Notes
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[*]
Conseiller jurique au rectorat de l’Académie d’Aix-Marseille. Coauteur avec André Maurin et Blaise Thouveny du « Droit de la vie scolaire Écoles-collèges-lycées », Dalloz, coll. États de droits, 2e éd., 2003, préface Bernard Toulemonde
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[1]
« Les territoires nouveaux de la judiciarisation », Lettre de l’Éducation, n°430, supplément, 10 novembre 2003.
-
[2]
+ 7,6% en 2001 et +13,5% en 2002, ibid.
-
[3]
TA Paris, 5 octobre 2001, S. c/ maire du XVe arrondissement de Paris, req.01.14182/9.
-
[4]
CE, 20 décembre 2002, Ministère de la jeunesse, de l’Éducation nationale et de la recherche c/ association indépendante des parents d’élèves de l’école Sainte-Foy-des-Vignes, LIJ, 72/2003, p.16.
-
[5]
TA Paris, 5 octobre 2001, S. c/ maire du XVe arrondissement de Paris, op.cit.
-
[6]
TA Toulouse, 30 mai 2002, Association « Enfants de France – L’envol » c/ inspecteur d’académie de l’Ariège, req.02/1471.
-
[7]
TA Paris, 5 octobre 2001, S. c/ maire du XVe arrondissement de Paris, op.cit.
-
[8]
CE, 9 juillet 2001, M. et Mme B., req.235.696.
-
[9]
TA Toulouse, 6 décembre 2002, X c/ inspecteur d’Académie de Haute-Garonne, JDJ, n°225, mai 2003, p.56, comm. J.-L. Rongé.
-
[10]
TA Paris, 6 octobre 1993, Mabille de Poncheville, req. 9911270/3 ; sursis prononcé sous l’empire de l’ex-procédure d’urgence.
-
[11]
TA Strasbourg, 14 août 1996, Landre, req. 961676.
-
[12]
TA Paris, 22 janvier 2001, Hammache, req. 0019658/7, JDJ, n°206, juin, p. 50.
-
[13]
CE, 12 octobre 2001, Société produit Roche, req.237376 ; TA Besançon, 12 juin 2002, Toure c/ recteur de l’Académie de Besançon, req.020649.
-
[14]
TA Amiens, 30 décembre 2002, Ben Hariz c/ recteur de l’Académie d’Amiens, req.022695.
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[15]
TA Marseille, 12 mars 2003, Wissan Marroun, req.0300863.
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[16]
CE, 29 novembre 2002, M.A., req.247518.
1La vie scolaire est loin d’être un long fleuve tranquille. Aujourd’hui, outre le quotidien parfois houleux, elle doit subir le regard rigoureux de la justice [1]. Si l’on ne peut pas véritablement parler d’une explosion du contentieux, la « judiciarisation » de ce secteur existe réellement : bien que contenue, l’augmentation du nombre de procès relatifs à l’organisation de la scolarité des élèves est sensible [2]. On assiste, en outre, à un élargissement du champ des décisions contestées : aucune mesure, même la plus minime, n’échappe, même de temps à autre, au contrôle du juge.
2Mais, jusqu’à une période récente, pour les familles, l’enjeu de ces procès demeurait souvent limité. L’instruction de la procédure des contentieux dits « de l’excès de pouvoir » est longue et, au jour où, enfin, le juge se prononce sur la demande d’annulation de la décision administrative, l’élève sanctionné a, depuis longtemps, « purgé sa peine » ou le redoublant déjà obtenu le baccalauréat…
3Dans ce contexte, la mise en place au 1er janvier 2001 des nouvelles procédures d’urgence a pris tout son sens. En effet, dans un délai très court (parfois seulement 48 heures), le tribunal administratif peut paralyser l’application de la mesure contestée, s’il a un doute sur sa légalité.
4Émerge en fait depuis environ dix ans, une véritable exigence des parents en matière de légalité. Trois domaines sont principalement concernés par le phénomène : l’inscription des élèves, leur orientation et la discipline interne des établissements scolaires.
5En application de l’article L.521-1 du Code de justice administrative, les parents peuvent, à l’appui d’un recours en annulation, demander la suspension de la décision litigieuse. Par ailleurs, la procédure du référé-liberté, de l’article L.521-2 du même Code, prévoit que « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge (…) peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (…) aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ».
6Avec trois années de recul, il s’avère que, ces deux référés particulièrement efficients dans le domaine de la vie scolaire, permettent aux parents de ne point trop souffrir des lenteurs de la justice.
1 – L’inscription forcée
7La première décision que prend l’administration à l’égard de l’élève est celle de son inscription dans un établissement scolaire. Le conflit entre les parents et l’institution peut naître essentiellement dans deux circonstances : soit à la suite d’un refus pur et simple de scolarisation, soit à la suite de l’affectation de l’élève dans un établissement ne correspondant point au souhait parental.
8L’intérêt du référé-suspension est ici évident : dans l’attente d’un jugement au fond, la famille va pouvoir obtenir la scolarisation immédiate de leur enfant, conformément à leurs vœux. Pour cela il faut démontrer l’urgence de la situation et susciter chez le juge un doute quant à la légalité du refus d’inscription opposé par l’administration.
9Mais ces deux conditions ne sont pas toujours évidentes à établir. Le juge administratif rappelle que ce droit n’existe véritablement que pour les élèves soumis à l’obligation scolaire : le refus d’inscrire un enfant à la maternelle ne fait pas naître un doute sérieux sur la légalité de cette décision [3]. Par ailleurs, le Conseil d’État considère qu’ « aucune disposition législative ou réglementaire, ne donnent aux familles (…) un droit à la scolarisation de leurs enfants de moins de six ans (…) et que ces familles n’ont pas davantage droit au maintien de ce service dans les mêmes conditions de fonctionnement » [4]. L’urgence s’apprécie au regard de la violation du droit à l’instruction : le maire du 15ème arrondissement de Paris avait refusé d’inscrire des enfants qui fréquentaient déjà des établissements, dans d’autres arrondissements, plus éloignés de leur domicile. Pour le Tribunal, la décision du maire « ne peut être regardé[e] comme privant l’enfant de son droit à scolarisation » ; la situation ne présente donc aucun caractère d’urgence [5]. De même, l’élève qui ne démontre pas en quoi le refus d’inscription dans un établissement secondaire « classique » le priverait de toute possibilité de poursuivre sa scolarité, ne caractérise pas l’urgence de la situation [6]. En revanche, le juge administratif relève que le refus de scolarisation méconnaît le principe du droit à l’instruction dès lors que la famille réside dans la commune, même si elle occupe un « logement sans titre » : « les conséquences que peut avoir pour le développement de ces enfants, le retard à leur scolarisation sont de nature à établir l’urgence qu’il y a à prononcer la mesure de suspension sollicitée » [7].
10Le référé-liberté s’avère moins efficace. En effet, le Conseil d’État, paraît peu enclin à voir, systématiquement dans le droit à l’éducation, une « liberté fondamentale » qu’il convient de protéger par le biais de cette procédure. Sans l’affirmer explicitement, il limite étonnemment son pouvoir d’injonction : le maire de Courbevoie avait refusé d’inscrire un enfant de nationalité roumaine, âgé de huit ans, faute pour les parents de produire une justification de domicile. Et pour cause, ces derniers occupaient un « logement sans titre ». Les parents choisissent d’exercer un référé-liberté ; ils pensent que la décision du maire constitue une atteinte grave à une liberté fondamentale. La Haute-Assemblée [8], pourtant, confirme le jugement du Tribunal administratif de Paris et rejette la requête au motif que la demande d’injonction au maire d’une commune d’inscrire un enfant, excède la compétence du juge de la violation d’une liberté fondamentale. Pour le Conseil d’État, cela tendrait à lui faire prononcer une ordonnance « dont les effets seraient en tout point identiques à une décision d’annulation pour manque de base légale ».
11La jurisprudence administrative est cependant moins restrictive à propos de la scolarisation d’un élève handicapé. Il faut dire que l’ensemble de notre arsenal juridique (Convention européenne des droits de l’homme, Constitution, lois et réglements) protège très fermement l’accès à l’instruction des enfants atteints de troubles physiques et mentaux. Un élève en âge scolaire ne peut ainsi être retiré de l’enseignement ordinaire que s’il est accueilli dans un établissement spécialisé. Il apparaît logique, dans ces conditions, que le Conseil d’État ait décidé, en référé, que la violation de ce droit constituait une atteinte à une liberté fondamentale, au sens de l’article L.521-2 du Code de justice administrative [9].
2 – L’orientation expresse
12Les litiges sur l’orientation ne peuvent naître qu’en fin de cycle ; soit lors du passage de la petite section à la dernière année de maternelle, à la fin du CE1, du CM2, de la 6ème, de la 4ème, de la 3ème et de la seconde. Ce n’est qu’en ces occasions que l’administration peut opposer une décision contraire aux vœux de la famille : soit en n’admettant pas l’élève dans la classe supérieure, c’est-à-dire en lui imposant un redoublement, soit en lui refusant l’accès à la formation de son choix, lui en imposant une autre.
13On comprend bien que le référé-suspension est ici promis à un bel avenir : un refus de passage en classe supérieure décidé en juin, qui ne serait pas immédiatement « paralysé » avant la rentrée, pourrait entraîner des conséquences irréversibles sur la scolarité de l’élève si la décision faisait l’objet d’une annulation plusieurs années plus tard.
14Ainsi le retard scolaire pour un jeune enfant résultant du redoublement de la petite section de maternelle a pu, un moment, justifier le sursis à exécution de la décision verbale l’imposant [10]. De même, le refus de réinscription d’un élève en classe de terminale a été suspendu pour une durée de trois mois maximum par le juge pour deux motifs. D’une part, l’impossibilité de poursuivre une scolarité dans l’établissement en question alors qu’aucun autre lycée du département ne comportait une section internationale, aurait risqué d’entraîner pour lui la perte d’une année scolaire. Sa réussite hypothétique au baccalauréat représentait une perte de chance incontestable. D’autre part, le maintien de la décision contestée aurait provoqué « une modification de la situation de droit et de fait » de cet élève [11].
15Encore, la décision par laquelle l’inspecteur d’Académie refuse à un lycéen d’intégrer une classe de terminale S est suspendue par le juge de référés. En effet, l’urgence le justifiait et le non-respect des dispositions de l’article 7 du décret du 14 juin 1990 (« à l’intérieur des cycles (…) des lycées, le redoublement ne peut intervenir qu’à la demande écrite des parents de l’élève ou de l’élève majeur, ou, sur proposition du conseil de classe, avec l’accord des intéressés ») était propre « à créer en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision en cause » [12]. Cette ordonnance enjoint en outre à l’inspecteur d’Académie d’inscrire le jeune « dans une classe de terminale S, et ce dans un délai de quinze jours (…) sous astreinte de 200 francs par jour de retard ».
3 – La discipline expédiée
16Les élèves sont tenus à une obligation d’assiduité. Plus généralement, ils doivent accomplir les tâches inhérentes à leurs études. Par ailleurs, ils ont le devoir de respecter autrui et le cadre de vie de l’établissement scolaire, sans user de violence. Chaque manquement à l’une ou l’autre de ces obligations, précisées et completées par le réglement intérieur de l’école, du collège ou du lycée, est susceptible de faire l’objet d’une sanction disciplinaire. Pour le premier degré, un règlement type départemental fixe les rares mesures pouvant être prises en la matière. Mais la question intéresse davantage le second degré où le décret du 18 décembre 1985 encadre clairement les procédures. La sanction, mesure négative par définition, fait régulièrement l’objet de contestation de la part des élèves ou de leurs familles. Toutes ces sanctions (ou presque) peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.
17L’intervention des tribunaux, de plus en plus fréquente dans ce genre d’affaire, prend une nouvelle dimension avec les procédures d’urgence actuelles : quelques jours seulement après le prononcé de la sanction, le juge peut en neutraliser les effets par la suspension de son exécution. La demande en ce sens dirigée contre la décision d’un conseil de discipline est recevable alors même que la commission académique d’appel, présidée par le recteur, n’a pas encore statué. Le requérant doit seulement justifier avoir formé son recours administratif dans les délais [13]. La suspension de la sanction, éventuellement prononcée, prend effet immédiatement, jusqu’à la décision du recteur.
18La condition liée à l’urgence s’observe lorsque l’élève, après son exclusion, se trouve privé de scolarisation. En revanche, elle n’apparaît plus lorsque le jeune fait l’objet d’une inscription dans un nouvel établissement scolaire [14] et, a fortiori, pour y suivre la même formation [15].
19Le référé-liberté, en revanche, se trouve voué à l’échec en la matière : aux termes de l’article L.521-2 du Code de justice administrative le tribunal peut prononcer une injonction à l’encontre de l’administration s’il constate une atteinte à une liberté fondamentale. Or il a été jugé qu’ « une mesure d’exclusion d’un élève pour motif disciplinaire ne peut être regardée comme portant [une telle atteinte] » [16].
20L’exploitation de ces nouveaux référés par les familles reste encore relativement modérée. Ces procédures n’en constituent pas moins une arme efficace pour imposer cette nouvelle exigence parentale de légalité au sein des établissements scolaires. Il n’est pas impossible, dans un avenir proche, d’assister à un développement considérable de ce type de contentieux. Il reviendra à tous les professionnels de l’éducation de se repositionner et d’acquérir, dans la prise de décision à l’égard des élèves, un véritable réflexe juridique. Plus encore, il importera de nouer le dialogue avec les familles autour de cette attente. Les fondements tant réglementaires que pédagogiques des mesures de vie scolaire, pour qu’elles soient acceptées et comprises, doivent être toujours mieux explicités et les décisions toujours mieux motivées.
Notes
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[*]
Conseiller jurique au rectorat de l’Académie d’Aix-Marseille. Coauteur avec André Maurin et Blaise Thouveny du « Droit de la vie scolaire Écoles-collèges-lycées », Dalloz, coll. États de droits, 2e éd., 2003, préface Bernard Toulemonde
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[1]
« Les territoires nouveaux de la judiciarisation », Lettre de l’Éducation, n°430, supplément, 10 novembre 2003.
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[2]
+ 7,6% en 2001 et +13,5% en 2002, ibid.
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[3]
TA Paris, 5 octobre 2001, S. c/ maire du XVe arrondissement de Paris, req.01.14182/9.
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[4]
CE, 20 décembre 2002, Ministère de la jeunesse, de l’Éducation nationale et de la recherche c/ association indépendante des parents d’élèves de l’école Sainte-Foy-des-Vignes, LIJ, 72/2003, p.16.
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[5]
TA Paris, 5 octobre 2001, S. c/ maire du XVe arrondissement de Paris, op.cit.
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[6]
TA Toulouse, 30 mai 2002, Association « Enfants de France – L’envol » c/ inspecteur d’académie de l’Ariège, req.02/1471.
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[7]
TA Paris, 5 octobre 2001, S. c/ maire du XVe arrondissement de Paris, op.cit.
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[8]
CE, 9 juillet 2001, M. et Mme B., req.235.696.
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[9]
TA Toulouse, 6 décembre 2002, X c/ inspecteur d’Académie de Haute-Garonne, JDJ, n°225, mai 2003, p.56, comm. J.-L. Rongé.
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[10]
TA Paris, 6 octobre 1993, Mabille de Poncheville, req. 9911270/3 ; sursis prononcé sous l’empire de l’ex-procédure d’urgence.
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[11]
TA Strasbourg, 14 août 1996, Landre, req. 961676.
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[12]
TA Paris, 22 janvier 2001, Hammache, req. 0019658/7, JDJ, n°206, juin, p. 50.
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[13]
CE, 12 octobre 2001, Société produit Roche, req.237376 ; TA Besançon, 12 juin 2002, Toure c/ recteur de l’Académie de Besançon, req.020649.
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[14]
TA Amiens, 30 décembre 2002, Ben Hariz c/ recteur de l’Académie d’Amiens, req.022695.
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[15]
TA Marseille, 12 mars 2003, Wissan Marroun, req.0300863.
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[16]
CE, 29 novembre 2002, M.A., req.247518.