1Les avocats d’enfants versaillais ont créé, en collaboration avec les magistrats, une manière originale d’intervenir pour les enfants devant le juge aux affaires familiales.
I – L’origine
2Le groupe des avocats d’enfants du Barreau de Versailles a été créé, comme bien d’autres faisant partie de l’expérience pilote de la Chancellerie, avant même que la Convention de New York relative aux droits de l’enfant soit introduite par le législateur dans la loi interne.
3Les avocats d’enfants s’étaient alors emparés de l’art. 12 al. 2 de cette convention qui stipule « On donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale ».
4L’intervention de l’avocat devant le juge aux affaires matrimoniales pouvait donc prendre la forme d’une représentation de l’enfant qui ne se rendait pas, lui, devant le juge.
5Rapidement il a été convenu que cette représentation, pour un meilleur respect du contradictoire, soit accompagnée d’une « note » écrite.
6Ce procédé qui avait fait ses preuves avant le 1er janvier 1994 a été maintenu à Versailles après l’introduction de l’art. 388-1 dans le Code civil.
II – La « représentation avec note »
7Lorsque un avocat d’enfant du Barreau de Versailles reçoit pour la première fois un enfant dans son cabinet il lui propose habituellement, après avoir vérifié qu’il souhaite effectivement intervenir dans la procédure, l’alternative suivante :
- soit il demande à être entendu lui-même par le juge
- soit il charge son avocat de transmettre sa parole au juge.
8Dans ce cas l’avocat prépare avec l’enfant, en deux ou trois séances, voire plus, une note écrite qui est une trace des dires de l’enfant à ce moment-là de la procédure.
9Il ne s’agit pas de conclusions et la note n’en a ni la forme ni le contenu.
10Pour la rédaction de cette note tous les avocats d’enfants n’ont pas la même pratique :
11Certains en font une sorte de résumé de ce que l’enfant leur a dit, mentionnant parfois entre guillemets les phrases les plus significatives.
12D’autres élaborent la note avec l’enfant. Ils rédigent la note en sa présence et discutent avec lui du contenu et de la formulation.
13L’enfant réfléchit avec l’avocat sur ce qu’il veut dire au juge et sur l’impact que cette note pourra avoir sur la décision mais aussi sur les parents qui, il en est informé, en auront connaissance.
14En raison d’un accord entre les avocats et les juges aux affaires familiales cette note est toujours coiffée d’un bref rappel des circonstances dans lesquelles l’avocat a été désigné et a travaillé avec l’enfant (désignation à la demande de qui, date des rencontres avec l’enfant, mention du parent qui a conduit l’enfant aux rendez-vous).
15On peut s’interroger sur la justification de ce « chapeau », l’avocat n’étant ni un enquêteur ni un expert, mais la pratique s’est établie ainsi.
16La note est signée par l’avocat qui en remet une copie à son client.
17Elle est ensuite communiquée au juge et aux parties avant l’audience.
18Certains avocats ne communiquent cette note qu’aux parties assistées d’un avocat pour éviter des pressions sur l’enfant.
19L’avocat se rend ensuite à l’audience des parents, bien entendu sans l’enfant.
20Selon l’optique qu’il a de son rôle, l’avocat développera plus ou moins la note à cette audience :
- S’il considère qu’il défend avant tout l’intérêt « objectif » de l’enfant, il en dira plus sur ce que l’enfant a dit dans son cabinet, il y ajoutera des précisions sur le comportement de l’enfant ou donnera son opinion sur ce qu’il convient de faire ou encore proposera une mesure dans son intérêt ;
- S’il considère qu’il défend avant tout l’intérêt « subjectif » de l’enfant il s’en tiendra très étroitement à la note qui constitue la limite de ce que l’enfant a voulu transmettre au juge. Eventuellement il appuiera l’opinion exprimée par l’enfant par quelques observations personnelles, mais il n’en déviera pas.
III – Les avantages
21La « représentation avec note » a l’avantage d’éviter la présence de l’enfant au palais de justice, dans un environnement qui peut être vécu comme froid et angoissant et l’inciter à moins s’exprimer qu’au Cabinet de l’avocat.
22Elle permet à l’enfant une réflexion approfondie avec son Conseil sur ce qu’il veut apporter à la procédure, il peut faire le tri avec lui entre ce qui est important pour lui et ce qui ne l’est pas, lui évite d’oublier « le jour X » de dire ce qu’il considère pourtant comme essentiel ou de se faire entraîner par les questions du juge plus loin qu’il ne voulait aller.
23Dans la mesure où la préparation de la note se fait en plusieurs séances elle laisse à l’enfant le temps : le temps de se mettre en confiance, le temps de la réflexion, le temps des questions, le temps de changer d’avis.
24Il n’est pas toujours facile de trouver ces temps-là lors d’une audition unique chez le juge.
25Enfin, la note associée à la représentation permet à l’enfant de garder ses distances avec la procédure judiciaire (il n’est pas partie !) et le conflit entre ses parents sans que sa parole soit négligée.
26Elle respecte parfaitement le principe du contradictoire.
IV – Problématique juridique
a – La compatibilité de la représentation avec l’art. 388-1 du Code civil
27La grande question que pose cette pratique est évidemment celle de sa compatibilité avec l’art. 388-1 du Code civil et donc celle de sa légalité.
28L’art. 388-1 C.civ. envisage deux hypothèses :
- la première est celle de l’audition décidée par le juge d’office, sans demande de l’enfant : l’audition de l’enfant est alors une mesure d’instruction, le juge souhaite se faire sa propre idée.
La représentation de l’enfant est plus difficile à concevoir dans ce cadre. En revanche il y a là de la place pour d’autres mesures d’instruction comme l’expertise ou l’enquête sociale qui auront également pour but de recueillir la parole de l’enfant. - la deuxième hypothèse est celle de l’initiative prise par l’enfant qui demande d’être entendu : dans ce cas l’enfant exerce un droit, celui accordé par l’art. 12 al.2 de la Convention de New York.
Il se conçoit aisément que celui qui exerce un droit puisse choisir la manière dont il veut l’exercer. Il doit donc pouvoir mandater un avocat pour porter sa parole au juge qui l’entendra de cette façon.
29S’agissant d’une pratique locale, la jurisprudence s’est évidemment peu penchée sur la question.
30On peut imaginer qu’elle sera tolérée par la Cour de cassation qui paraît vouloir laisser « dans un domaine aussi sensible que celui de l’audition d’un mineur dans le cadre d’un litige parental (..) une large liberté d’appréciation quant aux modalités de cette audition » (rapport de la Cour de Cassation 1996).
31La cour d’appel de Versailles n’a jamais eu à se prononcer sur la validité de la représentation avec note (qui existe, rappelons-le, depuis une douzaine d’années), ce qui laisse penser que finalement elle ne choque personne.
32En revanche il existe une ordonnance d’un juge aux affaires familiales de Versailles (TGI Versailles 7 oct. 1999, JCP Dr fam.2001, N° 45, note Lécuyer.) soigneusement motivée qui déclare expressément recevable la note de l’avocat d’enfant au motif que cette pratique est à même de faire coexister l’intérêt de l’enfant et le principe du contradictoire.
33Elle souligne que le dépôt de la note et la représentation de l’enfant n’empêchent pas le juge d’entendre lui-même l’enfant si c’est nécessaire.
34La pratique de Versailles paraît donc compatible avec l’art. 388-1 du Code civil, au moins lorsque l’audition est demandée par l’enfant lui-même.
b – La question du mandat de l’Avocat d’enfant
35L’idée que l’enfant puisse se faire représenter dans son droit à l’audition pose évidemment la question de la validité du mandat que l’enfant, pourtant incapable de contracter, sera amener à donner à son représentant.
36En réalité cette difficulté n’en est pas une dans la mesure où l’art. 389-3 du Code civil dispose expressément que le mineur peut être autorisé par la loi ou l’usage d’agir lui-même.
37Or, tant l’art. 388-1 que l’art. 338-7 NCPC prévoient spécialement que l’enfant puisse faire choix d’un avocat et l’art. 9-1 de la loi sur l’Aide juridictionnelle lui en donne les moyens en lui accordant automatiquement le bénéfice de cette aide.
38Pouvoir choisir son avocat implique de lui donner des instructions et donc un mandat. : C’est la loi elle-même qui a donné à l’enfant la capacité de le faire.
39Il est cependant incontestable que certains enfants sont trop jeunes pour comprendre ce qu’est un avocat, un juge ou une procédure judiciaire.
40Dans ce cas, il ne peut naturellement y avoir ni mandat ni représentation.
41Cette absence de capacité minimale coïncidera souvent avec une absence de discernement rendant de toute façon l’audition impossible.
c – Le respect du contradictoire
42Telle qu’elle est pratiquée à Versailles la représentation de l’enfant accompagnée d’une note respecte le contradictoire :
43La note qui cerne l’essentiel de la position de l’enfant dans le cadre du litige opposant ses parents, est toujours communiquée aux parties, au moins lorsqu’elles sont assistées d’un conseil.
44Lorsqu’elles ne le sont pas c’est le juge, pendant l’audience, qui leur en donnera connaissance.
45Le contradictoire est un principe de base de la procédure judiciaire démocratique mais il n’est pas forcément applicable en matière d’audition d’enfant puisque l’art. 338-2 NCPC prévoit que la demande de l’enfant peut être présentée en tout état de la procédure, donc même après la clôture des débats.
46On conçoit aisément que la communication de la note aux parents, assistés ou non, ouvre la voie aux pressions.
47Dans la pratique il n’est en effet pas rare que peu de temps après l’envoi de la note aux parties ou à leur conseils l’enfant tienne absolument à la modifier ou à la compléter.
48La transparence assurée par la communication des notes a cependant l’avantage d’éviter les phantasmes des parents sur ce que l’enfant a bien pu dire à son avocat (ce qui est secret reste bien sûr secret mais ne sera pas non plus divulgué au juge), de leur permettre de réfléchir à la position de leur enfant avant l’audience et d’assurer un climat plus serein des débats devant le juge.
49Enfin, doit-on épargner à l’enfant qui est un citoyen en devenir les contraintes liées à une procédure judiciaire dans laquelle il souhaite prendre l’initiative d’intervenir ?
50Il fait partie de la mission de l’avocat de l’enfant d’informer son jeune client de ces contraintes pour qu’il puisse les assumer en toute connaissance de cause ou alors renoncer à son intervention.
Conclusion
51La pratique de la représentation de l’enfant aux affaires familiales, associée au dépôt d’une note, a fait, au tribunal de grande instance de Versailles, longtemps la quasi-unanimité des avocats d’enfants et des magistrats de la famille.
52Aujourd’hui elle ne rencontre plus l’adhésion de l’ensemble des juges aux affaires familiales et suscite le doute chez certains confrères avocats, en particulier en raison de la liberté que ce procédé prend avec les textes.
53D’autres, au contraire, tentent d’aller plus en utilisant la note et l’art. 3881 C.civ. au pénal, dans l’hypothèse d’un conflit d’intérêt entre une jeune victime et son administrateur ad hoc.
54Il est vrai que les rédacteurs de l’art. 388-1 du Code civil n’ont sans doute pas envisagé la pratique mise en œuvre à Versailles, mais dans un État démocratique tout ce qui n’est pas interdit est permis.
55Il est du rôle des professionnels de créer et d’expérimenter pour faire avancer le droit et donner des idées qui aboutiront peut-être, à la longue, à une législation encore plus respectueuse de l’intérêt de l’enfant.