte après une mesure de protection : journée d’étude internationale » (http://www.oned.gouv.fr/actualite/transition-lage-adulte-apres-une-mesure-protection-journee-detude-internationale ; voir le compte rendu de Clémence Helfter dans Politique sociales et familiales, CNAF, n°115, mars 2014) et l’article rédigé par Anne Oui, « Le soutien aux jeunes sortant du système de protection de l’enfance : entre droit commun et prise en compte des besoins particulier », JDJ n° 333, mars 2014, pp. 18 et s..
  • [6]
    Nathalie Guimard, Juliette Petits-Gars, « Écrits de jeunes en quête de statut », Recherches Familiales, UNAF, n° 7, 2010.
  • [7]
    Gilles Séraphin, « L’accès aux origines : les ressorts d’un débat passionné », Esprit, n° 5, mai 2009.
  • [8]
    Par facilité de rédaction, nous parlons toujours dans ce texte des parents, alors que nombre de situations n’impliquent qu’un seul parent.
  • [9]
    Notons que la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État, permettant notamment la création du CNAOP, introduit d’éventuelles possibilités de connaissance de quelques éléments du parcours pour ces enfants ayant le statut de « né sous X », auparavant confrontés au secret total, juridiquement organisé, de l’histoire de leur naissance.
  • [10]
    Voir Séverine Euillet, Le PPE : état des lieux dans 35 départements au premier semestre 2009, ONED, 2009 ; « Travailler l’accord avec les familles », 9ème rapport au Gouvernement et au Parlement, ONED, mai 2014.
  • [11]
    Voir Martine Lamour et Marceline Gabel, Enfants en danger, professionnels en souffrance, Érès, 2011, p. 213.
  • [12]
    15 % des enfants nés sous le secret (628 en 2011, 579 en 2012) sont en effet ensuite de retour dans la famille de naissance, la mère de naissance bénéficiant de la période de rétractation de deux mois. Cf. Les pupilles de l’État : situation au 31 décembre 2012, ONED, décembre 2013.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Pourtant, cette recherche est conforme à la logique des textes législatifs. L’article 375-3 du CC stipule que si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier tout d’abord à l’autre parent, puis à un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance, enfin à un service départemental de l’aide sociale à l’enfance ; à un service ou à un établissement habilité pour l’accueil de mineurs à la journée ou suivant toute autre modalité de prise en charge ; ou à un service ou à un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé.
  • [15]
    Voir sur le sujet le dossier thématique de l’ONED coordonné par Xavier Charlet, « Famille, parenté, parentalité et protection de l’enfance », ONED, La documentation française, 2013.
  • [16]
    Emilie Potin, Enfants placés, déplacés, replacés : parcours en protection de l’enfance, Érès, 2012.
  • [17]
    Voir Isabelle Corpart, « Quels accompagnements dans l’aventure vers d’adoption ? », Recherches Familiales, UNAF, n° 10, 2013.
  • [18]
    Voir Catherine Sellenet, Souffrances dans l’adoption. Pistes pour accompagner les adoptés et les adoptants, De Boeck, 2011.
  • [19]
    Certains, par exemple, ayant vécu une ou des expériences familiales douloureuses ne veulent surtout pas être adoptés. Mais rappelons qu’il peut selon la loi, à partir de 13 ans, refuser un projet d’adoption (art. 345 et 360 CC)..
  • [20]
    Voir Pierrine Robin, L’évaluation de la maltraitance. Comment tenir compte de la perspective de l’enfant, PUR, 2013.
  • [21]
    L’auteur du présent texte a été membre de ce groupe de travail.
  • [22]
    Il est à noter que le rapport regroupe un ensemble d’analyses très fines sur l’ensemble des questions qui traversent le débat public actuel (accès à son histoire, origine, distinction entre parenté et parentalité, etc.) mais se refuse à se pencher sur un point pourtant primordial : le sens que chacun accorde du biologique (notamment génétique et génésique) dans l’identité et la filiation. La question est plus large que celle de la filiation par procréation charnelle, sujet plus restreint, sur lequel déjà le rapport ne s’est pas senti autorisé à faire des propositions de réforme [78].
  • [23]
    Tous les nombres entre crochets renvoient, au rapport référencé, au numéro de la proposition (Gouttenoire, Juston, Rosenczveig) ou de la page correspondante (Théry).
  • [24]
    L’organisation pratique de ce droit à l’information et à l’assistance fait l’objet d’une revue détaillée dans les propositions 105 à 120.
  • [25]
    Rappelons que le rapport Rosenczveig préconise également, de façon générale, de reconnaître la capacité procédurale pénale à l’enfant de 16 ans victime d’infraction pénale [69].
  • [26]
    Les mesures d’assistance éducative sont, dans le cadre du dispositif de protection de l’enfance, les mesures judiciaires d’assistance aux parents qui exercent toujours leur autorité parentale, soit par une assistance directement à domicile, soit par un placement en établissement ou en famille d’accueil, soit dans le cadre de dispositifs mixtes domicile/placement.
  • [27]
    Le rapport Rosenczveig préconise que l’enfant ait le droit de saisir le juge administratif quand une décision lui fait grief [74].
  • [28]
    Certes, le rapport affirme dans ce chapitre portant sur ce principe général du droit à l’établissement d’une double filiation biologique, au détour d’un paragraphe que « la filiation biologique ne doit pas être absolue. Il existe des situations où cette filiation n’est pas souhaitable ou impossible. Il est important que l’enfant ait une filiation artificielle, mais que son droit à la connaissance de ses origines lui soit reconnu » [p. 58], sans pour autant préciser la nature de ces « situations » en question.
    Au développement du rapport, dans les chapitres suivants, nous comprenons que ce serait le cas de l’AMP avec donneur ou de l’accouchement dit « sous X » ou même de l’adoption. D’ailleurs, les propositions 17 à 21 visent à « respecter les différents liens ou « affiliations » de l’enfant, fruit des pratiques des autres ». « Le fait d’établir la filiation biologique de l’enfant ne doit pas avoir pour conséquence une rupture systématique des liens entretenus avec ceux qui lui sont chers pour avoir joué un rôle dans son quotidien ». Les principes énumérés successivement ne semblent pas toujours articulés entre eux, notamment lorsqu’il s’agit de faire des propositions pratiques concrètes.
  • [29]
    Le rapport Théry propose en outre que l’AMP avec tiers donneur soit ouverte aux couples de femmes, dans les mêmes conditions que pour les couples de sexe différent [166]. Il serait également établi auprès du juge ou d’un notaire une déclaration anticipée de filiation qui serait portée sur l’acte de naissance [178].
  • [30]
    Toutefois, dans la pratique, il n’est pas précisé comment elle pourrait s’opposer à ce désir de rencontre si l’enfant effectue des recherches plus précises et prend connaissance du domicile une fois en possession de l’identité.
  • [31]
    De façon plus générale, le rapport Rosenczveig propose que l’État prenne l’initiative, en lien avec l’ADF, d’engager un travail garantissant un accompagnement social et psychologique des jeunes femmes enceintes en situation fragile [18].
  • [32]
    Cf. note 12.
  • [33]
    Ces divergences semblent provenir également de la conception différente de l’équilibre qu’il est nécessaire de trouver entre plusieurs principes : droits de l’enfant, droits de la femme, droits des parents, protection de l’enfance…
  • [34]
    Il propose également des clarifications de certains points de droits concernant la remise d’un parent à l’ASE par un seul parent [22] et la question du recours contre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État exercé après le placement en vue d’adoption [23].
  • [35]
    L’intérêt est que cette délégation peut être provisoire et rétractée alors qu’une déclaration judicaire d’abandon conduisant au statut de pupille de l’État est définitive.
  • [36]
    Le rapport propose de surcroît toute une série de mesure visant à instaurer la possibilité de léguer des biens à son bel enfant avec la même fiscalité que pour un enfant.
  • [37]
    Toutefois, il n’est pas prévu l’obligation d’informer l’autre parent si un tel mandat est rédigé.
  • [38]
    Commission des affaires sociales, n° 655, 2013-2014, enregistré le 25 juin 2014.
  • [39]
    La proposition de loi des sénatrices Meunier et Dini a été déposée le 11 septembre 2014 au Sénat (texte n° 799). Elle fait l’objet de l’article de Pierre Verdier, « Protection de l’enfance : faut-il réformer la réforme ? », page 64.
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