Couverture de JDJ_230

Article de revue

Représentations de la bien-traitance

Pages 44 à 55

Notes

  • [*]
    Docteur en droit et psychologue.
  • [4]
    Nouvellement arrivée sur le département je ne pensais pas me retrouver au cœur d’une problématique éducative dont certains contours pathologiques par le biais de la maltraitance ont été étudiés lors d’une rechercheaction en milieu scolaire et hospitalier. L’accueil de l’enfance maltraitée à l’hôpital : droit et psychologie, Études Hospitalières, 1998.
  • [3]
    Chambron N. et Bichaume X., L’accès au droit des populations de Guyane, Rapport d’enquête, Cayenne, Mars 1997, Le Conseil départemental d’aide juridique du tribunal de grande instance de Cayenne avait organisé une étude sociologique avec le CERF dirigé par Nicole Chambron sociologue en 1997. L’enquête révèle bien la juxtaposition des réseaux informels dont la solidarité et la sociabilité se font par lignage (noir marron) par communauté (antillais, guyanais, métropolitain ou selon la provenance migratoire comme Haïti) ou par clan (amérindien galibi ou wahana…). Les auteurs évoquent même un cloisonnement presque étanche accompagné d’une xénophobie multidimensionnelle latente. D. Peyrat (sous la dir.), L’accès au droit en Guyane, Cayenne, Ibis rouge, 1998 Livre d’un colloque très intéressant mais demeurant déclaratif au vu des réalisations effectivement constatées sur le terrain un an après.
  • [1]
    Latouche S., Du fanatisme identitaire, Le Monde diplomatique, page 11 mai 1999.
    Je cite ce philosophe : « Il n’y a pas de valeurs qui soient transcendantes à la pluralité des cultures pour la simple raison qu’une valeur n’existe comme telle que dans un contexte culturel donné. (.) La mondialisation, en liquidant les cultures, engendre l’émergence des « tribus », des replis, de I’ethnicisme et non la coexistence et le dialogue(…). On est ainsi enfermé dans un manichéisme dangereux : ethnicisme ou ethnocentrisme, terrorisme identitaire ou indispensable ou universalisme cannibale (…) la mise en perspective de nos croyances, en se mettant à la place de l’autre, est indispensable, sous peine de la perte de la connaissance de soi, danger que fait peser la mondialisation culturelle. Il ne s’agit pas d’imaginer une culture de l’universel, qui n’existe pas. Il s’agit de conserver suffisamment de distance critique pour que la culture de l’autre donne du sens à la nôtre (…). La tolérance vraie commence avec la relativisation de l’absolu ».
  • [2]
    Encyclopédie universelle, « Guyanes » Paris, 1998
  • [5]
    Piaget J. (Sous la dir.), « Psychologie », Paris, Encyclopédie la Pléiade, 1987.
  • [6]
    Et par deux psychologues scolaires (Colin-Delgado R. et Lefèvre-Leandri D.) acteurs de l’étude.
  • [7]
    Protection maternelle et infantile et Centre de santé mentale infanto-juvénile.
  • [8]
    DASS État et DASS Guyane.
  • [9]
    Conseil départemental d’aide juridique au tribunal de grande instance.
  • [10]
    Hemery. T, « Un projet de centre médico-psychologique », France Guyane, journal du 7 juillet 1999.
    Geneviève Simart, l’unique pédopsychiatre en Guyane constate de plus en plus de tentatives de suicide parmi les huit-onze ans, des abus sexuels parmi les quatre-huit ans et des « enfants des rues ».
  • [11]
    Jérusalem au temps de Jésus, J. Jeremias, Paris, Cerf, 1980.
    Vallet O., Le honteux et le sacré, grammaire de l’érotisme divin, Paris, Albin Michel, 1998. La Vierge Marie était mariée à treize ans, L’âge normal des fiançailles au temps de Jésus se situait entre douze et treize ans et demi, le mariage survenant habituellement un an après. Mais il s’agit d’une autre époque, plus de 2000 ans auparavant.
  • [12]
    Rouland N., « Une hypothèse pour le futur ? Un statut personnel pour les Amérindiens de Guyane », Paris, Survival, revue trimestrielle, les Nouvelles n° 33-34, 1999.
    Karpe P. « Guyane française. Le statut personnel : une solution transitoire », Paris, Survival, Les Nouvelles n° 35, 1999. Ce professeur à l’Université d’Aix en Provence analyse l’interprétation du principe d’égalité par le Conseil d’État par rapport à l’obtention d’un statut particulier aux communautés autochtones (principalement aux amérindiens) dans la mesure où ils sont dans des situations très différentes de celles qui prévalent dans l’ensemble du département. Des règles particulières et des mesures d’adaptation pourraient être apportées à la législation en vigueur dans les départements métropolitains. Il peut être techniquement possible de reconnaître en droit un statut personnel des amérindiens, dans le cadre d’une politique d’intégration, le respect des particularismes devrait être davantage assuré. Une réponse a été faite lors du numéro suivant de Survival par un deuxième juriste de la faculté de droit de Nancy. Philippe Karpe éclaire le ciblage particulier d’une population autochtone que représentent les amérindiens de Guyane française par rapport à une mesure qui ne pourrait être que transitoire. Il évoque la décolonisation nécessaire par la redéfinition sur un pied d’égalité par l’ensemble des composantes de la société guyanaise (l’État français, les Amérindiens et les non-autochtones), des principes devant régir, sur des bases assainies, leurs relations mutuelles futures, en d’autres termes en attendant l’application d’un « pacte fondateur » de leur communauté de vie où serait établie une dérogation à la Constitution propre aux Amérindiens de Guyane.
    À la session de juillet 1997 du groupe de travail des populations autochtones (ONU, Genève) les amérindiens expriment le souhait que leurs revendications soient inscrites dans le cadre des droits de l’homme compris dans le droit international actuel des peuples autochtones.
  • [13]
    Pour illustration, le procès récent et médiatisé en février 1999 d’un enseignant français qui pratiquait des sévices corporels avec l’accord des parents qui le soutiennent, pose le problème de l’application du droit des enfants par la justice lorsque les mentalités ne l’ont pas intégré (quel projet de société est applicable en droit ?).
  • [14]
    La santé est un état complet de bien être physique, mental et social et ne constitue pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité, la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre, et constitue l’un des droits de tout être humain. Préambule à la constitution de l’Organisation mondiale de la santé, 22 juillet 1946.
  • [15]
    Une étude sociologique de Mme Jolivet a été faite il y a environ sept/huit ans reprise par l’historien M. Lam Mam Fouck dont l’hypothèse est devenue une vérité répandue dans l’opinion publique actuelle.
  • [16]
    La définition du mot créole dans le dictionnaire est « personne de race blanche, née dans les colonies intertropicales ». Il vient du mot espagnol criollo aux alentours de 1670.
  • [17]
    Les parents voyant l’enfant comme un moyen de subsistance par l’octroi d’aides sociales ne peuvent être jugés qu’à partir de la réalité latino-américaine. Car en effet, on ne peut que se désoler de voir la condition enfantine dans les pays limitrophes ou la prostitution enfantine est alors le moyen de subsistance pour l’enfant et la famille. C’est pour cela que l’on peut penser que l’accompagnement éducatif des familles dès la naissance de l’enfant doit être dorénavant et réellement l’axe prioritaire des structures de prévention avant de penser à toute mesure répressive que ce soit par la suppression d’aides sociales ou par le contrôle de la justice qui ne ferait que renforcer la précarité ou l’exploitation de l’enfant dans les milieux défavorisés en Guyane.
  • [18]
    Articles 371 à 387, Titre neuvième : De l’autorité parentale, Code civil.
  • [19]
    Articles 227-l à 227-30, chapitre VII : Des atteintes au mineur et à la famille du Titre II : Des atteintes à la personne humaine. Nouveau Code pénal.
  • [20]
    La Convention relative aux droits de l’enfants a été adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 20 novembre 1989.
  • [21]
    Dans le sens juridique de posséder, d’avoir l’usage d’un lieu, d’un bien.
  • [22]
    Awombe-Moundon E., Registres et fonction de la communication dans la relation mère-enfant en Afrique noire, 1990. Dans cet article, l’auteur dégage l’importance du passage d’une communication mère-enfant corporelle infra-verbale avec une grande disponibilité maternelle pour des échanges gratifiants vers une distanciation permettant l’apprentissage des règles objectives et de la réalité des autres avec l’accession à l’autonomie de soi. Autrement dit, le processus de personnalisation socioculturelle.
  • [23]
    Gavarini L. et Petitot F., La fabrique de l’enfant maltraité, Paris, Érès, 1998, page 69.
  • [24]
    « Qui bene amat, bene castigat », Saint Augustin, XIIème siècle. Le châtiment est à cette époque une correction, celle qui rend pur, chaste et même si les moines se flagellaient pour se purifier il y avait d’autres moyens utilisés pour la purification de l’âme. L’âme, dans une définition psychanalytique, peut s’entendre comme un potentiel individuel imaginaire original. Souvent, l’âme renvoie à la reconnaissance de l’existence humaine et à sa limitation par la mort.
  • [25]
    Brückner P. La tentation de l’innocence, Éditions du Seuil, 1995, Paris. Ce philosophe démonte les mécanismes de victimisation contemporains qui déresponsabilisent de plus en plus les personnes vis-à-vis de leurs actes. L’exemple de la greffe d’organes comme une main peut laisser à penser que si la personne greffée vole quelque chose. ce n’est pas elle qui devient responsable du délit mais la main greffée d’un autre.
  • [26]
    Boutinet J.P., Anthropologie du projet. PUF, 1991 Paris. Cet auteur a situé l’origine du mot projet aux grecs anciens. Et, Mairal C. et Blochet P.. Maîtriser l’oral, Paris, Magnard, 1998.
    Le projet est une nécessité vitale pour conjurer la répétition mortifère et assurer les adaptations nécessaires.
  • [27]
    Bergeret J., La violence fondamentale, Paris, Dunod, 1984.
  • [28]
    Droits d’urgence, association loi 1901. 221, rue de Belleville. 75019 Paris. Permanences et consultations juridiques gratuites.
  • [29]
    Miller A., « C’est pour ton bien - racines de la violence dans l’éducation de l’enfant », 1984 ; L’enfant sous terreur - l’ignorance de l’adulte et son prix, 1986 ; « La connaissance interdite - Affronter les blessures de l’enfance dans la thérapie, 1990 ; Abattre le mur du silence - Pour rejoindre l’enfant qui attend », Mayenne, Aubier. 1991.
  • [30]
    Gavarini et Petitot, La fabrique de l’enfant maltraité, page 67.
  • [31]
    Page 69, ibid.
  • [32]
    Lors d’un conseil d’école, une directrice exprime les difficultés d’intégration des populations immigrées du Surinam et signale l’urgence de faire un effort pour aller au devant de ces personnes dans le village. Un parent d’une association de parents d’élèves présent rétorque « mais on ne les fréquente pas ces gens là ».
  • [33]
    Pair C., « Rénovation du service public de l’Éducation nationale », La Lettre de l’éducation, n° 272, 31 mai, Paris, le Monde, 1999. Dans le rapport de Claude Pair, recteur, la place du recteur est donnée comme celle d’un « Chef d’équipe… le recteur doit désormais s’affirmer comme le patron de la politique pédagogique de l’académique et ne plus être ce bouchon au fil de l’eau, il est de première importance pour le fonctionnement de l’éducation nationale que ces responsables soient jugés sur leurs résultats ».
  • [34]
    Encyclopaedia universalis, « Anthropologie historique, histoire de l’enfance », Paris, CD ROM, 1998. La découverte de l’enfance et de sa maturation différenciée date du Xlllème siècle.
  • [35]
    Le stress professionnel a été particulièrement évalué dans les services hospitaliers à risque létal.
    Les services d’urgence et les services confrontés à la mort des patients engendrent ce syndrome. Les personnels sont incités régulièrement à changer de services tous les deux-trois ans, afin de maintenir leur équilibre mental.
  • [36]
    L’autorité parentale est exercée en commun par les deux parents s’ils sont mariés…, art. 372 loi du 8-1-1993.
  • [37]
    Raynauld R. (et coll.) « Peut-on améliorer le jugement moral d’élèves de dix-douze ans ? »
    Psychologie Education, Saint Etienne, La Pensée sauvage, mars 1999
    Cette étude sur le développement des aptitudes morales d’enfants de dix à douze ans, a été faite par une équipe de chercheurs en psychopédagogie au Québec. Celle-ci a déterminé trois paliers progressifs jusqu’à la socialisation optimale, qu’il s’agit de faire franchir aux enfants par l’émulation en groupe de pairs et des objectifs évalués.
  • [38]
    Reinberg A., « Les absurdités des nouveaux rythmes scolaires », Paris, la Lettre de l’Éducation, n° 179, 25 novembre, Paris, le Monde, 1996.
  • [39]
    Le terme d’ultrapériphérie de l’Europe appliquée au département de la Guyane est utilisé par J-M. Taubira.
  • [40]
    Voir les textes introduisant l’éducation à la santé dans la bibliographie.
« La conscience de l’oppression et de ses mécanismes varie généralement en raison inverse de l’oppression effectivement subie »
Köhler et Wacquant, 1985

1Ce sont des lettres d’enfants régulièrement déposées dès septembre 1998 dans la boîte aux lettres du réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté de Sinnamary qui ont lancé les membres du réseau et l’école sur des réponses à leur apporter. Cette étude s’est alors dessinée[4] comme étape essentielle à la compréhension du processus éducatif en Guyane. Les enfants ont posé régulièrement des questions signalant des relations familiales et scolaires basées sur une prévalence de la correction physique. Ces conditions éducatives nécessitent un véritable débat relevant d’une urgence démocratique. L’application du droit de l’enfant -et du droit positif applicable à tout département français- ainsi qu’une meilleure connaissance des populations locales et de la psychologie de l’enfant sont les tenants des améliorations éducatives et institutionnelles en Guyane.

2Il ne s’agit pas seulement de prévenir un mal traiter en référence aux normes internationales mais de reconnaître le « bien traiter » donné comme tel par des adultes confrontés aux représentations de cette bien-traitance par les enfants eux-mêmes. L’approche de l’ici et maintenant est un choix délibéré d’analyse sans entrer dans l’urgence et ses enjeux magiques pouvant exacerber un présent impensable. Les certitudes des adultes vont être soumises au questionnement spontané et aux propos tenus par les enfants.

Introduction

3La Guyane comporte deux divisions territoriales : la région maritime autour de Cayenne à l’Est et un arrondissement ayant pour siège Saint Laurent du Maroni à l’Ouest de la Guyane. Sur 157 274 habitants recensés en 1999, 40 % ont moins de dix-huit ans et le taux de chômage est de plus de 30 %. Les modèles parentaux sont composés manifestement de familles monoparentales avec la mère et les enfants. Les infrastructures collectives d’éducation sont principalement du ressort de l’Éducation nationale. Il est constaté que la socialisation à l’école mélangeant l’ensemble des enfants ne correspond pas à celle de la société civile guyanaise qui se présente comme une juxtaposition de communautés socioculturelles (N. Chambron, 1997) [3].

4Les enfants scolarisés en Guyane et particulièrement sur le littoral, sont soumis à des modes socio-éducatifs diversifiés qui se confrontent tous à un mode de scolarisation unique. Ce département d’outre-mer français situé en Amérique du Sud d’une superficie de 91 000 km2 avec un fort taux d’immigration particulièrement visible depuis une dizaine d’années, apporte de nombreux éléments culturels « pluriversalistes » (Latouche S., 1999[1]) avec une mosaïque contrastée de contextes socioculturels et d’ethnies[2]  : Amérindiens de nationalité française des fleuves ou du littoral, noirs marrons du Surinam et de Guyane, Français créolophones et Français francophones et une immigration variée : Brésiliens, Surinamais, Hmongs du Laos, Chinois, Haïtiens, Anglais et Hollandais créolophones.

5Pour sortir de l’indifférence au vécu et au ressenti de l’autre, il est utile d’entrer en relation. L’analogie du célèbre Petit Prince de Saint-Exupéry qui apprivoise le renard et doit le quitter va nous éclairer. Le blé qui était si indifférent au carnassier devient important de par sa couleur identique à celle des cheveux de son ami. Le renard va être sensible au champ de blé et le pain peut alors devenir une nourriture envisageable.

6Il s’agit donc bien à partir d’une rencontre « sentimentale » de s’ouvrir sur l’extérieur et sur autrui et non pas de se replier dans l’amertume d’une perte possessive et d’un deuil impossible. C’est donc dans la rencontre avec des différences que les représentations comme images mentales et souvenir-image vont permettre l’évocation symbolique des réalités absentes, de l’objet ou d’une action en l’absence du support perceptif de cet objet (évocation à distance et abstraction de la situation concrète [5], Piaget, 1936, 1937, 1946). Il peut s’ agir des représentations socioculturelles construites de part et d’autre d’un océan partageant le continent européen, où se situe la France de l’Amérique latine contenant la Guyane.

7Les savoirs contemporains appliqués (en ce qui nous concerne, la psychologie et le droit) peuvent achopper dans leur acceptabilité face aux représentations et vécus construits sur des valeurs spécifiques par des populations relativement isolées de ce modèle occidental, mais qui les protège « versus tropique », de pays voisins en voie de développement, dont la Guyane leur paraît être un Eldorado (Surinam et Nord du Brésil).

8À partir de l’expérience acquise depuis un an par un réseau d’aides spécialisées [6] et lors d’échanges avec des professionnels de services de santé [7], de services sociaux [8] et de la justice [9], un consensus professionnel fort corrobore le fait que les enfants de huit à douze ans s’avèrent être une population à risque quant aux représentations des adultes sur leur maturité physique, sexuelle et psychologique et à l’absence de cadre éducatif suffisant (abus sexuels, maltraitance et suicides d’enfants en augmentation [10]).

9Si le fait culturel d’une maturation précoce en milieu amérindien et noir marron sur les fleuves Maroni et Oyapock (mariage dès douze-treize ans [11]) existe, il n’a plus de raison objective de se poursuivre sur le littoral guyanais acculturé par l’instruction et l’éducation occidentale [12].

10D’autre part, « l’abandon » ou l’exploitation des enfants par des adultes responsables légaux ne se justifient aucunement par un habitus culturel qui, de par sa définition, en fait, ferait défaut à sa fonction d’étayage collectif à l’égard des individus.

11La prévalence de la correction physique comme réponse éducative évidente pour les adultes éducateurs guyanais ne donne pas les résultats escomptés.

12Les frontières entre la loi et la transgression sont sans cesse malmenées (sécurité routière, projet de société et engagement par la parole sans démarche consécutive) et la réussite des enfants en général n’est pas au rendez-vous.

13Ainsi, les valeurs prônées par l’école française sur la protection de l’enfant s’accommodent mal de ces dimensions polymorphes où l’hyper-maturation des enfants rivalise avec les retards cognitifs et un échec scolaire criant (difficultés d’anticipation, de réflexion, d’apprentissages dans la langue française comme « structure structurante », 30 % de réussite en deuxième année de cycle universitaire -DEUG- 26 % d’une classe d’âge qui arrive au baccalauréat en comparaison des plus de 60 % en France métropolitaine, sans omettre les nombreuses filières de sélection dès l’élémentaire qui évacuent de nombreux jeunes de tout accès diplômant professionnel).

14Car en effet s’il apparaît que les structures éducatives acceptent cette réalité socioculturelle, on ne peut qu’en révéler les dysfonctionnements institutionnels en écho à une anomie collective de communautés disparates.

15Une autre question risque d’émerger sur la légitimité de pratiques institutionnelles qui seraient en conformité avec les pratiques éducatives familiales. Par exemple : Un acteur de terrain peut-il s’autoriser à devenir violent avec un enfant si la famille l’y autorise ? [13]

16Et pourquoi le devient-il ?

17La psychologie de l’enfant va de fait devenir déterminante quant à la définition du rôle protecteur du professionnel à l’égard des personnes vulnérables et de la compréhension de la place de l’enfant dans un processus spécifique de développement.

18Cette étude sur un secteur géographique restreint du littoral guyanais a donc l’avantage de toucher des populations autochtones et immigrées avec des modes éducatifs fortement différenciés. Les attentes éducatives de l’institution scolaire restent encore relativement homogènes voire « indifférentes » aux spécificités culturelles de la population.

19Des données qualitatives ont été recueillies auprès d’une soixantaine d’enfants de huit-douze ans lors de groupes de parole à partir des questions qu’ils se posent autour de la bien-traitance éducative et d’un questionnaire sur leurs représentations de la santé.

20Celui-ci est situé dans la définition officielle donnée [14] par l’Organisation Mondiale de la santé. La dimension imaginaire du corps et de la santé construite par chacun dans un contexte donné est sousjacente au bien-être physique, mental et social. L’étude est complétée par l’apport quotidien des entretiens avec les familles dans le cadre du suivi des situations d’élèves en difficulté. Ceux-ci sont principalement signalés par deux formes de dysfonctionnements : le comportement et la cognition à l’école. Ce vécu intime -infime partie de leur vie passée, présente et à venir- est retranscrit et interprété par des professionnels de l’écoute psychologique. C’est bien en prenant appui sur ce qui se dit sur l’éducation en Guyane par les acteurs directs et indirects que seront apportées les connaissances nécessaires à leur compréhension. [15]

I – Contexte socio-éducatif guyanais et évidences scientifiques

21La connaissance du contexte socio-éducatif guyanais s’appuie sur des évidences scientifiques dont celle de la banalisation du coup valorisé dans l’éducation.

22Nous nous référerons d’abord aux discours officialisés par le livre « Familles en Guyane » écrit en 1992 par des professionnels de différents champs institutionnels (santé, éducation, justice), ensuite aux témoignages et propos recueillis lors de cette année et enfin nous développerons la valorisation sociale des punitions corporelles dans l’éducation.

A – Des connaissances dispersées sur la famille en Guyane sont énoncées comme des évidences scientifiques

23Le modèle familial du littoral guyanais où se trouve majoritairement la population créolophone s’appuie sur une composition familiale de type monoparental avec la mère et plusieurs enfants. Le père est rarement présent dans un seul foyer et peut en avoir plusieurs.

24Vivre et survivre sont des préoccupations majeures d’une grande majorité de la population. Au vu des statistiques apportées par un gynécologue (Patient G.), un psychiatre (Aronica E.) et une psychologue (Servettaz B.) les taux de mortalité périnatale, de mortalité maternelle, de SIDA concernant mère et enfant ainsi que le nombre d’IVG sont nettement supérieurs à la moyenne nationale. Il est en effet déplorable de constater l’absence quantitative et qualitative des structures de soins mais il est vivement souhaité par certains professionnels de « mieux cibler les stratégies et d’augmenter leur acceptabilité et leur efficacité » (Familles en Guyane, Patient). Ce constat de mortalité laisse à penser que la vie n’est pas garantie dès la naissance et qu’il s’agit de la maintenir à tout prix.

25La matrifocalité et la place du père s’appuient sur une démonstration qui ne rassemble pas l’unanimité des points de vue professionnels et universitaires. La mutation historique de la famille guyanaise est abordée sous trois angles principaux. Regardons d’abord les deux premiers. Nous réservons la troisième dans un chapitre développé ultérieurement.

26Des auteurs [16] évoquent l’esclavage comme traumatisme familial basique dispersant le couple conjugal : le reproducteur-esclave étant sommé de s’ éloigner de la femme et des enfants par l’esclavagiste-propriétaire. Il serait même la source de la déstructuration sociale (Prépont G.). Cette déduction sévit encore dans de nombreux discours et on peut réellement se poser la question de la reviviscence d’un traumatisme de 200 ans d’esclavage suivis dès 1848 par six générations d’hommes libres, d’autant plus que la diversité et le brassage créole [17] renvoient à des ascendants européens qui sont venus de leur plein gré avant, pendant et après l’arrivée des esclaves d’Afrique.

27Puis la départementalisation organisée par la loi d’assimilation de 1946 apportant l’accès aux droits sociaux, à la médicalisation et la protection de la grossesse et de l’enfant semble avoir bouleversé la famille guyanaise par un calcul systématique de l’octroi d’allocations familiales (Mam Lam Fouck S., historien). Nous pouvons rajouter que la politique familialiste française s’est par la suite diversifiée par des allocations sous conditions de ressource et pour certaines situations particulières. À l’assurance sociale se surajoutent l’aide sociale et des politiques d’action sociale répondant à des besoins catégoriels. Ainsi, l’allocation de parent isolé et l’allocation orphelin vont augmenter les revenus de parents en difficulté.

28Citons M.C. Parfait, notaire à Cayenne (1992) : « Nombreuses sont les femmes qui demandent à leur compagnon de ne pas reconnaître les enfants avant l’âge de trois ans, et quand les enfants sont reconnus, sont contraintes de demander une pension alimentaire et en l’absence de paiement de porter plainte pour abandon de famille ». La filiation - grand principe de la construction de l’humanité - est ainsi bafouée, l’enfant devenant une plus-value parentale ou a contrario une moins-value. Il s’agit en droit pénal d’une atteinte à la filiation -article 227-12- avec un emprisonnement et une amende susceptibles d’être appliqués à l’auteur (parent) ayant un but économique à l’égard de l’enfant. [18] Les transferts sociaux en Guyane représentent 30% du budget du ménage : « la mère représente à elle seule l’économie de la famille » (J.P.Martres, magistrat) et un assistant social de la CAF (G. Prépont) se demande quel est « le coût réel de l’enfant et (…) si le montant des prestations sociales servies dépasse vraiment ce coût », ce qui renvoie au fameux serpent qui se saisit en se mordant la queue. Fonder une famille est en effet une charge mais les soupçons pèsent sur la motivation des parents : veulent-ils vraiment fonder une famille et répondre aux besoins des enfants, ou les enfants ne sont-ils qu’un moyen d’existence supplémentaire pour survivre ? On ne pourrait qu’être perplexe devant une sorte de commercialisation (production et reproduction) des enfants organisée par l’État auprès des familles. Aux droits accordés aux parents coexistent des obligations et en l’occurence des engagements parentaux d’éducation. Ceux-ci sont circonscrits d’une part dans l’application des articles du code civil [19] et du code pénal en cas de carence [20] et d’autre part par la Convention des droits de l’enfant signée en 1989 par la France [21]. La liberté d’être mère ou père ne peut fonctionner sans son corollaire la responsabilité et la volonté de l’être.

29La solidarité familiale en évolution est aussi évoquée en Guyane comme une donnée fragilisant le contexte socioculturel. Une certaine inquiétude émerge devant son maintien car « un risque réside dans l’évolution des jeunes, souvent de retour au pays après un séjour en métropole »(!!) (Parfait M.C.) et qui souhaitent jouir [22] de l’héritage du parent décédé, celui-ci n’ayant pas protégé les survivants de la jouissance des biens acquis en commun par une démarche notariale. Le droit est encore le grand absent de la gestion des rapports entre les personnes en prévention, mais va intervenir dans les conflits déjà avérés. La solidarité observée en Guyane entre les familles fonctionne de manière arithmétique et s’appuie sur la détresse (L.Dedel, G.Juniel, A. Ouedraogo, psychologues). Ces auteurs guyanais ajoutent qu’il est urgent de chercher un sens et une signification à la vie.

30L’historien S. Mam Lam Fouck signale la récente apparition de la matrifocalité. Il évoque trois modes possibles de fonctionnement familiaux : couple marié, matrifocalité, union libre, cette dernière forme étant la plus répandue. En 1954, la matrifocalité ne portait que sur douze% de l’ensemble des foyers (M.L.Jolivet, socio-anthropologue). Encore plus récemment, Cherubini, sociologue, démontre dans sa thèse (1998) à partir d’un échantillonnage de population cayennaise que plus de 60 % des guyanais vivent en couple. Cependant, un psychologue de centre de soins (C.Kramer) constate que le développement psycho-affectif de l’enfant est globalement soumis à la personnalité de la mère. Ce que nous avons pu remarquer aussi dans nos pratiques de psychologues scolaires. L’enfant est souvent décrit comme donné à l’homme, voire donné à ses propres parents par des adolescentes enceintes de quatorze-quinze ans, « qui ont été trop dansé le soir avec l’autorisation de la mère » (parent d’élève). Ultérieurement, il sera donné à l’école. Dans la grande majorité des cas rencontrés, le fait de porter l’enfant, que ce soit dans le ventre maternel ou par un projet parental d’éducation et ultérieurement par l’instruction avec l’école, est accessoire au placement physique de l’enfant dans un lieu déterminé. Les espaces institutionnels transitionnels sont peu investis car ils ne créent pas ou peu de liens entre les différents protagonistes impliqués autour de l’enfant. La notion de don de l’enfant serait certainement à resituer au niveau de la motivation de l’acte maternel : acte de générosité ou d’assujettissement, car il n’est pas sans risque vital pour « ces mères porteuses ».

31En entretien psychologique, une mère de famille d’origine indienne avec trois enfants déclare avoir eu « une prise de bouche » avec son mari guyanais lors de sa demande de divorce :« vous vous rendez compte, j’ai été mariée et je suis restée dix ans avec un guyanais, mais là, c’est trop toutes ces tromperies, j’en ai assez ». Le mari lui a répondu : « depuis que ma mère est morte, rien d’autre ne compte ». Le décès de la mère de ce Monsieur date d’il y a plus de 22 ans. Comment peut-on entendre cette séparation inachevée mère-enfant, empêchant d’abord le processus de deuil vis-à-vis de la mère et ensuite la construction d’un amour fidèle à l’égard d’une autre femme associée à une responsabilité paternelle effective pour les trois enfants. L’idée d’une matrifocalité régnante avec une fonction paternelle défaillante, demanderait - par une autre étude - à mieux expliciter le sens des mots « matri-focalité », « matrilinéarité » et « matrilocalité » dont nous n’avons qu “une compréhension approximative des convergences et divergences dans l’occupation de l’espace familial et social.

32Selon un médecin de gynécologie obstétrique (G. Patient) « la population guyanaise est passée en 40 ans d’une patrifocalité de nécessité économique à une matrifocalité revendiquée et cette situation déjà soulignée par les chroniqueurs du 19ème siècle, reste caractérisée par la faible intégration de l’homme dans l’espace familial ». Ce fait serait lié, d’après une enquête faite et non publiée par une anthropologue (Bruyer A., janvier 1999), depuis les années 1970, aux revendications féministes. Cependant, on peut relever que dans le même temps, une loi importante a marqué la nécessité de rééquilibrer les rapports homme/femme dans le couple parental : loi de 1970 instituant l’autorité parentale qui remplace l’autorité paternelle.

33La relation de la mère au nourrisson de deux à quatre ans dans la construction identitaire de l’enfant en Guyane est encore peu étudiée. La proximisation induite par le maternage, suivie de la fonction de distanciation semble achopper lors de l’arrivée à l’école [23]. Jacques Lacan a montré comment, au-delà du développement individuel de chacun, la « loi du père » intervient dans le jeu de l’intersubjectivité et dans la structuration des sociétés humaines. Le peu de reconnaissance du père guyanais, sa mise à distance ou sa « présence fantomatique » (C. Kong, psychologue) en font un acteur qui s’ oublie mais de premier plan, car il est l’enjeu de la socialisation de l’enfant. Dans le discours de la mère « à qui il appartiendra de nommer le père de son enfant » (C.Kong), l’enfant guyanais entend rarement des aspects positifs sur le père et de nombreux adolescents n’ont guère envie d’occuper « une place tant dénigrée » (C. Kong). Le père est même souvent absent non seulement physiquement mais mentalement et c’est bien là qu’est reconnue « l’erreur éducative qui gomme le père aux yeux des enfants » (C. Kong ). Si le père est absent physiquement et aussi symboliquement, cela peut expliquer en partie, les nombreux problèmes d’identité que nous avons retrouvée dans les groupes de paroles, de repérages temporels, de mentalisation et de conceptualisation dans les apprentissages. On le dit remplacé dans sa fonction par les grands-parents maternels ou par la fratrie (J.P. Martres, magistrat). Il apparaît en réalité que le premier tiers séparateur de la relation mère-enfant soit l’école pré-élémentaire, ce qui fait écrire à un psychologue (C.Kong) que « cette dernière déclenche un rejet de l’enfant avec des exigences disproportionnées de la mère en proie à l’angoisse de séparation. »

34Nous pensons pour notre part que les premiers coups interviennent aussi comme premier tiers séparateur faisant force de loi et d’autorité entre la mère et l’enfant et que ces coups et les excès d’autoritarisme maternels peuvent être l’expression de représailles non réalisables sur un compagnon absent. L’enfant serait battu en lieu et place du compagnon inconsistant ou absent.

B – La valorisation sociale des punitions corporelles ou « être bien traité c’ est être bien tapé »

35La prévalence de la correction physique dans l’éducation des enfants en Guyane était évaluée à 63 % en 1992 par des professionnels en général en poste sur la ville de Cayenne. Des chercheurs en sciences de l’éducation ont montré que les places symboliques peuvent être tenues malgré les coups en s’appuyant sur une étude de cas d’un enfant réunionnais. Reprenons quelques échanges entre l’éducatrice et un psychanalyste. L’éducatrice dit que la mère en a assez et dit « ou c’est Thomas ou c’est moi, je n’ai plus qu’à me flinguer ». Plus loin, la psychanalyste dit « c’est un père qui le (l’enfant) cogne pour son bien, ce n’est pas un affreux sadique. (…) il le corrige. Ce n’est pas un homme qui donne des coups. » En final, l’équipe sociale rapporte les corrections à une intention éducative du père pour marquer son autorité, place du père est ainsi marquée « dans la chair de l’enfant ». Cette équipe de professionnels en métropole analyse l’expression violente dans les rapports parents-enfant, mais ne la banalise pas, à l’exception de la violence maternelle sur l’enfant qui semble occultée. Le premier signalement par l’école était lié à des coups portés par la mère sur l’enfant (ecchymoses…) et n’a plus été pris en considération ultérieurement, par l’équipe sociale [24].

36Les familles que nous avons pu rencontrer sur le littoral utilisent d’abord la correction physique comme réponse éducative : « Il ne comprend que la ceinture » (parent d’un élève de neuf ans) voire la propose à l’école : « j’ autorise l’enseignant à taper mon enfant mais pas à le blesser » (mère d’un élève de sept ans). Les modes éducatifs familiaux sont aussi transmis aux institutions en autorisant les éducateurs à taper et institutionnalisent la correction physique.

37« Ti moun pa ca élevé san cou », cette phrase en créole faisant foi en elle même de la valeur péremptoire de ce mode éducatif a été dite, lors d’un atelier sur la violence à l’école intitulé « Accompagner la scolarité, journée d’étude autour de l’école…les enjeux éducatifs » du samedi 26 juin 1999 à Remire-Montjoly, par un professeur du second degré étonné de la violence des élèves dans son établissement scolaire mais justifiant le coup en tant que mère de famille créole. Ce qui veut dire, « on élève pas un enfant sans coup ». Et la palette (férule de l’école de jadis), instrument de rééducation pédagogique et culturel, est présente dans la classe auprès de la majorité des enseignants antillais et guyanais. À chaque occasion se présentant de manière positive, les questions nous taraudant sur la prévalence de la correction physique dans l’éducation en Guyane, ont été soumises au jugement de professionnels de différents secteurs. Ou bien ceux-ci justifiaient le coup ou bien certains exprimaient leurs difficultés à gérer leurs relations aux enfants.

38L’atteinte à l’intégrité physique de l’enfant comme réponse systématique a été souvent justifiée par : « c’est culturel » et « il faut marquer son autorité », sorte de réponses qui musellent la réflexion et clôsent tout échange égalitaire sur la valeur de cette réponse éducative selon une sorte de pensée unique qu’il faut accepter sans réserve et surtout, qui ne doit pas interroger la relation mère-enfant. Suite à des questions lors de cet atelier pluridisciplinaire à Remire, je m’étonnais de la systématisation de la punition corporelle auprès des enfants par les mères en Guyane, une psychologue me répondit « j’espère que vous ne dîtes pas aux mères qu’elles n’aiment pas leurs enfants parce qu’ elles les tapent. Le coup fait partie de l’éducation créole….et c’est un acquis de la religion chrétienne ».

39Puis un responsable hiérarchique de l’Éducation nationale entonna « qui aime bien châtie bien,[25] le coup de pied au derrière est thérapeutique, c’est comme les électrochocs »…. et ajouta plus tard que « l’on peut concevoir un rapport sexuel avec un enfant de douze ans mais avec un enfant de quatre ans, c’est difficile à comprendre ». En parallèle, on pourrait citer l’ouvrage intitulé : « aimer mal et châtier bien » de S.Tomkiewicz et P.Vivet de 1992, qui décrit les violences institutionnelles et intrafamiliales, montrant que le châtiment ne garantit pas un amour parental de qualité. Tout cela nous entraîne vers une certaine intériorisation des coups et de la violence par les propres victimes, qui a été bien expliquée par Alice Miller, le « C’ est pour ton bien » (éducatif) se transforme en « c’est pour mon bien » (victimaire). La naissance du dictateur allemand A. Hitler, soutenu par un peuple qui a intériorisé la punition corporelle comme nécessaire à l’éducation première des enfants, a permis le retournement de leur haine, non pas vers les éducateurs familiaux tapant par « amour », mais vers des ennemis désignés (juifs, communistes, gitans, délinquants, homosexuels ….) ; sans omettre la déresponsabilisation engendrée par ce processus de reproduction persécutrice par ricochet.

40De nombreux témoignages d’enfants et d’adultes ont été recueillis de cette intériorisation positive du coup, accouplée à la reproduction du rapport de force par la victime qui devient agresseur à son tour.

41-« Quand j’étais petit, j’ai aussi reçu des coups, ça fait de moi un homme » (cadre métropolitain d’environ 60 ans).

42-« Il faut le taper pour son bien, ne pas lui donner de grands coups mais des coups de fouet, des coups de ceinture. Par exemple pour un vol, des insultes aux parents pour avoir manqué de respect, il faut donner des coups de ceinture » (enfant guyanais de dix ans).

43-« C’est normal de frapper avec la ceinture quand on a fait une bêtise mais pas avec le bois. Faut pas donner de coup à l’enfant avec un bois, un fer, un tuyau. » (garçon de dix ans).

44-« Il faut être tapé petit pour comprendre qu’on doit être grand et pouvoir être seul plus tard. Sinon, comment on fera plus tard quand on n’aura plus les parents ? » (garçon de dix ans).

45-« C’est les deux parents qui sont méchants, mais ils ne sont pas méchants quand ils nous donnent des coups. Ils donnent le bon exemple » (garçon de dix ans).

46-« Il n’y a que le directeur qui a le droit de nous taper. Et aussi le maître quand la mère elle a autorisé à le faire » (garçon de onze ans).

47-« Quand j’étais au CP, on s’est fait taper. Les grands m’ont fait mal, j’ai beaucoup pleuré. Et j’ai tapé, tapé, tapé aussi, très fort, pour faire mal, pour qu’ils comprennent. Surtout les plus petits qui m’embêtent ou font des bêtises. Si on tape pas fort, ils comprennent pas, je tape jusqu’à ce qu’ils pleurent. J’aime bien taper sur les petits qui pleurent » (fille dedix ans).

48-« J’aime bien taper et me battre, on se sent fort » (garçon de dix ans).

49On constate aussi l’instrumentalisation de certaines parties du corps qui permet à l’enfant de préserver une bonne image de l’adulte, qui ne serait pas complètement responsable de sa violence, car la violence est représentée par une partie de son corps [26] :« Je reçois la main. ou on me corrige avec la bouche »(disputes).

50D’autre part, les enfants sont confrontés à des problématiques d’identité individuelle et collective dont témoigne l’emploi indifférencié du « je » et du « on ».

51Quelques questionnements écrits sur l’identité ont été déposés par les enfants :

52-« Je fais cette lettre pour demander… des fois je me dis c’est qui moi, je suis qui. Et j’entends plus rien. C’est comme si je changeais de monde. Alors je demande pourquoi ça se passe ? »(garçon de dix ans).

53-« Je me demande pourquoi les enfants oublient leur identité, pourquoi ils ne se souviennent pas qu’ils s’appellent ceci, qui ils sont…. Pourquoi ils ne demandent pas à leurs parents ou bien à ceux qui les ont élevé comment ils s’appellent ? …les enfants ont le droit de savoir tout de même… » (fille dix ans).

54Le projet sur soi a aussi été parlé de manière récurrente avec la socialisation à l’école :

55-« On est mieux dans sa tête quand on sait ce qu’on veut faire plus tard » (fille de dix ans).

56-« Quand on n’a pas d’amis, on ne peut rien faire » (garçon de neuf ans).

57Devant les difficultés rencontrées par les enfants et par les professionnels de l’enseignement à les mener vers la réussite scolaire sans le soutien des parents, la notion de projet porteur d’adaptations et de progrès et a contrario le refus du non sens, du hasard, de l’improvisation et de la routine, est quasiment absente, que ce soit sur le plan individuel ou sur le plan collectif. Un retour étymologique s’impose. Le projet renvoie à deux versions différentes. D’abord, le projet est le lieu de l’utopie, un non lieu, un lieu qui n’existe pas et enfin il peut être le bon lieu, le lieu de perfection [27].

58La Guyane fonctionne sur les deux registres comme un lieu et un espace difficiles à déterminer (non lieu) car partagés par des populations diversifiées mais qui permettent la cohabitation d’une génération d’enfants qui seront les adultes de demain (vers un bon lieu).

II – Lutter contre les évidences des éducateurs

59Il s’agit de lutter contre les évidences des éducateurs en s’appuyant sur les représentations des enfants pour évaluer la maltraitance physique et son rapport à la santé et aller vers une bientraitance.

A – Lutter contre les évidences « adultomorphiques » par des échanges avec les enfants et leur rapport au coup « éducatif » comme limitation de cette unique réponse

60La lutte pour la survie dans la famille : éléments de réponse à la matrifocalité et à la place du père.

61Une hypothèse universelle à l’espèce humaine nous semble expliquer ces relations parents-enfants : la lutte des générations, si bien développée par J. Bergeret comme violence fondamentale [28]. La violence serait précurseur de l’amour.

62La violence fondamentale est reliée à la situation primitive humaine universelle du fantasme d’infanticide et de parenticide. Cette violence réciproque parents-enfant peut être lue et interprétée à partir de la tragédie de Sophocle.

63Les zones d’ombre de la mère et la violence entre la vie et la mort : Jocaste, mère d’Oedipe, expose l’enfant sur la montagne Cithéron pour éviter sa propre mort (autoconservation). C’est afin de détourner l’oracle d’Apollon leur prédisant leur mort par leur propre enfant, que d’emblée, la lutte pour le pouvoir et la survie commence dès la naissance de l’enfant. Il n’y a encore ni amour, ni haine et J. Bergeret évoque un imaginaire violent prégénital au niveau du simple survivre primaire. L’un des deux doit mourir pour que vive l’autre : un ou rien, moi ou lui (la famille), moi ou eux (la classe), renvoyant à une violence narcissique primitive. La démarche politique et collective ne peut alors se construire qu’à partir de la prise en compte de cette motivation profonde du pouvoir phallique narcissique individuel à base vitale. Afin d’appliquer le cours de notre réflexion aux enfants de Guyane, il a été constaté, souvent lors d’entretiens et à partir des propos d’enfants, que l’entrée dans la vie et la société s’effectuait généralement de manière brutale, voire violente, dans une fratrie nombreuse, dont les constats de mortalité périnatale et postnatale ne sont pas étrangers à cette lutte pour la survie. Ce n’est pas sans rappeler l’ancien dilemme de l’obstétricien lors d’accouchement difficile : « faut il sauver la mère ou l’enfant ? » En fait le sens latent étant  : « qui faut-il tuer ? ». De nombreux professionnels travaillant avec les familles en Guyane, évoquent le clivage existant entre le désir de grossesse présent et le désir d’enfant absent ainsi que sur le rapport à la sexualité entre les hommes et les femmes reposant sur un malentendu entre le désir (qui serait masculin) et l’amour (qui serait féminin).

64« Comment la propre mère de l’enfant ? en est-elle arrivée à une telle cruauté ? - elle avait peur d’un oracle des dieux » (Sophocle- Oedipe roi, Vers 1173-1174)

65Dans la tragédie grecque, le Sphinx est le passage obligé pour Oedipe qui recherche ses origines. Le Sphinx (image phallique de la mère comme rivale) ne lui propose que deux possibilités à cette rencontre : ou trouver la solution et vivre ou échouer et mourir. Cette figure menaçante féminine associée à la mise à mort de l’enfant renvoie bien à une précarité individuelle vécue à l’origine des relations intrafamiliales. Sur le Cithéron, l’enfant est abandonné dans l’impuissance et la solitude. Et c’est sur cette violence infanticide que l’oedipe va survenir (Freud S.) car il tuera son père (parricide) et épousera sa mère (inceste). La sortie du complexe d’Oedipe se fait par le père qui redevient l’amant de la mère et calme ainsi la violence fondamentale, celle-ci se trouvant ainsi intégrée dans l’oedipe.

66Ce qui est novateur chez Bergeret est l’éclairage apporté sur la rivalité narcissique phallique à l’égard des deux parents comme préhistoire. Il s’ agit bien d’abord d’un enfant victime de ses parents craignant leur propre mort.

67Ma pratique antérieure en métropole à Paris jusqu’en 1998 avec une participation bénévole à des permanences juridiques d’accès aux droits pour les personnes démunies [29] m’a fait rencontrer ce type de problématique parents-enfant centrée sur la survie que ce soit dans la confrontation des sexes, des générations ou des cultures.

68Mais ce qui différencie ces populations de métropole et de ce département d’outre-mer est l’absence de soutien institutionnel dans la précarisation de la relation mère-enfant.

69Cette volonté de puissance mortifère et de survie est nettement plus encadrée sur le continent européen, par les institutions soucieuses de l’intérêt de l’enfant et de sa famille et de son respect qu’en Amérique du Sud où les conditions des personnes vulnérables restent encore très fragiles. L’exemple tiré du livre de Gavarini et Petitot montre bien la nécessité de maintenir un regard et un contrôle institutionnels sur des familles soumises à ces pulsions de survie fondamentale. Car en effet si les places symboliques peuvent être tenues malgré les coups et que, d’autre part, même si l’enfant est tapé pour son bien (ce qui ne laisse pas de surprendre que ce propos soit tenu par un psychanalyste alors que les travaux d’Alice Miller [30] en montrent la nocivité), il est noté que la mère déclare « ou c’ est lui ou c’est moi » [31], et les auteurs concluent que « ces parents sont en porte-à-faux, idéologiquement parlant, lorsqu’ils font passer l’éducation par la violence physique sur le corps des enfants, qui ne peut aujourd’hui, qu’évoquer du dressage, de l’élevage ; un échec de l’éducation » [32]. Par conséquent, ces professionnels de l’Aide sociale à l’enfance en métropole considèrent que les écarts culturels du statut des coups pour cet enfant des DOM, par rapport aux modèles et aux normes éducatives actuels sont à prendre en considération, il leur est absolument indispensable de maintenir l’espace transitif organisé par le mandat judiciaire dans une mesure d’aide éducative en milieu ouvert afin de travailler les écarts de cette famille à la norme garantie par les droits de l’enfant.

70Au constat d’une éducation échouée plutôt proche du dressage, nous pourrions assimiler cette violence basique à une mise en place généralisée et banalisée d’un conditionnement de type pavlovien orienté vers l’enfant. Doit-on disposer un éducateur spécialisé derrière chaque famille sur ce département ? Cela ne semble pas la solution devant l’impuissance exprimée par les travailleurs sociaux : « les parents tapent leur enfant devant moi et je ne peux rien faire » (assistant social antillais)« C’est culturel, même aux Antilles on tape les enfants » (professeur des écoles antillais). Les enfants guyanais présentent de grandes difficultés de mémorisation dans les apprentissages (opposition à l’incohérence du système ou symptômes ?), mais ils se souviennent de la correction physique : « le coup on s’en rappelle et on ne refait plus la même bêtise » (plusieurs enfants de neuf ans).

71Nous nous contenterons pour l’instant de mesurer l’acceptation de la correction physique par l’ensemble des partenaires en corrélation avec la tolérance et les réactions de mal-être des enfants. Et enfin, des mesures et des espaces éducatifs transitionnels vont être évoqués afin de répondre aux besoins des enfants de Guyane.

72La lutte pour la survie ou la violence ressentie par les enseignants : eux ou moi. Hors du coup, les réponses sont difficiles à apporter et une impuissance est ressentie.

73En reprenant l’hypothèse que l’école déclenche le rejet de la mère vis-à-vis de l’enfant et crée une sorte d’inhibition intellectuelle chez le jeune enfant, on a pu constater du côté des enseignants une violence ressentie très rapidement devant des enfants aussi difficiles à canaliser et aussi peu motivés au travail intellectuel.

74Un certain malaise est exprimé par les enseignants qui avouent être « très prudents » sur ce problème-là, étant donné que nous sommes en Guyane. « Il faut faire attention », mais attention à quoi et à qui ? À la protection de ses intérêts personnels d’adultes ou à celle des intérêts de l’enfant ? Il nous a semblé, à partir de la confiance installée entre les enseignants et nous-mêmes que les remises en cause verbalisées sont des réactions positives signifiant une certaine prise de conscience de professionnels soucieux des enfants quelle que soit leur origine, de leur bien-être et un désir de trouver d’autres réponses. Celles-ci mériteraient qu’elles soient encouragées, reconnues par les instances officielles pour mettre en place des aides et un soutien réfléchis : « Ces enfants déclenchent une violence en moi et je ne sais comment répondre. Les méthodes d’apprentissage ne sont pas adaptées » (professeur de collège), « Je suis payé pour taper … Pourquoi ils (les enseignants) me les envoient tout le temps pour un rien…. Je suis obligé de taper » (directeur d’école qui reçoit régulièrement dans son bureau des enfants envoyés par les enseignants, enfants qu’il faut « réprimander »). « Depuis que je suis ici, je donne des fessées, je ne me reconnais plus. Les enfants n’ont pas envie d’apprendre. Il est temps que je retourne en métropole » (enseignante métropolitaine). « Il n’accepte pas les règles de la classe, les fessées n’y faisaient rien, alors je l’ai isolé » (enseignant).

75Cependant, la coexistence de deux discours est prégnante. Devant l’expression de la dualité des sentiments et des pratiques professionnelles pour éduquer et instruire les élèves, la légitimation d’un tel clivage peut s’étayer par l’ambivalence et le double discours inhérent à l’institution. Il y a le discours de la tradition inscrite en chaque individu basée sur l’autoconservation (comme la lutte des générations) et le discours du progrès, de la science apprise sur les bancs de l’Université. Cela engendre des contradictions entre les discours et les actions. En analysant pour chaque communauté socioculturelle leur entrée dans le monde scolaire véhiculant des valeurs républicaines unificatrices, on affinerait sûrement la compréhension de tels conflits. L’intégration et la socialisation des enfants par l’école s’avèrent difficile du fait d’une absence de communication des personnes dans la cité [33]. Un projet commun ne peut que rarement se construire dans une territorialité aussi marquée au dehors dans un dedans institutionnel qui se voudrait intégratif. Mais d’ailleurs qu’intègre l’école de ce dehors ? … Pour les enseignants, une expérience de la violence ressentie, l’échec de leurs compétences, l’impossible application de la discipline sans l’extérioriser par les coups ou la présence d’un objet punitif (palette dans la classe) et des missions d’instruction et d’éducation irréalisables, d’autant plus qu’il manque un soutien fort et un discours clair des instances hiérarchiques [34].

76S’il est évident que l’enfant est un être en formation [35], qu’il est vulnérable et nécessite une certaine protection, on s’aperçoit que les lieux d’écoute éducatifs et transitifs entre la famille et les institutions d’éducation sont encore minoritaires. Un tissu associatif se développe mais le partenariat reste limité. Le malaise chez les enseignants est évident et souvent s’exprime par :« c’est n’importe quoi ». On observe même auprès d’adultes éducateurs soucieux du devenir et des apprentissages des enfants, le « burn out syndrom » (brûlure psychique), une forme d’épuisement professionnel qui s’extériorise soit par une indifférence professionnelle, soit par un vécu persécutif négativisant toute relation [36].

77Lors de la fin d’année scolaire où par coutume les activités pédagogiques deviennent plus ludiques, certains enseignants à Kourou interdisaient les jeux de société en classe car les enfants se battaient ou bien les volaient (enfants de neuf à onze ans) : deux facettes d’une intériorisation des règles sociales et de la vie en société étaient ainsi mises en déroute.

78Des constats de déficience intellectuelle se multiplient qui quelquefois sont recouverts par la notion de handicap et d’orientation vers des classes spécialisées. Handicaps certes, mais acquis par l’absence de règles clairement identifiées et d’une socialisation intelligemment expliquée et comprise.

79Toutes ces réalités indiquent bien que les coups sont largement insuffisants comme réponse éducative pour le développement global de l’enfant et pour l’obtention de son bien être moral, social et physique, en Guyane.

80Un entretien avec un enfant djuka scolarisé à Iracoubo va illustrer ce propos.

81Il fréquentait déjà depuis trois ans l’école élémentaire d’Iracoubo mais aucun apprentissage ne s’était fait avec ses absences fréquentes faites d’aller retour entre le littoral et le Maroni. Il n’arrivait pas à compter. Son regard se figeait, terrorisé. L’épreuve d’arithmétique du test d’intelligence que passait cet enfant de huit ans avait totalement échoué. Opérons un intense arrêt sur image ou silence moteur :

82-« Que se passe-t-il ? » Le regard du garçon s’agrandit encore plus, pas de réponse.

83-« Donne moi tes mains ». Je lui tends les bras au dessus de la table et il me tend les siens. En observant ses bras, je ne vois aucune trace et dans un rapprochement logique inconscient du nombre impossible à la maltraitance impensable, je lui demande :

84-« Tu reçois des coups ? »

85-« Oui. »

86-« As-tu des marques et veux-tu me les montrer ? » L’enfant souleva son maillot. Son dos est lacéré de coups de ceinture, certaines traces sont anciennes et d’autres récentes encore saignantes. C’est une correction paternelle pour que l’enfant ne monte plus dans les arbres chercher des fruits pour les manger, car il a faim.

87Sont-ce les coups assenés qui l’empêchent de compter à l’école et ne comptet-il pour rien depuis sa naissance ? Où est sa mère protectrice et aimante ? Au Surinam.

88Si 63 % d’enfants en Guyane « reçoivent des claques », cette acceptation par la société guyanaise d’un seuil minimum de correction parentale, favorise les excès que présente la situation précédente. D’autant plus que sur le terrain, il a été exceptionnel de rencontrer un enfant qui n’avait pas déjà reçu des coups. Deux enfants métropolitains sur 50 enfants venant en groupes de parole ont dit ne jamais avoir reçu de coups. Ils ont fait l’objet de l’incrédulité et de la stupéfaction des autres enfants présents. En effet, les échanges lors des groupes de parole ont révèlés le côté lancinant, répétitif d’une éducation par les coups.

89Voici quelques témoignages :

90-« Une personne est méchante quand elle nous manque de respect. Le papa est le plus méchant, la mère aussi. Ma maman des fois me donne la palette. C’est ma sœur qui va la chercher et mon beau père aussi … pan pan pan …aïe…aïe…aïe… ».

91-« Une fois j’ai reçu la palette parce que j’étais pas lavé. » Une autre fois, ce garçon de dix ans me dira que je suis « blanc propre » en rapport avec la couleur de la peau. La propreté et l’apparence corporelles semblent surinvesties en Guyane ce qui contraste avec la négligence et le manque de respect de l’environnement naturel.

92Les effets du coup éducatif nuisent au dynamisme et à l’évolution de la société actuelle par une fragilisation psychosociale du rôle des éducateurs et une démotivation accrue des jeunes.

93Au delà du bien-traiter exprimé comme important par les enfants sur trois grands thèmes : bien manger, bien jouer et ne pas recevoir de coups, l’expression d’un malêtre a pu émerger par les troubles réactionnels donnés par les enfants. Soit ils renoncent, sorte d’attitude abandonnique : « être tapé, ça me décourage » (garçon de dix ans), soit ils s’opposent par la violence, la fuite : « il (employé au lieu du je) peut faire une fugue, il a le caractère plus dur, il peut devenir violent, on (plus proche du je) est énervé (enfants de neufdix ans), je me dispute avec ma maman quand elle m’ oblige à faire la vaisselle, je ne veux pas qu’on me force » (fille de huit ans). Les enfants ont souvent exprimé le rapport de force comme premier mode de communication à la maison et à l’école.

94Cette entrée dans l’humanité manifeste une insécurité démesurée.

B – D’autres alternatives adaptées à la maturité de l’enfant comme l’éducation à la santé sont envisageables devant l’anomie institutionnelle

95L’idéologie du lien familial ne repose en fait sur aucune vérification scientifique réelle. Alors de quelle filiation sommes nous responsables ? En 1935 on assiste à la suppression de la correction paternelle et en 1970 : l’autorité parentale se substitue à la puissance paternelle. Puis les lois de 1972, de 1987 et 1993 ont définitivement enregistrés les obligations parentales d’éducation pour le père et la mère [37] avec les limitations d’un côté liées à l’intérêt de l’enfant et de l’autre côté par le droit des femmes. Cette évolution irrémédiable et irréversible accuse le contre coup d’une certaine exclusion des pères par une surprésence de la mère. Les familles recomposées et multicomposées dans les pays industrialisés augmentent et cela nécessite de véritables remaniements d’ordre social et juridique. Le déclin social de l’ image du père déjà cité par J.Lacan en 1938 se transforme en une présence physique masculine plus affectueuse. À la paternité d’intention s’ajoute une paternité volontaire qui dorénavant doit s’exprimer. La fonction paternelle dans son étayage, met en mesure le jeune dans l’exercice de ses actions sur le monde à partir d’un « modèle modélisant ».

96Dans une double exigence éducative, il est constaté l’impérative obligation de travailler l’envie d’être mère en Guyane à celle d’être père. Lors d’une enquête en établissement scolaire secondaire faite par un conseiller d’orientation psychologue, le droit d’avoir un père présent est souhaité par 72 % des adolescents de onze à dix-huit ans (J.Ultet, COP). Le père est bien quel que soit le tropique, ce premier espace transitif de la relation fusionnelle mère-enfant.

97Le statut du coup à l’école et sa reproduction de génération à génération se modifient. La pénalisation de la correction corporelle qui est de plus en plus dénoncée ainsi que le souhait chez les enfants d’être traité et d’agir autrement quand ils seront adultes laissent présager une réelle amélioration des conditions éducatives des enfants en Guyane.

98Il semble que l’institutionnalisation du coup ne puisse perdurer quel que soit le contexte socioculturel au vu de l’application de plus en plus serrée des droits de l’enfance. Des propos de ce type devraient tendre à disparaître : « Quand on fait le combat, le maître nous frappe avec le bâton pour nous séparer, quand on n’apprend pas notre leçon, on est puni » (sous-entendu encore avec des coups) (à propos d’un garçon de dix ans).

99« Aux Antilles, on tape toujours mais on commence maintenant à expliquer et à parler aux enfants … comme en métropole » (professeur des écoles antillais)

100« Moi, j’autorise l’enseignant à taper si cela a des effets … mais pas de coups à répétition et de blessure » (directrice d’école guyanaise).

101Actuellement, prévention des situations à risque et répression lorsque les situations sont extrêmes se mettent progressivement en place mais le malaise des travailleurs sociaux est grand étant donné le double discours dans lequel eux-mêmes se trouvent et de l’indigence des moyens qu’ils ont à leur disposition : « à part la carotte (aides sociales)ou le bâton (mesure judiciaire, placement familial ou suppression d’allocations), je n’ai pas d’autres possibilités » (Assistant social de secteur).

102En second lieu, les enfants expliquent que globalement ils sont frappés souvent avec raison et quelquefois sans raison.

103Ce qui surprend est l’ absence d’évaluation du seuil d’acceptabilité de la correction physique par les enfants : on peut être tapé pour une maladresse domestique comme pour un vol. Le coup est présent pour tout écart à une norme adulte qui est peu expliquée et souvent incomprise. Ainsi, le jugement moral chez l’enfant est indéterminable, étant donné l’imprécision des critères méritant une sanction [38].

104Les enfants ont été sollicité sur ce qu’ils feraient plus tard comme parents vis-à-vis de leurs enfants. Une agréable surprise a été de constater la recherche d’autres solutions que la violence physique sur l’enfant : je le gronderai avec la bouche, je le corrigerai dans ses pensées, je le punirai de ce qu’il aime.

105Les rythmes de vie et l’aménagement du temps et de l’espace scolaire sont les thèmatiques choisies par ce département pour s’inscrire dans la Charte du XXIème siècle. Ce choix confronté à la bientraitance ne s’avère pas sans intérêt car le droit aux loisirs est reconnu aux enfants et pourtant, déjà, on constate les carences de l’utilisation du temps de l’enfant en Guyane. L’ enfant n’a pas le droit de « ne rien faire ». Souvent, il doit subvenir aux tâches ménagères ou faire ses devoirs. L’inactivité ne lui est pas autorisée par les parents et regarder un film à la télévision dépend du choix des adultes (c’est à dire de leur film) donc sans tenir compte de la maturité et de l’âge de l’enfant placé devant un film d’adultes. Peut-on de nouveau évoquer en écho avec notre hypothèse, une vengeance de la mère qui délaisse le ménage en réaction au comportement du père frivole ? C’est ce que présume un psychologue cayennais (C.Kramer).

106Le temps de l’enfant ne peut pas être conçu par les instances officielles comme occupationnel. Le temps libre doit être utilisé d’une part dans le sens de l’épanouissement de l’enfant et d’autre part comme un temps qui lui appartient en fonction de choix librement consentis et accompagnés par des adultes.

107Une récente étude commandée par les différents services de l’État pour le département guyanais vient de faire l’objet d’un rapport intermédiaire par une équipe de chercheurs (deux sociologues urbanistes et un anthropologue de la santé) sur les politiques de la ville à Saint-Laurent du Maroni, Kourou et Cayenne. Par correspondance indirecte, l’analyse des dysfonctionnements et des lacunes rejoint notre point de vue sur la réflexion inhérente à l’ aménagement de l’espace scolaire. Cet espace réunit des diversités socioculturelles et linguistiques qui, à vouloir appliquer l’égalité de droit, engendrent de grandes inégalités de fait : indifférences (absence de communication, méconnaissance) ou violences entre enfants de différentes communautés.

108Cela implique de profondes mutations du rapport aux enfants en Guyane dans la prise en compte de leur éveil, de leur écoute et de l’accompagnement vers chaque palier de maturité. La PMI et l’école avec les familles en sont les ingrédients de base [39].

109Se sentir en bonne santé : la santé est le premier intérêt de l’enfant protégé par la loi. Elle peut être compromise sur le plan social, physique ou moral. La santé morale de l’enfant s’appuie sur un équilibre affectif dont le besoin de sécurité en est un de ces principaux fondements.

110Les groupes de paroles proposés une fois par semaine dans une école ont permis aux enfants volontaires d’exprimer leur vécu et le ressenti de leurs rapports avec les pairs et avec les adultes. Des problèmes sur l’identité ont aussi été évoqués mais dont la problématique globale obscurcit la compréhension immédiate. Par la finalisation des groupes, les enfants ont répondu au questionnaire-santé de manière spontanée, sérieuse et avec plaisir. Ce que nous relevons comme premier indicateur d’une bonne santé est le sentiment de sécurité que l’on peut avoir à l’école, dans la maison ou dans la rue. De nombreuses réponses signalent des enfants souvent seuls qui ne se sentent pas protégés soit à la maison, la nuit, soit sur la route.

111La responsabilité pour autrui est contestable si elle est univoque, l’un étant l’objet de l’autre, mais elle est tout à fait intelligible dans ce qui serait une coresponsabilité des relations que l’on engage de l’un à l’autre. C’est dans cette perspective de co-responsabilisation éducative que nous pensons pouvoir modifier le rapport au coup par la génération des enfants scolarisés au cycle 3 (huit-douze ans). Cet âge est propice à un enfant sujet et acteur de l’interaction éducative.

112Dans cette optique d’éducation à la santé comme intégration de savoir-faire par les enfants, ces derniers contribueront eux-mêmes à leur transmission auprès de leurs parents. Ainsi, suite à une journée d’information sur le SIDA, un garçon de huit an a dit à son beau-père :« Si tu vas voir d’autres dames que maman (postulat), il faut que tu mettes des préservatifs (probabilité) sinon tu vas donner le SIDA à Maman (hypothèse) » et sa sœur de dix ans à leur mère : « je ne veux pas de bébés à la maison, il faut que tu prennes bien ta pilule ». On constate une leçon de responsabilité a minima culpabilisante faite par les enfants à leurs parents. De plus en plus, dès le plus jeune âge, l’enfant est incité à prendre conscience de son corps « qui lui appartient et dont il est responsable » et à se sentir capable d’affronter de multiples agressions dont il peut faire l’objet (la maladie, les comportements à risques, les excès qui font souffrir, les viols et violences, les coups, etc.).

113Apprendre le respect de soi et des autres va passer nécessairement par la cessation progressive des coups comme mode de réponse éducative préférentielle. De l’enfant porté par la parole va émerger l’instauration de lois fondatrices d’une humanité tolérante.

114La différenciation des cultures aussi prégnante en Guyane ne semble probable que si des échanges basés sur un fond commun de valeurs respectant les devoirs et les droits de chacun atténuent les conflits de sexes et de générations.

115Bien évidemment, la prise en compte des dimensions psychologiques et juridiques de la protection du développement de l’enfant, fait partie d’une évolution contemporaine incontournable de toute contrée humaine démocratique.

Conclusion

116Ces investigations sur le terrain et les recherches bibliographiques effectuées ont eu le mérite d’apporter un éclairage nouveau sur le processus éducatif ordinaire en Guyane dans la mise en évidence de la valorisation sociale des punitions corporelles.

117Si de nombreux prédicteurs de maltraitance sur enfants sont présents dans ce département d’outre-mer comme la quantité des revenus en-dessous des seuils de pauvreté, la multiplicité des problèmes rencontrés, les mères seules dans des conditions économiques difficiles, etc., il apparaît néanmoins que la prévalence de la correction physique dans l’éducation des enfants ne soit pas perçue en tant que maltraitante par l’ensemble des adultes. Le statut des coups prend sens dans les pratiques éducatives locales. Mais à la banalisation du coup éducatif s’oppose le ressenti et le vécu des enfants dont les troubles réactionnels et le désir de faire autrement quand ils seront grands balisent l’urgence d’un changement de comportements et de mentalités. Et la question se pose de savoir quel type d’adultes les pratiques de cette prime éducation peut continuer de façonner.

118Nous ne pouvons rester indifférents et inattentifs à cette caractéristique d’une région ultrapériphérique de l’Europe [40], car ce lien parent-enfant remet en cause les connaissances acquises, que ce soit au niveau de la psychologie et de la psychanalyse ou en droit, qui garantissent des attitudes minimales et des normes internationales que chacun est tenu de respecter. Quelle que soit la culture, la ritualisation ne peut être poursuivie sans échapper à la stéréotypie d’une lutte pour la survie, car elle risque en s’autocentrant de se vider de toute altérité : « lui ou moi » ce n’est pas lui et moi et encore moins lui et nous (parents). C’est pour cela que si le bilan est encore critique, certaines pratiques évoluent : les coups sont moins forts qu’ avant (conseiller pédagogique).

119Ce qui a motivé un tel travail et une telle recherche de terrain, a été le questionnement soutenu des enfants. Le respect qu’ils réclament et les apports nouveaux qu’ils souhaitent engager doivent être soutenus par des démarches psychologiques, éducatives et pédagogiques claires et sans concession sur un noyau central de valeurs concernant leur protection. L’ éducation à la santé et l’organisation d’espace de paroles qui les responsabilisent pourraient représenter un des moteurs concrets de ces actions de terrain.

120Le désir d’enfant gagne à s’inscrire complètement dans un projet de vie porté par la famille puis par les institutions et surtout inclu dans un véritable projet de société.

121Un thème de rédaction a été proposé lors de l’épreuve de philosophie au baccalauréat économique et social de juin 1999, en Guyane : La liberté peut-elle exister sans le courage ?.

122Réflexions données à des adolescents futurs adultes, dont leur liberté va émerger de la prise de conscience des différences, qui enrichissent mais aussi rendent vulnérables et dont le courage sera d’accéder aux obligations en découlant comme le respect et l’écoute de paroles contrastées.

  • Bibliographie complémentaire

    • Adélaïde-Merlande J. « Histoire générale des Antilles et de la Guyane, des précolombiens à nos jours », Éditions caribéennes, Paris. L’harmattan, 1994.
    • Assaad Elia A. (et coll.) « Psychologie sociale et relations intergroupes », Paris, Dunod, 1998.
    • Association Louis Chatin, « L’enfant, sa première et ses secondes familles », colloque à la Cour de cassation, Paris, Petites Affiches, La Loi, n° 118 et 121, octobre 1997.
    • Aymeri J.C., « Histoire de la médecine aux Antilles et en Guvane », Paris 1992, L’Harmattan.
    • Bauer A. et Raufer X., « Violences et insécurité urbaines », Paris, Que sais-je ? PUF, 1998.
    • Bergeret J. « La violence fondamentale, L’inépuisable Oedipe », Paris, Dunod, 1992.
    • Camilleri C (et coll.), « Psychologie et culture : concepts et méthodes », Paris, A.Colin, 1996.
    • Conseil Economique et Social. « Rapport annuel l998 », Paris, Les journaux officiels, mars 1999.
    • Debardieux E., « La violence dans la classe », Paris, EÇF, 1990.
    • Defrance B., « La violence à l’école », Paris, Syros, 1992.
    • « Familles en Guyane », Journées d’études du 30-31 janvier 1992, Cayenne, Éd. Caribéennes, 1993.
    • Fassin D. « Exclusion, underclass, marginalidad, Figures de la pauvreté urbaine en France, aux État Unis et en Amérique latine », Paris, Revue française de sociologie, 1996.
    • Ginon X. (sous la dir.) « Demain la famille », 95ème congrès des notaires de France à Marseille, 9-12 mai, Paris, Petites Affiches, La Loi, n° 84, 28 avril 1999.
    • Giordan A. « L’apprendre paradoxal », Paris, Belin, 1999.
    • Gavarini L. et Petitot F. « La fabrique de l’enfant maltraité, un nouveau regard sur l’enfant et la famille », Toulouse, Erès, 1998.
    • Köhler J.M. et Wacquant L., « L’école inégale, éléments pour une sociologie de l’école en Nouvelle Calédonie », Institut culturel mélanésien, Nouméa, collection Sillon d’ignames, 1985.
    • Lefèvre-Leandri D., « L’accueil de l’enfance maltraitée à l’hôpital droit et psychologie », Bordeaux, Etudes hospitalières, 1998.
    • Miller A., « La connaissance interdite, Affronter les blessures de l’enfance dans la thérapie », 1988, Francfort, Mayenne, Aubier, 1990.
    • Peyrat D. (et coll.).« L’accès au droit en Guyane ». Cayenne, Ibis Rouge, 1998.
    • Piaget J. (sous la dir.) « Psychologie », Paris, Encyclopédie la Pléiade, 1987.
    • Raynauld R. (et coll.) « Peut-on améliorer le jugement moral d’élèves de dix-douze ans ? ». Psychologie Éducation, n° 36, La Pensée Sauvage, mars 1999, p. 23 à 41.
    • Vallet O. « Le honteux et le sacré », Grammaire de l’érotisme divin, Paris, Albin Michel, 1998.
    • Zinsser J., « Les peuples autochtones et le système des Nations unies, un nouveau partenariat », Etudes et documents d’éducation, Paris, UNESCO, 1995.
  • Textes officiels sur l’éducation à la santé

    • Circulaire n° 98-187 du 29 décembre 1998 sur la rentrée 1999.
    • Loi n° 89-187 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance.
    • Circulaire interministérielle n° 95-20 du 3 mai 1999 sur la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs.
    • Circulaire n° 98-237 du 24 novembre 1998 sur les orientations pour l’éducation à la santé à l’école et au collège. Bulletin officiel n° 45 du 3 décembre 1998 sur les objectifs de l’éducation à la santé de l’école maternelle à la fin du collège.
    • Circulaire n° 98-108 du 1er juillet 1998 sur la prévention des conduites à risque et comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté.
    • Bulletin officiel n° 37 du 17 octobre 1996 sur la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et la Convention et les programmes de l’école primaire.
    • Circulaire n° 98-194 du 2 octobre 1998 parue au Bulletin officiel hors série n° 11 du 15 octobre 1998 sur la lutte contre la violence en milieu scolaire et renforcement des partenariats.
    • Circulaire n° 98-234 du 19 novembre 1998 sur l’éducation à la sexualité et prévention du SIDA.
    • Circulaire n° 91-148 du 24 juin 1991 sur les missions et le fonctionnement du service de promotion de la santé en faveur des élèves.

Date de mise en ligne : 26/09/2014

https://doi.org/10.3917/jdj.230.0044

Notes

  • [*]
    Docteur en droit et psychologue.
  • [4]
    Nouvellement arrivée sur le département je ne pensais pas me retrouver au cœur d’une problématique éducative dont certains contours pathologiques par le biais de la maltraitance ont été étudiés lors d’une rechercheaction en milieu scolaire et hospitalier. L’accueil de l’enfance maltraitée à l’hôpital : droit et psychologie, Études Hospitalières, 1998.
  • [3]
    Chambron N. et Bichaume X., L’accès au droit des populations de Guyane, Rapport d’enquête, Cayenne, Mars 1997, Le Conseil départemental d’aide juridique du tribunal de grande instance de Cayenne avait organisé une étude sociologique avec le CERF dirigé par Nicole Chambron sociologue en 1997. L’enquête révèle bien la juxtaposition des réseaux informels dont la solidarité et la sociabilité se font par lignage (noir marron) par communauté (antillais, guyanais, métropolitain ou selon la provenance migratoire comme Haïti) ou par clan (amérindien galibi ou wahana…). Les auteurs évoquent même un cloisonnement presque étanche accompagné d’une xénophobie multidimensionnelle latente. D. Peyrat (sous la dir.), L’accès au droit en Guyane, Cayenne, Ibis rouge, 1998 Livre d’un colloque très intéressant mais demeurant déclaratif au vu des réalisations effectivement constatées sur le terrain un an après.
  • [1]
    Latouche S., Du fanatisme identitaire, Le Monde diplomatique, page 11 mai 1999.
    Je cite ce philosophe : « Il n’y a pas de valeurs qui soient transcendantes à la pluralité des cultures pour la simple raison qu’une valeur n’existe comme telle que dans un contexte culturel donné. (.) La mondialisation, en liquidant les cultures, engendre l’émergence des « tribus », des replis, de I’ethnicisme et non la coexistence et le dialogue(…). On est ainsi enfermé dans un manichéisme dangereux : ethnicisme ou ethnocentrisme, terrorisme identitaire ou indispensable ou universalisme cannibale (…) la mise en perspective de nos croyances, en se mettant à la place de l’autre, est indispensable, sous peine de la perte de la connaissance de soi, danger que fait peser la mondialisation culturelle. Il ne s’agit pas d’imaginer une culture de l’universel, qui n’existe pas. Il s’agit de conserver suffisamment de distance critique pour que la culture de l’autre donne du sens à la nôtre (…). La tolérance vraie commence avec la relativisation de l’absolu ».
  • [2]
    Encyclopédie universelle, « Guyanes » Paris, 1998
  • [5]
    Piaget J. (Sous la dir.), « Psychologie », Paris, Encyclopédie la Pléiade, 1987.
  • [6]
    Et par deux psychologues scolaires (Colin-Delgado R. et Lefèvre-Leandri D.) acteurs de l’étude.
  • [7]
    Protection maternelle et infantile et Centre de santé mentale infanto-juvénile.
  • [8]
    DASS État et DASS Guyane.
  • [9]
    Conseil départemental d’aide juridique au tribunal de grande instance.
  • [10]
    Hemery. T, « Un projet de centre médico-psychologique », France Guyane, journal du 7 juillet 1999.
    Geneviève Simart, l’unique pédopsychiatre en Guyane constate de plus en plus de tentatives de suicide parmi les huit-onze ans, des abus sexuels parmi les quatre-huit ans et des « enfants des rues ».
  • [11]
    Jérusalem au temps de Jésus, J. Jeremias, Paris, Cerf, 1980.
    Vallet O., Le honteux et le sacré, grammaire de l’érotisme divin, Paris, Albin Michel, 1998. La Vierge Marie était mariée à treize ans, L’âge normal des fiançailles au temps de Jésus se situait entre douze et treize ans et demi, le mariage survenant habituellement un an après. Mais il s’agit d’une autre époque, plus de 2000 ans auparavant.
  • [12]
    Rouland N., « Une hypothèse pour le futur ? Un statut personnel pour les Amérindiens de Guyane », Paris, Survival, revue trimestrielle, les Nouvelles n° 33-34, 1999.
    Karpe P. « Guyane française. Le statut personnel : une solution transitoire », Paris, Survival, Les Nouvelles n° 35, 1999. Ce professeur à l’Université d’Aix en Provence analyse l’interprétation du principe d’égalité par le Conseil d’État par rapport à l’obtention d’un statut particulier aux communautés autochtones (principalement aux amérindiens) dans la mesure où ils sont dans des situations très différentes de celles qui prévalent dans l’ensemble du département. Des règles particulières et des mesures d’adaptation pourraient être apportées à la législation en vigueur dans les départements métropolitains. Il peut être techniquement possible de reconnaître en droit un statut personnel des amérindiens, dans le cadre d’une politique d’intégration, le respect des particularismes devrait être davantage assuré. Une réponse a été faite lors du numéro suivant de Survival par un deuxième juriste de la faculté de droit de Nancy. Philippe Karpe éclaire le ciblage particulier d’une population autochtone que représentent les amérindiens de Guyane française par rapport à une mesure qui ne pourrait être que transitoire. Il évoque la décolonisation nécessaire par la redéfinition sur un pied d’égalité par l’ensemble des composantes de la société guyanaise (l’État français, les Amérindiens et les non-autochtones), des principes devant régir, sur des bases assainies, leurs relations mutuelles futures, en d’autres termes en attendant l’application d’un « pacte fondateur » de leur communauté de vie où serait établie une dérogation à la Constitution propre aux Amérindiens de Guyane.
    À la session de juillet 1997 du groupe de travail des populations autochtones (ONU, Genève) les amérindiens expriment le souhait que leurs revendications soient inscrites dans le cadre des droits de l’homme compris dans le droit international actuel des peuples autochtones.
  • [13]
    Pour illustration, le procès récent et médiatisé en février 1999 d’un enseignant français qui pratiquait des sévices corporels avec l’accord des parents qui le soutiennent, pose le problème de l’application du droit des enfants par la justice lorsque les mentalités ne l’ont pas intégré (quel projet de société est applicable en droit ?).
  • [14]
    La santé est un état complet de bien être physique, mental et social et ne constitue pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité, la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre, et constitue l’un des droits de tout être humain. Préambule à la constitution de l’Organisation mondiale de la santé, 22 juillet 1946.
  • [15]
    Une étude sociologique de Mme Jolivet a été faite il y a environ sept/huit ans reprise par l’historien M. Lam Mam Fouck dont l’hypothèse est devenue une vérité répandue dans l’opinion publique actuelle.
  • [16]
    La définition du mot créole dans le dictionnaire est « personne de race blanche, née dans les colonies intertropicales ». Il vient du mot espagnol criollo aux alentours de 1670.
  • [17]
    Les parents voyant l’enfant comme un moyen de subsistance par l’octroi d’aides sociales ne peuvent être jugés qu’à partir de la réalité latino-américaine. Car en effet, on ne peut que se désoler de voir la condition enfantine dans les pays limitrophes ou la prostitution enfantine est alors le moyen de subsistance pour l’enfant et la famille. C’est pour cela que l’on peut penser que l’accompagnement éducatif des familles dès la naissance de l’enfant doit être dorénavant et réellement l’axe prioritaire des structures de prévention avant de penser à toute mesure répressive que ce soit par la suppression d’aides sociales ou par le contrôle de la justice qui ne ferait que renforcer la précarité ou l’exploitation de l’enfant dans les milieux défavorisés en Guyane.
  • [18]
    Articles 371 à 387, Titre neuvième : De l’autorité parentale, Code civil.
  • [19]
    Articles 227-l à 227-30, chapitre VII : Des atteintes au mineur et à la famille du Titre II : Des atteintes à la personne humaine. Nouveau Code pénal.
  • [20]
    La Convention relative aux droits de l’enfants a été adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 20 novembre 1989.
  • [21]
    Dans le sens juridique de posséder, d’avoir l’usage d’un lieu, d’un bien.
  • [22]
    Awombe-Moundon E., Registres et fonction de la communication dans la relation mère-enfant en Afrique noire, 1990. Dans cet article, l’auteur dégage l’importance du passage d’une communication mère-enfant corporelle infra-verbale avec une grande disponibilité maternelle pour des échanges gratifiants vers une distanciation permettant l’apprentissage des règles objectives et de la réalité des autres avec l’accession à l’autonomie de soi. Autrement dit, le processus de personnalisation socioculturelle.
  • [23]
    Gavarini L. et Petitot F., La fabrique de l’enfant maltraité, Paris, Érès, 1998, page 69.
  • [24]
    « Qui bene amat, bene castigat », Saint Augustin, XIIème siècle. Le châtiment est à cette époque une correction, celle qui rend pur, chaste et même si les moines se flagellaient pour se purifier il y avait d’autres moyens utilisés pour la purification de l’âme. L’âme, dans une définition psychanalytique, peut s’entendre comme un potentiel individuel imaginaire original. Souvent, l’âme renvoie à la reconnaissance de l’existence humaine et à sa limitation par la mort.
  • [25]
    Brückner P. La tentation de l’innocence, Éditions du Seuil, 1995, Paris. Ce philosophe démonte les mécanismes de victimisation contemporains qui déresponsabilisent de plus en plus les personnes vis-à-vis de leurs actes. L’exemple de la greffe d’organes comme une main peut laisser à penser que si la personne greffée vole quelque chose. ce n’est pas elle qui devient responsable du délit mais la main greffée d’un autre.
  • [26]
    Boutinet J.P., Anthropologie du projet. PUF, 1991 Paris. Cet auteur a situé l’origine du mot projet aux grecs anciens. Et, Mairal C. et Blochet P.. Maîtriser l’oral, Paris, Magnard, 1998.
    Le projet est une nécessité vitale pour conjurer la répétition mortifère et assurer les adaptations nécessaires.
  • [27]
    Bergeret J., La violence fondamentale, Paris, Dunod, 1984.
  • [28]
    Droits d’urgence, association loi 1901. 221, rue de Belleville. 75019 Paris. Permanences et consultations juridiques gratuites.
  • [29]
    Miller A., « C’est pour ton bien - racines de la violence dans l’éducation de l’enfant », 1984 ; L’enfant sous terreur - l’ignorance de l’adulte et son prix, 1986 ; « La connaissance interdite - Affronter les blessures de l’enfance dans la thérapie, 1990 ; Abattre le mur du silence - Pour rejoindre l’enfant qui attend », Mayenne, Aubier. 1991.
  • [30]
    Gavarini et Petitot, La fabrique de l’enfant maltraité, page 67.
  • [31]
    Page 69, ibid.
  • [32]
    Lors d’un conseil d’école, une directrice exprime les difficultés d’intégration des populations immigrées du Surinam et signale l’urgence de faire un effort pour aller au devant de ces personnes dans le village. Un parent d’une association de parents d’élèves présent rétorque « mais on ne les fréquente pas ces gens là ».
  • [33]
    Pair C., « Rénovation du service public de l’Éducation nationale », La Lettre de l’éducation, n° 272, 31 mai, Paris, le Monde, 1999. Dans le rapport de Claude Pair, recteur, la place du recteur est donnée comme celle d’un « Chef d’équipe… le recteur doit désormais s’affirmer comme le patron de la politique pédagogique de l’académique et ne plus être ce bouchon au fil de l’eau, il est de première importance pour le fonctionnement de l’éducation nationale que ces responsables soient jugés sur leurs résultats ».
  • [34]
    Encyclopaedia universalis, « Anthropologie historique, histoire de l’enfance », Paris, CD ROM, 1998. La découverte de l’enfance et de sa maturation différenciée date du Xlllème siècle.
  • [35]
    Le stress professionnel a été particulièrement évalué dans les services hospitaliers à risque létal.
    Les services d’urgence et les services confrontés à la mort des patients engendrent ce syndrome. Les personnels sont incités régulièrement à changer de services tous les deux-trois ans, afin de maintenir leur équilibre mental.
  • [36]
    L’autorité parentale est exercée en commun par les deux parents s’ils sont mariés…, art. 372 loi du 8-1-1993.
  • [37]
    Raynauld R. (et coll.) « Peut-on améliorer le jugement moral d’élèves de dix-douze ans ? »
    Psychologie Education, Saint Etienne, La Pensée sauvage, mars 1999
    Cette étude sur le développement des aptitudes morales d’enfants de dix à douze ans, a été faite par une équipe de chercheurs en psychopédagogie au Québec. Celle-ci a déterminé trois paliers progressifs jusqu’à la socialisation optimale, qu’il s’agit de faire franchir aux enfants par l’émulation en groupe de pairs et des objectifs évalués.
  • [38]
    Reinberg A., « Les absurdités des nouveaux rythmes scolaires », Paris, la Lettre de l’Éducation, n° 179, 25 novembre, Paris, le Monde, 1996.
  • [39]
    Le terme d’ultrapériphérie de l’Europe appliquée au département de la Guyane est utilisé par J-M. Taubira.
  • [40]
    Voir les textes introduisant l’éducation à la santé dans la bibliographie.

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