Notes
-
[*]
Juriste et formateur.
- [1]
-
[2]
Conseil constitutionnel, décision n° 93-326 DC du 11 août 1993, n° 29 (loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du code de procédure pénale).
-
[3]
Circulaire JUS D04-30 177 C, CRIM 04-13/G1-02-09-04, « Présentation des dispositions relatives à la criminalité organisée de la loi n° 203-2004 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité », p. 35.
-
[4]
Dans un avis rendu en 2004 la Défenseure des enfants désapprouve l’allongement de la garde à vue des mineurs pouvant aller jusqu’à 96 heures et « considère que cette mesure va en sens inverse des engagements pris par la France en ratifiant la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. La privation de liberté des mineurs doit être « une mesure de dernier ressort et d’une durée aussi brève que possible » (article 37 de la Convention) ».
-
[5]
Conseil constitutionnel, décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, n° 38 (loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité).
-
[6]
CNDS (http://www.cnds.fr/), « La déontologie des forces de sécurité en présence des mineurs », reproduit in JDJ n° 286, juin 2009, pp. 34-41.
-
[7]
http://www.cpt.coe.int/fr/. Voir not. Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), 27 septembre au 9 octobre 2006.
-
[8]
Circulaire du 11 mars 2003 portant « instructions relatives à la garantie de la dignité des personnes placées en garde à vue » par le ministre de l’Intérieur, de la sécurité intérieur et des libertés locales.
-
[9]
Cass. crim. 26 mars 2008, N° de pourvoi : 07-88554 ; JDJ n° 276, juin 2008, pp. 61-62.
-
[10]
Voy. Projet de loi établissant le code de la justice pénale des mineurs ; supplément au JDJ n°286, juin 2009. Ce projet est en cours de remaniement à la Chancellerie et devrait être présenté à l’automne 2010.
-
[11]
Voirhttp://groupeclaris.wordpress.com/2009/06/11/le-projet-de-code-de-la-justice-penale-des-mineurs-une-analyse-de-lassociation-des-magistrats-de-la-jeunesse. Égal. J. Demaldent-Rabaux et J.-L. Rongé, « La commission Varinard a rendu son rapport… » et « Les travaux de la commission Varinard. Entretien avec Cécile Marchal », et « Les 70 propositions de la commission Varinard » ; JDJ n° 281, janvier 2009, pp. 25-48.
-
[12]
Cass. crim. 13 décembre 1956, Bull. crim, n° 840, Dalloz 1957, p. 349.
-
[13]
Contributions des représentants de la Police Nationale et de la Gendarmerie devant la commission Varinard.
1L’actualité de ces derniers jours a été marquée par une polémique liée aux placements en garde à vue de trois collégiennes de 14 ans dans une affaire de violence scolaire. En réalité les faits décrits par la presse [1] se montrent d’une cruelle banalité.
2L’ordonnance de 1945, texte de référence relatif aux mineurs délinquants, encadre traditionnellement de manière spécifique et protectrice le régime de la garde de vue des mineurs.
3Or, deux réformes de 2002 et 2004 sont venues successivement réduire ces garanties, d’abord pour les mineurs de 10 à 13 ans puis pour les 16 à 18 ans (I). Au demeurant, les dernières garanties traditionnelles ayant résisté aux évolutions législatives n’ont guère résisté aux pratiques policières en matière de gardes à vue. Différents rapports, et en particulier ceux de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), l’illustrent avec précision (II). Quelles sont au regard de ces tendances les perspectives dans les mois qui viennent ? Le rapport Varinard et l’avant projet de loi qui en découle marque une nouvelle étape dans le régime de la garde à vue des mineurs, en particulier pour les 10 à 13 ans (III).
I – Principes fondamentaux
4Rappelons préalablement dans ses grandes lignes le cadre légal de ces gardes à vue des mineurs, tel qu’en dispose l’article 4 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Précisons d’emblée qu’en aucune manière un mineur de moins de 10 ans ne peut être assujetti à une telle contrainte. A contrario, un mineur de plus de 10 ans soupçonné d’avoir commis une infraction peut être conduit et retenu au poste de police si les nécessités de l’enquête l’exigent pour y être placé en garde à vue. Toutefois le régime juridique oblige à distinguer trois tranches d’âge.
Pour les 10 à 13 ans
5Si formellement la garde à vue n’est pas possible, le mineur peut toutefois faire l’objet d’une retenue judiciaire avec l’accord préalable d’un magistrat. Il est obligatoirement assisté par un avocat et un examen médical est systématiquement mis en œuvre.
Les 13 à 16 ans
6La garde à vue est possible. Le procureur doit en être immédiatement informé. L’examen médical est systématique.
Les 16 à 18 ans
7La garde à vue est possible. Le procureur doit en être immédiatement informé. L’examen médical est ici par contre seulement facultatif. Dans les trois cas, les parents du mineur doivent être immédiatement informés (sauf instruction contraire du parquet). Enfin, à la suite de la loi du 15 juin 2000, l’article 4 de l’ordonnance du 2 février 1945 rend obligatoire l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires des mineurs placés en garde à vue.
II – Des évolutions législatives élargissant les possibilités de garde à vue des mineurs
8En deux ans, entre 2002 et 2004, la garde à vue des mineurs a connu deux réformes successives qui visent toutes deux à en élargir les possibilités.
La loi Perben I
9La loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, dite loi Perben I, a apporté une triple réforme au régime de la rétention judiciaire des 10-13 ans.
10D’abord en posant que le mineur pouvait être placé en retenue si des indices graves ou concordants laissent présumer qu’il a commis ou tenté de commettre une infraction. Jusqu’alors les indices devaient, de manière cumulative, être graves et concordants.
11Ensuite, les faits commis doivent être passibles d’une peine d’emprisonnement de 5 ans au lieu de 7 ans jusqu’alors. Ce qui élargit de manière considérable la gamme des infractions susceptibles d’entraîner le placement en retenue. Et ce alors même qu’en 1993 le Conseil constitutionnel entendait pourtant limiter une retenue « que dans des cas exceptionnels et s’agissant d’infractions graves » [2].
12Enfin, la durée de la retenue passe de 10h renouvelable une fois à 12h renouvelable une fois. Ce qui au total peut rajouter 4h de retenue pour un enfant de moins de 13 ans.
La loi Perben II
13La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II étend la durée totale de la garde à vue qui peut être portée à 96 heures dans certains cas, en particulier pour les affaires de délinquance organisée, de proxénétisme aggravé, de trafic de stupéfiants et de terrorisme. Les mineurs de 16 à 18 ans qui, jusqu’alors, ne pouvaient être placés en garde à vue que pour une durée de vingt-quatre heures maximum, renouvelable une fois peuvent comme les majeurs l’être 96 heures.
14Il faut toutefois qu’il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’une ou plusieurs personnes majeures ont participé, comme auteurs ou complices, à la commission de l’infraction ». Peu importe si, in fine, aucun majeur n’était effectivement impliqué.
15La circulaire ministérielle du 2 septembre 2004 [3] précise : « L’implication de majeurs, si elle peut s’avérer fausse ultérieurement, doit être vraisemblable au regard des investigations conduites au moment où la prolongation de la garde à vue au delà de 48 heures est envisagée (…) L’absence in fine d’implication de majeurs dans les faits ne saurait entraîner la nullité de la période supplémentaire de garde à vue dès lors que cette implication était plausible au moment où cette mesure a été ordonnée. La chambre criminelle a en effet rappelé à plusieurs reprises que la validité d’un acte devait s’apprécier au moment où celui-ci était accompli ».
16Curieusement cet alignement sur le statut des majeurs – vivement critiqué par la défenseure des enfants [4] – est même validé par le Conseil constitutionnel qui précise que le législateur « à entendu garantir le bon déroulement des […] enquêtes [relatives à la criminalité organisée] et protéger les mineurs de tout risque de représailles susceptibles d’émaner des adultes impliqués » [5]. On en est presque à regretter que la garde à vue soit si courte.
Et les 13-16 ans ?
17Si la loi Perben I étend la retenue des 10-13, si la loi Perben II étend la garde à vue des 16-18 ans, aucune des deux lois ne se préoccupe spécifiquement du sort des 13-16 ans. Est-ce un simple oubli ? Ces derniers peuvent être placés en garde à vue pour une durée initiale de vingt-quatre heures au plus. Une prolongation de vingt-quatre heures maximum n’est autorisée qu’en cas de crime ou délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement, après présentation au magistrat.
18En vérité ils sont indirectement impactés par les très nombreuses réformes pénales multipliant les circonstances aggravantes afférentes aux infractions pénales. Du coup le quantum de 5 ans d’emprisonnement rendant possible le renouvellement de la garde à vue est aujourd’hui très vite atteint par l’addition de ces nombreuses circonstances aggravantes.
19Au final, la tendance forte de ces dernières années est une extension des durées de garde à vue des mineurs, et ce malgré les engagements internationaux de la France en matière de droits de l’enfant.
20À chaque fois le Conseil constitutionnel valide ces réformes en considérant que les mineurs conservent toutefois des garanties (avocat, médecin, parent, etc.) préservant leurs spécificités, et ce malgré l’extension de ces durées. Il nous faut alors lire les différents rapports de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) pour malheureusement constater que ces garanties ne résistent guère à la politique du chiffre en vigueur en la matière.
III – Que reste-t-il des garanties procédurales ?
21Depuis 2000, date de sa création, la CNDS a pointé dans ses rapports annuels, et en particulier celui de 2008, une série de dérives relatives aux gardes à vue des mineurs [6].
Les garanties d’âge
22En principe aucune garde à vue n’est possible pour un moins de 10 ans. Mais a priori, cela n’a pas empêché un commissaire de police « de faire visiter le local de garde à vue »à un enfant de 9 ans « pour le dissuader de commettre des actes de délinquance »sans se soucier des « conséquences potentiellement traumatisantes d’une telle visite ».
Une mesure exceptionnelle ? Une durée limitée ?
23Face à la multiplication de la garde à vue des mineurs la CNDS s’est sentie obligée de préciser « qu’il s’agit d’une mesure restrictive de liberté prise pour les nécessités de l’enquête ; qu’elle ne doit pas être utilisée à titre de sanction ou pour pallier les déficiences d’organisation ou de moyens ». Pour conclure plus loin « que la garde à vue étant une mesure potentiellement traumatisante pour une personne mineure et l’attention particulière dont celle-ci doit bénéficier entraînant un surcroît de travail pour les personnes chargées de veiller au bon déroulement de la mesure, les fonctionnaires en charge de l’enquête doivent faire preuve de diligence pour réduire au maximum la durée de la garde à vue ».
L’information des parents
24Si l’article 4 de l’ordonnance de 1945 prévoit que les parents doivent être immédiatement avisés du placement en garde à vue de leur enfant, la Commission a été saisie de plusieurs cas « dans lesquels la famille d’un mineur interpellé n’avait été prévenue que plusieurs heures après son arrivée au commissariat ».
L’examen médical
25Même si cet examen est obligatoire pour les moins de 16 ans, la Commission a eu l’occasion de relever le cas de deux mineurs de 15 ans restés 7h en garde à vue sans examen médical. Le tout justifié par « un problème d’organisation des services du commissariat et des urgences médico-judiciaires ».
26Quant aux plus de 16 ans, si l’examen n’est pas obligatoire, il « revient à l’OPJ de demander un examen médical d’office et en urgence s’il constate que le jeune est blessé ou souffrant, y compris au moment de la prolongation éventuelle de la mesure de garde à vue ». Pour préciser plus loin qu’il « est inacceptable qu’un mineur incapable de s’alimenter du fait de ses blessures (fractures aux dents et au nez) ait été placé en cellule au lieu d’être transporté d’urgence à l’hôpital ».
27Face à ces nombreuses pratiques, la CNDS a d’ailleurs proposé :
- que tout certificat rédigé à l’issue de l’examen médical d’un gardé à vue comporte systématiquement un descriptif des blessures éventuelles, que la réquisition de l’OPJ le précise expressément ou non ;
- que la garde à vue d’un mineur de moins de 16 ans cesse de plein droit au bout d’un délai de six heures si un examen médical n’a pas été effectué, sauf décision contraire, spécialement motivée et versée au dossier, de la part du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi ;
- que des instructions du ministère de la justice soient diffusées aux procureurs généraux pour que soit ordonné aux OPJ de requérir systématiquement un examen médical lorsqu’ils constatent qu’un mineur conduit au poste est blessé ;
- que la famille du mineur de plus de 16 ans soit systématiquement informée du droit dont elle dispose de faire demander pour lui un examen médical ;
- que les examens médicaux des personnes gardées à vue soient assurés par un service de médecins spécialement formés et recrutés à cet effet par un hôpital et se rendant à la demande dans les commissariats.
Les conditions matérielles de la garde à vue
28Différents rapports dont ceux du Comité européen de prévention de la torture (CPT) [7] ou de la CNDS ont pu déplorer les conditions matérielles des salles de garde à vue dans lesquelles pouvaient être enfermés tant des majeurs que des mineurs. Cellules sales, peu chauffées en hiver, sans matelas, sans couverture, avec une lumière allumée toute la nuit, et sans accès aux toilettes, sont autant de constats récurrents. Et ce par exemple malgré une circulaire ministérielle du 11 mars 2003 [8] fixant des exigences précises en la matière.
Fouilles de sécurité et corps de l’enfant
29La CNDS a, à diverses reprises, dénoncé un recours systématique en garde à vue aux fouilles à nu dites « de sécurité » sur les mineurs, et ce malgré des instructions ministérielles publiées en 2003 puis en 2008 entendant en limiter l’usage.
30Rien ne justifiait par exemple la fouille à nu de deux jeunes de 13 et 14 ans d’aspect inoffensif et suspectés d’avoir dégradé un véhicule, ni celle sur quatre mineurs de 15 à 16 ans, interpellés dans leur collège parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir lancé des pierres sur la façade d’une maison, ni celle enfin sur un mineur de 15 ans suspecté de dégradation d’affiche électorale.
31Pour ces raisons, la CNDS insiste depuis plusieurs années pour que la mise en œuvre de ce type de fouilles à l’encontre des mineurs soit exceptionnelle et dûment justifiée. Plus généralement, tout comme pour le majeur, le mineur se voit confisquer sa ceinture et ses lacets, le soutien-gorge doit être enlevé pour les filles.
L’enregistrement audiovisuel et ses limites
32Mis en œuvre par l’article 14 de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires des mineurs en garde à vue devrait être systématique, sauf cause insurmontable. Or la commission constate que faute de moyens matériels et humains (matériel de rechange, présence d’un technicien, etc.), cette obligation n’est parfois pas respectée sans même que soit consignée dans un procès-verbal les diligences accomplies pour y remédier.
33Précisons au demeurant que la cour de cassation a considéré que l’absence de mention sur le PV d’interrogatoire d’une éventuelle impossibilité technique et l’absence d’information immédiate du procureur de la République rendaient nulle la déposition du mineur gardé à vue [9].
L’avocat à la première heure
34Selon l’article 4 précité « Dès le début de la garde à vue, le mineur peut demander à s’entretenir avec un avocat. Il doit être immédiatement informé de ce droit ».
35Reste que l’exercice de ce droit est largement conditionné par les modalités d’organisation des avocats. Dans les palais de justice importants des systèmes de permanence permettent à n’importe quelle heure de contacter un avocat.
36Ce n’est pas le cas dans les petites juridictions. Au demeurant quand bien même ces astreintes existent, elles montrent vite leurs limites en particulier lorsque deux mineurs sont placés en garde à vue à la même heure à deux endroits distants du département.
IV – Et demain ?
37Le rapport Varinard remis en décembre 2008 et l’avant projet de loi qui en découle [10] marquent un tournant dans le droit pénal des mineurs. Sans revenir sur les nombreuses propositions [11], intéressons-nous aux incidences sur les gardes à vue des mineurs.
38On remarquera d’emblée que le rapport Varinard ne retient qu’une des nombreuses recommandations de la CNDS, à savoir rendre obligatoire l’examen médical pour tous les mineurs retenus quel que soit leur âge, et non plus seulement pour les mineurs de moins de 16 ans. Cette proposition, codifiée à l’article 211.8 du projet, marque même une simplification de la désignation du médecin puisque l’officier de police judiciaire, ou sous son contrôle l’agent de police judiciaire, ainsi que le procureur désigne un médecin chargé d’examiner le mineur. Jusqu’alors la désignation était l’œuvre du procureur ou du juge d’instruction mais pas de l’OPJ.
39Ce progrès, s’il est voté, marquera la seule reprise des nombreuses propositions de la CNDS. Tout se passe comme si, à droit constant, les nombreuses dérives allaient disparaître par elles-mêmes. On a vu ce qu’il en a été des circulaires prises en la matière.
40On constate d’ailleurs cette absence d’ambition et de volontarisme en ce qui concerne les enregistrements audiovisuels. La loi de 2000 les rendait obligatoires sauf empêchement technique. Le projet admet implicitement que d’autres motifs peuvent désormais rendre impossibles cet enregistrement : « Lorsque l’enregistrement n’a pas été effectué, que cette omission ne résulte pas d’une impossibilité technique… » (art. 211-10), pour conclure pragmatiquement que, dans ce cas, les éléments relatés dans le procès verbal ne pourront être utilisés, comme en avait statué la cour de cassation.
41Pour le reste, le projet marque un tournant en matière de retenue des 10-13 ans.
42Rappelons en effet qu’une des grandes nouveautés que le texte entend introduire est la détermination d’un âge de responsabilité pénale. 12 ans pour le rapport Varinard, 13 ans pour le projet de loi. Jusqu’alors le mineur voyait sa responsabilité pénale engagée s’il avait voulu et compris son acte pour reprendre le critère posé par la jurisprudence de la cour de cassation en 1956 dans le fameux arrêt Laboube [12]. Quel que soit l’âge retenu, les mineurs en deçà de cette tranche ne pourront donc être déclarés pénalement responsables.
43Pour autant, et curieusement, les articles 421.2 et suivant du projet reprennent les modalités de l’actuelle retenue judiciaire des mineurs de 10 à 13 ans qui sont susceptibles d’avoir commis des crimes ou délits passibles de 5 ans de prison. Ils pourront tout à la fois être irresponsables pénalement mais assujettis à des mesures coercitives au début des procédures liées à la commission d’une infraction.
44À lire le rapport Varinard l’explication de ce paradoxe serait triple « en premier lieu, la détermination de l’âge d’un mineur nécessite parfois des investigations d’ordre médical qui ne peuvent être réalisées dans un délai trop contraint. En second lieu, il convient de protéger les plus jeunes mineurs, utilisés comme coauteurs ou complices d’infractions de plus en plus graves, de l’influence et des pressions des majeurs instigateurs des faits et évidemment soucieux de protéger leur anonymat. Enfin, l’absence de possibilité d’intervention des services de police risque d’entretenir chez les mineurs les plus jeunes un sentiment d’impunité et de favoriser la banalisation du passage à l’acte » [13].
45À défaut d’être un outil d’enquête la garde à vue permettrait d’examiner, de protéger, tout en dissuadant.
« Une mécanique perverse… »
C’est une mécanique qui est perverse et qui repose sur la recherche de l’aveu, qui n’est pas une garantie de bonne justice ; quand il s’agit de la garde à vue de mineurs, c’est encore plus périlleux et encore plus contestable. En effet, il paraît qu’elle se développe dans des conditions qui paraissent, comme dans l’affaire dont on parle aujourd’hui plus que fâcheuses, parce qu’on ne voit pas la vraie raison pour laquelle l’enfant a été mis en garde à vue. C’est le début d’un processus judiciaire, pour des choses graves. Tout atteinte à la liberté individuelle doit être justifiée par la possibilité d’une condamnation pour un délit plus ou moins grave. Il y a toujours eu à toutes les époques des gens qui disent que les enfants sont de pire en pire, les jeunes sont irrespectueux, ils sont un danger. Je rappelle que l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, à la libération de Paris, est un texte magnifique qui dit « La question de l’enfance est une des plus urgentes de l’époque présente ». C’était il y a un demi siècle. Elle est toujours urgente. Aujourd’hui, on se rend bien compte que ce problème de garde à vue étendue aux enfants pose un problème très sérieux.
Q : La garde à vue, c’est un acte d’enquête judiciaire…
R. : Exactement !
Q. : Ne trouvez-vous pas que la garde à vue est en train de devenir une forme de punition policière ?
R. : Je ne sais pas s’il s’agit de punition policière. Moyen de pression, c’est ce que disent les magistrats de la cour de cassation qui se sont exprimés dans Le Mondeil y a quelques jours [1]. C’est un développement qui paraît incontrôlé, à moins, qu’au contraire, il soit dirigé ; et qui, dans un cas comme dans l’autre, est dangereux et doit être examiné froidement dans une société démocratique comme la société française. Dans mon livre, je souligne qu’il est paradoxal qu’après avoir érigé en principe constitutionnel le droit pénal spécial des mineurs, après on étende la possibilité de garde à vue dans certains cas, quelles que soient les circonstance. Qu’il soit seulement possible de mettre un enfant en garde à vue pendant quatre jours, à mon avis c’est contraire aux principes fondamentaux du droit pénal spécial des mineurs et particulièrement à celui qui a fondé l’ordonnance de 1945.
46En terme de protection on remarquera que la nouvelle écriture des conditions de retenue des mineurs de 13 ans passe à la trappe une disposition pourtant importante de l’actuel article 4 de l’ordonnance : « lorsque le mineur ou ses représentants légaux n’ont pas désigné d’avocat, le procureur de la République, le juge chargé de l’instruction ou l’officier de police judiciaire doit, dès le début de la retenue, informer par tout moyen et sans délai le bâtonnier afin qu’il commette un avocat d’office ».
47On ne sera pas plus rassuré par l’énorme erreur de renvoi du futur article 421.2 du code pénal des mineurs. Au lieu de renvoyer aux articles 211.7 à 211.10 aux termes desquels les parents sont avisés, l’examen médical est ordonné et les interrogatoires sont enregistrés, il renvoie la rétention des 10 à 13 ans aux règles des articles 211.2 à 211.5 qui portent sur les mesures d’investigation. On n’ose pas imaginer qu’il s’agisse d’autre chose que d’une erreur liée à un décalage de numérotation lors de l’élaboration du projet. Sinon les 10-13 ans seraient les seuls à n’avoir ni médecin, ni parents, ni enregistrement lors de leur garde à vue…
Notes
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[*]
Juriste et formateur.
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[2]
Conseil constitutionnel, décision n° 93-326 DC du 11 août 1993, n° 29 (loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du code de procédure pénale).
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[3]
Circulaire JUS D04-30 177 C, CRIM 04-13/G1-02-09-04, « Présentation des dispositions relatives à la criminalité organisée de la loi n° 203-2004 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité », p. 35.
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[4]
Dans un avis rendu en 2004 la Défenseure des enfants désapprouve l’allongement de la garde à vue des mineurs pouvant aller jusqu’à 96 heures et « considère que cette mesure va en sens inverse des engagements pris par la France en ratifiant la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. La privation de liberté des mineurs doit être « une mesure de dernier ressort et d’une durée aussi brève que possible » (article 37 de la Convention) ».
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[5]
Conseil constitutionnel, décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, n° 38 (loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité).
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[6]
CNDS (http://www.cnds.fr/), « La déontologie des forces de sécurité en présence des mineurs », reproduit in JDJ n° 286, juin 2009, pp. 34-41.
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[7]
http://www.cpt.coe.int/fr/. Voir not. Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), 27 septembre au 9 octobre 2006.
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[8]
Circulaire du 11 mars 2003 portant « instructions relatives à la garantie de la dignité des personnes placées en garde à vue » par le ministre de l’Intérieur, de la sécurité intérieur et des libertés locales.
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[9]
Cass. crim. 26 mars 2008, N° de pourvoi : 07-88554 ; JDJ n° 276, juin 2008, pp. 61-62.
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[10]
Voy. Projet de loi établissant le code de la justice pénale des mineurs ; supplément au JDJ n°286, juin 2009. Ce projet est en cours de remaniement à la Chancellerie et devrait être présenté à l’automne 2010.
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[11]
Voirhttp://groupeclaris.wordpress.com/2009/06/11/le-projet-de-code-de-la-justice-penale-des-mineurs-une-analyse-de-lassociation-des-magistrats-de-la-jeunesse. Égal. J. Demaldent-Rabaux et J.-L. Rongé, « La commission Varinard a rendu son rapport… » et « Les travaux de la commission Varinard. Entretien avec Cécile Marchal », et « Les 70 propositions de la commission Varinard » ; JDJ n° 281, janvier 2009, pp. 25-48.
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[12]
Cass. crim. 13 décembre 1956, Bull. crim, n° 840, Dalloz 1957, p. 349.
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[13]
Contributions des représentants de la Police Nationale et de la Gendarmerie devant la commission Varinard.