Notes
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[1]
Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348, p. 98).
-
[2]
Articles 15 et 16 dont les éléments retenus par la Cour sont reproduits ci-dessous.
-
[3]
La date limite de transposition de la directive dans les ordres juridiques nationaux était le 24 décembre 2010.
-
[4]
Voy. p. 43 de ce numéro.
-
[5]
Voy. F. Padilla, « La « Directive retour » : analyse critique sous l’angle du respect des droits fondamentaux et des droits de l’enfant », JDJ, n° 285, mai 2009, p. 51. La directive est reproduite dans le même n°, p. 55.
-
[6]
Cour européenne des droits de l’Homme – 27 novembre 2008 - Affaire Salduz c./ Turquie (Requête no 36391/02), reproduit dans JDJ n° 282, p. 52-62 ; Affaire Dayanan c. Turquie - 13 octobre 2009 (Requête no 7377/03) ; voy. les derniers développements relatifs à la garde à vue : cass. 15 avril 2011, comm. J.-L. Rongé, JDJ, n° 305, mai 2011, p. 58-63.
-
[7]
CE, avis du 21 mars 2011, MM. J. et T. ; n° s 345978 et 346612 : « Il résulte clairement de l’article 7 de la directive du 16 décembre 2008 qu’une décision de retour doit indiquer le délai, approprié à chaque situation, dont dispose le ressortissant d’un pays tiers pour quitter volontairement le territoire national, sans que ce délai puisse être inférieur à sept jours, sauf dans les cas prévus au paragraphe 4 du même article [risque de fuite, demande de séjour non fondée, risque pour la sécurité publique, etc.], ni être supérieur à trente jours, à moins que des circonstances propres à la situation de l’étranger ne rendent nécessaire une prolongation de ce délai, comme le prévoit le paragraphe 2 du même article ».
Encore des lois mises à mal
1Cour de justice de l’Union européenne - 28 avril 2011 - Affaire C-61/11 PPU (communiqué de presse n? 40 /11)
2Étranger – Décision d’éloignement – Infraction – Condamnation – Détention – Directive de l’Union européenne – Violation
3La directive sur le retour des immigrants irréguliers s’oppose à une réglementation nationale infligeant une peine d’emprisonnement à un ressortissant de pays tiers.
4Une sanction pénale telle que celle prévue par la législation italienne est susceptible de compromettre la réalisation de l’objectif visant à instaurer une politique efficace d’éloignement et de rapatriement dans le respect des droits fondamentaux.
5Hassen El Dridi alias Soufi Karim c. Italie
La Cour d’appel de Trento, devant laquelle il a interjeté appel, demande à la Cour de justice si la directive sur le retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier (« directive retour ») [1] s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit l’infliction d’une peine d’emprisonnement à un étranger en séjour irrégulier pour la seule raison que celui-ci demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire national dans un délai déterminé, sur ce territoire sans motif justifié.
La Cour a accepté la demande de la juridiction de renvoi de traiter l’affaire selon la procédure préjudicielle d’urgence, M. El Dridi se trouvant en état de détention.
Elle relève, tout d’abord, que la « directive retour » établit les normes et procédures communes en vue de la mise en place d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des personnes dans le respect de leurs droits fondamentaux et de leur dignité. Les États membres ne peuvent déroger à ces normes et procédures en appliquant des normes plus sévères.
Cette directive définit avec précision la procédure à appliquer au retour des étrangers en séjour irrégulier et fixe l’ordre de déroulement des différentes étapes de cette procédure.
La première étape consiste en l’adoption d’une décision de retour. Dans le cadre de cette étape, la priorité doit être accordée à la possibilité d’un départ volontaire, un délai de sept à trente jours étant normalement imparti à l’intéressé à cet effet.
Si le départ volontaire n’a pas eu lieu dans ce délai, la directive impose alors aux États membres de procéder à l’éloignement forcé en employant les mesures les moins coercitives possible.
Ce n’est que si l’éloignement risque d’être compromis par le comportement de la personne concernée, que l’État membre peut procéder à la rétention de cette personne. Selon la « directive retour » [2], cette rétention doit être aussi brève que possible, soumise à un réexamen à des intervalles raisonnables, et il y est mis fin lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement, sa durée ne pouvant pas dépasser 18 mois. Par ailleurs, les intéressés doivent être placés dans un centre spécialisé et, en tout état de cause, doivent être détenus séparément des prisonniers de droit commun.
La directive prévoit ainsi une gradation des mesures à prendre en vue de l’exécution de la décision de retour ainsi que l’obligation de respecter le principe de proportionnalité à chaque stade de la procédure. Cette gradation va de la mesure qui laisse le plus de liberté à l’intéressé – à savoir l’octroi d’un délai pour son départ volontaire – vers la mesure restrictive de liberté la plus grave que la directive permet dans le cadre d’une procédure d’éloignement forcé – à savoir la rétention dans un centre spécialisé.
La directive poursuit donc l’objectif de limiter la durée maximale de la privation de liberté dans le cadre de la procédure de retour et d’assurer ainsi le respect des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. À cet égard, la Cour tient compte, notamment, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
La Cour relève, ensuite, que la « directive retour » n’a pas été transposée dans l’ordre juridique italien [3] et rappelle que dans une telle situation les particuliers peuvent invoquer, contre l’État membre n’ayant pas procédé à cette transposition, les dispositions d’une directive si elles sont, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ce qui est le cas des articles 15 et 16 de la directive retour. À cet égard, la Cour considère que la procédure d’éloignement italienne diffère sensiblement de celle établie par cette directive.
La Cour rappelle également que, si la législation pénale relève en principe de la compétence des États membres et si la directive retour laisse aux États membres la possibilité d’adopter des mesures, même de nature pénale – pour le cas où des mesures coercitives n’auraient pas abouti à l’éloignement –, les États membres sont, en tout état de cause, tenus d’aménager leur législation afin d’assurer le respect du droit de l’Union. Ainsi, les États membres ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et de la priver de son effet utile.
La Cour considère donc que les États membres ne sauraient prévoir, en vue de remédier à l’échec des mesures coercitives adoptées pour procéder à l’éloignement forcé, une peine privative de liberté – telle que celle prévue par la législation nationale en cause au principal – pour le seul motif qu’un ressortissant d’un pays tiers continue, après qu’un ordre de quitter le territoire national lui a été notifié et que le délai imparti dans cet ordre a expiré, de se trouver présent de manière irrégulière sur le territoire d’un État membre. Ces États doivent poursuivre leurs efforts en vue de l’exécution de la décision de retour qui continue à produire ses effets.
En effet, une telle peine privative de liberté, en raison notamment de ses conditions et modalités d’application, risque de compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans le respect des droits fondamentaux.
Le juge de renvoi, chargé d’appliquer les dispositions du droit de l’Union et d’en assurer le plein effet, devra donc laisser inappliquée toute disposition nationale contraire au résultat de la directive (notamment une disposition prévoyant une peine d’emprisonnement de un à quatre ans) et tenir compte du principe de l’application rétroactive de la peine plus légère, lequel fait partie des traditions constitutionnelles communes aux États membres.
Prés. : M. A. Tizzano ;
Sièg. : MM. J.-J. Kasel, M. Ilešiè (rapporteur), E. Levits et M. Safjan ;
Av. gén. : M. J. Mazák ;
Plaid. : Mes M. Pisani et L. Masera.
Précisions
6Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.
7Les dispositions invoquées par la CJUE sont les suivantes :
« 11. L’article 15 de cette même directive, figurant dans le chapitre IV de celle-ci, relatif à la rétention à des fins d’éloignement, est libellé comme suit :
« 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque :Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.
- il existe un risque de fuite, ou
- le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.
[…]
3. Dans chaque cas, la rétention fait l’objet d’un réexamen à intervalles raisonnables soit à la demande du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit d’office. En cas de périodes de rétention prolongées, les réexamens font l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire.
4. Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.
5. La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.
6. Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison :
- du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou
- des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires ».
912 L’article 16 de la directive 2008/115, intitulé « Conditions de rétention », prévoit à son paragraphe 1 :
« La rétention s’effectue en règle générale dans des centres de rétention spécialisés. Lorsqu’un État membre ne peut les placer dans un centre de rétention spécialisé et doit les placer dans un établissement pénitentiaire, les ressortissants de pays tiers placés en rétention sont séparés des prisonniers de droit commun ».
Commentaire par Jean-Luc Rongé : la Chancellerie fait de la résistance
11Cet arrêt constitue un bouleversement judiciaire ; il faut lire ce que Serge Portelli en dit en sa qualité de procureur dans le procès de l’enfermement des enfants étrangers [4].
12La directive « retour », tant critiquée pour avoir légitimé la rétention des étrangers en séjour irréguliers [5] - notamment en autorisant la prolongation de la rétention à 18 mois et en n’interdisant pas résolument l’enfermement des enfants – recèle de quelques dispositions qui peuvent être invoquées à l’égard des États membres de l’UE qui n’ont pas encore procédé à sa transposition intégrale, parmi lesquels l’Italie… et la France qui invoquait pourtant ce texte pour justifier l’adoption récente de la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, demeurant à l’examen du Conseil constitutionnel à l’heure où ces lignes sont écrites.
13Cette loi ne modifie pas les articles portant l’incrimination de l’entrée et du séjour irrégulier sur le territoire, notamment :
- l’article L.621-1 du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CSEDA) punissant d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende et éventuellement d’une peine d’interdiction du territoire « l’étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 [justificatif d’hébergement] et L. 311-1 [carte de séjour au-delà de 3 mois] ou qui s’est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa » ;
- l’article L.624-1 CESEDA punissant de trois ans de prison « tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l’exécution d’une mesure de refus d’entrée en France, d’un arrêté d’expulsion, d’une mesure de reconduite à la frontière ou d’une obligation de quitter le territoire français ou qui, expulsé ou ayant fait l’objet d’une interdiction du territoire ou d’un arrêté de reconduite à la frontière pris, moins d’un an auparavant, sur le fondement du 8° du II de l’article L. 511-1 et notifié à son destinataire après la publication de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, aura pénétré de nouveau sans autorisation en France (…) »
- le même article prévoit que « la même peine sera applicable à tout étranger qui n’aura pas présenté à l’autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l’exécution de l’une des mesures mentionnées au premier alinéa ou qui, à défaut de ceux-ci, n’aura pas communiqué les renseignements permettant cette exécution ou aura communiqué des renseignements inexacts sur son identité ».
- les étrangers ayant pénétré sur le territoire sans disposer des documents requis ;
- les étrangers se maintenant sur le territoire dans les mêmes circonstances ou au-delà du délai accordé par le visa ;
- tout étranger qui se sera soustrait à une décision de refus d’entrée ou de maintien sur le territoire ;
- tout étranger qui n’aura pas obtempéré à un arrêté d’expulsion, une mesure de reconduite à la frontière ou une obligation de quitter le territoire français ;
- tout étranger ayant été expulsé en exécution d’une d’interdiction du territoire ou de reconduite à la frontière aura pénétré en France moins d’un an après cette décision ;
- tout étranger qui n’aura pas collaboré loyalement à une mesure d’éloignement, en ne présentant pas son passeport, en ne communiquant pas les renseignements nécessaires à son exécution ou en communiquant des renseignements inexacts sur son identité ;
Le ministère de la justice ne l’entend pas de cette oreille
14Dans la circulaire du 12 mai 2011, la Chancellerie recommande au parquets généraux : « vous veillerez à ce que soient systématiquement frappées d’appel les décisions de refus de prolongation des mesures de rétention administrative fondées sur l’inconventionnalité alléguée de l’article L. 621-1 du CESEDA au regard de la directive du 16 décembre 2008, en formant le cas échéant la demande que l’appel soit déclaré suspensif ».
15C’est, dans une certaine mesure, un recul par rapport à la déclaration liminaire du ministre de l’intérieur selon lequel cet arrêt ne concernait que l’Italie et que la France n’était pas condamnée. Ce genre de propos rappelle ceux qui avaient été tenus à l’égard des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme relatifs à la garde à vue selon lesquels ces décisions ne concernaient que la Turquie. On connaît la suite [6] …
16Toutefois, si l’état d’esprit des juristes de la Chancellerie se distancie des formules à l’emporte-pièce dont M. Guéant est coutumier, le fond de la pensée s’en rapproche lorsqu’ils écrivent « Le cadre dans lequel s’inscrivent les procédures administratives diligentées en droit français est tout différent ». Dans les lignes de la circulaire, on se rend toutefois compte qu’ils savent très bien que les arrêts interprétatifs de la législation européenne par la CJUE s’adressent à tous les États membres.
17Cependant l’interprétation faite de l’arrêt par la Chancellerie demeure limitative au cas présenté devant la Cour sur la question préjudicielle posée par le tribunal italien, alors que l’arrêt élargit son interprétation aux mesures privatives de liberté à l’encontre des étrangers qui se maintiennent sur le territoire malgré la décision d’éloignement qui les vise, mais aussi, dans ses considérants à la façon dont « les États membres devraient veiller à ce que, en mettant fin au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers, ils respectent une procédure équitable et transparente. […] » 12, précisant : « Il convient de subordonner expressément le recours à des mesures coercitives au respect des principes de proportionnalité et d’efficacité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis » 13.
18Et la Cour de préciser encore : « Cela n’exclut pas la faculté pour les États membres d’adopter, dans le respect des principes de la directive 2008/115 et de son objectif, des dispositions réglant la situation dans laquelle les mesures coercitives n’ont pas permis de parvenir à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers qui séjourne sur leur territoire de façon irrégulière » (58).
Les préconisations de la Chancellerie vont à l’inverse de cette interprétation
19Considérant que l’arrêt de la Cour porte sur le cas d’un étranger en situation irrégulière n’ayant pas obtempéré à une décision d’éloignement, le ministère de la justice indique aux procureurs que cette décision ne concerne pas le cas des personnes en séjour irrégulier qui n’ont pas encore fait l’objet de pareille décision, c’est à dire les personnes visées par l’article L.621-1 CESEDA précité, à savoir celles ayant pénétré sur le territoire sans disposer des documents requis (certificat d’hébergement ou carte de séjour) et celles qui se maintiennent sur le territoire dans les mêmes circonstances ou au-delà du délai accordé par le visa.
20La circulaire reconnaît pourtant que des circulaires antérieures (21 février et 4 décembre 2006) « préconisent de n’exercer l’action publique pour entrée et séjours irréguliers qu’envers les étrangers ayant également commis une autre infraction de nature correctionnelle ou criminelle et de classer sans suite les autres procédures afin notamment de laisser prospérer, le cas échéant, la procédure administrative d’éloignement du territoire susceptible d’être mise en œuvre »
21Pourquoi s’attacher à défendre l’incrimination pour séjour irrégulier alors que, si cette infraction n’est pas accompagnée d’autres délits ou crimes, il est recommandé de classer sans suite ? Tout simplement, dit la circulaire : « Les dispositions de la directive communautaire ne sont donc pas susceptibles d’affecter les mesures de garde à vue et les poursuites engagées sur le fondement de l’article L.621-l, ni les procédures de rétention administrative qui peuvent faire suite à ces procédures ».
22Autant dire que le respect de l’arrêt empêcherait de garder au chaud les étrangers interpellés dans la rue, les gares, les hôpitaux ou les préfectures, le temps pour celles-ci de notifier une décision d’éloignement ou de mettre à exécution une décision antérieure (OQTF, reconduite à la frontière) par le placement en rétention.
23La dépénalisation du séjour irrégulier entraînerait ipso facto la nullité de la garde à vue puisque celle-ci est liée à la commission d’une infraction (punie d’un an de prison minimum au 1er juillet 2011) et limiterait à quatre heures le maintien dans les locaux de la police des personnes interpellées pour un contrôle d’identité lorsque « l’intéressé refuse ou se trouve dans l’impossibilité de justifier de son identité » (art. 78-3 du code de procédure pénale), pour autant que ce contrôle ait eu lieu dans les circonstances de l’art. 78-2 du même code, notamment à proximité des frontières et dans les gares ferroviaires.
24À cet égard justement, la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 mai 2011 (reproduit ci-après) énonce que les règles européennes s’opposaient à la législation conférant aux autorités de police de contrôler « uniquement dans une zone définie, l’identité de toute personne, indépendamment du comportement de celle-ci et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévus par la loi, sans prévoir l’encadrement nécessaire de cette compétence garantissant que l’exercice pratique de ladite compétence ne puisse revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières ».
25On comprend aisément l’empressement du ministère de la justice de donner instruction à ses procureurs de faire systématiquement appel des décisions des juges des libertés et de la détention (JLD) - voire de se pourvoir en cassation – à l’encontre des ordonnances de mainlevée de maintien en centre de rétention considérant la nullité de la garde à vue antérieure à ce placement.
26L’autre obstacle au placement en centre de rétention visant l’étranger en situation irrégulière est le délai de sept jours minimum qui lui est accordé pour exécuter la mesure d’éloignement à partir de sa notification, ainsi que l’a confirmé le Conseil d’État dans un récent avis adressé au tribunal administratif de Montreuil [7].
Les incriminations connexes
27Bien consciente que les dispositions pénales de l’article L.624-1 demeuraient d’une application beaucoup complexe, s’agissant des infraction liées au non respect par l’étranger d’exécuter la mesure d’éloignement – situation directement visée par l’arrêt de la CJUE – la circulaire tente de circonscrire les limites de cette dépénalisation : « Les objectifs de la directive ne font dès lors pas obstacle à ce que, tout en respectant le principe de proportionnalité, fassent l’objet d’une sanction pénale comprenant le cas échéant une peine privative de liberté :
- d’une part, des comportements de violence envers les personnes dépositaires de l’autorité publique ou de fraudes avérées (telle la remise de faux documents administratifs par exemple…), détachables de l’infraction de séjour irrégulier ou de soustraction à une mesure d’éloignement ;
- d’autre part, les comportements visant à faire échec à l’exécution forcée de la mesure d’éloignement par l’autorité administrative, lorsqu’a été préalablement mise en œuvre la mesure la plus coercitive prévue par la directive, à savoir le placement de l’étranger en rétention ».
28On soulignera tout d’abord que rien n’est plus difficile que faire la preuve d’une abstention : l’échec de la mesure d’éloignement peut avoir pour origine un supposé manque de coopération.
29On se garde à l’esprit cette généralité qu’on ne demande pas au supplicié de fournir la corde pour le pendre lorsqu’on lit le détail de ce type de comportement que la circulaire énonce « à titre d’illustration » : « le refus de suivre les enquêteurs aux fins d’obtenir un laissez-passer consulaire, l’omission de présenter à l’autorité administrative les documents de voyage permettant l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière, le renseignement inexact sur son identité par l’intéressé faisant obstacle à l’exécution de l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, etc. ».
30L’arrêt pourtant énonce les principes de la gradation des mesures à prendre, pouvant aller jusqu’à la privation de liberté : « Ce n’est que si l’éloignement risque d’être compromis par le comportement de la personne concernée, que l’État membre peut procéder à la rétention de cette personne ». La décision éclairant sur le sens de la directive n’évoque que les mesures permettant de favoriser le départ : rétention, éloignement forcé, en rappelant : « La directive prévoit ainsi une gradation des mesures à prendre en vue de l’exécution de la décision de retour ainsi que l’obligation de respecter le principe de proportionnalité à chaque stade de la procédure ».
31Le cœur de la décision de la CJUE est clair à cet égard : un État membre ne peut remédier à l’échec des mesures coercitives pour procéder à un éloignement forcé par une peine privative de liberté. Ce serait un sophisme de criminaliser les actes qui ne relèvent pas en soi de la loi pénale – comme le refus d’accompagner à consulat - qui sont susceptibles de faire échec à la mesure d’éloignement.
32Et la conclusion de la Cour est cinglante sur la prétendue efficacité pénale : « Ainsi, les États membres ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et de la priver de son effet utile ».
La machine s’enraye
33Cass. – Civ. 1 - 18 mai 2011 - N° de pourvoi : 10-30776
34Étranger – Contrôle d’identité – Garde à vue – Rétention – Nullité – Droit européen
35La Cour de justice de l’Union européenne a, par un arrêt du 22 juin 2010 dit pour droit que le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et le règlement (CE) n° 562/ 2006 s’opposaient à une législation nationale conférant aux autorités de police de l’État membre concerné, la compétence de contrôler, uniquement dans une zone définie, l’identité de toute personne, indépendamment du comportement de celle-ci et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévus par la loi, sans prévoir l’encadrement nécessaire de cette compétence garantissant que l’exercice pratique de ladite compétence ne puisse revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.
36L’article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale qui n’est assorti d’aucune disposition offrant une telle garantie ne pouvait fonder la régularité de la procédure menant à l’interpellation et le placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière.
37Décision attaquée : Cour d’appel de Toulouse du 12 octobre 2009
Vu l’article 78-2 du code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, ensemble les articles 67 § 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 20 et 21 du règlement (CE) n° 562/ 2006 du parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ;
Attendu, selon l’ordonnance attaquée, rendue par le premier président d’une cour d’appel, et les pièces de la procédure que M. X…, de nationalité kosovare, en situation irrégulière en France, auquel avait été précédemment notifiée une obligation de quitter le territoire français, a été interpellé le 6 octobre 2009, dans le hall accessible au public de la gare ferroviaire de Toulouse ouverte au trafic international ;
Que le même jour le préfet de la Haute-Garonne lui a notifié une décision de maintien en rétention dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire ; qu’un juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la rétention de M. X… pour une durée maximale de 15 jours ;
Attendu que, pour confirmer cette décision, l’ordonnance relève que, dans les zones accessibles au public des gares ferroviaires ouvertes au trafic international et désignées par arrêté, l’identité de toute personne peut être contrôlée en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi et que, en conséquence, le contrôle d’identité est régulier ;
Attendu, cependant, que la Cour de justice de l’Union européenne a, par un arrêt du 22 juin 2010 (n° C-188/ 10 et C-189/ 10), dit pour droit que l’article 67, paragraphe 2, TFUE ainsi que les articles 20 et 21 du règlement (CE) n° 562/ 2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 s’opposaient à une législation nationale conférant aux autorités de police de l’État membre concerné, la compétence de contrôler, uniquement dans une zone définie, l’identité de toute personne, indépendamment du comportement de celle-ci et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévus par la loi, sans prévoir l’encadrement nécessaire de cette compétence garantissant que l’exercice pratique de ladite compétence ne puisse revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières ;
Qu’en statuant comme il l’a fait, alors que l’article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale qui n’est assorti d’aucune disposition offrant une telle garantie ne pouvait fonder la régularité de la procédure, le premier président a violé les textes susvisés ;
Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Et attendu que les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste plus rien à juger ;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’ordonnance rendue le 12 octobre 2009, entre les parties, par le premier président de la cour d’appel de Toulouse ;
Dit n’y avoir lieu à renvoi ;
Prés. : M. Charruault ;
Plaid. : Me Bertrand.
L’heure, c’est l’heure
38Cass. – Civ. 1 - 23 février 2011 - N° de pourvoi : 09-72370
39Étranger – Garde à vue – Avocat – Transmission tardive de la demande de commission d’office – Nullité de la procédure
40« Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier » (art. 63-4 du code de procédure pénale en vigueur jusqu’au 01/06/2011).
41L’étranger faisant l’objet d’une garde à vue suite à une interpellation doit pouvoir s’entretenir avec un avocat préalablement à l’audition par l’officier de police judiciaire. La tardiveté de l’avis adressé au bâtonnier sollicitant la désignation d’un avocat d’office constitue une irrégularité attentatoire à la liberté individuelle de la mesure de garde à vue précédant un maintien en rétention administrative et entraîne la nullité de la procédure.
42La décision considérant que la violation de l’article 63-4 CPP n’entraîne que la nullité du procès-verbal d’audition n’a pas tiré les conséquences légales des constatations.
43Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 19 mars 2009
Vu les articles 66 de la Constitution et 136 du code de procédure pénale ;
Attendu que selon ces textes il appartient au juge, saisi par le préfet en application de l’article L. 552-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de se prononcer comme gardien de la liberté individuelle, sur les irrégularités attentatoires à cette liberté, invoquées par l’étranger, d’une mesure de garde à vue, lorsque cette mesure précède immédiatement un maintien en rétention administrative ;
Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par le premier président d’une cour d’appel et les pièces de la procédure, que M. X…, de nationalité tunisienne, en situation irrégulière en France, a été placé en garde à vue le 16 mars 2009 à 9 heures 35 et qu’il a demandé à s’entretenir avec un avocat commis d’office ; qu’il a été entendu de 9 heures 45 à 10 heures et que, à 10 heures 05, l’officier de police judiciaire a informé téléphoniquement la permanence des avocats de la demande de M. X… ;
Que le préfet du Var lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention administrative ; qu’un juge des libertés et de la détention a prolongé cette dernière mesure pour une durée de quinze jours ;
Attendu que, pour confirmer cette décision, l’ordonnance retient que la méconnaissance de l’article 63-4 du code de procédure pénale résultant de la tardiveté de l’avis au bâtonnier n’entraîne que la nullité du procès-verbal d’audition ;
Qu’en statuant ainsi, le premier président n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les articles susvisés ;
Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Et attendu que les délais légaux de maintien en rétention étant expirés, il ne reste rien à juger ;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier moyen :
Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’ordonnance rendue le 19 mars 2009, entre les parties, par le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
Prés. : M. Pluyette (conseiller doyen faisant fonction de président), président
Plaid. : SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)
Disproportion
44CA Rouen - Ordonnance du 16 mai 2011 – RG 11/2546
45Étranger – Mesure d’éloignement – Rétention – Enfants – Convention européenne des droits de l’Homme – Traitement inhumain ou dégradant – Convention des droits de l’enfant - Directive européenne – Moyen disproportionné – Mainlevée
46Il résulte de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, que nul ne peut être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, et que, d’autre part, selon l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, à laquelle adhère la France, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
47Il résulte par ailleurs de l’article 8-4 et du considérant 13 de la directive européenne 2008/115/CE du 16 décembre 2008 (directive « retour »)que lorsque les états utilisent des mesures coercitives pour procéder à l’éloignement d’un étranger, ces mesures doivent respecter les principes de proportionnalité et d’efficacité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis, l’article 8-4 ajoutant que les moyens utilisés ne comportent pas l’usage de la force au-delà du raisonnable. L’article 17 de la directive prévoit que les familles comportant des mineurs ne sont placées en rétention administrative qu’en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible.
48Le centre de rétention administrative est certes équipé de locaux et matériels prévus pour les familles. Le séjour au centre de mineurs fait subir aux enfants les répercutions néfastes de l’enfermement et de la situation de stress vécue par leurs parents.
49Il n’existe pas d’élément objectif faisant craindre que les intéressés cherchent à sa soustraire à la mesure d’éloignement.
Vu l’arrêté en date du 22 septembre 2010 pris par Monsieur le préfet de la Seine Maritime portant obligation pour K., né le 6 mars 1967 à E. (Arménie), de nationalité arménienne, de quitter le territoire français ;
Vu l’arrêté de rétention administrative pris par le Monsieur le préfet de la Seine Maritime à l’encontre de K. à compter du 11 mai 2011 à 7 heures 10 ;
Vu la requête de Monsieur le préfet de la Seine-Maritime en date du 11 mai 2011 sollicitant que l’intéressé soit maintenu, par décision de justice, dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, et ce jusqu’à son embarquement à destination de son pays d’origine ;
Vu l’ordonnance rendue le12 mai 2011 à 17 heures 50 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rouen disant n’y avoir lieu de prononcer l’une quelconque des mesures prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile à l’égard de l’intéressé ;
Vu l’appel interjeté par la préfecture de la Seine-Maritime parvenu au greffe de la cour d’appelle 13 mai 2011 à 15 heures 09 par fax ;
M. K., son épouse Mme O. épouse K., M. K., leur fils, ont été placés en rétention administrative le 11 mai 2011 et dirigés vers le centre de rétention administrative de Oissel avec leurs deux filles mineures, X. et Y., âgées de 16 et 8 ans,
Se fondant sur la directive européenne 2008/115/CE du 16 décembre 2008, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Rouen n’a pas fait droit à la requête du préfet de Seine-Maritime tendant à voir prolonger la rétention administrative pour une durée de 15 jours jusqu’au 13 mai 2001 et dit n’y avoir lieu de prononcer l’une quelconque des mesures prévues par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asil
Dans sa déclaration d’appel, le préfet de Seine-Maritime fait valoir que le juge judiciaire n’a pas compétence pour apprécier le bien-fondé ni de la décision administrative de retour ni de décision de placement en rétention. La procédure est conforme à la directive en ce que la décision de retour prononcée le 22 septembre 2010 à l’encontre de M. K. qui l’oblige à quitter le territoire français, lui a accordé un délai de départ volontaire d’un mois, un vol commun ne pourra être prévu que lorsque que les autorités arménienne auront délivré un laissez-passer à M. K., la juridiction administrative a confirmé que la décision préfectorale ne portait aucune atteinte disproportionnée aux droits de M, K.. Celui-ci n’a pas été placé en garde à vue mais a suivi de son plein gré les autorités de police pour son transfert au centre de rétention. M, K. ne justifie pas ne pas pouvoir retourner en Arménie et la décision fixant le pays de retour a été validée par le tribunal administratif. M. K. ne peut être assigné à résidence car, séjournant illégalement dans un centre d’hébergement, il n’a pas de domicile.
À l’ audience, M. K. explique que les policiers sont arrivés très tôt chez lui, qu’il sont entrés de force dans l’appartement et qu’ils l’ont emmené ainsi que sa famille sans lui laisser de temps pour préparer des affaires et prévenir son entourage ou les professeurs des enfants. Ses filles et sa femme ont été traumatisées par l’intervention des policiers qui étaient au nombre de dix.
Me Madeline, conseil de M, K., sollicite la confirmation de l’ordonnance.
Elle invoque les dispositions de la directive européenne 2008/ll5/CE du 16 décembre 2008, notamment les articles 8.4 et 17 et l’ article 3-1 de la Convention des droits de l’enfant.
Si le juge judiciaire ne peut apprécier la décision administrative de placement en rétention, il a compétence pour en apprécier les conséquences quant à la liberté individuelle. Le principe de proportionnalité n’a pas été respecté par le préfet, ni le principe de dignité. Les conditions de l’interpellation ne respectent pas l’article 8.4 de la directive qui mentionnent un recours à la force raisonnable, ni l’article 17 qui stipule que les familles avec enfants mineurs ne sont placées en rétention qu’en dernier ressort. Les consorts K. sont présents à l’audience devant la cour ils n’ont pas cherché à fuir, ils ne se cachaient pas.
Le préfet aurait pu permettre à M. et Mme K. d’organiser leur départ et attendre la fin de l’année scolaire. Ils ont été interpellés dans des conditions telles que les enfants ont été traumatisées. La fille aînée n’a pu se rendre à son collège qu’après discussion et la plus petite n’a pas pu aller à l’école pendant son séjour au centre de rétention administrative, ce qui est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant tel que prévu par l’article 3-1 de la Convention des droits de l’enfant et l’article 17 de la directive de décembre 2008.
Me Madeline rappelle également que les consorts K. sont dans l’attente de l’issue de deux procédures en cours : l’une devant la cour administrative d’appel de Douai contre la décision du tribunal administratif de Rouen, l’autre devant la Cour nationale du droit d’asile suite à une nouvelle demande de réexamen de leur situation.
Subsidiairement, sont repris les autres moyens soulevés devant le Juge des libertés et de la détention :
- irrégularité de l’interpellation : les consorts K. soutiennent que les policiers sont entrés chez eux de force, sans leur autorisation ;
- ils n’ont pas contrôlé leur identité avant de les emmener ;
- l’arrêté de placement en rétention ne leur a pas été traduit ;
- les droits en rétention ont été notifiés en arménien alors qu’ils sont Yésides et ne comprennent pas l’arménien, sauf M. K. ; le droit de rencontrer France Terre d’Asile ou tout autre organisme n’a pas été notifié, la notification des droits au centre de rétention administrative n’est pas signée ;
- l’information donnée au procureur de la République ne mentionne pas le lieu de la rétention et ne précise pas le séjour au centre de rétention administrative de deux mineures ;
- les enfants ont été empêchées d’aller à l’école.
Sur la recevabilité
Il résulte des énonciations qui précèdent que l’appel interjeté par M. le préfet de la Seine Maritime à l’encontre de l’ordonnance rendue, le 12 mai 2011, par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de Rouen, est recevable.
Sur le fond
M. K. est entré en France en 2008. Il a sollicité une admission au statut de réfugié, sa demande a été rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, le 10 avril 2009, la décision de rejet a été confirmée par la Cour nationale du droit d’asile le 28 juillet 2010.
Le 22 septembre 2010, le préfet de Seine-Maritime a refusé l’admission au séjour de M. K. avec obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays dont il a la nationalité comme pays de retour. Cette décision a fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif, recours rejeté par décision du 28 décembre 2010.
Une demande de réexamen au titre de l’asile, présentée en septembre 2010, a été rejetée par le préfet, le 30 septembre, et rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, le 18 octobre 2010. M. K. a également présenté une demande de suspension de la décision préfectorale du 30 septembre 2010, demande rejetée par le juge des référés le 16 novembre 2010. Enfin, le 20 avril 2011, le tribunal administratif a rejeté la demande d’annulation de la décision du préfet du 30 septembre 2010.
Il appartient au juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle, de contrôler la légalité et la justification de toute mesure privative de liberté, ce que constitue le placement en rétention, et de tirer les conséquences de son irrégularité dans la procédure dont il est saisi
Il résulte de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, que nul ne peut être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, et que, d’autre part, selon l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, à laquelle adhère la France, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
Il résulte par ailleurs de l’article 8-4 et du considérant 13 de la directive de décembre 2008 que lorsque les états utilisent des mesures coercitives pour procéder à l’éloignement d’un étranger, ces mesures doivent respecter les principes de proportionnalité et d’efficacité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis, l’article 8-4 ajoutant que les moyens utilisés ne comportent pas l’usage de la force au-delà du raisonnable. L’article 17 de la directive prévoit que les familles comportant des mineurs ne sont placées en rétention administrative qu’en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible.
En l’espèce, les policiers sont intervenus très tôt le matin chez les époux K., qu’ils ont trouvés à leur domicile, dans un logement mis à disposition par l’association Carrefour des Solidarités, qu’ils occupent depuis plusieurs mois et dont l’association n’envisage pas de les expulser. Les enfants mineures ont été interpellées et emmenées au centre de rétention administrative en même temps que leurs parents, bien que n’étant pas placées en rétention. Il semble que les policiers aient emmenés rapidement toute la famille sans lui laisser le temps de réunir des affaires et de prévenir des proches.
Les deux enfants mineures n’ont pu être scolarisées pendant leur séjour au centre, elles ont été comme leur mère, choquées des conditions de leur « interpellation ». Toutefois, tous les recours étant épuisés, les époux K. pouvaient s’attendre à une mise à exécution de la mesure, même s’ils la souhaitaient la plus tardive possible.
Le centre de rétention administrative est certes équipés de locaux et matériels prévus pour les familles, le séjour au centre de mineurs fait subir aux enfants les répercutions néfastes de l’enfermement et de la situation de stress vécue par leurs parents. Un avis de la commission nationale de déontologie et de la sécurité de 2008, qui n’a certes pas valeur obligatoire, saisie par la Défenseure des enfants, a fait siennes des considérations selon lesquelles les conditions de vie anormales imposées à un jeune enfant accompagnant ses parents dans un centre de rétention administrative et la souffrance morale ou psychique infligée aux patents du fait de cette rétention, souffrance particulièrement patente s’agissant des époux K., sont manifestement disproportionnées au but poursuivi, voire pourraient presque atteindre le seuil de ce qui serait considéré comme un traitement inhumain. Le projet de loi en discussion devant le parlement devrait d’ailleurs interdire le séjour de familles avec mineurs dans un centre de rétention administrative.
M. et Mme K. avaient un hébergement où ils ont été trouvés par les services de police, ils ne se sont pas cachés et n’ont pas tenté de fuir, ils se présentent à l’audience devant la cour. Il n’existe pas d’élément objectif faisant craindre qu’ils cherchent à sa soustraire à la mesure d’éloignement, ce qui ne peut être déduit du seul fait des nombreuses procédures administratives qu’ils ont diligentées.
Dès lors, au regard des textes précités et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés, il convient de confirmer l’ordonnance. Il y a lieu de rappeler à M. K. qu’il a l’obligation de quitter le territoire français aux termes des décisions administratives qui demeurent valides à ce jour et qu’il devra prendre toutes dispositions en ce sens, une demande de laissez-passer ayant été faite auprès des autorités arméniennes.
Par ces motifs
Déclarons recevable l’appel interjeté par M.le préfet de la Seine Maritime à l’encontre de l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rouen le 12 mai 20 Il.
Confirmons la dite ordonnance en toutes ses dispositions. Rappelons à K. qu’il a l’obligation de quitter le territoire français.
Prés. : Mme. J. Labaye ;
Plaid. : Me Cécile Madellne.
Notes
-
[1]
Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO L 348, p. 98).
-
[2]
Articles 15 et 16 dont les éléments retenus par la Cour sont reproduits ci-dessous.
-
[3]
La date limite de transposition de la directive dans les ordres juridiques nationaux était le 24 décembre 2010.
-
[4]
Voy. p. 43 de ce numéro.
-
[5]
Voy. F. Padilla, « La « Directive retour » : analyse critique sous l’angle du respect des droits fondamentaux et des droits de l’enfant », JDJ, n° 285, mai 2009, p. 51. La directive est reproduite dans le même n°, p. 55.
-
[6]
Cour européenne des droits de l’Homme – 27 novembre 2008 - Affaire Salduz c./ Turquie (Requête no 36391/02), reproduit dans JDJ n° 282, p. 52-62 ; Affaire Dayanan c. Turquie - 13 octobre 2009 (Requête no 7377/03) ; voy. les derniers développements relatifs à la garde à vue : cass. 15 avril 2011, comm. J.-L. Rongé, JDJ, n° 305, mai 2011, p. 58-63.
-
[7]
CE, avis du 21 mars 2011, MM. J. et T. ; n° s 345978 et 346612 : « Il résulte clairement de l’article 7 de la directive du 16 décembre 2008 qu’une décision de retour doit indiquer le délai, approprié à chaque situation, dont dispose le ressortissant d’un pays tiers pour quitter volontairement le territoire national, sans que ce délai puisse être inférieur à sept jours, sauf dans les cas prévus au paragraphe 4 du même article [risque de fuite, demande de séjour non fondée, risque pour la sécurité publique, etc.], ni être supérieur à trente jours, à moins que des circonstances propres à la situation de l’étranger ne rendent nécessaire une prolongation de ce délai, comme le prévoit le paragraphe 2 du même article ».