Couverture de JDJ_328

Article de revue

Journal de bord d'un chef de service éducatif (épisode 1) - Le dernier bastion de l'éducatif – Le centre éducatif renforcé (CER)

Pages 16 à 20

Notes

  • [1]
    Fonctionnaire au ministère de la Justice. Les épisodes 1 et 3 ont été publiés sur le site Délinquance, justice et autres questions de société, le 3 mai 2011 (http://www.laurent-mucchielli.org/).
  • [2]
    R. Puyuelo et D. Turrel (dir.), Les CER, redonner du sens à l’action éducative auprès des mineurs délinquants, Érès, 2007, p. 23.
  • [3]
    Actes du colloque sur les CER, Lyon, janvier 2000, Ministère de la justice, 2000.
  • [4]
    F. Deligny, Graines de crapules, suivi des vagabonds efficaces, Paris, Dunod, 2004.
  • [5]
    R. Puyuelo et D. Turrel (dir.), Les CER, redonner du sens à l’action éducative, op.cit., p. 23.
  • [6]
    Mémoire CSE, L’intérêt et les limites du travail éducatif renforcé dans un CER, 17 p. ENPJJ, 2001.
  • [7]
    L’utilisation du média éducatif ou le « faire avec » à travers une expérience : l’équitation, mémoire de CSE, 2002, CNFE PJJ n° 65.
  • [8]
    Une activité valorisante, équilibrante, facteur de socialisation : la plongée sous-marine, mémoire CSE, 2002, 15 p. CNFE PJJ n° 14
  • [9]
    Préface de Libres enfants de Summerhill (A.. Neil), Paris, La Découverte, 2004.
  • [10]
    P. Le Moigne, Le traitement des intraitables, l’organisation sociale de la récidive chez les jeunes, De Boeck, Bruxelles, 2000. Cet ouvrage montre comment la délinquance des mineurs a partie liée avec la désorganisation de la prise en charge judiciaire.

1Je suis éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Après quatorze ans d’exercice dans différentes institutions de la PJJ, j’ai décidé de devenir responsable d’unité éducative (RUE). À la suite de différents entretiens de motivation, désormais nécessaires, même dans la fonction publique, j’ai finalement été admis à exercer les fonctions de RUE au sein d’un centre éducatif renforcé (CER).

À quoi ça sert un CER ?

2Dans le paysage des institutions de la PJJ qui prennent en charge des adolescents placés au titre de l’ordonnance du 2 février 1945, le dispositif des Centres éducatifs renforcés (CER) occupe une place bien particulière.

3C’est le rappel de cette identité qu’il est impératif de faire ici avant de s’attarder plus avant sur la description de la prise en charge des jeunes délinquants. En effet, de ce particularisme découle l’ensemble des choix du responsable d’unité quant à la mise en place d’une session.

4C’est la bonne compréhension de ce dispositif qui permet de mieux appréhender ces choix. Car ces derniers, si on les considère d’un autre point de vue que sur le seul plan éducatif, peuvent apparaître incongrus ou peu « rentables » aux yeux de l’administration.

5En effet, actuellement deux logiques se confrontent (ou s’opposent) : la prise en charge éducative des mineurs délinquants et les nécessités d’une politique économique et pénale de rigueur. Tout semble donc se jouer dans cette assertion : comment faire de l’éducatif au moindre coût ? Ou comment faire en sorte que l’argent public mis à contribution dans l’éducation de ces jeunes soit sinon rentable du moins utilisé à bon escient ?

6Bref, il est aujourd’hui interdit de dépenser à perte, comme si la socialisation d’un mineur, la lutte contre la récidive, la compréhension du passage à l’acte étaient quantifiables et monnayables.

7Ainsi, la mise en place d’une équipe éducative, c’est pour « tant » de jeunes, et pas moins ; l’élaboration d’un projet éducatif c’est « tant pour tant de jeunes », la prise d’un repas avec un mineur c’est « tant » et pas plus, quand on veut bien prendre en charge le repas de l’éducateur qui accompagne ce dernier.

8Le CER se caractérise essentiellement par cinq éléments que l’on ne retrouve pas aussi fortement ancrés au sein des autres dispositifs de la PJJ. En effet, Le CER se détache d’un foyer d’hébergement classique : « la rythmicité n’est pas la même, les enjeux pour les adolescents et le but du placement sont différents. Le placement en CER doit faire l’objet d’un réel travail à la fois explicatif, de conflictualité et de mise en tension » [2].

9La priorité c’est le « faire avec » et le « vivre avec » les jeunes (1er élément), et cela tout au long d’une session de prise en charge (2ème élément). Cette notion de session est fondamentale, comme nous le verrons dans la mise en œuvre de l’action éducative. Elle doit permettre l’élaboration d’un projet éducatif individualisé (3ème élément). Et cela par la mise en place d’un programme d’activités du CER (4ème élément). Mais tout cela n’est possible que si l’équipe éducative elle-même est cohérente et fait preuve de cohésion (5ème élément).

10C’est lorsque ces cinq éléments sont réunis que l’on peut estimer que le CER aura des chances d’être viable. Il est donc indispensable de revenir rapidement sur ces cinq composants énoncés et qui sont constitutifs de l’entité d’un CER.

11« Les CER se caractérisent par un encadrement éducatif permanent et un fonctionnement en sessions de quelques mois au cours desquels sont mis en place des programmes d’activités intensifs. Ce mode de prise en charge vise à mettre les mineurs, qui sont en général des mineurs en grande difficulté, très ancrés dans la délinquance, ayant souvent déjà été placés plusieurs fois, en situation de rupture par rapport à ce qu’ils ont connu jusque-là », disent les documents officiels [3].

12L’objectif du CER est donc basé sur la notion de « rupture ». Il s’agit d’opposer aux mineurs un cadre de vie strict, en s’appuyant sur des activités qui pourront permettre aux adolescents de se dépasser, de se révéler à eux même dans le but de pouvoir créer les conditions d’une réinscription sociale.

13Fernand Deligny parlait de l’éducateur comme de quelqu’un qui est un « créateur de circonstances » [4]. Il s’agit dès lors dans l’accompagnement au quotidien et dans le partage de toutes les activités de créer des circonstances propices à l’évolution positive du mineur.

14Pour ce faire, la question des admissions en CER est fondamentale. Ce dispositif n’est pas fait pour tous les jeunes, et en particulier, pas pour ceux que l’on ne peut « caser » nulle part. Il n’est pas fait pour tous, car la constitution d’une « équipe » de mineurs est recherchée au démarrage de la session et selon des critères d’admission communs (situations judiciaires, âge, types d’infractions commises, problématiques familiales, origine géographique, absence de pathologie psychiatrique, alternative à l’incarcération, aménagement de peine…).

15Ce qu’il est fondamental de rappeler ici, c’est que l’on ne recherche pas l’adhésion aveugle du jeune au placement au CER, mais « quelque chose chez lui de suffisamment ambivalent »[5] pour considérer que le travail en CER est possible.

16Il s’agit, par exemple, pour un mineur incarcéré de travailler avec lui la possibilité d’être placé au CER plutôt que de passer encore de longs mois en détention. Peu à peu, et au gré d’un travail éducatif régulier sur ses actes, son histoire, ses relations familiales, il faudra lui faire prendre conscience de cette opportunité pour lui de s’en sortir par le biais de ce dispositif, afin surtout que ce placement ait un sens, une visée, un objectif clair et affirmé.

17L’idée d’ »équipe » est importante pour la réussite de l’entreprise. Cette réunion de jeunes devra être soudée dès les premiers temps de la session pour que tous, au même moment, connaissent les mêmes épreuves ou les mêmes joies afin, dans une dimension d’évolution collective, qu’une émulation positive puisse se faire jour.

18Dans cette perspective, il est donc impossible de faire du CER une structure d’accueil immédiat ou une solution en urgence de « mise au vert » d’une autre structure. Car, dans le même esprit, le CER ne doit pas être vécu ni présenté comme une sanction par les travailleurs sociaux ou bien même par les magistrats.

19En effet, et n’en déplaise à certains, le placement en CER doit faire sens pour l’éducateur qui le préconise et pour le mineur qui va le vivre. Pour ce dernier, l’orientation doit avoir été discutée, travaillée en amont et parfois longtemps avant, pour que l’idée d’être placé en CER fasse sens chez lui. Le placement en CER ne peut donc pas être uniquement basé sur une sorte de « tarte à la crème éducative » qui consiste à dire : « ce jeune a besoin de cadre ».

20Le CER n’est pas une punition, c’est une subtile adéquation entre un cadre éducatif ferme imposé et un sens donné à ce cadre pour le mineur, dans son parcours de vie. Les jeunes doivent être en capacité à un moment donné d’accepter l’idée de ce type de placement, au regard de ce qui leur est proposé et par rapport à la conscience qu’ils ont de leur situation et de leur rapport à la loi et à la transgression. C’est à cette condition alors qu’un « possible » peut s’envisager, celui de la construction d’un projet d’avenir réfléchi.

21Mais pour cela, il faut aussi s’intéresser à l’équipe éducative. Celle-ci doit être cohérente et faire preuve de cohésion.

22Cohésion, car les membres de cette équipe éducative doivent apprendre à travailler ensemble, à se connaître, à se supporter. « Dans un CER, chaque éducateur doit avoir le souci constant de ses collègues, car la défaillance d’un seul d’entre eux grippe le moteur. Il doit exister une interdépendance étroite entre tous les membres de l’équipe éducative »[6].

23Cohérente, car en fonction des différentes personnalités, chacun des membres de l’équipe doit apprendre à donner ou à opposer les mêmes réponses aux jeunes, en ce qui concerne le cadre éducatif du placement. C’est lorsque ces deux conditions sont remplies que l’on peut attendre un investissement des personnels éducatifs, que le projet peut être porté, construit et interrogé par l’équipe.

1 – « Que diable allait-il faire dans cette galère ! » (Molière, « Les fourberies de Scapin », acte 2, scène 2)

24Sans être officiellement nommé à la tête du CER, je me présente devant les locaux au mois de juillet 2010. Le bâtiment où se trouve situé le CER est un ancien centre d’action éducative (CAE), lui-même ayant été délocalisé pour un lieu plus moderne et plus vaste au vu de l’augmentation du nombre des agents amenés à y travailler.

25La première chose que je vois en ouvrant la porte est une énorme « cage antisuicide » qui a été érigée au centre de l’escalier de la maison, du sol au plafond. Ce mobilier avec ses barreaux de bois ne rend guère optimiste quant à la vie en ces lieux. Il faut d’autre part noter que cette « cage » laisse un espace en son sommet duquel un jeune bien motivé à porter atteinte à son intégrité physique peut se jeter.

26Le CER est installé ici depuis 18 mois. L’administration avait pris le parti d’héberger « temporairement » l’établissement ; ce qui, sans doute, avait installé l’équipe éducative dans un inconfort professionnel qui avait conduit à une forme de laisser-aller dans la vie quotidienne du foyer. D’autant plus que la majorité des éducateurs habitaient alors à 100 km du nouveau site.

27Fort de ces premiers éléments, je me mets en quête d’établir l’état des lieux du foyer.

28Le bureau du chef de service et du secrétariat est un vrai capharnaüm ; impossible de retrouver un contrat d’entretien ou une facture. Les documents relatifs au CER se mélangent avec différents courriers. Les armoires sont pleines à craquer de documents divers et d’archives, sans aucun rangement ou ordre quelconque. Les données sur l’ordinateur semblent avoir été perdues : l’électricité du bâtiment disjoncte régulièrement.

29Dans le garage, c’est le même constat. Les outils dont se servent les jeunes sont mis là, pêle-mêle, les bidons de carburants pour les tronçonneuses et les débroussailleuses se côtoient dangereusement. Il n’existe aucun rangement. Le garage sert également de salle de sport pour les jeunes. Il y a donc en son milieu un banc de musculation et un sac de boxe.

30Faute de place, du fait d’un manque patent de réflexion autour de cette question, le véhicule Renault Kangoo appelé véhicule « annexe » reste stationné à 100 km, sur l’ancien site. Le garage sert uniquement à parquer le Renault Master, l’autre véhicule collectif, qui permet le déplacement du groupe de jeunes et des éducateurs. Lorsque le besoin d’utiliser le Kangoo se fait sentir, il faut donc l’anticiper et prendre le train pour aller chercher ce véhicule.

31Le jardinet extérieur quant à lui est laissé à l’abandon. Les locaux intérieurs sont sales et dégradés, apparemment aucune réfection n’a été faite ; la porte de la direction est cassée et réparée avec un bout de planche, il en est de même de la porte d’une chambre d’un jeune. Le bureau du psychologue quant à lui a vu son plafond s’effondrer à la suite d’un dégât des eaux.

32Il existe çà et là des trous dans les murs dus certainement à des coups de colère des jeunes pris en charge. Lors de ma visite, le Master n’est pas là et le chef de service ne peut dire où il se trouve ni qui l’a pris… Il sera de toute façon réparé cet été, car le toit du véhicule a été enfoncé alors que les éducateurs empruntaient un tunnel trop bas. Pour cela, il sera confié à l’atelier de la PJJ situé à 100 km de là, au même endroit où devront être réparées les débroussailleuses et les tronçonneuses.

33Il existe en outre dans deux pièces de la maison une grande trace noire d’humidité au plafond, symbole d’une infiltration d’eau. J’arrive à mettre la main sur le cahier d’hygiène et de sécurité de l’établissement où il est indiqué que les garde-corps des balcons à l’étage ont été enlevés et que des pierres de la façade sont déjà tombées sur le trottoir en contrebas.

34Face à ce constat, je décide de faire un peu de ménage et je jette une ancienne machine à laver qui ne fonctionne plus, mais qui fait office de meuble ainsi qu’un des deux canapés du salon littéralement détruit par les jeunes.

35Je rencontre la directrice du CER avant l’été, qui est par ailleurs mutée pour la rentrée de septembre dans le Sud de la France. Nous faisons ensemble le constat des lieux. Force est de constater qu’elle venait très rarement au CER. J’en profite pour lui montrer une grande bâche que j’avais prise pour une poubelle, mais qui en réalité est un sac énorme ou sont jetés tous les dossiers éducatifs et judiciaires des jeunes ayant été pris en charge au CER.

36Au terme de notre entretien, la directrice m’explique que l’immeuble est aux normes de sécurité et qu’il n’existe aucun problème à recevoir des jeunes dans cet univers. Elle explique que les infiltrations d’eau sont dues à des gouttières bouchées, mais que le nécessaire a été fait depuis. Elle me certifie que l’installation électrique a été remise aux normes. Les plaques électriques de la cuisine seront changées cet été, le ravalement de la maison aussi, les gardes-corps remis en place. Le four sera changé également.

37Les ouvriers professionnels de la PJJ viendront faire les petites réfections pour finir la remise en état. C’est donc confiant, mais sur la réserve, que je pars en congé à la fin du mois de juillet.

2 – La mise à l’eau

38De retour de congé, je me rends au CER pour m’assurer que les travaux ont été effectués. En ouvrant la porte du bâtiment c’est malheureusement le même constat que celui que j’avais fait auparavant. Tout est resté en l’état…

39L’ancienne directrice est partie, la secrétaire aussi, elle sera remplacée à mi-temps. J’apprends de la part d’autres collègues du milieu ouvert que le recrutement d’éducateurs et de la psychologue a été fait. À aucun moment pendant mes congés je n’ai pourtant été mis au courant…

40Cela fait plusieurs jours maintenant que je suis seul, à bord de cette institution. Les journées sont longues et courtes à la fois. Je les passe à classer les documents, à chercher des contrats de maintenance, des factures, je fais du rangement, je jette de nombreuses pièces de mobilier cassées et des appareils informatiques obsolètes à la déchetterie, en utilisant mon véhicule personnel.

41Avant-hier, j’ai reçu la visite de la nouvelle directrice. Elle n’était jamais venue. Elle fait le même constat que moi. Elle considère qu’il est impossible de recevoir des jeunes dans ces conditions.

42Elle fait venir un plombier afin que ce dernier examine la fuite d’eau qui avait causé l’effondrement du plafond du bureau de la psychologue. Ce dernier indique qu’il s’agit tout bonnement d’un joint du carrelage de la douche qui est à changer. Apparemment, personne n’avait souhaité le faire en prétextant que c’était à l’entreprise qui avait installé la douche de procéder à cette réfection. Ainsi, face à l’inertie de tous, le plafond avait pourri et était tombé.

43Fort de cette expérience, nous faisons venir une société de contrôle de la sécurité électrique. Le constat est accablant. L’installation n’est pas du tout aux normes et un risque d’incendie qui serait dû à un éventuel court-circuit est une menace permanente. Il faudra là encore réaliser les travaux. Ainsi, pendant plus d’un mois, l’essentiel de mon activité consistera à procéder à la réfection des lieux avant même de pouvoir envisager l’accueil des mineurs au sein de l’institution.

44L’équipe éducative quant à elle est arrivée à son poste, au complet. Elle se compose de neuf éducateurs, d’une secrétaire et d’une psychologue, toutes les deux à mi-temps. Ce qui m’oblige à me former « sur le tas » à toutes les démarches administratives : gestion du budget, de la régie du service, des bons de commandes administratifs, de l’emploi du temps des éducateurs et du calcul de leurs heures, etc. Il y a trois « anciens » éducateurs du CER, trois éducateurs contractuels et trois éducateurs nouvellement sortis de l’école.

45Nous prenons le parti de nous inspirer du programme éducatif qui était jusqu’alors mené au CER. Cependant, un certain nombre de partenaires sont situés dans une autre ville, du fait de l’origine de la création du CER. Ainsi, et en raison de la nouvelle localisation du site, il a fallu dans un premier temps démarcher un grand nombre de partenaires dans le but de se faire connaître, mais aussi afin de monter des actions partenariales de prise en charge.

46De la mi-septembre à la mi-octobre de nombreux contacts sont pris avec les partenaires sociaux environnants, tout en tenant compte du fait du rallongement de la session, qui passe désormais de 12 à 15 semaines de prise en charge des mineurs.

47Toutes ces démarches, indispensables, ont de fait retardé le début de la session, initialement prévue au 4 novembre. Il nous reste une quinzaine de jour afin de préparer les admissions, réviser le règlement intérieur et le projet de service.

48Le programme s’étend donc sur quinze semaines. La première semaine vise à permettre l’intégration des jeunes sur le dispositif et à réaliser différents bilans (santé, scolaire, documents administratifs etc.).

49La dernière semaine et demie consiste à procéder à l’orientation des jeunes et à préparer leur départ. Car si la rupture est un des arguments de l’orientation en CER, si cette notion guide aussi les actions dites de « dégagement » (entendons par là, l’organisation de camps), il faut aussi être en capacité de travailler la rupture que constitue le fait de quitter le CER.

50La session alterne à la fois des séjours sur site d’une semaine (qui peuvent être axés sur des thèmes comme celui de la citoyenneté, ou qui peuvent faire l’objet de chantiers, ou encore qui sont consacrés à l’écriture de textes en vue de réaliser un CD, et avec également des temps pour une pratique sportive comme la boxe ou le jiu-jitsu) et des semaines de dégagements (il y a cinq dégagements prévus au cours d’une session qui alternent entre des chantiers d’insertion et des camps plus sportifs, comme la randonnée ou l’équitation).

51Pour ces chantiers ou ces activités sportives, nous avons passé des conventions avec l’Office HLM, une association locale, la société nationale pour le patrimoine des phares et balises, un club de plongée, des mairies et des parcs naturels régionaux.

52Les chantiers réalisés sont toujours à dimension citoyenne, dans le sens où ils sont utiles à la communauté. Par exemple, il s’agira de la remise en état d’un chemin de randonnée, de l’entretien des espaces verts d’un centre équestre, de la réfection de garages d’une HLM, ou encore de la remise en état d’un phare.

53Le choix de l’équitation comme média éducatif n’est pas anodin. En effet, le cheval est un régulateur des comportements, des relations, et des rapports sociaux, c’est aussi un moyen de revalorisation. Un des jeunes pris en charge qui ne voulait pas faire du cheval dira à son retour « c’était fantastique ! ». L’utilisation du cheval comme média éducatif permet en outre la communication et la restauration du lien à l’adulte et cela face à la peur que provoque aux premiers abords l’animal. Il permet d’évaluer les capacités du jeune tant dans ses facultés d’apprentissage, de compréhension des consignes que du travail sur ses émotions [7].

54Il en va de même de l’utilisation de la plongée. Cette activité permet des apprentissages techniques (la propulsion dans l’eau, l’apnée, la ventilation, etc.), un apprentissage des règles de sécurité et des réactions de son corps. Enfin, elle permet de travailler sur l’effort de communication et le rapport à l’altérité (socialisation, apprentissage d’un code de communication, apprentissage à faire confiance à l’autre etc.) En bref, la plongée assure un tremplin vers l’autonomisation, la responsabilisation et la socialisation [8].

3 – Tenir le cap ?

55« Dans notre civilisation, l’enfant est encore trop souvent un bien dont on dispose et que l’on capitalise », écrit Maud Mannoni[9].

56L’admission en CER est certainement plus qu’ailleurs sujette à précaution. Il ne s’agit pas de déplacer des adolescents uniquement au gré du manque de places au sein des hébergements. Pourquoi ?

57Le séjour de rupture n’est jamais anodin ni pour le mineur, ni pour sa famille. Cette orientation doit être mûrement réfléchie. Qu’est-ce que cette rupture peut apporter de positif dans le parcours de l’enfant et de sa famille ?

58Un jeune qui fugue systématiquement de son lieu de placement pour, par exemple, rejoindre sa famille, doit-il faire l’objet d’une rupture forcée par le biais de l’éloignement géographique d’un CER ? Ne risque-t-on pas à l’opposé, par cette brisure, de précipiter encore plus le jeune dans la déviance, la fugue et la délinquance ?

59Nous devons nous interroger sur le sens du placement au sein du parcours du mineur afin que cette mesure n’alimente pas la problématique qui aura été ciblée chez l’adolescent. Car, à défaut de penser cette mesure, et de ne l’envisager que comme un moyen « magique » de résolution des problèmes par l’éloignement qu’il engendre et par le fameux « cadre » recherché pour le mineur et par l’éducateur, on risque bien souvent de provoquer l’échec du placement, voire la récidive de l’acte délinquant [10].

60Le choix d’un tel placement n’est pas anodin, il ne s’improvise pas. Il sera sans doute indispensable de s’y reprendre à plusieurs reprises pour obtenir, sinon l’acceptation, du moins la compréhension chez le mineur d’une telle orientation.

61Il ne s’agit certes pas d’obtenir une adhésion enthousiaste au projet, même si elle doit être recherchée. Il s’agit avant tout de définir des objectifs et d’apporter des explications les plus concrètes et précises possibles sur le contenu de la session.

62Il faut insister sur ce qui sera proposé et ce qui sera attendu du jeune afin surtout de le rendre acteur du projet et de son placement, et cela dans une forme de contractualisation des engagements réciproques. C’est en cela que la procédure d’admission est fondamentale.

63Malheureusement, l’ensemble de ces arguments ne paraît plus entendu. Seuls comptent désormais les chiffres : le nombre de jours de prise en charge, le « taux de remplissage » des foyers, le coût de telle ou telle action éducative.

64Pour exemple, alors que le CER. dispose de cinq places et que, pour toutes les raisons évoquées jusqu’ici, et le souci d’une prise en charge de qualité, le responsable d’unité avait fait le choix, pour sa première session, de ne pas « remplir » le CER (uniquement trois jeunes). Ce responsable se verra régulièrement interpellé et relancé par sa direction sur « son taux de remplissage » et cela malgré avoir, à plusieurs reprises, donné tous les arguments éducatifs explicatifs de ce choix. Il en ressort un sentiment d’isolement et d’incompréhension, et cela en écho à une politique économique de restriction et de rentabilisation des moyens.

65Cette visée conduit actuellement à la déconstruction des outils éducatifs comme l’hébergement peut en être un. Face à cette pression administrative, les foyers sont remplis « n’importe comment » et souvent par des accueils d’urgence, ce qui conduit souvent à l’échec de la prise en charge, parce que tout le versant éducatif n’est plus pris en compte.

figure im1

66Des questionnements sur les problématiques des jeunes, le sens du placement, la constitution du groupe pris en charge, passent désormais à la trappe au profit des bilans mensuels, trimestriels et annuels d’activité (nombre de journées de prise en charge, nombre de journées de fugue, orientations, origine géographique, taux moyen de remplissage des structures, etc.).

67Le CER n’échappe pas à la règle, la pression s’exerce sur le responsable d’unité, mais aussi sur l’équipe éducative lorsque la direction dans son ensemble menace d’une fermeture si les chiffres d’occupation de la structure ne sont pas atteints.

68Nous abordons désormais la tempête au cœur de laquelle il est impératif de « tenir » coûte que coûte, et faire du CER, s’il le faut, le dernier bastion de l’éducatif.

Obéir en résistant

69Il est donc impératif de résister, de ne pas céder aux échos lointains des chants des sirènes budgétaires qui nous feraient perdre notre âme d’éducateur. À la manière d’Ulysse attaché au mât de son navire, il convient désormais d’utiliser des stratégies pour obéir en résistant.

70Obéir en résistant ? Pour faire en sorte, malgré tout, que la préoccupation éducative demeure au sein du CER, pour confirmer les effets positifs que ce type de prise en charge produit chez les jeunes qui y sont accueillis, mais aussi pour attester du « savoir-être » et du « savoir-faire » des éducateurs qui y exercent et qui témoignent d’un véritable professionnalisme.

Notes

  • [1]
    Fonctionnaire au ministère de la Justice. Les épisodes 1 et 3 ont été publiés sur le site Délinquance, justice et autres questions de société, le 3 mai 2011 (http://www.laurent-mucchielli.org/).
  • [2]
    R. Puyuelo et D. Turrel (dir.), Les CER, redonner du sens à l’action éducative auprès des mineurs délinquants, Érès, 2007, p. 23.
  • [3]
    Actes du colloque sur les CER, Lyon, janvier 2000, Ministère de la justice, 2000.
  • [4]
    F. Deligny, Graines de crapules, suivi des vagabonds efficaces, Paris, Dunod, 2004.
  • [5]
    R. Puyuelo et D. Turrel (dir.), Les CER, redonner du sens à l’action éducative, op.cit., p. 23.
  • [6]
    Mémoire CSE, L’intérêt et les limites du travail éducatif renforcé dans un CER, 17 p. ENPJJ, 2001.
  • [7]
    L’utilisation du média éducatif ou le « faire avec » à travers une expérience : l’équitation, mémoire de CSE, 2002, CNFE PJJ n° 65.
  • [8]
    Une activité valorisante, équilibrante, facteur de socialisation : la plongée sous-marine, mémoire CSE, 2002, 15 p. CNFE PJJ n° 14
  • [9]
    Préface de Libres enfants de Summerhill (A.. Neil), Paris, La Découverte, 2004.
  • [10]
    P. Le Moigne, Le traitement des intraitables, l’organisation sociale de la récidive chez les jeunes, De Boeck, Bruxelles, 2000. Cet ouvrage montre comment la délinquance des mineurs a partie liée avec la désorganisation de la prise en charge judiciaire.
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