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Article de revue

Une fausse avancée

Pages 13 à 20

Notes

  • [*]
    Professeur à l’Université de Toulouse I, directrice du Centre de droit privé (EA 1920. Ce a texte a été présenté au Colloque organisé par la CADCO et la Revue d’action juridique et sociale (RAJS) le 15 septembre 2003
  • [1]
    C. pén. Art. 226-13 qui prévoit une peine d’un an d’emprisonnement et de 1500 euros d’amende. En outre le médecin encourt, en application de l’article 4 du code de déontologie médicale, une sanction disciplinaire.
  • [2]
    CASF, art. L. 224-4, 1°
  • [3]
    CASF, art. L. 222-6 : il serait facile d’assurer la gratuité de l’accouchement à partir d’autres critères, celui du consentement à l’adoption par exemple.
  • [4]
    C. civ. art. 341
  • [5]
    Par ex. l’art. 223-7 nouveau qui consacre la remise des enfants nés sous X aux organismes autorisés pour l’adoption figure de manière isolé dans un chapitre consacré aux « droits des familles dans leurs rapports avec les services de l’aide sociale à l’enfance » (chap. III du titre II).
  • [6]
    Conseil d’Etat, « Statut et protection de l’enfant », Les études du Conseil d’Etat, mai 1990 : la documentation française1991, p. 83
  • [7]
    En application de l’article 57 alinéa 2 du code civil
  • [8]
    CA Riom, 16 déc. 1997 : D. 1999, somm. 198, obs. F. Granet ; Dr famille 1998, comm. 150, note P. Murat. V. également P. Murat, note sous TGI Nancy, 16 mai 2003 : Dr de la famille 2003, comm. n° 88 : « même si, par une fiction de la loi, la femme est censée n’avoir pas accouché, l’enfant existe bel et bien… »
  • [9]
    C. Neirinck, « Comprendre le secret de la filiation », RJPF mars 2003
  • [10]
    CASF, art. L. 147-7
  • [11]
    Grenoble, 23 fév. 1993 : RTD civ. 1993, p. 809, obs. J. Hausser
  • [12]
    CASF, art. L. 147-5
  • [13]
    Décr. n° 2002-781du 3 mai 2002 relatif au conseil national pour l’accès aux origines personnelles et à l’accompagnement et l’information des femmes accouchant dans le secret pris pour l’application de la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002
  • [14]
    Décr. n° 2002-575 du 18 avr. 2002 relatif aux organismes autorisés et habilités pour l’adoption, art. 12
  • [15]
    Par ex, la CADA avait admis qu’un dossier médical d’accouchement de la mère constitue également un dossier de naissance communicable à l’enfant devenu majeur sauf si la mère en accouchant sous X a manifesté par ailleurs la volonté expresse de conserver le secret sur son identité vis à vis de l’enfant, CADA, avis 19994271, 6 janv. 2000 : JDJ n°211, janv. 2002, p. 55).
  • [16]
    TA Grenoble, 29 mars 2001, concl. Berthet-Fouqué : RTD sanit. Soc. 2001, p. 588, note F. Monéger
  • [17]
    En effet, dans ce cas, la demande de secret sur l’identité était toujours expressément formulée et inscrite dans le dossier de remise de l’enfant à l’ASE : CASF, L. 224-5, al. 3. La volonté des parents de s’opposer à la communication de cette information était donc établie.
  • [18]
    CADA, avis n° 20002354, 8 juin 2000 : JDJ n° 211, janv. 2002, p. 56 ; analysant et approuvant cette position, V. S. Grenier, Le régime de la communication des dossiers personnels des enfants remis en vue d’adoption : RD sanit soc. 2001, p. 28).
  • [19]
    Rap. V. Neiertz, AN n° 3523, 9 janv. 2002, p. 14
  • [20]
    C. civ. art. 347
  • [21]
    CASF, art. L. 223-7, confortée par le décret n° 2002-575, du 18 avril 2002 relatif aux organismes autorisés et habilités pour l’adoption38, art. 12 et le décret du 3 mai 2002
  • [22]
    Au sens juridique : les père et mère de naissance n’ont aucune existence juridique. Avant la loi du 22 janvier 2002, on les désignant comme les auteurs de l’enfant.
  • [23]
    La présence d’une personne représentant l’organisme autorisé à côté de la femme qui a demandé un accouchement secret et anonyme lors du recueil des renseignements par le représentant départemental du CNAOP ne peut que susciter des craintes à cet égard : pourquoi pas également la présence d’un représentant de l’ASE ? : Décr. 18 avr. 2002, art. 12, 4°, al.2.
  • [24]
    Cf supra note 13
  • [25]
    C. civ. art. 433
  • [26]
    Par ex., dans un cas où l’agrément est indispensable : Dijon, 8 sept. 1998 : Juris-Data n° 1998-044809 ; V. Jurisclasseur Droit de l’enfant, C. Neirinck, V° Filiation adoptive – adoption plénière conditions préalables à l’adoption – fasc. 440, n° 26
  • [27]
    Décr. 18 avr. 2002, art. 3.
  • [28]
    A. Moreno, “Suite inachevée de la réforme de l’adoption : le décret du 18 avril 2002” : JCP 2002, act. 269
  • [29]
    C’est cette préoccupation est qui est l’origine des articles 341 et 341-1 du code civil : l’accouchement sous X a permis en effet d’éviter les conséquences de l’article 311-14 aux termes duquel l’enfant né d’une femme étrangère dont la loi prohibe l’adoption, ne peut être adoptable. Cette situation a été réglée la loi du 6 février 2001, dans l’article 370-3 al. 2 C. civ.
  • [30]
    C. Neirinck, “L’accouchement sous X : le fait et le droit” : JCP 1996, I, 3922
  • [31]
    C. civ. art. 352
  • [32]
    TGI Nancy, 16 mai 2003 : Juris-Data n° 212727 ; Droit famille, 2003, comm. n° 88, obs. P. Murat
  • [33]
    Décr. n° 2003-671 du 21 juillet 2003 relatif aux conditions de traitement et de conservation par le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles des informations et des renseignements nécessaires à l’accès aux origines personnelles, art. 1
  • [34]
    CASF, art. L. 147-5, al. 2 et 3
  • [35]
    Décr. du 3 mai 2002, art. 16
  • [36]
    CASF, art. L. 147-6, al.1
  • [37]
    CASF, art. L. 147-2, 3° : la déclaration d’identité des ascendants, descendants et collatéraux privilégiés peut être faite en dehors de cette hypothèse, à la condition que les intéressés aient eu connaissance de la naissance secrète … mais peut-on alors considérer que la naissance est secrète ?
  • [38]
    Sur cette affaire, et la législation applicable dans cette hypothèse, cf. O. Roy, Le droit de connaître ses origines et la CEDH : l’affaire Odièvre c/France, Petites Affiches 2002, n° 198 p. 6, et les nombreuses références citées.

1Le refus de la maternité, le désir d’accoucher de manière discrète et le consentement à l’adoption d’un nouveau-né sont aujourd’hui fréquemment associés, amalgamés et confondus avec l’accouchement secret et anonyme, qualifié « d’accouchement sous X ». Nombreuses sont les femmes qui demandent à en bénéficier, non pas pour effacer à jamais leur identité mais parce qu’elles sont convaincues qu’elles ne peuvent faire autrement puisqu’elles ne veulent pas assumer leur maternité. En réalité il n’en est rien et cet amalgame doit être dénoncé : le refus de la maternité et son caractère confidentiel n’imposent pas d’y avoir recours.

2Prenons l’exemple d’une femme, appelée Eve par commodité, qui accepte d’accoucher sous son nom mais qui ne peut assumer cette maternité. Qui va savoir que Eve a accouché ? Personne ! L’accouchement est en effet un acte médical couvert par le secret médical [1], lequel s’impose aux médecins et à l’équipe médicale comme un devoir de leur profession, devoir dont le non respect est sanctionné par la loi pénale et par le code de déontologie. En outre grossesse et accouchement sont des éléments qui touchent à la vie privée, protégés en tant que tels par l’article 9 du code civil : leur divulgation fautive expose son auteur au paiement de dommages et intérêts. Le seul fait d’accoucher ne suffit pas en droit français – à la différence du droit allemand qui sera exposé cet après-midi- pour désigner la mère. Si Eve ne reconnaît pas son enfant, elle n’en devient pas la mère. Enfant dont la filiation n’est pas établi, celui-ci est obligatoirement admis comme pupille de l’État [2], adoptable en cette qualité. C’est donc le conseil de famille des pupilles de l’État qui consent à son adoption et non pas Eve. Adopté dans la forme plénière, l’enfant d’Eve n’a comme nom de famille que celui des adoptants et tous les documents d’état civil le concernant sont établis à partir de la transcription du jugement d’adoption : les parents adoptifs y figurent à la place de ses auteurs. Ce n’est que si, plus tard, l’enfant d’Eve cherche ses origines et accède au dossier de l’ASE qu’il y découvrira - sans avoir besoin du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles puisque aucun secret n’a été demandé - l’identité non cachée de celle qui l’a mis au monde. L’histoire imaginaire de l’enfant d’Eve nous révèle que contrairement à ce qui est sans cesse affirmé, non seulement l’accouchement secret n’est pas nécessaire en droit français pour refuser la maternité mais encore qu’il est inutile pour protéger la vie privée et la santé de celle qui accouche.

3L’accouchement anonyme et secret n’est utile que sur deux points. D’une part il est gratuit, les frais qu’il génère étant pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance du département du siège de l’établissement où il a eu lieu [3]. D’autre part le législateur y a joint l’interdiction d’établir judiciairement la maternité naturelle [4]. Or la possibilité de faire désigner sa mère en justice est de toute façon refusée à l’enfant qui a bénéficié d’une adoption et qui ne peut prétendre à une autre filiation. La recherche en maternité naturelle représente donc un risque statistiquement exceptionnel.

4Il faut donc partir de ce constat : la question de l’accès aux origines n’est posée qu’en raison de la possibilité reconnue par la loi aux auteurs d’un enfant d’effacer totalement leur identité. Le secret des origines, inutile pour refuser la maternité, est incontestablement voulu par le législateur car sa raison d’être n’est pas évidente. La loi du 22 janvier 2002 non seulement ne le supprime pas mais au contraire contribue à son organisation. La création du CNAOP, avancée majeure de la loi étudiée, implique en elle-même la conservation du secret de la naissance dont il devient le garant. La logique de la loi est donc complexe et il est difficile de répondre simplement à la question posée : « la loi du 22 janvier 2002 constitue-t-elle une avancée dans le droit aux origines ? ». Si certaines dispositions semblent favorables à l’accès aux origines, d’autres, au contraire, organisent le secret et le confortent. La loi est traversée par des logiques opposées, d’autant moins perceptibles que ses différents articles sont éparpillés au sein du code de la famille et de l’action sociale, parfois dans des rubriques où on n’irait pas les lire [5]. Si on veut mesurer l’avancée, il faut certes additionner toutes les mesures favorables à l’accès aux origines mais il faut aussi décompter les reculs, c’est à dire les dispositions qui s’opposent à l’accès aux origines.

5Finalement, je ne suis pas convaincue que le bilan soit positif. Il ne s’agit pas de nier l’intérêt de la création du CNAOP et le travail qu’il va réaliser. La création de cet intermédiaire était de longue date suggérée [6]. Mais le Conseil n’est qu’un intermédiaire entre l’enfant et la femme qui lui a donné secrètement la vie. Or la loi étudiée dessine une tragédie en deux actes d’inégale importance qui se situent à des moments différents. La question posée semble ne concerner que l’acte II qui correspond à la quête des origines par celui qui a été abandonné plusieurs années auparavant. Néanmoins l’acte I, décisif, doit également être exposé. Il correspond à la naissance, à la mise en place du secret comme droit discrétionnaire de la femme qui accouche : en apparence il est indifférent à la question posée mais c’est cependant là que tout se noue. À la fin de l’acte II, à la tombée du rideau, souffrance et déception seront souvent conviées : l’accès aux origines demeure une possibilité reconnue sous condition.

Acte I – La création du secret : un droit discrétionnaire

6La création du secret a lieu à la naissance : toute femme qui accouche a le droit discrétionnaire de demander un accouchement secret et anonyme (A). Mais elle ne tire aucun profit de ce droit discrétionnaire et il faut se demander si celui-ci ne masque pas une autre réalité : la création d’un enfant adoptable (B).

A – L’accouchement anonyme et secret, droit de la femme

7De manière surprenante, car contraire à l’objectif que propose son titre, la loi du 22 janvier 2002 a supprimée la faculté antérieurement reconnue aux parents-au sens juridique du terme-de demander le secret sur leur identité en remettant un enfant de moins d’un an au service de l’aide sociale à l’enfance, organisée par l’article 224-5 du code de l’action sociale et des familles. Cette faculté était totalement ignorée du public comme des professionnels, ce qui explique qu’elle était très peu utilisée. La demande de secret sur l’identité des parents entraînait l’annulation de l’acte de naissance sur lequel figurait cette identité et l’établissement par l’officier d’état civil d’un acte d’état civil provisoire tenant lieu d’acte de naissance [7]. Or si un acte d’état civil annulé n’est plus utilisable pour l’établissement de copies ou d’extraits, il est toujours conservé. Ainsi, si la possibilité reconnue aux père et mère de demander le secret sur leur identité lors du consentement à l’adoption donné à l’ASE avait été maintenue, l’anonymat des parents aurait été assuré tout en garantissant dans tous les cas au Conseil national d’accès aux origines personnelles l’existence d’informations portant sur la filiation, établies et conservées sous la responsabilité de l’État. En outre, cette possibilité permettait au père de faire valoir ultérieurement ses droits, lorsqu’à la naissance la mère seule avait reconnu l’enfant et consenti à son adoption.

8Ce n’est cependant pas cette technique qui a été conservée mais celle de l’accouchement anonyme et secret, organisé par la loi du 8 janvier 1993, dans les articles 341 et 341-1 du code civil. L’accouchement anonyme et secret constitue un droit totalement discrétionnaire. Il suffit que la parturiente le demande avant d’accoucher. Tout se passe alors comme si la femme concernée n’avait jamais accouché [8]. Certains juristes voient dans la démarche légale une fiction, c’est à dire un procédé qui consiste à traiter les situations autrement qu’elles sont réellement : par exemple le jugement d’adoption crée une filiation fictive, permettant de traiter l’adopté comme l’enfant des adoptants alors même qu’on sait qu’il ne l’est pas par le sang. Mais, alors que la fiction est toujours utilisée pour modifier le statut juridique normalement applicable – c’est même ce qui justifie le recours volontaire et conscient à cette contre vérité -, l’accouchement sous X ne change pas le statut de l’enfant. Dans tous les cas, qu’il soit né d’une mère inconnue ou d’une femme identifiée qui ne l’a pas reconnu, il est sans filiation établie. L’accouchement sous X ne fonctionne donc pas comme une fiction puisqu’il n’a pas d’incidence directe sur le statut, puisqu’il ne modifie pas le régime juridique applicable. L’accouchement sous X n’est pas une fiction juridique. Il représente un exercice législatif inédit, qui n’a pas d’autre application à ma connaissance, par lequel la loi nie l’existence d’un fait. Comment le législateur peut-il nier ce qui est ? Surtout pourquoi le fait-il car en dépit de l’occultation voulue, l’accouchement est une réalité !

9L’article 222-6 du code de l’action sociale et des familles organise la collecte des informations à l’occasion de l’accouchement secret. Il convient d’observer que le législateur a privilégié les données de fait, concernant des « père et mère de naissance ». Juridiquement ce vocabulaire mièvre, qui s’applique aux géniteurs, est tout à fait contestable : celle qui accouche secrètement n’est pas la mère. En droit français l’accouchement ne suffit pas à établir la maternité et doit toujours être complété par une manifestation de volonté : mariage, reconnaissance ou possession d’état donnée à l’enfant [9]. Pour la femme, le vocabulaire employé, même s’il est équivoque au regard du droit, ne gêne pas car il y a toujours un accouchement, qui, même nié, demeure l’élément essentiel de la maternité. Pour le « père de naissance » il en va autrement car rien ne garantit l’exclusivité dans les relations sexuelles de la femme qui accouche et selon la vieille maxime latine, que conforte nos modernes analyses génétiques, « pater semper incertus est ». En outre les informations sont recueillies sans aucun contrôle. La loi précise « qu’aucune pièce d’identité n’est exigée et il n’est procédé à aucune enquête ». Elle indique également que « l’accès d’une personne à ses origines … ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit » [10]. Cela signifie entre autre qu’il est exclu de demander un contrôle génétique pour vérifier les informations communiquées. Celle qui accouche secrètement peut donner une fausse identité, ce qui n’est pas une hypothèse d’école [11]. Elle peut également taire sa propre identité. Elle peut donner celle de l’homme qu’elle estime être le« père de naissance », sans que ce dernier en soit informé le moins du monde et sans donner la sienne [12].

10En application de l’article L. 223-7 du code de l’action sociale et des familles complété par l’article 23 du décret d’application du 3 mai 2002 [13], un correspondant départemental du CNAOP, désigné par le président du conseil général au sein de ses services, doit se rendre auprès de la mère de naissance lors de son séjour à la maternité pour lui délivrer l’information prévue par l’article 222-6 et recueillir des informations si elle accepte d’en donner.

  • En premier lieu la mère de naissance peut se taire. Il est évident que pour celles qui, à ce moment là, sont animées par la préoccupation principale, impérieuse, de ne pas être identifiées, ne rien dire doit être perçu comme la solution la plus sûre, notamment parce qu’elle met à l’abri de tous les changements de loi.
  • Ensuite la loi propose à celle qui vient d’accoucher de laisser des renseignements sur sa santé et celle du père de naissance, sur les origines de l’enfant c’est à dire ses origines géographiques et ethniques, et sur les circonstances de sa naissance : il s’agit de la consécration des renseignements non identifiant que la pratique a imaginés dans le passé pour masquer le vide de la naissance sous X. C’est mieux que rien, mais on est loin des origines.
  • Enfin, la mère de naissance peut choisir de laisser sous pli fermé son identité et y désigner, de manière nominative celui qu’elle considère comme étant le père de naissance
Le représentant départemental du CNAOP établit un document en double exemplaire sur lequel il atteste que les informations ont été données, que la mère a accepté de donner des renseignements et éventuellement qu’elle a laissé un pli fermé. Il y mentionne le cas échéant les objets laissés par la mère de naissance. Un exemplaire est versé au dossier de l’enfant, annexé au procès verbal d’admission de l’enfant comme pupille, ou au document établi par l’organisme autorisé lors du recueil de l’enfant [14]. L’autre exemplaire est remis à la mère de naissance.

11Le système mis en place garantit parfaitement le secret. La loi du 22 janvier 2002, et plus encore l’article 23 du décret d’application du 3 mai 2002, mettent fin à la jurisprudence de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) en vertu de laquelle le doute sur la portée du secret demandé par la mère devait bénéficier à l’enfant abandonné.

12La CADA avait admis en matière d’accouchement secret que l’article 6 la loi du 17 juillet 1978 - qui permet à l’administration de refuser à un administré l’accès à un document le concernant si cette communication porte atteinte à des secrets protégés par la loi - est inapplicable quant un doute affecte la portée du secret demandé. Le refus de l’administration de communiquer toutes les informations contenues dans un dossier détenu par un service d’ASE n’était donc justifié que s’il était établi sans équivoque que la mère avait expressément demandé un secret absolu sur ces informations [15]. La position de la CADA avait été suivie par la jurisprudence [16]. L’analyse faite par la CADA et la jurisprudence privilégiait la demande de secret sur l’identité organisé par l’article L. 224-5 du code de l’action sociale, possibilité que la loi du 22 janvier 2002 a supprimé [17]. Au contraire, un doute planait toujours sur la portée du secret voulu par celle qui avait demandé un accouchement secret et anonyme : le secret demandé portait-il sur l’accouchement où sur l’état civil ? Pour la CADA, « le seul fait que la mère ait accouché sous X ne saurait suffire à établir qu’elle a usé de la possibilité de demander, par rapport à son enfant, le secret de l’état civil » [18] Bien que les travaux parlementaires affirment s’inspirer du travail de la CADA [19], cette jurisprudence favorable à l’accès aux origines a été frappée d’obsolescence par la loi du 22 janvier 2002. La difficulté d’établir la portée du secret demandé dans le cadre d’un accouchement anonyme est surmontée grâce au document rédigé en double exemplaire par le correspondant départemental du CNAOP. Il y atteste que la mère de naissance a expressément demandé le secret sur son identité. Grâce à cette attestation, il n’y a plus aucun doute sur la portée du secret : l’accouchement anonyme sort renforcé d’une loi dont le titre promet l’accès aux origines

B – L’accouchement anonyme et secret, création d’enfant adoptable ?

13L’accouchement secret est perçu comme l’antichambre de l’adoption. Né sans mère, l’enfant a en effet vocation à trouver place dans une famille adoptive. Mais l’accouchement sous X donne lieu à des dérapages qui imposent de se poser la question : l’accouchement anonyme et secret n’a –t-il pas pour seul intérêt d’accroître le nombre des enfants adoptables ? L’étude du statut de l’enfant né sous X et la situation du père qui l’a reconnu conforte cette impression.

14En ce qui concerne l’enfant né sous X, bien que cette question soit en apparence étrangère à son objet, la loi du 22 janvier 2002 a changé son statut. Jusqu’alors, il relevait automatiquement de l’article L. 224-4, 1°, du code de l’action sociale et des familles au termes duquel sont admis en qualité de pupilles de l’État les enfants dont la filiation n’est pas établie ou est inconnue. En effet, enfants sans parents, ceux-ci ne peuvent pas bénéficier d’un consentement qui les rendraient adoptables. Pour compenser, l’article L. 224-4, 1°, du code de l’action sociale leur confère la qualité de pupilles de l’État, constatée par un arrêté du président du conseil général. Cette qualité les rend adoptables. La protection sociale coïncide parfaitement avec la règle civile [20] qui définit les enfants adoptables en opposant ceux qui ont des parents qui consentent à leur adoption ou qui sont privé de cette prérogative par une déclaration judiciaire d’abandon aux enfants qui, sans parent, ne peuvent devenir adoptables qu’en qualité de pupilles de l’État.

15Cette logique a été abolie par la loi du 22 janvier 2002 [21]. Les enfants trouvés comme les enfants qui ne sont pas reconnus, c’est à dire les enfants dont la filiation pourrait éventuellement être établie en justice, ne sont nullement concernés et continuent de bénéficier du statut exclusif de pupilles de l’État. Au contraire, les enfants nés d’un accouchement secret peuvent désormais être remis à un organisme autorisé pour l’adoption, personne morale de droit privé qui a obtenu une autorisation pour servir d’intermédiaire dans l’adoption interne. Dans ce cas, ils relèvent d’un autre statut moins protecteur qui suscite deux réserves.

16La première réserve porte sur l’adoptabilité de l’enfant né sous X confié à un organisme autorisé pour l’adoption. Le législateur de 2002 a en effet oublié de préciser comment il devient adoptable. En effet ce n’est pas l’accouchement secret - simple fait - qui procure ce statut mais, selon l’article 347 du code civil, le consentement des père et mère [22], le jugement qui les prive de cette prérogative ou la qualité de pupille de l’État. Admettre que l’accouchement secret suffit à rendre adoptable impliquerait d’accorder à ce fait une dimension différente selon la nature publique ou privée de l’organisme qui recueille le nouveau-né, ce qui-juridiquement et intellectuellement- est inacceptable. Il faudrait également savoir qui est habilité à choisir entre la remise de l’enfant au service de l’aide sociale à l’enfance ou à un organisme autorisé pour l’adoption. Un choix si important ne peut être confié à la mère de naissance car la négation de son accouchement la prive de tout droit à l’égard de l’enfant. Il est également impossible de savoir si ce choix est subordonné à des critères, s’il est discrétionnaire et s’il peut faire l’objet de recours [23].

17La seconde réserve est liée à l’incertitude qui plane sur la situation juridique de l’enfant né sous X confié à un organisme autorisé. Normalement, comme tout enfant sans famille, il doit bénéficier d’une tutelle de droit civil. Cependant l’exigence de l’ouverture d’une tutelle a été supprimée –au motif qu’elle allait de soi- dans le décret du 18 avril 2002 [24] qui modernise les organismes autorisés pour l’adoption. Cette suppression est des plus regrettables car il est impossible de déterminer la forme que doit prendre la tutelle dans ce cas. Si on s’en réfère au code civil, l’enfant qui ne peut bénéficier d’une tutelle familiale doit bénéficier d’une tutelle d’État. Or celle-ci implique que l’enfant soit obligatoirement confié à l’aide sociale à l’enfance [25]. La suppression de l’exigence de l’ouverture d’une tutelle, alors que seule une tutelle d’état est légalement concevable mais en fait irréalisable, conduit à admettre qu’aucune tutelle n’est mise en place lorsqu’un enfant né sous X est confié à un organisme autorisé pour l’adoption. Il ne faut pourtant pas oublier le rôle essentiel de la tutelle qui permet d’assurer la protection et l’exercice des droits des enfants privés de parents. En particulier c’est le conseil de famille, organe de décision de la tutelle, qui, en principe, donne son consentement à l’adoption en faveur de tel ou tel adoptant. Comme l’ASE, l’organisme autorisé n’exerce pas les droits d’autorité parentale dans l’attente d’une adoption. Il a uniquement pour rôle de choisir et de proposer au conseil de famille, parmi les candidats à l’adoption, celui en faveur duquel le consentement doit être donné.

18Enfin, l’agrément n’est imposé par aucun texte spécifique lorsqu’il s’agit d’adopter un enfant né d’un accouchement secret confié à un organisme autorisé pour l’adoption. La question de l’agrément est posée à titre principal au moment où l’enfant est confié aux futurs adoptants. Selon l’article L. 225-2 du code de l’action sociale et des familles, un enfant pupille de l’État ne peut être accueilli en vue de son adoption que par une personne titulaire d’un agrément. L’article L. 225-15 du même code pose la même exigence pour l’accueil en vue de l’adoption d’un enfant étranger : il implique que les organismes autorisés qui interviennent comme intermédiaires dans l’adoption internationale ne confient un enfant étranger qu’à des personnes titulaires d’un agrément. L’enfant né sous X confié à un organisme autorisé pour l’adoption, ni pupille de l’État ni étranger, peut donc être confié - sans que l’organisme autorisé n’engage sa responsabilité - à un adoptant non titulaire d’un agrément. Ultérieurement, après six mois au moins d’accueil au foyer de l’adoptant, le tribunal de grande instance peut être saisi de la requête en adoption. Il doit alors en application de l’alinéa 1 de l’article 353-1 du code civil vérifier que « dans le cas de l’adoption d’un pupille de l’État, d’un enfant remis à un organisme autorisé pour l’adoption ou d’un enfant étranger qui n’est pas l’enfant du conjoint de l’adoptant, le ou les requérants ont obtenu l’agrément pour adopter ou en étaient dispensés ». Ce texte, dont la rédaction est pour le moins ambiguë, impose uniquement au tribunal de grande instance de vérifier que, lorsque l’agrément est obligatoire –c’est à dire lorsqu’on est dans le cadre des articles L. 225-2 et L. 225-15 du code de l’action sociale –, le demandeur l’a obtenu ou en était dispensé, ce qui est le cas des familles d’accueil par exemple. Il convient de souligner qu’en outre, l’alinéa 2 du même texte précise qu’à défaut d’agrément, le tribunal de grande instance « peut prononcer l’adoption s’il estime que les requérants sont aptes à accueillir l’enfant et que celle-ci est conforme à son intérêt ». En général l’adoption est toujours prononcée en dépit du défaut d’agrément parce que le tribunal respecte la stabilité de l’enfant qu’il jugée conforme à son intérêt [26].

Le Colloque 2003 de la Cadco

Accès aux origines personnelles
Les actes[1] du colloque organisé par la CADCO[2] le 15 septembre 2003 sur la loi relative à l’accès aux origines personnelles sont disponibles.
La CADCO qui s’est réjouie de la publication d’un bilan de de la première année de fonctionnement du CNAOP, relève toutefois la faiblesse des résultats : trente dossiers résolus sur 609 demandes et seulement neuf rencontres organisées, soit bien moins que ce que font, sans moyen, des associations. Marie Christine Le Boursicot, secrétaire générale du CNAOP, l’explique par la mise en place tardive des moyens.
Mettant en évidence les reculs (secrets, déssaisissement de fait de la CADA…), Claire Neirinck, professeur de droit à Toulouse se demande toutefois si cette loi n’avait pas pour effet (ou objectifs ?) de verrouiller plus le secret tandis que Françoise Dekeuwer-Defossez, doyen de la Faculté de droit de Lille suggère que le CNAOP était peut-être « la sauce qui fait passer le poisson » : le poisson du secret est immangeable sans la sauce du CNAOP. Autrement dit, cette loi a pour effet de conforter le secret.
C’est d’ailleurs, selon Odile Roy, maître de conférence Paris X-Nanterre, un argument invoqué par la CEDH pour rejeter le recours Odièvre, comme si, avec cette loi, « La France s’était racheté une conduite ». Or les pratiques des pays étrangers présentées par le Pr. Franck (Allemagne), le Pr. Rivero (Espagne), et le Pr. Sosson (Belgique) ont pourtant montré l’étrangeté et la nocivité du secret de la filiation à la française, voire son incompatibilité avec la Convention de La Haye (la France n’applique pas ce qu’on exige des pays en voie de développement) : le recueil et la vérification de la volonté des parents pour l’adoption de leur enfant.
La position ambiguë de la Cour Européenne est analysée par Odile Roy.
Nadine Lefaucheur, sociologue (CNRS) et Corinne DAUBIGNY (psychanalyste) ont mis en perspective les motifs historiques et politiques des évolutions françaises.

19Il est donc incontestable que le statut actuel de l’enfant né d’un accouchement secret remis à un organisme autorisé pour l’adoption est profondément critiquable car son adoptabilité est douteuse et sa protection totalement insuffisante. Or, contrairement à l’adoption d’un pupille de l’État dans laquelle n’intervient aucun versement d’argent, l’adoption d’un enfant confié à un organisme autorisé implique le remboursement des frais engagés [27] et obéit toujours à une logique de profit [28]. Ce nouveau statut de l’enfant né sous X, aussi imprécis que peu opportun, donne un éclairage particulier au recours à l’accouchement secret. L’enfant, comme celle qui lui a donné la vie, ne tire aucun avantage de sa naissance secrète mais il en sort, en quelque sorte, « taillé » pour l’adoption, nouveau-né sans passé, sans famille. Il est tellement « adapté » à l’adoption, que le législateur a, dans la loi du 22 janvier 2002, oublié de préciser comment il devenait adoptable. Le fait qu’il puisse être confié aux organismes autorisés pour l’adoption révèle le souci du législateur d’en augmenter peut-être le nombre [29], essentiellement d’offrir plus largement aux adoptants ces enfants très convoités

20Quant au « père de naissance » qui veut établir sa paternité, de douloureux procès ont révélé au public les difficultés prévisibles [30] et souvent insurmontables [31] d’une telle démarche. La reconnaissance prénatale paternelle d’un enfant qui va naître d’un accouchement secret est tout à fait valable et ne diffère en rien d’une autre reconnaissance. Le problème ne porte pas sur sa validité mais sur son efficacité. En effet il faut identifier l’enfant reconnu, il faut également assurer la publicité de la filiation ainsi établie pour l’imposer à tous. Celle-ci est assurée par l’inscription de la reconnaissance en marge de l’acte de naissance de l’intéressé. Or, l’identification et la publicité sont rendues pratiquement impossibles en raison du fait que d’un côté, dans la reconnaissance, l’identification du nouveau né passe généralement par l’identité de sa mère, en raison de l’accouchement secret, celle-ci n’a pas accouché et ces références doivent être supprimées. De l’autre côté, il y a un acte de naissance d’enfant né de mère inconnue : comment savoir que cet acte de naissance est celui de l’enfant qui a bénéficié d’une reconnaissance si peu identifiante ?

21Le législateur a ajouté en 2002 un article 62-1 au code civil aux termes duquel : « si la transcription de la reconnaissance paternelle s’avère impossible du fait du secret de son identité opposé par la mère, le père peut en informer le procureur de la République. Celui-ci procède à la recherche des dates et lieu d’établissement de l’acte de naissance de l’enfant ». Mais le progrès que réalise ce texte est loin d’être suffisant car l’article 352 du code civil relatif au placement en vue de l’adoption n’a pas été modifié. Deux mois à compter de son recueil, l’enfant peut être placé en vue de l’adoption auprès des futurs adoptants et le placement fait obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine [32]. Ce délai, trop court, ne permet pas au père de faire valoir utilement ses droits avant le placement. Pour autant, l’article 352 du code civil lui est-il opposable ?

22Dans le litige soumis au tribunal de grande instance de Nancy qui a opposé le père naturel de Benjamin, né sous X le 14 mai 2000, au couple auprès duquel il a été placé en vue de son adoption le 28 septembre 2000, la reconnaissance prénatale paternelle du 13 mars 2000 était ignoré à la date du placement en dépit des nombreuses et énergiques démarches du père [33]. La juridiction saisie a cependant donné satisfaction à ce dernier en ordonnant que Benjamin lui remis et en rejetant la requête en adoption. Pour cela le tribunal s’est fondé sur « l’esprit de l’institution de l’adoption et du service public de l’ASE qui est de permettre le remplacement de la famille d’origine déficiente afin de donner à l’enfant un cadre familial choisi et créé par une fiction juridique ». On ne peut qu’approuver la décision rendue : dès lors qu’il était établi sans contestation possible que la reconnaissance valable concernait bien Benjamin, celui-ci n’a jamais été adoptable. Il a depuis sa naissance un père qui veut l’élever et l’aimer : sa famille d’origine n’est pas déficiente.

23Si l’article 352 du code civil indique que « le placement fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance », il ne peut s’agir que de l’établissement d’une filiation postérieure au placement. Si ce texte interdit la restitution de l’enfant à sa famille, c’est en raison du consentement à l’adoption que celle-ci a donné antérieurement. Or le père de Benjamin n’a jamais consenti à l’adoption. Juridiquement il serait inadmissible que les lenteurs administratives de la transcription de la reconnaissance en marge de l’acte de naissance de l’enfant –simple formalité de publicité qui échappe à la volonté de l’intéressé – ait la même efficacité qu’un consentement à l’adoption et prive un père de droits valablement établis. Il n’en demeure pas moins que cette affaire douloureuse pose avec acuité la question de la sécurité des adoptants.

24Peut-on rappeler que l’affaire Novack posait déjà un problème identique, celui de laisser ses chances à la famille d’origine tout en garantissant les droits des futurs adoptants ? Incontestablement il aurait fallu que le législateur en 2002 aille plus loin et prévoit, comme le fait l’article L. 224-4, 3° du code de l’action sociale et des familles directement imaginé après l’affaire Novack, un délai de placement en vue de l’adoption reporté dans le temps pour permettre la transcription de la reconnaissance paternelle. Surtout l’article L. 224-4, 3° prévoit que lorsque l’enfant a été reconnu par ses deux parents mais qu’un seul l’a remis à l’ASE, l’enfant ne devient pupille de l’État -c’est à dire adoptable- qu’à l’issue d’un délai de six mois au cours duquel « le service s’emploie à connaître les intentions de l’autre parent ». Il faudrait de la même manière admettre que le placement en vue de l’adoption de l’enfant né sous X est retardé afin de permettre au procureur de la République de vérifier l’existence d’une éventuelle reconnaissance paternelle et les intentions de ce père. Cette sécurité impliquerait que tous les enfants nés sous X (car on ne peut à l’avance savoir lesquels ont fait l’objet d’une reconnaissance paternelle) ne deviennent adoptables qu’à l’âge de six mois au moins … ce qui ne correspond pas du tout à la démarche législative qui tend au contraire à assimiler les enfant nés sous X à des enfants immédiatement adoptables.

Acte II – L’acces aux origines : une possibilite sous condition potestative

25Il ressort de ce qui vient d’être rappelé que lorsque l’enfant abandonné va chercher ses origines, dans de nombreux cas, il va se heurter à un vide organisé depuis sa naissance. Lorsque ce n’est pas le cas, c’est à dire lorsque l’identité des parents de naissance figure dans son dossier, le législateur a privilégié la volonté de ces derniers qui peuvent toujours s’opposer à la communication de leur identité. C’est alors qu’entre en scène le CNAOP. Il est donc logique de distinguer les hypothèses où le Conseil ne joue aucun rôle (A) de celles où son intervention s’impose (B).

A – La non intervention du Conseil national d’accès aux origines personnelles

26L’accès aux origines ne passe pas par l’intermédiaire du CNACP dans les cas extrêmes, c’est à dire :

  • soit quant il n’y a aucun accès aux origines possible parce que le dossier est vide ou ne comporte aucune information permettant d’identifier les parents de naissance,
  • soit quant le dossier contient toutes les informations utiles pour les connaître et qu’aucun secret n’ a été demandé ou que, demandé initialement, il a été ultérieurement expressément levé.
S’il n’existe que des renseignements, ceux-ci ne permettant aucune identification, le CNAOP n’est pas saisi. L’existence d’un pli fermé coexistant avec des renseignements ne confère aucune exclusivité au CNAOP pour l’accès à ces derniers. La loi du 22 janvier 2002 n’écarte pas en ce qui concerne les renseignements l’application de celle du 17 juillet 1978 sur le libre accès aux documents administratifs. L’intéressé, c’est à dire l’enfant, peut toujours s’adresser directement au service de l’aide sociale à l’enfance ou aux organismes autorisés pour l’adoption qui les détiennent. Dans ce cas, il bénéficie d’un accès direct à son dossier et d’un accompagnement psychologique mis en place sous la responsabilité du président du conseil général.

27On doit donc observer que pour une grande partie des dossiers, la création du CNAOP ne change rien.

B – L’intervention du Conseil national d’accès aux origines personnelles

28L’intervention du Conseil implique que le secret de l’accouchement a été initialement demandé et que l’identité des auteurs de l’enfant est conservée. Le décret du 3 mai 2002 précise dans son article 14 que le président du conseil général transmet au CNAOP dans le mois de leur réception, les demandes d’accès aux origines dont il est saisi :

  • lorsque le dossier révèle une demande expresse de secret sans que celui-ci soit levé ;
  • lorsque son examen ne permet pas d’établir de manière certaine la volonté de secret du ou des parents de naissance ;
  • lorsqu’il résulte du dossier que le ou les parents de naissance sont décédés sans avoir procédé à la levée du secret.
Une fois saisi, le Conseil a accès à toutes les informations existantes sur ceux qui ont demandé le secret et qui sont couvert par lui. En particulier le pli fermé, conservé sous la responsabilité du président du conseil général lui est adressé par porteur contre récépissé ou par pli recommandé avec demande d’avis de réception [34]. La loi l’autorise à interroger tout détenteur de renseignements portant ou non sur l’identité des auteurs : les services des conseils généraux, les organismes autorisés pour l’adoption et l’autorité centrale pour l’adoption [35]. Sont également visés les établissements de santé. Le procureur de la République doit communiquer au conseil, sur sa demande, les éléments figurant dans les actes de naissance annulés lors de la transcription du jugement d’adoption. Les différentes administrations et organismes de sécurité sociale sont également tenus de lui communiquer les renseignements dont ils disposent permettant de déterminer les adresses de la mère et du père de naissance. On constate qu’aucun secret n’est opposable au Conseil, à condition que l’identité des parents de naissance soit connue bien que secrète. La loi est d’application immédiate et ne procède à aucune distinction entre les différentes modalités d’abandon qui ont varié selon les époques.

29Mais ce n’est pas parce qu’il a réuni toutes ces informations sur les auteurs de celui qui l’a saisi que le CNAOP les lui communique. Les informations sur l’identité ne sont transmises que sous la condition de l’accord exprès du parent de naissance identifié. Le conseil mandate donc auprès de ce dernier, dans des conditions qui respecte sa vie privée, un correspondant départemental ou une personne recrutée à cette fin par le ministère chargé de la famille [36], chargé d’obtenir son consentement à la levée du secret ou de vérifier son refus. L’accès aux origines demeure donc subordonné à l’appréciation discrétionnaire du parent de naissance, même si un pli fermé a été remis lors de l’accouchement secret. En cas de refus, des tiers continuent, comme par le passé, à détenir des informations auxquelles le principal intéressé se voit définitivement barrer l’accès.

30Toutefois le législateur a retenu le principe d’une acceptation tacite de la communication de l’identité des père et mère de naissance. Celle-ci est déduite de l’absence d’opposition expresse. Le comportement passif des parents de naissance autorise dans deux hypothèses la révélation de leur identité connue :

  • d’une part, lorsque le conseil vérifie la volonté de l’auteur de l’enfant et que celui-ci ne lui oppose pas un refus exprès quant au principe de la communication de son identité [37] ;
  • d’autre part lorsque l’auteur est décédé sans avoir exprimé de volonté contraire à l’occasion d’une demande d’accès à la connaissance des ses origines de l’enfant. Dans cette hypothèse, le conseil prévient la famille de cet auteur décédé et lui propose un accompagnement. En outre, si les ascendants, descendants et collatéraux privilégiés en sont d’accord, leur identité est alors communiquée à l’enfant [38].
Le législateur a donc choisi d’assimiler la mort des auteurs anonymes de l’enfant à une acceptation tacite de révélation de leur identité à condition qu’ils ne s’y soient pas opposés expressément de leur vivant. Cela signifie que si à l’occasion d’une démarche de l’enfant, ses auteurs refusent la communication de leur identité, la personne mandatée par le conseil est invitée par les textes à leur faire préciser si ce refus concerne également la communication post-mortem. Dans ce cas, le secret est à jamais scellé, même si l’information sur l’identité a été conservée. Si en revanche, ils n’ont pas donné cette dernière précision ou si, de leur vivant, ils n’ont pas été interrogés, le doute va lui profiter.

31Cette disposition peut être présentée comme la seule mesure tout à la fois favorable à l’enfant et justifiant la création du CNAOP. Néanmoins, deux observations peuvent contredire cette impression. D’une part la loi du 22 janvier 2002 est d’application immédiate et ne procède à aucune distinction entre les différentes modalités d’abandon, variables et plus où moins institutionnalisées selon les époques. Elle peut faire figure de piège pour ceux qui ont cru dans la protection absolue d’un secret que la loi passée garantissait, en particulier lorsque les parents avaient demandés le secret sur leur identité. Dès lors l’anonymat peut être perçu comme la seule sécurité définitivement acquise, à l’abri de toute modification législative. Dans l’ignorance de ce que l’avenir leur réserve, de nombreuses femmes peuvent ainsi être dissuadées de laisser un pli fermé contenant leur identité. Quant à l’enfant d’autre part, l’acceptation tacite érigée en principe devrait l’inciter à rechercher tardivement ses origines. Il n’ a en effet aucun intérêt à provoquer rapidement une réponse qui risque d’être négative alors que l’écoulement du temps lui donne plus de chance d’atteindre son objectif. Néanmoins, le caractère peu fiable des identités initialement conservées risque, après le décès des parents de naissance, de jeter un doute et entraîner des dénégations sur ces origines enfin dévoilées, doute et dénégations à jamais invérifiables car ceux qui connaissaient la vérité de cette histoire particulière ne sont plus là pour la rétablir ou l’attester.

32Ceux qui sont en quête de leurs origines ne sont pas en quête d’une tombe. Ils cherchent à comprendre au contraire le ressort secret de leur vie et de leur souffrance : ils espèrent une rencontre, un échange. La loi du 22 janvier 2002 ne constitue donc pas une avancée vers l’accès aux origines car elle ne cède sur aucun point. On doit au contraire constater qu’elle rigidifie le secret de la naissance, le rend indiscutable et n’organise qu’un accès à l’identité des géniteurs éventuel et doublement discrétionnaire -à la naissance et lors de la saisine du CNAOP. En contre partie de cette avancée inexistante, la loi sert de prétexte pour orchestrer un affaiblissement incontestable du statut du nouveau né sous X. Ce recul met en évidence le ressort du mensonge légal qui fonde l’accouchement secret. Celui-ci n’est pas au service des femmes qui accouchent dans le refus de leur maternité ; il n’est pas davantage au service des enfants nés sous x qu’il protègerait de la mort ou d’une horrible révélation, il n’est pas non plus au service des pères spoliés de leurs enfants. Il est au service de l’adoption.

Notes

  • [*]
    Professeur à l’Université de Toulouse I, directrice du Centre de droit privé (EA 1920. Ce a texte a été présenté au Colloque organisé par la CADCO et la Revue d’action juridique et sociale (RAJS) le 15 septembre 2003
  • [1]
    C. pén. Art. 226-13 qui prévoit une peine d’un an d’emprisonnement et de 1500 euros d’amende. En outre le médecin encourt, en application de l’article 4 du code de déontologie médicale, une sanction disciplinaire.
  • [2]
    CASF, art. L. 224-4, 1°
  • [3]
    CASF, art. L. 222-6 : il serait facile d’assurer la gratuité de l’accouchement à partir d’autres critères, celui du consentement à l’adoption par exemple.
  • [4]
    C. civ. art. 341
  • [5]
    Par ex. l’art. 223-7 nouveau qui consacre la remise des enfants nés sous X aux organismes autorisés pour l’adoption figure de manière isolé dans un chapitre consacré aux « droits des familles dans leurs rapports avec les services de l’aide sociale à l’enfance » (chap. III du titre II).
  • [6]
    Conseil d’Etat, « Statut et protection de l’enfant », Les études du Conseil d’Etat, mai 1990 : la documentation française1991, p. 83
  • [7]
    En application de l’article 57 alinéa 2 du code civil
  • [8]
    CA Riom, 16 déc. 1997 : D. 1999, somm. 198, obs. F. Granet ; Dr famille 1998, comm. 150, note P. Murat. V. également P. Murat, note sous TGI Nancy, 16 mai 2003 : Dr de la famille 2003, comm. n° 88 : « même si, par une fiction de la loi, la femme est censée n’avoir pas accouché, l’enfant existe bel et bien… »
  • [9]
    C. Neirinck, « Comprendre le secret de la filiation », RJPF mars 2003
  • [10]
    CASF, art. L. 147-7
  • [11]
    Grenoble, 23 fév. 1993 : RTD civ. 1993, p. 809, obs. J. Hausser
  • [12]
    CASF, art. L. 147-5
  • [13]
    Décr. n° 2002-781du 3 mai 2002 relatif au conseil national pour l’accès aux origines personnelles et à l’accompagnement et l’information des femmes accouchant dans le secret pris pour l’application de la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002
  • [14]
    Décr. n° 2002-575 du 18 avr. 2002 relatif aux organismes autorisés et habilités pour l’adoption, art. 12
  • [15]
    Par ex, la CADA avait admis qu’un dossier médical d’accouchement de la mère constitue également un dossier de naissance communicable à l’enfant devenu majeur sauf si la mère en accouchant sous X a manifesté par ailleurs la volonté expresse de conserver le secret sur son identité vis à vis de l’enfant, CADA, avis 19994271, 6 janv. 2000 : JDJ n°211, janv. 2002, p. 55).
  • [16]
    TA Grenoble, 29 mars 2001, concl. Berthet-Fouqué : RTD sanit. Soc. 2001, p. 588, note F. Monéger
  • [17]
    En effet, dans ce cas, la demande de secret sur l’identité était toujours expressément formulée et inscrite dans le dossier de remise de l’enfant à l’ASE : CASF, L. 224-5, al. 3. La volonté des parents de s’opposer à la communication de cette information était donc établie.
  • [18]
    CADA, avis n° 20002354, 8 juin 2000 : JDJ n° 211, janv. 2002, p. 56 ; analysant et approuvant cette position, V. S. Grenier, Le régime de la communication des dossiers personnels des enfants remis en vue d’adoption : RD sanit soc. 2001, p. 28).
  • [19]
    Rap. V. Neiertz, AN n° 3523, 9 janv. 2002, p. 14
  • [20]
    C. civ. art. 347
  • [21]
    CASF, art. L. 223-7, confortée par le décret n° 2002-575, du 18 avril 2002 relatif aux organismes autorisés et habilités pour l’adoption38, art. 12 et le décret du 3 mai 2002
  • [22]
    Au sens juridique : les père et mère de naissance n’ont aucune existence juridique. Avant la loi du 22 janvier 2002, on les désignant comme les auteurs de l’enfant.
  • [23]
    La présence d’une personne représentant l’organisme autorisé à côté de la femme qui a demandé un accouchement secret et anonyme lors du recueil des renseignements par le représentant départemental du CNAOP ne peut que susciter des craintes à cet égard : pourquoi pas également la présence d’un représentant de l’ASE ? : Décr. 18 avr. 2002, art. 12, 4°, al.2.
  • [24]
    Cf supra note 13
  • [25]
    C. civ. art. 433
  • [26]
    Par ex., dans un cas où l’agrément est indispensable : Dijon, 8 sept. 1998 : Juris-Data n° 1998-044809 ; V. Jurisclasseur Droit de l’enfant, C. Neirinck, V° Filiation adoptive – adoption plénière conditions préalables à l’adoption – fasc. 440, n° 26
  • [27]
    Décr. 18 avr. 2002, art. 3.
  • [28]
    A. Moreno, “Suite inachevée de la réforme de l’adoption : le décret du 18 avril 2002” : JCP 2002, act. 269
  • [29]
    C’est cette préoccupation est qui est l’origine des articles 341 et 341-1 du code civil : l’accouchement sous X a permis en effet d’éviter les conséquences de l’article 311-14 aux termes duquel l’enfant né d’une femme étrangère dont la loi prohibe l’adoption, ne peut être adoptable. Cette situation a été réglée la loi du 6 février 2001, dans l’article 370-3 al. 2 C. civ.
  • [30]
    C. Neirinck, “L’accouchement sous X : le fait et le droit” : JCP 1996, I, 3922
  • [31]
    C. civ. art. 352
  • [32]
    TGI Nancy, 16 mai 2003 : Juris-Data n° 212727 ; Droit famille, 2003, comm. n° 88, obs. P. Murat
  • [33]
    Décr. n° 2003-671 du 21 juillet 2003 relatif aux conditions de traitement et de conservation par le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles des informations et des renseignements nécessaires à l’accès aux origines personnelles, art. 1
  • [34]
    CASF, art. L. 147-5, al. 2 et 3
  • [35]
    Décr. du 3 mai 2002, art. 16
  • [36]
    CASF, art. L. 147-6, al.1
  • [37]
    CASF, art. L. 147-2, 3° : la déclaration d’identité des ascendants, descendants et collatéraux privilégiés peut être faite en dehors de cette hypothèse, à la condition que les intéressés aient eu connaissance de la naissance secrète … mais peut-on alors considérer que la naissance est secrète ?
  • [38]
    Sur cette affaire, et la législation applicable dans cette hypothèse, cf. O. Roy, Le droit de connaître ses origines et la CEDH : l’affaire Odièvre c/France, Petites Affiches 2002, n° 198 p. 6, et les nombreuses références citées.
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