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Article de revue

Écouter l'enfant et le faire entendre : le défi de l'audition de l'enfant dans le cadre d'un service de médiation familiale

Pages 37 à 41

Notes

  • [*]
    Marie Theault est directrice de « hors cadre »., thérapeute familiale, médiatrice familiale, co-auteur avec Muriel Laroque de « Notre enfant d’abord » Éd. Albin Michel, 1994 ; Jean-Claude Sury est psychologue clinicien, médiateur familial, il a contribué à « La parentalité en questions » Éd. ESF, Collection Actions sociales/Société, 2002. Depuis 1987, ils pratiquent la médiation familiale et ont contribué activement à son implantation et à sa reconnaissance. L’un et l’autre ont été responsables pédagogiques de formations préparant au diplôme d’État de médiateur familial. Ils poursuivent leur activité dans le cadre de la formation continue des médiateurs familiaux et de professionnels des secteurs juridique, social et médico-social. Ils travaillent actuellement à la mise en place de la médiation familiale dans des situations de conflits familiaux liés à la situation de dépendance des aînés.
  • [1]
    Voy. JDJ n° 261, janvier 2007 : L. Gebler, « Le juge aux affaires familiales et la parole de l’enfant : et si on avançait ? » ; JDJ, n° 268, octobre 2007 : M. Savourey, « L’adaptation d’outils extérieurs à la protection de l’enfance. La médiation familiale » ; A. Berthy-Cailleux, « Faut-il adapter l’outil « médiation familiale » au dispositif de la protection de l’enfance ? » ; JDJ n° 278, octobre 2008 : J.-L. Rongé « La médiation et l’interprétation qui est faite du recueil de la parole de l’enfant » ; M. Juston, « Les enfants peuvent-ils faire la loi ou dire leurs besoins ? » ; JDJ n° 287, septembre 2009 ; JDJ n° 287, septembre 2009 : M. Savourey, « Rebonds sur la médiation familiale » ; J.-L. Rongé, « Médiation, droit à la parole et intérêt de l’enfant » ; A. Berthy-Cailleux, « Le droit de l’enfant d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant - article 12 alinéa 1 de la CIDE - va-t-il devenir caduc ? ». On lira également avec intérêt le dossier consacré à la question dans Actualité juridique familiale (Dalloz), septembre 2009.
  • [2]
    Art. 12 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant : « 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
    2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale ».
  • [3]
    Rappelons ici la définition de cette instance : La médiation familiale est un processus de construction ou de reconstruction du lien familial axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation dans lequel un tiers impartial, indépendant, qualifié et sans pouvoir de décision, le médiateur familial, favorise, à travers l’organisation d’entretiens confidentiels, leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution.
  • [4]
    Membre du Bureau de la Conférence des bâtonniers de France et d’Outre-mer, avocat au barreau de Compiègne.
  • [5]
    La référence est ici le texte établi le 22 avril 2003 par le Conseil national consultatif de la médiation familiale, intitulé « Principes déontologiques » ; http://www.mediation-familiale.org/metier/index.asp
  • [6]
    Justin Lévesque « Méthodologie de la médiation familiale » Edisem - Éres, 1998.
  • [7]
    Muriel Crebassa, JAF au TGI de Paris, in Action Juridique Famille n° 09, 2009
  • [8]
    Observatoire national de l’action sociale décentralisée, qui distingue les enfants « maltraités » et ceux « en risque ».
  • [9]
    « L’audition de l’enfant par le Juge aux Affaires Familiales », in Revue Enfances et Psy, 2007/3, n° 36.
  • [10]
    Président du TGI de Tarascon : « Les enfants peuvent-ils faire la loi ou dire leurs besoins ? », in Actualité Juridique Famille, septembre 2009.
  • [11]
    Cette formation est assurée par l’organisme Hors Cadre ; www.hors-cadre-formation.fr

1Notre revue a déjà consacré quelques articles[1]sur la question de la parole de l’enfant dans le contentieux familial et, notamment, sur la place que lui réservent les médiateurs, certains étant en désaccord, d’autres considérant que, dès lors que l’opinion de l’enfant doit être prise en compte dans les décisions le concernant[2], il convient de réserver un espace pour son expression.

La parole de l’enfant devant le juge civil

2Rappelons tout d’abord les éléments juridiques qui fondent l’audition de l’enfant.

3L’article 388-1 du code civil précise : « Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet.

4Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne.

5L’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.

6Le juge s’assure que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat ».

7Les juges aux affaires familiales (JAF) sont particulièrement concernés, dans la mesure où la séparation des parents expose les enfants à des tentatives de manipulation pouvant aller, à l’extrême, jusqu’à des phénomènes connus sous le nom d’aliénation parentale.

8Qu’est-ce qui pourrait motiver un JAF à solliciter le concours d’un médiateur, alors qu’il dispose déjà d’un panel de mesures d’investigations ? Serait-ce une façon de ne pas pérenniser le conflit en confiant à un tiers la mission de désengager cet enfant du différend qui oppose ses parents en permettant à ces derniers de comprendre l’intérêt d’une médiation et d’engager un processus ? En le référant, ainsi que ses parents, à un service de médiation familiale le magistrat attend que le recueil de cette parole par les médiateurs aboutisse à des accords conformes à l’intérêt de l’enfant.

9De leur côté, à quoi les médiateurs familiaux sont-ils prêts, sachant que ce nouveau dispositif pourrait les assimiler à des auxiliaires de justice ?

10Nous avons été amenés à réfléchir à cette demande de plusieurs juges aux affaires familiales : « Comment pourriez-vous, en tant que médiateur familial, mettre en œuvre une formule novatrice pour auditionner l’enfant ? »

11Pareille sollicitation méritait d’être explicitée. Certes, les magistrats en question nous connaissaient de longue date, soit qu’ils nous aient accompagnés lors de la mise en place de la médiation familiale dans leurs juridictions, soit qu’ils aient eu connaissance de nos démarches pour étendre le processus de la médiation familiale, initialement réservé aux situations de divorce ou de séparation, à d’autres circonstances entrainant des ruptures au sein des familles.

12C’est ainsi que nous avions anticipé les travaux du Conseil national consultatif de la médiation familiale[3] en accueillant dans nos services des parents ayant recomposé une famille, des familles homoparentales, des grands-parents en conflit avec leurs enfants, mais aussi des fratries adultes ne parvenant pas à s’entendre à propos d’une succession ou à propos des décisions concernant les modalités de prise en charge d’un ou de parent(s) âgé(s). Sans oublier certaines prescriptions de juges des enfants subodorant que les carences éducatives, justifiant a priori une mesure de protection, pouvaient être abordées de façon différente (ou complémentaire) par le biais de la médiation familiale. Du reste, la réforme de la protection de l’enfance incite les magistrats de la jeunesse à recourir à cette prestation puisque les textes stipulent qu’un juge ne peut refuser d’entendre un mineur sans en justifier les raisons.

13Autant de « bonnes raisons » pour tenter de répondre à la demande. Mais en même temps, nous restons attachés aux principes déontologiques de notre profession et il nous fallait, avant tout, nous assurer que nous pouvions continuer de les respecter.

14Autrement dit : comment faire écho aux préoccupations de magistrats amenés à prendre une décision en vue d’éteindre le litige opposant des parents divorcés ou séparés remettant en cause de façon récurrente les décisions de justice ? Nous leur devons une partie de la réponse : leur objectif était que cette approche particulière aboutisse à une médiation consentie. Il n’était donc pas question de systématiser l’intervention du médiateur mais de la solliciter pour désenclaver l’enfant de cette situation conflictuelle.

15Pour autant, qu’est-ce qui va distinguer le médiateur de l’expert ou de l’avocat ?

16L’expert judiciaire : c’est un professionnel assermenté, habilité, chargé de donner aux juges un avis technique sur des faits afin d’apporter des éclaircissements sur une affaire. L’expert est un spécialiste de disciplines très variées (médecine, architecture, gemmologie, économie et finance, etc.) dont l’avis ne s’impose pas aux juges qui restent libres.

17L’avocat des parents : son rôle et sa mission sont de défendre l’intérêt de son client. Depuis l’application au 1er janvier 2005 des textes relatifs au divorce, l’orientation du travail de l’avocat s’inscrit dans une démarche plus consensuelle où l’intérêt de l’un doit être compatible avec l’intérêt des autres. Cependant la persistance de situations contentieuses pérennise une logique de gagnant/perdant où la culpabilité l’emporte sur la responsabilité.

18L’avocat de l’enfant : il porte la parole de l’enfant, mais de quelle parole s’agit-il ? Dans son intervention lors du colloque : « Où va la justice des mineurs, Nouveau Droit, Nouvelle Défense », Nadine Du-val[4] rappelle les limites de la mission de l’avocat d’enfant : il l’assiste, l’accompagne dans le bureau du juge, mais ne le représente pas (même si certains barreaux ont des pratiques différentes), et de préciser :« La préparation[…de l’entre-tien…] va permettre à l’enfant de mieux cerner ce qui est possible, de comprendre quelle est sa place par rapport aux adultes. L’avocat va aider l’enfant à exprimer son avis, il n’a pas à parler à sa place ». Elle s’interroge également sur ce qu’il va advenir de l’audition de l’enfant et de la confidentialité des propos du mineur.

19À l’évocation de ce qui vient d’être présenté, on serait tenté de dire qu’une grande confusion est possible entre ce que peut proposer un médiateur et ce que réalisent déjà les auxiliaires de justice.

20S’il n’est pas expert, c’est cependant en raison de l’expertise acquise (une expérience pertinente) qu’il a été interpellé ; certes, il n’est pas assermenté, certes le juge n’est pas tenu par ce qui peut résulter d’une médiation (il ne s’agit jamais de préconisations comme dans le cadre d’une expertise ou d’une enquête sociale), c’est donc dans les modalités de son travail et dans sa posture qu’il va se distinguer de cet expert.

21À la différence de l’avocat des parents, le médiateur ne prendra jamais le parti de l’un contre l’autre : par définition, il ne peut travailler qu’avec les deux parents réunis simultanément et son objectif est qu’ils parviennent à des accords réalistes préservant les intérêts de chacun, dans une perspective de gagnant/gagnant.

22À la différence de l’avocat des enfants, il n’est pas dans le cabinet du juge pour aider l’enfant à s’exprimer ou à l’assister s’il est en difficulté.

23Là encore, modalités, objectif et posture l’identifient singulièrement.

I – Un atout précieux pour le médiateur : le positionnement de tiers

24Il se repère dans les références conceptuelles et déontologiques qui structurent sa démarche.

A – Les références conceptuelles du médiateur

25Pour exercer sa fonction, le médiateur s’appuie sur une formation sanctionnée par un diplôme d’Etat de niveau II, généralement inspirée de l’approche systémique, et sur une expérience professionnelle en lien avec les problématiques familiales.

26Il se réfère aux concepts fondamentaux de la médiation familiale :

  • la notion d’équité ;
  • la capacité des parents à élaborer des décisions concernant les conséquences de leur séparation ;
  • la restauration de l’estime de soi en permettant l’expression des besoins et des intérêts de chacun. Elle se traduit par une reprise de confiance en soi qui fait que chaque parent a davantage d’assurance et de capacités à remplir sa mission éducative ;
  • la création d’un espace de négociation ;
  • le repositionnement de chacun des membres de la famille permettant de préserver l’intérêt de l’enfant souvent malmené quand son statut oscille entre la toute puissance et la « parentification » ;
  • la mutualisation des compétences, des moyens, de la réflexion ;
  • l’instauration ou la restauration de la communication.

B – Les références déontologiques du médiateur

27La déontologie [5] de la médiation familiale repose sur trois aspects fondamentaux : l’impartialité, la neutralité et la confidentialité.

28Voyons ce qu’il en est dans le contexte particulier de l’audition de l’enfant, étant entendu que nous l’aborderons ici sous l’angle du recueil de sa parole :

  • l’impartialité : il ne s’agit pas ici de prendre le parti de l’enfant ni celui de ses parents mais de soutenir chacun dans son expression, puis de favoriser les échanges entre eux. Il serait donc plus pertinent de parler de pluri-partialité, ce qui évoque la capacité de soutenir activement et alternativement chacun des protagonistes ;
  • la neutralité : concept qui renvoie à l’obligation pour le médiateur de neutraliser ses résonances personnelles et de ne pas se référer à ses propres valeurs. Il ne doit pas orienter les décisions des parents ni entraver l’expression de l’enfant. Il semble évident qu’un manque de neutralité contaminerait l’impartialité et compromettrait la conduite du processus de médiation ;
  • la confidentialité : elle signifie que le médiateur ne divulgue rien du contenu des entretiens. Il indique aux magistrats et aux avocats que le processus a été engagé, qu’il a été ou non mené à son terme, que des accords sont intervenus ou non. Si des accords ont été rédigés, ils sont remis aux parents, à charge pour eux de les communiquer au magistrat, soit directement, soit par l’intermédiaire de leur conseil.
Qu’en est-il en cas de révélations qui évoquent, voire affirment une maltraitance ou des abus ? Le médiateur est soumis au droit commun et doit donc procéder à un signalement au service compétent du Conseil général et/ou auprès du parquet chargé des affaires des mineurs. Il s’attachera toutefois à le faire en s’appuyant sur l’esprit de la médiation familiale, c’est-à-dire en responsabilisant les acteurs. À titre d’exemple, un entretien de clarification avec les deux parents est envisageable ; il porterait sur les conséquences de ces révélations concernant les modalités d’exercice de leur parentalité. Il est important que cette limite à la confidentialité soit connue des protagonistes dès le début du processus.

29Le médiateur est un catalyseur capable de recréer du mouvement, du dialogue, de la compréhension réciproque, pour provoquer un changement dans les dynamiques relationnelles essentiellement conflictuel-les. Sans pouvoir de décision, « il a pour responsabilité de faire fonctionner un processus équitable de gestion des conflits » [6].

II – L’originalité du dispositif du recueil de la parole de l’enfant

30Par dispositif, nous entendons l’articulation de l’intervention du médiateur en deux séquences qui distinguent, d’une part le recueil de la parole de l’enfant et sa transmission aux parents, d’autre part la mise en place d’un processus de médiation familiale.

A – Finalités

31Quand il désigne une personne pour procéder à l’audition de l’enfant, le juge focalise la mission sur ce dernier. Parfois, elle a été précédée d’investigations plus globales (enquêtes sociales, mesures d’investigation et d’orientation éducative) ou plus ciblées (expertises médico-psychologiques, psychiatriques) qui se sont avérées insuffisantes, voire insatisfaisantes. Le risque est alors que cette parole soit à nouveau segmentée, isolée et qu’elle pérennise le conflit.

32Dans ces conditions, quel intérêt de recourir aux services d’un médiateur ? De façon générale, ce dernier instaure un espace de communication et de négociation qui favorise un changement dans les relations au sein du couple et de la famille. Plus spécifiquement ici, il vise à libérer l’enfant d’une pression psychologique aux effets maltraitants.

33Disqualifié et culpabilisé aux yeux des adultes et de la fratrie, ou soupçonné de « toute puissance »en voulant imposer les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le mineur qui sollicite son audition se trouve doublement victime : de la séparation, d’une part, d’une certaine « stigmatisation » d’autre part.

34À la différence du processus habituel où l’enfant n’est pas présent en début de médiation, la démarche va consister ici à organiser des entretiens, limités en nombre et dans le temps, avec une priorité accordée à l’enfant pour « l’écouter et faire entendre sa parole », démarche formalisée dans un protocole qui a reçu l’agrément des magistrats concernés. Avant toute intervention du médiateur un document présentant les différentes étapes de ce dispositif et la déontologie à laquelle se référent les médiateurs est remis par le JAF aux intéressés.

35On distinguera trois phases dans le dispositif :

  1. L’enfant est entendu seul, éventuellement en présence de son avocat.
  2. Les parents sont entendus, hors présence de l’enfant.
  3. Reprise des deux entretiens précédents avec l’ensemble des protagonistes (l’enfant, ses parents et éventuellement les frères et sœurs) qui permet, ou non, l’engagement des parents dans un processus de médiation familiale.

B – L’éthique et l’intérêt de l’enfant

36Comment concilier le cadre déontologique avec l’objectif d’une médiation organisée pour « écouter l’enfant et le faire entendre » ?

1 – Écouter l’enfant

37C’est lui permettre d’exposer au médiateur son argumentaire, c’est-à-dire de lister, tels qu’ils viennent, les points qui formalisent sa perception du conflit, ses sentiments, ses besoins et ses positions.

38À l’issue de cette séquence, et pour éviter tout risque de fragilisation supplémentaire, le médiateur convient avec le mineur de ce qui peut être communiqué aux parents ou au magistrat. Selon son âge, c’est l’enfant (le plus souvent, il s’agit d’un adolescent) qui rédigera lui-même l’argumentaire. Si le médiateur en assure la transcription, en aucun cas il ne modifie ni l’énoncé, ni l’ordre, ni la hiérarchie des arguments.

2 – Le faire entendre

39Deux cas de figure peuvent se présenter :

40Suite au recueil de la parole de l’enfant, les parents la prennent en compte

41On passe ici de l’argumentaire à l’argumentation : il s’agit de permettre à l’enfant et à ses deux parents d’échanger sur les points énoncés par le jeune et d’aboutir à un consensus pour engager une médiation entre les adultes, selon le processus habituel de la médiation familiale.

42Rappelons que le processus est une série d’étapes se déroulant dans le temps, chaque séance permettant d’aborder les sujets à propos desquels un accord est recherché. Un temps minimum est requis entre chaque entretien pour favoriser l’intégration par chacun de ce qui s’est échangé et pour élaborer psychiquement les changements souhaitables. Il s’agit donc d’identifier ce qui fait problème, de distinguer le différend des personnes, d’envisager un éventail de solutions possibles pour retenir celles qui répondent le mieux aux intérêts de chacun, sachant qu’il y a toujours plusieurs intérêts en jeu.

43Il s’agit également de permettre aux parents de repérer et de prendre en compte la fonction du conflit dans la dynamique familiale. Pour cela il est pertinent que chacun des membres de la famille puisse accéder à la compréhension des conséquences de la non résolution du conflit afin d’en prévenir les éventuels effets négatifs.

44Suite à ce recueil, les parents et l’enfant maintiennent leurs positions

45Les parents refusent la proposition de médiation et il appartient au médiateur de respecter l’aspect volontaire de l’engagement dans un processus. Dans ces conditions, l’argumentaire est transmis au magistrat, avec l’accord du jeune, dans la forme où ce dernier l’a établi, c’est-à-dire sans aucune modification ni interprétation de la part du médiateur.

46Le juge aura ainsi la possibilité d’étayer sa décision ou de poursuivre ses investigations. Rappelons que « l’objectif du magistrat est d’entendre ce que l’enfant peut avoir à dire de la situation familiale, ce qu’il en comprend, mais surtout, il s’agit bien souvent de resituer le mineur en tant qu’enfant[…], de lui signifier qu’il a le droit de ne pas avoir d’avis, et de laisser ses parents élaborer une solution dans son intérêt ou, à défaut, de laisser l’arbitrage au juge »[7].

3 – À propos de la confidentialité

47Cette communication de l’argumentaire peut-elle être assimilée à un compte-rendu et son contenu être l’équivalent d’un rapport ? Certainement pas, dans la mesure où le médiateur se gardera d’adresser au prescripteur quelque préconisation que ce soit, à la différence des enquêteurs sociaux ou des experts. Sa mission, rappelons-le, est de faciliter l’expression par l’enfant de ses besoins, de ses craintes et plus généralement de ses sentiments vis-à-vis de la situation créée par la séparation de ses parents. En règle générale, c’est parce que le mineur la ressent inconfortable qu’il sollicite d’être auditionné. Cependant sa démarche est parfois « suggérée » par un des parents, ce qui rend délicate l’évaluation par le magistrat de la qualité de sa parole.

48Dans ces conditions, mettre la médiation familiale au service du JAF, c’est la mettre au service de l’enfant et c’est là où l’éthique transcende la déontologie. C’est une autre façon de dire que le respect de la déontologie n’interdit pas d’aller au-delà de principes posés dans un cadre déterminé. Il faut oser les adapter à un processus nouveau afin de répondre de manière innovante aux besoins d’enfants qui ne savent comment se défaire de liens ambivalents, ambigus, contraignants dont on peut craindre qu’ils deviendront ce que l’ODAS [8] identifie comme des enfants en danger.

49Pour autant la dérive vers l’instrumentalisation, par le glissement vers une forme déguisée d’investigation, exige d’être maîtrisée. Elle le sera si une articulation confiante s’instaure entre les magistrats et les médiateurs. Les premiers acceptent les règles de volontariat et de confidentialité propres à la médiation, les seconds acceptent d’être les facilitateurs de cette parole d’enfant, laquelle est difficilement audible par les parents eux-mêmes. Ces éléments doivent figurer, parmi d’autres, dans une convention avec le tribunal.

III – Une démarche sociétale, un questionnement méthodologique

50Les derniers rapports de l’ODAS mettent en évidence que 29% des enfants signalés en danger sont victimes de mauvais traitements et de violences psychologiques (l’enfant « otage ») liés aux conflits de couples et à la séparation. Depuis trois ans, ce facteur est constamment au deuxième rang des problématiques repérées. De surcroît, on note une augmentation constante des phénomènes de violences psychologiques. Rappelons que, par ses travaux, l’ODAS cherche à mieux adapter les réponses sociales et suggère de recourir à la médiation familiale pour aborder le « traitement » de dysfonctionnements dans la fonction parentale. Cette proposition avait également été retenue par la Défenseure des enfants dans son dernier rapport.

51En tant que médiateurs familiaux, pouvons-nous négliger les besoins de ces enfants ? Pouvons-nous nous tenir à l’écart de cette évolution sociétale ? Le domaine de l’audition de l’enfant met en évidence que le médiateur familial se trouve à l’intersection du juridique, du psychologique et du social. Il ne peut donc rester sans réaction et le projet que nous avons développé contribue à répondre de façon spécifique à cette double interrogation.

52Qui plus est, notre proposition rencontre les préoccupations des avocats (cf. supra) et des magistrats souvent embarrassés par l’obligation qui leur est faite d’auditionner l’enfant. L’un d’entre eux, Laurent Gebler[9], exprime ses réserves : « Au-delà des considérations juridiques, je suis persuadé que le secret ne génère que la suspicion et le fantasme, laissant les parents penser que les propos de l’enfant ont été déterminants pour le juge, même lorsque ce n’est pas le cas ».Il met ainsi l’accent sur les limites de la confidentialité, qu’il reprend de la manière suivante : « Je préfère en tout cas que l’enfant, dûment informé, me dise moins de choses mais qui pourront être portées dans le débat judiciaire, plutôt qu’il me confie mille et un secrets dont je ne saurai que faire ! À nous ensuite de mettre en œuvre les garanties nécessaires afin d’être assurés que les parents ne recevront pas les propos de leur enfant sans un« décryptage » préalable ».

53C’est bien à ce décryptage que le médiateur familial s’attache et il s’y emploie, mais avec le concours des parents.

54Les statistiques dont nous disposons actuellement indiquent que 50% des auditions débouchent sur une médiation et cette prestation offre une nouvelle porte d’entrée pour des enfants dont il ne faut perdre de vue qu’ils sont en risque, une statistique encourageante, mais qui pourrait sûrement évoluer.

55De son côté, Marc Juston[10], s’interroge : « la vraie question n’est-elle pas de savoir si le recueil de la parole de l’enfant est aidant pour l’enfant ? », ce qui implique que le professionnel s’entoure de beaucoup de précautions. Il précise en effet que « dans de nombreuses situations, l’enfant n’est plus seulement l’enjeu, mais il est devenu arbitre », ce qu’il attribue à l’attitude des parents. Il y voit « un risque de déresponsabilisation des parents, de démission et d’abdication ».

56C’est bien pour pallier ce double risque (pour l’enfant et pour ses parents) que nous avons conçu un dispositif qui rétablit chacun dans son positionnement générationnel. Il serait en effet navrant que, dans certaines circonstances, cette démarche nouvelle contribue à amplifier une situation de crise laissant croire à l’enfant que sa parole est déterminante. Il serait également dommageable que cette parole aille à l’encontre de son intérêt si elle était prise au premier degré, occultant par exemple l’expression d’un conflit de loyauté ou encore la manifestation de l’emprise qu’il su-bit de la part d’un parent.

57En mettant en place ce qu’il faut bien concevoir, en l’état, comme une recherche-action, il s’agit pour les professionnels que nous sommes d’un véritable engagement. Engagement qui implique que nous nous ne dérobions pas aux questions sensibles qui restent à prendre en compte, entre autres :

  • « écouter l’enfant et faire entendre sa parole » à son corollaire : « accepter son silence et ne pas le contraindre à parler » ;
  • le statut de l’argumentaire : il semble essentiel qu’il ne soit pas une pièce au dossier, mais comment l’établir en droit ? ;
  • l’articulation entre le médiateur et l’avocat d’enfant : faut-il l’écarter des entretiens, ou lui permettre d’assister l’enfant dans cette séquence en respectant les règles de la confidentialité ? Sans systématiser la réponse, nous sommes amenés à penser que, témoin de notre pratique, le conseil pourra mieux appréhender la dimension intrafamiliale de la situation. Est-ce qu’il lui appartiendrait, alors, de transmettre l’argumentaire au magistrat ? ;
  • compte tenu du caractère particulier du recueil de la parole de l’enfant, qu’en est-il de la place des avocats des parties ? ;
  • peut-on étendre ce dispositif aux situations relevant de la protection de l’enfance ? Les nouvelles pratiques issues de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, par exemple en termes d’accueil modulable, nous y invitent.
L’engagement que nous avons mentionné plus haut s’accompagne nécessairement d’exigences, à la fois en termes de réflexion et en termes d’action.

58La réflexion vise d’abord les conditions de l’exercice de la mission : comment identifier finement les risques d’un dérapage qui serait générateur d’instrumentalisation ?

59Si l’action doit se définir en termes de formation [11], il faut simultanément concevoir la méthodologie de son évaluation : il convient d’envisager dès maintenant, en y associant les prescripteurs, les financeurs et les usagers, les objectifs et les modalités de cette évaluation, sachant que l’expérience rendra nécessaires des ajustements. La question centrale reste en effet d’articuler le recueil de la parole de l’enfant dans le cadre procédural d’une audition avec une obligation de confidentialité qui demeure un impératif de la médiation familiale. Ce qui ne va pas sans une redéfinition consensuelle des rôles et fonctions - et donc des limites - de chacun.

60Il s’agit là d’une perspective stimulante qui invite le médiateur à exercer différemment ses compétences et les services à envisager une nouvelle organisation.

61En fervent partisan de la médiation familiale, et avec le souci de responsabiliser les parents, Marc Juston préconise d’intégrer l’audition de l’enfant dans le processus habituel de la médiation.

62Pour notre part, nous pensons qu’il est indispensable de différencier le recueil de la parole de l’enfant d’une part, de son audition (au sens juridique du terme), et d’autre part du processus de médiation familiale. Pour autant, un même médiateur, dûment formé et expérimenté, doit pouvoir conduire les deux missions. Pour ce faire, il va miser sur la compétence des parents en leur permettant d’identifier ce qui fait problème, en distinguant le différend des personnes ; ils pourront alors envisager un éventail de solutions possibles pour retenir celles qui répondent le mieux aux intérêts de chacun (sachant qu’il y a toujours plusieurs intérêts en jeu) en valorisant ceux de leur enfant.

63Dans cette perspective, le recueil de la parole de l’enfant permet un éclairage nouveau, pertinent de la situation dont la perception est troublée par le climat conflictuel.

Notes

  • [*]
    Marie Theault est directrice de « hors cadre »., thérapeute familiale, médiatrice familiale, co-auteur avec Muriel Laroque de « Notre enfant d’abord » Éd. Albin Michel, 1994 ; Jean-Claude Sury est psychologue clinicien, médiateur familial, il a contribué à « La parentalité en questions » Éd. ESF, Collection Actions sociales/Société, 2002. Depuis 1987, ils pratiquent la médiation familiale et ont contribué activement à son implantation et à sa reconnaissance. L’un et l’autre ont été responsables pédagogiques de formations préparant au diplôme d’État de médiateur familial. Ils poursuivent leur activité dans le cadre de la formation continue des médiateurs familiaux et de professionnels des secteurs juridique, social et médico-social. Ils travaillent actuellement à la mise en place de la médiation familiale dans des situations de conflits familiaux liés à la situation de dépendance des aînés.
  • [1]
    Voy. JDJ n° 261, janvier 2007 : L. Gebler, « Le juge aux affaires familiales et la parole de l’enfant : et si on avançait ? » ; JDJ, n° 268, octobre 2007 : M. Savourey, « L’adaptation d’outils extérieurs à la protection de l’enfance. La médiation familiale » ; A. Berthy-Cailleux, « Faut-il adapter l’outil « médiation familiale » au dispositif de la protection de l’enfance ? » ; JDJ n° 278, octobre 2008 : J.-L. Rongé « La médiation et l’interprétation qui est faite du recueil de la parole de l’enfant » ; M. Juston, « Les enfants peuvent-ils faire la loi ou dire leurs besoins ? » ; JDJ n° 287, septembre 2009 ; JDJ n° 287, septembre 2009 : M. Savourey, « Rebonds sur la médiation familiale » ; J.-L. Rongé, « Médiation, droit à la parole et intérêt de l’enfant » ; A. Berthy-Cailleux, « Le droit de l’enfant d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant - article 12 alinéa 1 de la CIDE - va-t-il devenir caduc ? ». On lira également avec intérêt le dossier consacré à la question dans Actualité juridique familiale (Dalloz), septembre 2009.
  • [2]
    Art. 12 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant : « 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
    2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale ».
  • [3]
    Rappelons ici la définition de cette instance : La médiation familiale est un processus de construction ou de reconstruction du lien familial axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation dans lequel un tiers impartial, indépendant, qualifié et sans pouvoir de décision, le médiateur familial, favorise, à travers l’organisation d’entretiens confidentiels, leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution.
  • [4]
    Membre du Bureau de la Conférence des bâtonniers de France et d’Outre-mer, avocat au barreau de Compiègne.
  • [5]
    La référence est ici le texte établi le 22 avril 2003 par le Conseil national consultatif de la médiation familiale, intitulé « Principes déontologiques » ; http://www.mediation-familiale.org/metier/index.asp
  • [6]
    Justin Lévesque « Méthodologie de la médiation familiale » Edisem - Éres, 1998.
  • [7]
    Muriel Crebassa, JAF au TGI de Paris, in Action Juridique Famille n° 09, 2009
  • [8]
    Observatoire national de l’action sociale décentralisée, qui distingue les enfants « maltraités » et ceux « en risque ».
  • [9]
    « L’audition de l’enfant par le Juge aux Affaires Familiales », in Revue Enfances et Psy, 2007/3, n° 36.
  • [10]
    Président du TGI de Tarascon : « Les enfants peuvent-ils faire la loi ou dire leurs besoins ? », in Actualité Juridique Famille, septembre 2009.
  • [11]
    Cette formation est assurée par l’organisme Hors Cadre ; www.hors-cadre-formation.fr
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